Sortie des films en France : la chronologie des médias actuelle vit ses dernières semaines

Le 1er juillet, les organisations du cinéma français – le Blic, le Bloc et l’ARP (BBA) – ont proposé une nouvelle évolution de la chronologie des médias (organisant la sortie des films en salles, en VOD/SVOD et à la télévision). Elle fait suite à celle soumise par le CNC le 14 juin. L’été sera chaud…

Depuis le début de l’année, ce n’est pas moins de quatre propositions d’accord sur la chronologie des médias qui se sont succédées sans encore parvenir à faire consensus entre – au-delà des salles de cinéma arc-boutées sur leur monopole des quatre premiers mois de la sortie d’un film – les chaînes de télévision payantes (Canal+, OCS, …), les télévisions gratuites (France 2, TF1, M6, …) et les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (Netflix, Amazon Prime Video, …).

Fin de l’été : l’ultimatum du gouvernement
Le 10 juillet dernier, au Festival de Cannes, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot (photo), a accordé du temps supplémentaire aux professionnels de la filière du cinéma français pour qu’ils se mettent d’accord sur une nouvelle chronologie des médias. Sinon, « le gouvernement tranchera à la fin de l’été » (1).
Pour l’heure, la vidéo à demande à l’acte (Videofutur/ Viva, FilmoTV, VOD d’Orange, …) doit continuer, elle, à attendre les quatre premiers mois après la sortie d’un film pour pouvoir le proposer. C’est l’éternel statut quo sur le monopole des salles de cinéma que défend becs et ongles depuis des années l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF). D’autant que le point de départ de la chronologie des médias est la date de sortie du film en salles. A noter qu’en France, si un film agréé par le CNC est mis en ligne directement sur une plateforme vidéo, il n’a plus le droit de sortir dans les salles obscures. Ces quatre mois semblent gravés pour toujours dans le marbre du code du cinéma et de l’image animée (2), alors même que les usages numériques se sont généralisés. Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (3).
Au-delà de ce monopole « obscure », un bras de fer s’exerce sur la fenêtre de diffusion suivante entre « Canal+ » et « Netflix », comprenez entre les chaînes payantes, au premier rang desquelles la chaîne cryptée du groupe Vivendi (qui fut la grande pourvoyeuse de fonds du cinéma français), et les plateformes de SVOD telles que Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Et ce, lorsqu’il y a de leur part (pré)financement du film avec minimum garanti et engagement de diffusion. Dans sa proposition datée du 14 juin, le CNC entend ménager Canal+ sur la première fenêtre de la TV payant, en lui concédant « un délai inférieur au délai de huit mois [en cas d’] accord conclu avec les organisations professionnelles du cinéma [français] » (huit mois sans accord), et en reléguant ses rivaux « Netflix » à douze mois après la sortie d’un film en salle (quatorze mois sans accord). Alors que dans leur contreproposition datée du 1er juillet, les organisations du cinéma français – que sont le Blic (Bureau de liaisons des industries du cinéma), le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma) et l’ARP (société civile des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs), surnommées ensemble le « BBA » – veulent aligner la TV payant (Canal+) et la SVOD (Netflix et les autres plateformes par abonnement) sur la même fenêtre à six mois après la sortie du film en salle. Là où Canal+ exige que sa fenêtre d’exclusivité coure sur une durée de neuf mois avant que les plateformes de SVOD ne puissent prétendre proposer à leur tour le nouveau film, le CNC limite cette durée d’exclusivité des droits à six mois (ou un peu plus si accord). Et ce, pour en tout cas permettre aux plateformes de SVOD – celles contribuant financièrement à l’oeuvre – de démarrer à douze mois après la sortie du film en salle.

Le « BBA » veut aligner Canal+ et Netflix
Tandis que le BBA, lui, veut mettre Canal+ et les « Netflix » sur la même ligne de départ en cas d’accord de financement du film, soit à six mois après la sortie du film en salle. Cette avancée spectaculaire de la SVOD dans la chronologie des médias (actuellement à trente mois en cas d’accord, sinon à trente-six mois) n’est bien sûr pas du goût de Canal+ qui se retrouverait ainsi en concurrence frontale avec les plateformes vidéo par abonnement. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres AppleTV+ sont légitimes à demander un meilleur traitement en France depuis qu’ils ont – après la promulgation du décret « SMAd » le 23 juin dernier (4) – l’obligation à compter du 1er juillet de participer au financement du cinéma français. Netflix, que le Festival de Cannes n’a pas voulu voir car, selon lui, non conforme à ses règles, négocie avec les professionnels du 7e Art français un accord sur un certain nombre de films qu’il financera. C’est cette bataille déjà engagée, entre l’opérateur historique du cinéma français affaibli et les nouveaux entrants dynamiques de l’audiovisuel, qui était dans toutes les conversations des professionnels lors du 74e Festival de Cannes, du 6 au 17 juillet derniers. Le gouvernement, et sa ministre de la Culture en tête, n’ont pas réussi à trouver un accord sur cette sacro-sainte chronologie des médias pour l’annoncer avec champagne aux festivaliers sur la Croisette (notamment à ceux du Marché du Film organisé en parallèle), et à l’occasion du déplacement de Roselyne Bachelot sur le tapis rouge.

Le glas de l’influence de Canal+
Ce nouvel échec à trouver un consensus sur la chronologie des médias sonne le glas de l’influence de Canal+ sur le cinéma français. Le vent a tourné et la France ne peut pas continuer à favoriser un acteur, aussi encore influent soit-il, au détriment des arrivants, au risque de se faire épingler par la Commission européenne. Et sur le monopole des salles, personne ne trouve rien à redire… @

Charles de Laubier

Frédérique Bredin arrive en juin au bout de son mandat de présidente du CNC, mais se projette déjà en 2022

Emmanuel Macron aurait bien voulu la nommer en janvier dernier présidente du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), mais Frédérique Bredin – dont le deuxième mandat à la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) s’achève fin juin – lui aurait signifié qu’elle préférait en briguer un troisième.

La présidence du CNC n’est pas à prendre, bien que très convoitée. Frédérique Bredin (photo) a déjà fait savoir qu’elle comptait rempiler pour un troisième mandat de trois ans – jusqu’en juillet 2022. Alors que le 72e Festival de Cannes s’est achevé le 25 mai au bout de douze jours sous les projecteurs, avec en parallèle le Marché du Film qui a fêté cette année ses 60 ans, l’inspectrice générale des finances ne donne aucun signe de fin de règne.
Sur « la plage du CNC », celle du Gray d’Albion à Cannes où le grand argentier du cinéma français a organisé événements et rencontres durant cette grand-messe du 7e Art sur la Croisette, sa présidente s’est bien gardée d’évoquer son sort. « La reconduction de Frédérique Bredin à la présidence du CNC semble plausible », nous confie un professionnel du cinéma français alors présent à Cannes. Mais il faudra attendre courant juin l’arbitrage du président de la République – lequel nomme les président(e)s de cet établissement public administratif sur proposition du ministre de
la Culture (sa tutelle) – pour que son troisième mandat de trois ans soit confirmé. Nommée en juillet 2013 par François Hollande, qui l’avait renouvelée dans ses fonctions fin juin 2016, Frédérique Bredin (62 ans) devrait être reconduite d’ici fin
juin. Parce que féminine, la quinzième présidence du CNC le vaudrait bien ?

Elle fut pressentie pour le CSA et le Festival de Cannes
Certes, depuis sa création il y a soixante-treize ans, l’établissement du financement
du cinéma français n’a compté que… trois présidences de la gent féminine : Catherine Colonna (2004-2005), Véronique Cayla (2005-2010) et aujourd’hui Frédérique Bredin.
Mais en réalité, n’aimant clairement pas les « femmes alibis », l’actuelle présidente du CNC est demandeuse d’un troisième mandat. Alors que son nom circulait dès l’automne dernier pour succéder à Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), encouragée pour cela par Emmanuel Macron d’après Le Canard enchaîné l’an dernier, elle aurait aussitôt décliné. Le groupe public France Télévisions, dont elle est depuis octobre 2013 administrateur représentant de l’Etat (1) en sa qualité d’actionnaire unique, aurait sûrement apprécié mais pas forcément les chaînes privées qui s’estiment moins bien traitées par le CNC pour les aides à la production audiovisuelle.

« On peut tout à fait augmenter ces taxes » (Bredin)
Plus récemment, en février, son nom avait à nouveau circulé – via Challenges – pour remplacer… Pierre Lescure, l’actuel président du Festival de Cannes ! Fake news, selon L’Express : l’ancien fondateur-PDG de Canal+, actuel président du conseil de surveillance de Mediawan (2) et cofondateur de Molotov, ne serait pas sur le départ – son mandat de président de l’Association française du festival international du film (AFFIF) courant jusqu’en 2020.
Le CNC, dont la nouvelle dénomination de « Centre national du cinéma et de l’image animée » aura dix ans en juillet (3), a sans doute besoin d’un peu de stabilité dans
un monde en pleine mutation. Le « grand débat politique », organisé le 19 mai par l’influente SACD (4) sur cette fameuse « plage du CNC » donnant sur la mer Méditerranée, a une nouvelle fois montré que l’écosystème du cinéma et de l’audiovisuel français tangue plus jamais aux passages des Netflix  et autres Amazon. Le problème : « Quel avenir pour le cinéma dans le monde des plateformes ? ». Frédérique Bredin y intervenait deux jours après une tribune publiée dans Le Monde daté du 17 mai par des cinéastes du monde entier pour appeler la France au « maintien d’une régulation forte » et à une « régulation des plateformes numériques ». Car, selon eux, « toute réforme qui reviendrait à abattre le modèle français d’exception et de diversité culturelles signifierait la mort de notre cinéma, de son financement et de son exposition dans le monde » (5).
En direct de Cannes, sur France Inter ce jour-là (6), Frédérique Bredin a tenté de les rassurer : « Il y a l’arrivée des plateformes (numériques) qui chamboulent forcément l’ensemble du système audiovisuel et cinématographique. Et il y a ce point d’entrée, ce point de référence que représente la France qui se bat pour cette exception culturelle depuis des années ». Mais pas question d’en rester là. La présidente du CNC a donné le cap d’un troisième mandat : « La France et l’Allemagne ont été pionnières en Europe pour mettre une taxe sur Netflix d’abord et sur YouTube ensuite. Demain, il faut aller plus loin. (…) On peut tout à fait augmenter ces taxes pour rééquilibrer davantage entre les acteurs historiques – les chaînes de télévision – et les plateformes ». Les plateformes de VOD basées à l’étranger – payantes comme Netflix ou gratuites comme YouTube – sont assujetties à cette taxe depuis le 1er janvier 2018 et les recettes correspondantes permettent de compenser en partie la baisse de la vidéo physique. Mais elles auraient rapporté au CNC moins de 10 millions d’euros. En France, le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia sont en grande partie aidés par les fonds de soutien du CNC financés à 99,5 % par les taxes sur les services de télévision (500 millions d’euros en 2018), sur les entrées en salles de cinéma (146 millions), ainsi que sur la vidéo physique et la vidéo à la demande (25,7 millions) – soit un total pour l’an dernier de 671,7 millions d’euros (7). Pour autant, malgré son faible rapport, c’est cette dernière taxe sur les DVD/Blu-ray et la VOD qui est en forte hausse (+ 58,7% sur un an), alors que les deux autres taxes historiques sont en recul. Il y a aussi une inquiétude de la filière sur le récent rapport Boutonnat de décembre 2018, mais seulement rendu public juste avant le Festival de Cannes. Intitulé « financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles », ce rapport prépare le 7e Art français à plus de privatisation et de libéralisme dans les investis-sements avec le préalable d’« accroître la rentabilité des actifs (les œuvres) ». Autrement dit : que les films et les séries gagnent de l’argent. Là aussi, Frédérique Bredin a voulu apaiser les craintes : « Le rapport de Dominique Boutonnat [producteur de films] dit qu’à côté du financement des œuvres existant aujourd’hui, il faut aider d’avantage les entreprises à se structurer et à affronter la concurrence mondiale.
C’est plutôt un rapport très positif pour le cinéma français car cela signifie de trouver
les fonds privés. Ces investisseurs privés vont bien évidemment regarder la rentabilité ;
ce n’est pas un gros mot », a-t-elle justifié sur France Inter. Mais la président du CNC s’inquiète tout de même sur les droits d’auteur: « Le souci aujourd’hui des plateformes numériques dans leurs pratiques commerciales, c’est qu’elles essaient de garder tous les droits. Il y a un problème autour (…) des droits des producteurs puisqu’elles veulent capter les droits le plus longtemps possible et sur le plus de territoires (dans le monde) possibles. C’est la fonction même des métiers, leur indépendance – auteurs, réalisateurs, producteurs – qui peut être en cause ». Pour autant, Frédérique Bredin s’est félicitée de la nouvelle directive européenne dite SMA sur les services de médias audiovisuels, promulguée au JOUE du 28 novembre 2018. Bientôt transposée en droit français par la prochaine loi sur l’audiovisuel, elle impose que Netflix, Amazon Prime Video et d’autres SMA « proposent une part d’au moins 30 % d’œuvres européennes dans leurs catalogues et mettent ces œuvres en valeur » (8).

Festival international aux règles hexagonales
Toujours en direct de Cannes, elle a confié : « Ce qui m’a frappée et c’est quand même triste pour l’oeuvre : “Roma” sur Netflix [producteur de ce film en noir et blanc d’Alfonso Cuaron, ndlr] n’a pas été du tout un succès, alors que la Palme d’or de Cannes a permis 800.000 spectateurs pour “Une affaire de famille” [film de Hirokazu Kore-eda, ndlr] ». Il faut dire que le Festival de Cannes, lui, a décidé de ne pas mettre en compétition des films qui ne sortent pas en salles de cinéma dans l’Hexagone. @

Charles de Laubier