La lecture en ligne bouscule encore le prix unique

En fait. Le 29 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) a tenu son assemblée générale annuelle. Le chiffre d’affaires 2022 des éditeurs a reculé de 5,4 % sur un an, à 2,9 milliards d’euros, dont seulement 285,2 millions d’euros pour le livre numérique malgré une hausse de 4,4 %. Mais quid de la lecture en ligne ?

En clair. Contacté par Edition Multimédi@, le conseiller d’Etat Jean-Philippe Mochon, Médiateur du livre dont le mandat s’achèvera en octobre (renouvelable), nous indique que « le rapport sur la lecture en ligne et les jetons numériques devrait sortir à l’automne ». Il s’était autosaisi en avril 2022 sur « les nouveaux modèles économiques de la lecture en ligne de mangas, de webtoons et de bandes-dessinées » et sur « la conformité à la loi du 26 mai 2011 [sur le prix du livre numérique, ndlr] des modèles émergents de microtransactions via des systèmes de monétisation par jetons numériques ».
« Scroller » une BD, un webtoon voire un livre numérique sur smartphone prend de l’ampleur, surtout chez les « adolécrans » et jeunes adultes. Le leader mondial des webtoons est le sud-coréen Naver (1). Son modèle économique freemium a popularisé le paiement par des « coins ». Du coup, le Syndicat national de l’édition (SNE) s’interroge lui aussi sur la pratique au regard du prix unique du livre numérique et, d’après le rapport d’activité 2022 du SNE publié à l’occasion de son AG du 29 juin dernier, attend l’avis du Médiateur du livre. Dans son discours ce jour-là, le président du SNE Vincent Montagne – pourtant patron du groupe Média-Participations très présent sur ce marché des webtoons avec sa plateforme Izneo – n’a dit mot sur la lecture en ligne. Pas plus que sur le livre numérique d’ailleurs, à part un elliptique « maîtrise du numérique ». De plus, le syndicat des éditeurs vient de publier l’état de l’édition en France mais sans aucune donnée sur le marché des plateformes de lecture en ligne. « Malheureusement, le nombre insuffisant de réponses reçues ne permet pas de dresser une évaluation de ce marché », indique le rapport du SNE, en appelant les éditeurs à renseigner leurs données « webtoon » lors de la prochaine vague statistique de 2024.
Outre Izneo de Vincent Montagne et Webtoon de Naver, d’autres plateformes françaises surfent aussi sur les webtoons : Piccoma (Kakao), Verytoon (Delcourt), Webtoon Factory (Dupuis), ou encore Glénat Manga Max (Glénat Editions). Dans la lecture en ligne, sont aussi présents Nextory (ex-Youboox), YouScribe, Kindle Unlimited (Amazon), … Sur l’abonnement illimité et le prix unique, un avis du 9 février 2015, de la Médiatrice du livre Laurence Engel, avait établi que « le prix des livres numériques est fixé par les éditeurs » (2). @

Maisons d’édition : le livre audio risque de cannibaliser les livres numériques et imprimés

« En mai, écoute le livre qui me plait ! ». En France, mai 2022 est « le mois du livre audio ». Qu’ils soient sur support physique (CD) ou en ligne (en streaming ou en téléchargement), les livres audio sont de plus en plus écoutés. Mais il y a un risque de cannibalisation des ventes de livres à lire.

A pousser le livre audio comme jamais elles ne l’ont fait pour le livre numérique, les maisons d’édition ne sont-elles pas en train de se tirer une balle dans le pied ? Elles pourraient accélérer le déclin de leur industrie du livre. Non seulement éditer un livre audio ne relève plus de la planète Gutenberg, contrairement aux éditions imprimées et par extension numériques, mais, en plus, considérer l’écoute d’un livre audio comme de la lecture constitue un abus de langage dont les utilisateurs ne sont pas dupes. Ecouter n’est pas lire, et vice-versa. Le livre audio, c’est en quelque sorte de la lecture par procuration.

L’audiobook grignote d’abord l’ebook
A trop vouloir « mettre les livres sur écoute », en se diversifiant parfois eux-mêmes dans l’audiovisuel – comme Hachette Livre et Albin Michel qui détiennent respectivement 60 % et 40 % de la société Audiolib –, les maisons d’édition prennent-elles le risque de cannibaliser leur propre coeur de métier historique ? Lizzie du groupe Editis (Vivendi). Gallimard Audio/Ecoutez Lire du groupe Madrigall, Actes Sud Audio, … Nombreux sont les membres du Syndicat national de l’édition (SNE), représentant notamment les majors françaises de l’industrie du livre, qui ont décidé de donner de la voix à leur catalogue en faisant lire des oeuvres par des acteurs et comédiens plus ou moins célèbres. « Je ne pense pas qu’on puisse parler de “cannibalisation”, qui suppose qu’une pratique remplace l’autre. En tous cas, pas pour le livre imprimé qui a des usages très larges. En revanche, que le livre audio apporte d’autres adeptes à la lecture, ou intensifie la lecture, et qu’il progresse plus vite que le livre numérique – voire le dépasse en nombre –, c’est tout à fait possible. Une fois que l’offre sera élargie, la pratique de lecture audio s’installera durablement pour les générations les plus jeunes – ce sont déjà les trentenaires et moins qui l’adoptent », nous a répondu Valérie Lévy-Soussan (photo), PDG d’Audiolib chez Hachette Livre (groupe Lagardère) depuis près de dix ans (1) et présidente depuis mars 2019 de la commission « livre audio » du SNE (2).
Selon l’institut Médiamétrie pour le 12e baromètre sur les usages du livre numérique et audio, publié fin avril lors du 1er Festival du Livre de Paris par le SNE avec les sociétés d’auteurs Sofia et SGDL, sur 48,1 millions de lecteurs en France en 2021 (3), 47,7millions sont « lecteurs » de livres imprimés, 13,5 millions de livres numériques, et 9,9 millions sont « auditeurs » de livres audio. Où l’on voit que les audiobooks sont en passe de se hisser au même niveau que les ebooks, en termes d’utilisateurs. « Seuls 52 % des auditeurs de livres audio physiques [sur support CD, ndlr] en ont écouté un il y a moins d’un an, ce qui traduit vraisemblablement le début d’un véritable basculement du livre audio physique au profit du livre audio numérique », souligne ce baromètre. L’an dernier, le nombre d’auditeurs de livres audio physiques a reculé d’un point à 7,9 millions pendant que celui des livres audio numériques a progressé d’un point à 6,6 millions. Sans parler de la notoriété des audiobooks qui gagne du terrain par rapport aux ebooks. Si cannibalisation il y a de la part de l’écoute au détriment de la lecture, elle se fait par grignotement qui touche en premier lieu le livre numérique. Le livre broché (imprimé) semble moins impacté (4). C’est une aubaine pour les éditeurs puisque le livre audio numérique est, en vente à l’acte, à peu près au même prix que celui de son équivalent papier.
Une quinzaine de membres du SNE composent la commission « livre audio » du SNE, soit seulement 2 % de l’ensemble des 720 maisons d’édition que représente le syndicat. C’est justement cette commission qui a décrété le mois de mai 2022 « Mois du livre audio », une première. « Dans notre monde hyperconnecté, c’est de sens, plus encore que de silence, dont nous avons besoin », assure Valérie Lévy-Soussan, à l’heure où la lecture a été déclarée par le président de la République « grande cause nationale » jusqu’à l’été prochain. Après un Festival du Livre de Paris qui a privilégié le papier, le libre audio s’est fait entendre jusqu’au 11 mai au Festival du Livre audio organisé à Strasbourg par l’association La plume de Paon (5), laquelle assure la promotion du livre audio (6).

Des festivals du livre audio à gogo
La plume de Paon a organisé dans la foulée pour les professionnels, les 13 et 14 mai, toujours à Strasbourg, les Rencontres francophones du livre audio (7). Puis, à Paris cette fois et le 22 mai, le Festival Vox – « du livre audio et de la lecture à voix haute » – organise un marathon de lecture à la Maison de la poésie (8). Quant à la commission « livre audio » du SNE, elle a prévu le lancement d’ici fin mai d’un nouveau site Internet entièrement consacré au livre audio. Baptisé « Lire ça s’écoute ! », il sera doté de ressources professionnelles et d’un catalogue exhaustif de titres des éditeurs membres. @

Charles de Laubier

Le livre ne tournera jamais la page du papier, mais il se dématérialise de plus en plus en ebook et audio

Le livre, ce sont les lecteurs qui en parlent le mieux : 25 % des Français ont déjà lu un livre numérique (+ 15 points sur un an) et 15 % ont déjà écouté un livre audio (+ 4 points). Contrairement aux apparences, l’industrie du livre n’est pas figée sur le livre imprimé. Les pages se dématérialisent.

Les périodes de confinement ont accéléré la dématérialisation de la lecture. Les Français lisent de plus en plus de livres numériques et/ou de livres audio. C’est, en creux, le grand enseignement du baromètre des usages du livre numérique et depuis que cette enquête annuelle a été créée en 2012, coordonnée par les auteurs au sein notamment de la Société des gens de lettres (SGDL) et les éditeurs via le Syndicat national de l’édition (SNE), associés au sein de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), organisme de gestion collective dédié au livre dirigé par Geoffroy Pelletier (photo).

Le confinement booste le livre hors-papier
Le chiffre d’affaires estimé de l’édition en France aurait accusé un recul de 2 % sur l’année 2020, à 2,7 milliards d’euros, mais c’est sans compter le livre numérique faute de chiffres. Or la lecture sur supports numériques (ebook et audio) progresse plus que jamais. Mais lors de ses vœux le 7 janvier dernier, le président du SNE, Vincent Montagne, n’a pas non plus livré de prévisions sur le marché de l’édition numérique. Pour mémoire, en 2019, celui-ci a généré en France un chiffre d’affaires de 232,3 millions d’euros (tous supports et toutes catégories éditoriales confondus), en progression de 9,2 % sur un an. Gageons que les deux périodes de confinement ont favorisé l’édition numérique, au détriment des livres imprimés quelque peu pénalisés par les fermetures des librairies. Force est cependant de constater que le sondage exclusif « Les Français et la lecture pendant les confinements », réalisé par l’institut Odoxa et dévoilé par le SNE lors de ses vœux, fait l’impasse sur les livres dématérialisés (à lire ou à écouter). Les résultats montrent qu’un tiers des Français (33 %) s’est mis à « lire davantage » sans qu’il soit précisé sous quel format. Ce sondage aux réponses suggérées en profite au passage pour opposer lectures et Internet : « Les Français ont surtout lu pour lutter contre l’ennui (43 %) mais aussi pour se déconnecter de l’actualité (33 %) et passer moins de temps sur les réseaux sociaux (31 %). Les 25-34 ans ont, quant à eux, d’abord vu dans la lecture un moyen d’‘’éviter de naviguer sur Internet” (31 %) ». Ce qui fait dire à Vincent Montagne (PDG de Média-Participations) ceci : « Face aux incertitudes et à la surconsommation anxiogène d’Internet et des réseaux sociaux, le livre est plébiscité par le public, notamment par les plus jeunes, comme un véritable antidote ». Or chacun sait que livres et réseaux sociaux sont complémentaires, et rien ne justifie de sanctifier la lecture et de vouer aux gémonies l’Internet. Si les jeunes de moins de 25 ans se sont mis à lire le plus pendant les deux périodes de confinement de l’an dernier (42 % d’entre eux, contre seulement 27 % pour les plus de 65 ans), ce n’est pas pour autant pour se détourner de leurs réseaux sociaux favoris. Il n’y a pas le bien d’un côté (le livre) et le mal de l’autre (Internet) ! Ce serait trop simpliste… De ce point de vue, la manière dont a été téléguidé ce sondage Odoxa pour le SNE déçoit (1). Et le fait qu’aucune référence aux livres numériques et aux livres audio ne soit faite est une occasion manquée. Heureusement que le baromètre du livre numérique de la Sofia vient nous éclairer sur ces nouveaux usages. D’autant que dans son édition spéciale « confinement », trois points forts se dégagent : une augmentation des pratiques de lecture, une diversification des supports utilisés, et un lectorat numérique qui s’est rajeuni. La grande tendance du #restezchezvous de l’an dernier a été « une forte progression des lecteurs de livres numériques et d’auditeurs de livres audios numériques ». Ainsi, pendant les confinements et sur les 52,8 millions de Français de plus de 15 ans, 35 % d’entre eux – 18,5 millions d’e-lecteurs tout de même – ont lu un livre numérique (+15 points par rapport à janvier 2020) et ils sont 15 % – 8 millions de personnes – à avoir écouté un livre audio numérique (+ 4 points sur un an). Même les auditeurs de livres audio physiques (sur CD pour la plupart) ont leur public : 18 %, soit 9,3 millions de Français (voir graphique en page précédente). Autre constat : une partie de ceux qui lisent des livres imprimés utilisent d’autres supports pour lire (livres numériques, audio numériques, audio physiques). Il est fort probable que cette « duplication » des supports de lecture s’accentue avec le temps, au fur et à mesure de l’appropriation des nouveaux moyens de lecture et/ou d’écoute (voir graphique ci-dessous). Cette diversification éditoriale rend obsolètes dans l’édition les frontières entre l’imprimé, les écrans et les écouteurs. En outre, « les lecteurs de livres numériques et les auditeurs de livres audio ont été, sans surprise, particulièrement consommateurs de médias pendant le confinement, nettement plus que les lecteurs de livres imprimés », souligne en outre le baromètre « Sofia » (2).
A noter que le SNE a les plus grandes difficultés à obtenir auprès de ses 720 éditeurs adhérents des chiffres sur les ventes de livres dématérialisés. C’est regrettable. Pire : l’an dernier, le syndicat n’a reçu les réponses que d’une douzaine d’éditeurs pour le segment en pleine croissance des livres audio. D’autant que « le taux d’équipement des Français en appareils numériques et enceintes connectées est en augmentation ; le format dématérialisé (MP3) permet une écoute en situation de mobilité ou de pluriactivité ; la clientèle la plus jeune est de plus en plus attirée par des contenus audios (podcasts, vidéos) », relève d’ailleurs le SNE dans le bilan 2019 du marché français de l’édition publié en octobre dernier (3). Ce syndicat fait remarquer que « de plus en plus d’acteurs proposent des offres d’accès aux livres audios dématérialisés, qu’il s’agisse des librairies numériques spécialisées en livres lus ou des plateformes mises en place par les GAFAM et les grandes enseignes culturelles, d’applications de lecture en streaming, de partenariats noués avec des opérateurs de téléphonie ou de synergies activées au sein de groupes de médias ». La dématérialisation du livre est inéluctable et les confinements accélèrent donc la tendance. L’année 2020 marquera un tournant dans la pratique de la lecture, où les yeux ne sont plus les seuls sollicités : les oreilles font leur entrée dans l’industrie de l’édition numérique. Le sacro-saint livre imprimé, broché, n’est plus roi.

Vers une loi « Economie du livre »
L’année 2021, elle, marquera par ailleurs les dix ans de la loi du 26 mai 2011 instaurant le prix du livre numérique. Ce sera aussi les quarante ans de la loi « Lang » du 10 août 1981 instaurant quant à elle le prix unique du livre. Pour à nouveau légiférer dans un secteur mis à mal par le coronavirus, une proposition de loi aux allures d’« anti-Amazon », mais pas que, a été déposée le 21 décembre dernier au Sénat (4). « La vente à distance de livres est en croissance depuis plus d’une décennie, notamment en raison de l’essor d’Amazon, qui capte environ 11 % du marché du livre, et d’autres entreprises telles que la Fnac », constate la sénatrice (LR) Laure Darcos, auteure de cette proposition de loi destinée « à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs ». Elle suggère notamment que les ministres de la Culture et de l’Economie puissent fixer par arrêté conjoint – sur proposition de l’Arcep – « un montant minimum de tarification des frais de livraison [et non plus à 0,1 centime d’euros comme le pratique Amazon, ndlr], que tous les détaillants devront respecter ». Près de dix ans après la loi instaurant le prix du livre numérique, ce texte législatif ne dit mot sur les ebooks. @

Charles de Laubier

L’audio digital a trouvé son public et ses marques

En fait. Le 24 janvier, au Salon de la Radio et de l’Audio digital, Marianne Le Vavasseur, directrice de la régie publicitaire de Deezer, a présenté le « Livre blanc de l’Audio digital 2020 » – publié par le Groupement des éditeurs et de services en ligne (Geste) et l’IAB France. C’est la troisième édition.

En clair. Huit ans après la toute première édition, quatre ans après la seconde, le Groupement des éditeurs et de services en ligne (Geste) et l’Interactive Advertising Bureau France (IAB France) publient la troisième édition du « Livre blanc de l’Audio digital ». Alors que le marché des podcasts replay (1) et natifs (2) explose depuis quatre ans et que les enceintes connectées avec leur assistant vocal mettent les radios, les plateformes de streaming et les agrégateurs à portée de voix, sans oublier le livre audio, un nouvel état des lieux de l’écosystème de l’audio digital est le bienvenu. « L’offre étant protéiforme et en pleine construction, il nous a semblé nécessaire de préciser les usages, les audiences, les acteurs, les évolutions technologiques et les opportunités pour les marques », justifient le Geste et l’IAB France.
Selon la mesure d’audience « Internet global Radio et Musique », publiée par ailleurs par Médiamétrie et le Geste, la barre des 40 millions d’internautes ayant visité au moins un site web ou une application de radio/musique a été franchie en septembre 2019 – soit un bond de 5 millions d’internautes de plus en un an. « Le développement de nouveaux formats et de nouveaux modes d’accès aux contenus audio laisse présager d’une poursuite de cette croissance dans les mois à venir », prévoit Marianne Le Vavasseur, coprésidente de la commission Audio digital du Geste (3). Parmi ces auditeurs de contenus, 84,1 % s’y connectent via un smartphone. Et un tiers en écoute chaque jour. En outre, 40,3 % d’entre eux ont écouté dans le mois la radio sur Internet ou webradios, 37,5 % de la musique en ligne, 22,8 % des podcasts et 5,2 % un livre audio. Le marché publicitaire, lui, s’organise : « Les achats se font majoritairement au CPM [coût pour mille impressions, ndlr]. L’achat au forfait ou le sponsoring d’un contenu permet également aux annonceurs de parrainer une série, une ou plusieurs thématiques (…). Ce sponsoring peut prendre la forme d’un format dit “host-read” sur certains podcasts natifs. C’est une annonce lue par la personne animant le podcast avant le lancement du contenu éditorial à proprement parlé », explique l’ouvrage de référence (4). Pour autant, « l’essor économique de ce marché ne pourra se faire sans une mesure d’audience fiable et partagée par tous. Ce chantier sera, sans aucun doute, celui de cette nouvelle décennie ». @

Pourquoi le livre numérique ne dépasse pas les 10 % du chiffre d’affaires du marché de l’édition en France

Le Syndicat national de l’édition (SNE), qui réunit 720 membres sous la présidence de Vincent Montagne depuis juin 2012, a tenu son assemblée générale annuelle le 27 juin. Si le livre numérique est encore très loin de compenser le recul du marché français de l’édition, il continue de progresser mais reste en-deçà des 10 % des ventes.

C’est dans l’Hôtel de Massa – hôtel particulier néoclassique du XVIIIe siècle où la Société des gens de lettres (SGL) y fête cette année ses 90 ans de présence au service aujourd’hui de 6.000 auteurs – que le Syndicat national de l’édition (SNE) a une nouvelle fois organisé fin juin son assemblée générale annuelle. Alors que le marché français du livre recule encore, de 4,3 % l’an dernier à un peu plus de 2,6 milliards d’euros, le livre numérique y progresse à lui seul de 5,1 %, mais à seulement 212,6 millions d’euros de chiffre d’affaires. Autrement dit, alors que Edition Multimédi@ envisageait le franchissement du seuil symbolique des 10 % du chiffre d’affaires total des éditeurs en France pour les ebooks sur l’année 2018, cette estimation prévisionnelle ne s’est pas réalisée. A 8,1 %, l’édition numérique joue encore dans la catégorie des poids plumes. Nous nous sommes trompés ! Plus précisément, c’est le marché français de l’édition qui a déjoué nos pronostiques tant il est resté atone – où la morosité se le dispute au déclinisme, voire à la frilosité des maisons d’édition vis-à-vis du digital (1). Le président du SNE, Vincent Montagne (photo), voit dans le recul de l’édition pris globalement non seulement « une baisse conjoncturelle » (pas de réforme de programmes éducatifs au profit des livres scolaires, mouvements sociaux et blocages des Gilets jaunes de fin d’année), mais « plus structurelle aussi, donc plus préoccupante, qui traduit une diminution progressive de notre lectorat ».

Temps de lecture, audience du livre, tout formats
La baisse du lectorat inquiète en fait plus les maisons d’édition que la baisse des ventes de livres, même si les deux phénomènes sont étroitement liés. « Le temps de lecture… Voilà bien là notre sujet essentiel de préoccupation… La concurrence des loisirs est une réalité. Nous perdons progressivement des lecteurs… Nous devons gagner la bataille du temps ! Charge à nous de convaincre le plus grand nombre ! Et de reconquérir notre lectorat ! », a lancé lors de l’AG du 27 juin le patron des éditeurs, qui est aussi PDG du troisième plus grand groupe d’édition en France, Média Participations, derrière Hachette Livre (contrôlé par Lagardère) et Editis (tout juste racheté par Vivendi). « Soutenir le désir de lecture, déployer l’audience du livre, sous toutes ses formes, auprès de tous les publics, y compris les plus éloignés du livre, tels sont les grands enjeux de notre profession », a insisté Vincent Montagne, comme pour tourner la page du tout-papier de l’édition en déclin.

Ebook et streaming pour attirer les Millennials
Les éléments de langage du président du SNE sont passés presque inaperçus ; pourtant ils illustrent une prise de conscience accrue de la part de l’industrie du livre quant à l’évolution irréversible de la manière de lire des livres de plus en plus dématérialisés et au défi de constituer un futur lectorat en allant séduire la génération « Millennials » ou « Génération smartphone ».
Le Centre national du livre (CNL) avait fait état en mars dernier d’un sondage Ipsos montrant que le taux de lecteurs de livres numériques atteint les 47 % lorsqu’il s’agit des 15-24 ans, soit presque le double du taux général en faveur des ebooks tous âges confondus (3). Il y a donc plus que jamais une appétence de la jeune génération à lire,  pour peu que les maisons d’édition mettent et promeuvent leurs catalogues en ligne. Le SNE, qui est aussi le grand ordonnateur du Salon du livre de Paris (« Livre Paris »), dont  ce sera le 40e anniversaire en mars 2020, a indiqué que lors de l’édition de cette année –  « plus encore que les précédentes » – le public de jeunes lecteurs avait augmenté de 10 %. Les maisons d’édition n’ont pas le droit de les décevoir si elles ne veulent pas les perdre au profit d’autres industries culturelles et divertissements (réseaux sociaux de type Snapchat, WhatsApp ou TikTok, jeux vidéo, VOD/SVOD, télévision de rattrapage, etc.).
Parmi les moyens de « déployer l’audience du livre, sous toutes ses formes », il y a non seulement les livres numériques vendus à l’unité en ligne, mais aussi les plateformes d’abonnement en plein décollage telles que Kindle Unlimited d’Amazon ou Scribd aux
Etats-Unis, Youboox ou Youscribe en France. Ces plateformes de lecture en streaming
par abonnement progressent fortement, même si elles sont parties de rien il y a quelques années. Ce sont les « Netflix » ou les « Spotify » du livre de demain que les éditeurs ne peuvent plus ignorer. Et pourtant. Encore trop nombreuses sont les maisons d’édition – dont plus de 90 % des revenus proviennent encore des livres papier – à ne pas voir leur intérêt de mettre leur catalogue en streaming. L’éditeur préfère encore vendre des ebooks à l’unité et en petite quantité, afin de préserver sa marge avec un prix « ebook » moins élevé que la version imprimée mais non négligeable, plutôt que d’entrer dans le nouveau model économique de l’abonnement en streaming : abonnement illimité pour le lecteur et rémunération à la page lue pour l’éditeur. Résultat : « Les ventes (de l’édition numérique française) au grand public poursuivent également leur progression. Elles sont dominées par la vente à l’acte de livres numériques, les modèles d’abonnement et de prêt numérique en bibliothèque restant marginaux dans son chiffre d’affaires », constate le SNE dans son rapport 2018-2019 remis à ses membres. Les abonnements mensuels à 8,99 dollars (Scribd), 8,99 euros (Youscribe), 9,99 euros (Kindle) ou à 11,99 euros (Youboox), donnant accès à un catalogue de plusieurs centaines de milliers de titres (livres et magazines) et de façon illimitée, rebutent encore de nombreux éditeurs qui craignent un risque de destruction de valeur.
Certes, la maison d’édition ne vend pas le livre mais le loue au lecteur – en échange de quoi elle perçoit 50 % (Youboox) ou 60 % (Youscribe) du chiffre d’affaires hors taxe de la plateforme, multiplié par le nombre de pages lues dans le catalogue de l’éditeur et divisé par le nombre total de pages lues sur la plateforme. Ces plateformes de lecture en streaming tablent sur le volume de pages lues pour attirer les éditeurs, quitte à s’allier – comme pour les kiosques numériques de la presse (4) (*) (**) – aux opérateurs télécoms tels que SFR, Free et Vitis/Videofutur (Youboox) ou Orange (Youscribe) qui leur donnent accès à des dizaines de millions d’abonnés « box ». Les plateformes françaises présentent aussi l’opportunité pour les éditeurs d’ouvrages de toucher d’ores et déjà (Youscribe) ou à l’avenir (Youboox) les 300 millions de locuteurs francophones, le français étant la cinquième langue dans le monde après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe.
Cinq ans après la polémique qui avait accompagnée l’arrivée des plateformes françaises de lecture illimitée par abonnement (5) (*) (**), la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique a posé les conditions d’exploitation des œuvres de l’écrit. L’offre des plateformes de streaming est ainsi, comme l’explique Youboox dans ses contrats signés avec les éditeurs, « une offre commerciale mutualisée entre tous les abonnés ».

Un nouvel écosystème à fort potentiel
A ce titre, est-il précisé, « le montant de l’abonnement ou de l’offre prépayée acquitté par l’utilisateur vient abonder un compte commun à l’ensemble des utilisateurs sur lequel est prélevé mensuellement le prix de chaque consultation individuelle, dans la limite des crédits disponibles, en fonction des tarifs établis individuellement et préalablement par chaque éditeur ». C’est un changement de paradigme pour l’édition, à fort potentiel. @

Charles de Laubier