A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Abonnements payants de Facebook et Instagram en Europe : Meta se heurte aux exigences du RGPD

Pour Instagram ou Facebook sans publicités, il en coûte désormais aux Européens 9,99 euros par mois sur le Web et même 12,99 euros sur application mobile. C’est cher payé pour ne plus être ciblé dans sa vie privée. Et le consentement « libre » des utilisateurs exigé par le RGPD est-il respecté ?

(Cet article juridique a été publié dans EM@ n°312 du 18 décembre 2023. Le 11 janvier 2024, l’organisation Noyb a annoncé avoir déposé plainte contre Meta)

Par Vanessa Bouchara (photo), cabinet Bouchara Avocats

Cinq ans après l’entrée en vigueur du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), l’entreprise américaine Meta Platforms a mis un place un système d’abonnement qui apparaît comme susceptible de rassurer les utilisateurs désireux d’échapper à la publicité, notamment ciblée. Pourtant, cet abonnement soulève un certain nombre d’interrogations sur la portée et l’effectivité de la protection des données personnelles en Europe. Pendant des années, Facebook affichait fièrement sur sa page d’accueil sa gratuité : « C’est gratuit (et ça le sera toujours) ». En 2019, la mention disparaissait dans le sillage des déclarations plus nuancées de son cofondateur Mark Zuckerberg qui, auditionné devant le Congrès américain, affirmait « qu’il y aurait toujours une version gratuite de Facebook ». Quatre ans plus tard, en novembre 2023, le groupe Meta propose, en parallèle d’une version gratuite, un abonnement payant pour ses services Instagram et Facebook, à 9,99 ou 12,99 euros, pour ses utilisateurs européens.

A la recherche d’une base légale adéquate
La mise en place de cet abonnement pourrait être une réponse aux résultats financiers décevants de Meta en 2022. En effet, le groupe de Menlo Park avait enregistré pour la première fois une baisse de son chiffre d’affaires (1). Or, il semblerait qu’il ne s’agisse pas d’une réponse strictement financière. En effet, il pourrait également s’agir de répondre au contexte normatif relatif aux géants du numérique, qui est en pleine ébullition à l’échelle européenne. Digital Markets Act (DMA), Digital Services Act (DSA), AI Act (AIA), futur Digital Networks Act (DNA), … En vigueur ou en discussion, ces nouveaux textes feraient presque oublier le RGPD, sa portée, et les sanctions infligées à ce titre à Meta, à hauteur d’environ 2,4 milliards d’euros à ce jour. La maison mère de Facebook et Instagram ne s’explique pas vraiment sur sa décision d’instaurer un abonnement, si ce n’est par un bandeau informatif à destination de ses utilisateurs européens, en évoquant un « changement de lois » le contraignant à proposer un Continuer la lecture

Jeux d’argent et de hasard : la France est appelée à lever la prohibition des casinos en ligne, d’ici 2025 ?

L’Autorité nationale des jeux (ANJ) a publié début décembre une étude sur l’offre illégale en France de jeux d’argent et de hasard en ligne, afin de lutter contre de manière plus efficace. Mais en creux, l’ouverture des casinos en ligne – déjà autorisés dans la plupart des pays européens – est en réflexion.

Quinze ans après l’ouverture à la concurrence – en 2010 – du marché des jeux d’argent et de hasard, soit en 2025, la France légalisera-t-elle enfin les casinos en ligne comme la plupart de ses voisins européens ? A défaut de pouvoir miser légalement en ligne à la roulette, au jeu de dés, au baccara, au blackjack ou encore aux machines à sous sur l’Hexagone, les spéculations vont bon train sur le moment où leur prohibition sera levée. Et ce, avec ou sans l’abolition du monopole français des « casinotiers » physiques (Barrière, Partouche, Joa, Tranchant, Cogit, …).
Leurs syndicats Casinos de France et ACIF (1) militent pour obtenir l’exclusivité d’opérer les casinos en ligne qui seraient le pendant digital de leurs établissements en dur. Casinos de France porte ainsi depuis 2019 – et plus encore depuis la pandémie de covid durant laquelle les casinotiers ont dû fermer neuf mois au total – un projet que ce syndicat appelle « Jade », pour « Jeu à distance expérimental ». « La solution qui consisterait à ouvrir à la concurrence les jeux de casino en ligne serait toxique pour les casinos terrestres. Pour éviter cela, il faut relier les casinos en ligne aux casinos physiques », explique à Edition Multimédi@ Philippe Bon, délégué général de Casinos de France. Ses vœux seront-ils exhaussés le 25 janvier prochain lors de la présentation du plan stratégique 2024- 2026 de l’Autorité nationale des jeux (ANJ) ?

Des tentatives législatives sans résultat
Cette idée de régulation expérimentale des casinos en ligne « réservés » aux seuls casinotiers fait son chemin, depuis que le projet Jade a été présenté à l’ANJ, régulateur français des jeux d’argent et de hasard en ligne ouverts à la concurrence, que préside depuis juin 2020 Isabelle Falque-Pierrotin (photo). Pas moins de quatre amendements ont d’ailleurs été déposés dans ce sens au Sénat dans le cadre du projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN), mais ils ont été déclarés « irrecevables » début juillet. A l’Assemblée nationale, une proposition de loi « Autoriser les exploitants de casinos à proposer des jeux de casino en ligne » a aussi été déposée le 23 mai 2023 mais elle est toujours en attente à la commission des lois (2). De plus, deux amendements ont été adoptés par les députés le 13 octobre pour maintenir les casinos en ligne dans l’illégalité.

La balle dans le camp du gouvernement
« Nous n’avons pas été saisis pour avis sur la question de la légalisation des jeux de casinos en ligne », nous indique l’ANJ. Dans le cas d’une ouverture, trois options se présenteraient au ministère de l’Intérieur, la tutelle des casinotiers : soit les casinos terrestres obtiennent l’exclusivité des casinos en ligne, soit les jeux de casino en ligne sont ouverts à la concurrence – comme le souhaitent l’Afjel (3) en France et, dans son communiqué du 5 décembre (4), l’EGBA (5) en Europe –, soit la Française des Jeux (FDJ) en obtient le monopole (un de plus). La balle est dans le camp du gouvernement.
C’est en septembre 2022 que l’ANJ se décide à faire réaliser une étude sur l’audience de l’offre illégale des casinos en ligne en France, mesurer l’impact de la fraude et évaluer les effets d’une « levée de leur prohibition ». Car seuls sont ouverts à la concurrence en France : les paris sportifs en ligne, le poker en ligne et les paris hippiques en ligne. Les casinos en ligne, eux, restent interdits. Trois monopoles perdurent sur l’Hexagone : les loteries en dur et en ligne ainsi que les paris sportifs en dur proposés uniquement par la FDJ ; les paris hippiques en dur réservés exclusivement au PMU (Paris mutuel urbain) ; les jeux de casino et les machines à sous autorisés uniquement dans l’un des plus de 200 casinos physiques tenus par des sociétés privées délégataires de service public communal.
Si la France décidait d’ouvrir le marché aux casinos en ligne, « un système de licences pourrait être ouvert (comme en Suède et au Danemark) ou réservé aux opérateurs disposant déjà d’un établissement physique (comme en Suisse, en Belgique et en Slovénie), voire à un opérateur de droits exclusifs (Autriche, Luxembourg, et Norvège) », a considéré en septembre dernier la Cour des comptes dans son rapport sur les jeux d’argent et de hasard (6). La France et Chypre sont les seuls pays de l’Union européenne à interdire les casinos en ligne. Tous les autres Etats membres ont franchi le pas sous différents régimes. Un vrai patchwork, bien loin de l’idée que l’on se fait du marché unique numérique…
La Cour des comptes avait relevé que « selon l’ANJ, [la libéralisation des casinos en ligne] pourrait assécher une partie de l’offre illégale, à l’instar de l’ouverture à la concurrence en 2010 ». En publiant le 4 décembre 2023 son « étude sur l’offre illégale de jeux d’argent et de hasard en ligne accessible en France », réalisée par le cabinet britannique PwC (7), le régulateur français des jeux d’argent se met implicitement dans la perspective d’une autorisation à terme des casinos en ligne. L’ANJ a voulu savoir si cette ouverture du marché français aux casinos en ligne pourrait porter préjudice aux établissements physiques des casinotiers. Car les Barrière, Partouche (8) et autres Joa craignent les conséquences économiques de cette ouverture possible sur l’emploi dans leurs casinos en dur et sur le financement des communes (via une fiscalité locale) où ils sont établis sous forme de monopole. Ce qui constitue pour les villes à casino « une rente de situation », selon la Cour des comptes (9).
Or l’étude « PwC » de l’ANJ tend à démontrer que les inquiétudes des casinotiers sont non-fondées : « En cas de légalisation des casinos en ligne en France, la majorité des joueurs interrogés déclare qu’elle garderait ses habitudes de consommation dans les casinos terrestres ». Ainsi, les joueurs de casino terrestre sont 60 % à déclarer qu’ils continueront à aller jouer dans des casinos terrestres sans changer leur habitude de consommation, et même 16 % disent qu’ils iront plus souvent jouer dans ces casinos terrestres. Seulement 8 % des joueurs arrêteraient de jouer dans des casinos physiques.
Reste à savoir si l’ANJ suggèrera au gouvernement et au législateur d’aller dans le sens des casinotiers, en leur accordant une exclusivité sur les casinos en ligne, ou estce qu’elle ira dans le sens de l’ouverture à la concurrence des casinos en ligne – à l’instar de ce qui a été fait il y a treize ans avec les paris sportifs en ligne, le poker en ligne et les paris hippiques en ligne (10).
Légaliser les casinos en ligne, et éventuellement les ouvrir à la concurrence, aurait deux avantages :
Donner un coup de frein au marché illégal. En France, sur les 1.241 sites Internet illégaux identifiés en 2023 de jeux d’argent et de hasard en ligne, les casinos en ligne en représentent près de la moitié : 45 %, selon l’étude PwC pour l’ANJ. Les consommateurs de jeux illégaux sont principalement des hommes de moins de 35 ans privilégiant les jeux de casino en ligne. Au total, les jeux de casino en ligne illégaux génèrent sur Internet 5 % du trafic de l’ensemble des jeux d’argent en ligne. Et sur les 106 applications mobiles de jeux d’argent et de hasard en ligne, les casinos en ligne dominent l’offre illégale : 65 %.

Les casinos en ligne, relais de croissance
Accélérer la croissance des jeux d’argent en ligne.
Dans les six pays étudiés par l’étude PwC (Belgique, Suède, Espagne, Irlande, Italie et Norvège), la croissance de leur marché des jeux d’argent et de hasard en ligne est portée, au cours de ces dernières années, par le segment des jeux de casino en ligne – intégrant les machines à sous en ligne. Par exemple, en Belgique, le casino en ligne arrive en tête des jeux d’argent et de hasard en ligne. @

Charles de Laubier

Huawei fête ses 20 ans en France, où le chinois bénéficie d’une indulgence qu’il n’a pas ailleurs

La filiale française du numéro un mondial des réseaux télécoms, Huawei Technologies France, a été créée le 1er décembre 2003. En deux décennies, le chinois a pris goût à l’Hexagone qui le lui rend bien. L’Etat français lui déroule le tapis rouge, contrairement aux Etats-Unis qui l’ostracisent.

Officiellement directeur général (président) de Huawei Technologies France depuis le 17 novembre dernier, le Chinois Enshuo Liu – alias Léo Liu (photo) – a succédé à son compatriote Weiliang Shi qui occupait ce poste depuis six ans. Le nouveau PDG de la filiale française du numéro un mondial des télécoms a été intronisé à l’occasion de la troisième édition de son plus grand événement européen, Huawei Connect Europe, qui s’est tenu les 15 et 16 novembre à Paris Porte de Versailles. De plus, le dirigeant fraîchement nommé a l’honneur de fêter ce 1er décembre les 20 ans de Huawei France.

A Strasbourg, n’en déplaise à Bruxelles
Cet anniversaire de deux décennies de présence de la firme de Shenzhen dans l’Hexagone a une valeur d’autant symbolique qu’il correspond aussi au coup d’envoi de la construction de la grande usine de production de Huawei dans la région Grand-Est, à Brumath dans le Bas-Rhin, à proximité de Strasbourg. Léo Liu a confirmé, lors de l’annonce de sa nomination le 30 octobre dernier, que ce projet industriel en Alsace ouvrait « un nouveau chapitre passionnant pour Huawei en France » (1).
Déjà le 22 juin, à l’occasion des journées « 360 Grand Est » à Strasbourg, le directeur général adjoint de Huawei France, Minggang Zhang, avait assuré sur place que le géant chinois maintenait son projet d’usine à Brumath (2). Et ce, malgré l’appel du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, qui avait – sept jours plus tôt de Bruxelles – demandé aux Vingt-sept de « bannir les fournisseurs à haut risque » au regard de la sécurité de la 5G : « Les décisions prises par certains Etats membres de restreindre ou d’exclure complètement Huawei et ZTE de leurs réseaux 5G sont justifiées », avait-il lancé en ciblant nommément les deux chinois (3). Depuis le lancement officiel du projet de l’usine alsacienne en février 2021, Huawei ne s’est pas laissé intimidé par cette défiance à son égard au nom (ou sous prétexte, c’est selon) de « la sécurité collective de l’Union européenne ». La commune de Brumath accueillera bien la première usine hors de Chine de fabrication d’équipements télécoms du groupe Huawei, notamment pour les réseaux 5G. La firme de Shenzhen prévoit d’y produire l’équivalent de 1 milliard d’euros par an d’équipements télécoms à destination des marchés européens, avec la création « à terme » de 500 emplois directs (4). En février dernier, soit deux ans après le lancement du projet et à l’occasion du Mobile World Congress à Barcelone, l’ancien directeur général de Huawei France, Weiliang Shi, formé à Reims et à Shanghai, avait réaffirmé les engagements pris. Il est notamment question d’investir 200 millions d’euros dans cette nouvelle usine. Il avait même ajouté : « La France a pris une décision équilibrée » (5), en faisant référence à la loi française « antiHuawei » du 1er août 2019 prise – au sujet de « l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles » – sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron au nom des « intérêts de la défense et de la sécurité nationale » (6). Les restrictions françaises envers le chinois – soupçonné sans preuves de cyber espionnage au profit de Pékin – sont en effet moins strictes que celles prises par les Etats-Unis sous Trump (7) et maintenues sous Biden (8).
L’anniversaire des 20 ans de Huawei France sera d’autant plus festif que l’industriel chinois a de nouveau obtenu cette année 2023 de nouvelles preuves de bienveillance de la part du gouvernement français : après une rencontre entre Emmanuel Macron et le président chinois Xi Jinping en avril, et le déplacement en juillet à de son ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (tous deux venus à Pékin), le gouvernement français a assoupli les restrictions à l’encontre de Huawei. N’en déplaise à Thierry Breton. Comment ? En autorisant SFR (Altice) et Bouygues Telecom à garder certaines de leurs antennes mobiles 5G Huawei au-delà de 2028, selon L’Informé (9). Orange et Free, eux, n’en disposent pas. Ces autorisations de pouvoir continuer à les utiliser trois ans de plus, soit jusqu’en 2031, ont été signées (conformément à la loi de 2019) par la Première Ministre, Elisabeth Borne sur proposition de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui lui est rattachée.

« La Chine apprécie la décision de la France »
La décision en France est « secret défense » mais cela n’a pas empêché la Chine d’exprimer haut et fort sa satisfaction, par la voix de son vice-Premier ministre en charge des finances, He Lifeng, devant Bruno Le Maire présent à Pékin le 29 juillet 2023 pour le 9eDialogue économique et financier de haut niveau Chine-France : « La Chine apprécie la décision de la France d’étendre la licence 5G de Huawei dans certaines villes françaises. […] Et nous souhaitons que la Chine réfléchisse à de nouveaux investissements industriels majeurs en France » (10). La confiance règne à Paris mais pas à Bruxelles. @

Charles de Laubier

Boosté par le cloud et l’IA, Microsoft conteste à Apple sa première place mondiale des capitalisations boursières

Le capitalisme a ses icônes, et la seconde est Microsoft. La valorisation boursière de la firme de Redmond, que dirige Satya Nadella depuis près de dix ans, atteint – au 1er décembre 2023 – les 2.816 milliards de dollars et pourrait bientôt détrôner Apple de la première place mondiale. Merci aux nuages et à l’IA.

(Cet article est paru le lundi 4 décembre 2023 dans Edition Multimédi@. L’AG annuelle des actionnaires de Microsoft s’est déroulée comme prévu le 7 décembre)

La prochaine assemblée générale annuelle des actionnaires de Microsoft, qui se tiendra le 7 décembre et cette année en visioconférence (1), se présente sous les meilleurs auspices. L’année fiscale 2022/2023 s’est achevée le 30 juin avec un chiffre d’affaires de 211,9 milliards de dollars, en augmentation sur un an (+ 7 %). Le bénéfice net a été de 72,4 milliards de dollars, en légère diminution (- 1 %). Et les résultats du premier trimestre de l’année 2023/2024, annoncé en fanfare le 24 octobre dernier, ont encore tiré à des records historiques le cours de Bourse de Microsoft – coté depuis plus de 37 ans. A l’heure où nous bouclons ce numéro de Edition Multimédi@, vendredi 1er décembre, la capitalisation boursière du titre « MSFT » – actuelle deuxième mondiale – affiche 2.816 milliards de dollars (2) et talonne celle du titre « AAPL » d’Apple dont la première place, avec ses 2.954 milliards de dollars (3), est plus que jamais contestée. Depuis la nomination il y a près de dix ans de Satya Nadella (photo) comme directeur général (4) pour succéder à Steve Ballmer, Microsoft a ainsi vu sa capitalisation boursière multiplié par presque dix. Les actionnaires de la firme de Redmond (Etat de Washington, près de Seattle) en ont pour leur argent (voir graphique), depuis vingt ans qu’elle s’est résolue à leur distribuer des dividendes – ce qui n’était pas le cas avec son cofondateur et premier PDG Bill Gates.

Assemblée générale annuelle le 7 décembre
Après avoir mis Microsoft sur les rails du cloud en faisant d’Azure – dont il était vice-président avant de devenir directeur général du groupe (5) – sa première vache à lait (87,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires lors du dernier exercice annuel), Satya Nadella a commencé à faire de l’IA générative le moteur de tous ses produits et services. « Avec les copilotes, nous rendons l’ère de l’IA réelle pour les gens et les entreprises du monde entier. Nous insufflons rapidement l’IA dans chaque couche de la pile technologique et pour chaque rôle et processus métier afin de générer des gains de productivité pour nos clients », a déclaré fin octobre cet Indo-américain (né à Hyderabad en Inde), qui est aussi président de Microsoft depuis près de deux ans et demi (6). « Copilotes » (copilots) est le terme qu’il emploie volontiers pour désigner les outils alimentés par l’IA destinés à être intégrés à tous les produits et services de l’éditeur du système d’exploitation Windows, des logiciels Office 365, du cloud Azure et des serveurs associés, du navigateur Edge, du moteur de recherche Bing, de la console de jeux vidéo Xbox et de son Cloud Gaming, ou encore du réseau social professionnel LinkedIn.

La Française Catherine MacGregor
Bref, Microsoft mise plus que jamais sur l’IA générative, directement issue de son partenariat à quelque 13 milliards de dollars (49 % du capital inclus) avec la société californienne OpenAI que redirige à nouveau Sam Altman depuis le 22 novembre (7), grâce aux interventions intéressées de Satya Nadella (8). Ces « copilotes » sont appelés à devenir la nouvelle interface des utilisateurs, particuliers ou entreprises. A 56 ans, le PDG de Microsoft présidera le 7 décembre une assemblée générale annuelle des actionnaires qui s’annonce la plus révolutionnaire et « intelligente » en termes technologique pour l’entreprise, laquelle fêtera son demi-siècle d’existence en avril 2025. Mais Satya Nadella devra aussi donner des gages à ses actionnaires sur la bonne utilisation de l’IA déployées tous azimuts. « Nous reconnaissons également [notre] responsabilité de veiller à ce que cette technologie[de l’IA] qui change le monde soit utilisée de façon responsable. Le travail de Microsoft sur l’IA est guidé par un ensemble de principes fondamentaux : l’équité, la fiabilité et la sécurité, la confidentialité et la sécurité, l’inclusion, la transparence et la responsabilité », ont déclaré les membres du conseil d’administration dans une lettre aux actionnaires datée du 19 octobre (9), en prévision de la prochaine assemblée générale. D’ailleurs, quatre jours avant d’évincer – le 17 novembre et à la surprise générale – son patron Sam Altman (10), l’ancien conseil d’administration d’OpenAI avait reçu une lettre de chercheurs l’avertissant que « l’IA pouvait menacer l’humanité » (11), alors que son patron (réintégré le 22 novembre) développe un projet de super-IA baptisé « Q* » (prononcez « Q-Star ») et relevant de la catégorie des surpuissantes AGI (Artificial General Intelligence). Quoi qu’il en soit, OpenAI aura plus que jamais besoin des superordinateurs de Microsoft accessibles dans le cloud pour lui apporter la puissance de calcul nécessaire.
Plus largement, la gouvernance de Microsoft joue la carte de la diversité des activités et des profils. Sur les 12 membres du conseil d’administration, la plupart candidats au renouvellement de leur mandat, 11 sont indépendants. Parmi les deux nouveaux administrateurs indépendants soumis au vote des actionnaires le 7 décembre : une Française, en la personne de Catherine MacGregor (51 ans), née Catherine Fiamma au Maroc, directrice générale de l’énergéticien français Engie, ex-GDF Suez (dans le capital duquel l’Etat français détient toujours une golden share et compte deux administrateurs). Ingénieure CentraleSupélec, elle a passé onze ans chez Schlumberger (devenu SLB). « [Catherine MacGregor] apportera à Microsoft des informations importantes et une expérience mondiale », se félicite déjà le conseil d’administration. C’est la première personnalité française qui entre au conseil d’administration du « M » de GAFAM. Mais elle n’aura pas de rôle opérationnel au sein de la firme de Redmond, dont le seul « Frenchie » à avoir atteint le plus haut niveau de direction chez Microsoft est JeanPhilippe Courtois (près de 40 ans de maison), actuel viceprésident en charge des partenariats nationaux de transformation et membre du comité exécutif. Il fut le deuxième dirigeant le mieux payé de Microsoft (12)
Les actionnaires de Microsoft auront, le 7 décembre, un tout premier bilan de la stratégie IA de Microsoft depuis l’accord financier et technologiques avec OpenAI annoncé en janvier dernier (13). Du « ChatGPT » a été injecté partout dans les produits Microsoft, y compris avec l’offre « OpenAI Service ». Avec l’IA, Satya Nadella pense pouvoir atteindre son objectif de «faire d’Azure “l’ordinateur du monde” », le chiffre d’affaires de l’activité cloud ayant dépassé les 110 milliards de dollars sur l’exercice 2022/2023 et Azure représentant plus de 50 % du total. @

Charles de Laubier

La CSNP demande à l’Etat de lancer une étude d’impact sur les communs numériques

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) a publié le 8 novembre un avis sur les communs numériques. Bien qu’ouverts et gratuits, plusieurs « freins » à leur développement sont identifiés. Les Etats jouent parfois contre eux, en finançant des produits ou services similaires.

Parmi les onze recommandations que fait la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) – instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy – dans son avis rendu le 8novembre et intitulé «Commun numériques : vers un modèle souverain et durable », la n°5 suggère à l’Etat français de « lancer une étude d’impact économique et sociétale comparée pour les communs numériques d’intérêt général ». Et ce, « afin d’évaluer, notamment d’un point de vue comparatif, les coûts générés et évités par les communs numériques d’intérêt général ».

Clarifier les aides d’Etat dans les communs
La CSNP, dont la mission sur les communs numériques a été pilotée par Jeanne Bretécher (photo), mentionne juste en guise d’exemple où une étude comparée pourrait être pertinente : « NumAlim versus Open Food Facts ». Mais sans expliquer pourquoi. Ces deux initiatives poursuivent le même objectif : fournir des informations sur les produits alimentaires. Mais les deux sont d’origine différente, comme l’analyse Edition Multimédi@. Open Food Facts est un projet collaboratif lancé par des citoyens bénévoles pour créer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires, utilisé par NutriScore, Yuka, Foodvisor et ScanUp ou encore Centipède. Alors que NumAlim est en revanche un projet initié par l’Ania (1), le lobby de l’industrie alimentaire, et opéré par la société Agdatahub (détenue par la holding API-Agro), pour créer une plateforme de données ouvertes mais aussi payantes sur les produits alimentaires. Mais au-delà du fait qu’Open Food Facts à but non lucratif est un vrai commun numérique gratuit et que NumAlim est une plateforme commerciale avec sa place de marché « BtoB » HubAlim, leurs financements diffèrent : Open Food Facts dépend principalement des contributions de bénévoles et de dons, tandis que NumAlim bénéficie du financement de la Banque des Territoires, filiale d’investissement de la Caisse des Dépôts (CDC), bras armé financier de l’Etat français.
Cet exemple illustre le deux poids-deux mesures dans la façon dont l’Etat français appréhende les « communs numériques ». La France apparaît plus encline à financer des start-up – au nom de la French Tech ou de la Start-up Nation – qu’à subventionner des projets de communs numériques d’intérêt général. Or pour ces derniers, relève la CSNP, « les modèles de financement des “start-ups”, avec prise de participation, ne sont pas adaptés ». Une telle dichotomie dans l’accès au financement opère implicitement une discrimination entre start-up et communs numériques, alors que la réglementation européenne des aides d’Etat considère les communs numériques d’intérêt général comme une activité économique classique, au même titre que des start-up. Ces communs numériques pourraient même entrer dans la catégorie des Services économiques d’intérêt général (SIEG) dont les aides publiques peuvent être plus élevées. L’étude d’impact économique et sociétale comparée que la CSNP appelle de ses vœux permettrait d’y voir plus clair sur la stratégie d’investissement de l’Etat français dans les communs numériques – que cela soit par la CDC via ses filiales Banque des Territoires et Bpifrance (2), ou par ses différents programmes d’investissement. « Cette étude pourrait être portée par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances [interministérielle, ndlr], France Stratégie [service du Premier ministre, ndlr] ou le Conseil général de l’économie [CGE à Bercy, ndlr] », propose la CSNP qui va même plus loin. « D’une manière générale, la CSNP souhaite que des études d’impact soient conduites sur les investissements publics dans des domaines numériques (French Tech, NumAlim, Qwant…) ». La plan gouvernemental French Tech aura dix ans fin 2023, dont la mission est installée depuis 2017 chez l’incubateur Station F fondé par le milliardaire fondateur de Free, Xavier Niel. Quel impact a la French Tech et ses 22.767 start-up (3) soutenus par l’Etat sur les communs numériques ?
Le moteur de recherche d’origine franco-allemand Qwant, cofinancé par la CDC et le groupe Axel Springer, est-il – depuis son lancement avec Emmanuel Macron à l’Elysée il y a plus de dix ans (4) – un commun numérique ou un « Google à la française » à but lucratif ? Une étude d’impact serait donc la bienvenue. D’autant que les communs numériques – ou digital commonsen anglais – sont de plus en plus répandus et utiles.

« Wiki », « Open data » ou encore « Freeware »
Ce sont par exemple : les logiciels libres comme OpenOffice ou Linux ; les plateformes comme Wikipedia ou OpenStreetMap ; les bases de données ouvertes comme Open Food Facts ou Open Library ; les « fédivers » comme les médias sociaux interopérables Mastodon ou PeerTube (5) ; les initiatives publiques comme les Géo-communs de l’IGN (6), la messagerie instantanée Tchap de la DINum (7), la formation à distance avec BigBlueButton de l’Education nationale, l’accès au droit comme Open Law de la Dila (8) et d’Etalab, ou encore le logiciel libre socio-fiscal OpenFisca de France Stratégie (9) et d’Etalab (10). @

Charles de Laubier