A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Boosté par le cloud et l’IA, Microsoft conteste à Apple sa première place mondiale des capitalisations boursières

Le capitalisme a ses icônes, et la seconde est Microsoft. La valorisation boursière de la firme de Redmond, que dirige Satya Nadella depuis près de dix ans, atteint – au 1er décembre 2023 – les 2.816 milliards de dollars et pourrait bientôt détrôner Apple de la première place mondiale. Merci aux nuages et à l’IA.

(Cet article est paru le lundi 4 décembre 2023 dans Edition Multimédi@. L’AG annuelle des actionnaires de Microsoft s’est déroulée comme prévu le 7 décembre)

La prochaine assemblée générale annuelle des actionnaires de Microsoft, qui se tiendra le 7 décembre et cette année en visioconférence (1), se présente sous les meilleurs auspices. L’année fiscale 2022/2023 s’est achevée le 30 juin avec un chiffre d’affaires de 211,9 milliards de dollars, en augmentation sur un an (+ 7 %). Le bénéfice net a été de 72,4 milliards de dollars, en légère diminution (- 1 %). Et les résultats du premier trimestre de l’année 2023/2024, annoncé en fanfare le 24 octobre dernier, ont encore tiré à des records historiques le cours de Bourse de Microsoft – coté depuis plus de 37 ans. A l’heure où nous bouclons ce numéro de Edition Multimédi@, vendredi 1er décembre, la capitalisation boursière du titre « MSFT » – actuelle deuxième mondiale – affiche 2.816 milliards de dollars (2) et talonne celle du titre « AAPL » d’Apple dont la première place, avec ses 2.954 milliards de dollars (3), est plus que jamais contestée. Depuis la nomination il y a près de dix ans de Satya Nadella (photo) comme directeur général (4) pour succéder à Steve Ballmer, Microsoft a ainsi vu sa capitalisation boursière multiplié par presque dix. Les actionnaires de la firme de Redmond (Etat de Washington, près de Seattle) en ont pour leur argent (voir graphique), depuis vingt ans qu’elle s’est résolue à leur distribuer des dividendes – ce qui n’était pas le cas avec son cofondateur et premier PDG Bill Gates.

Assemblée générale annuelle le 7 décembre
Après avoir mis Microsoft sur les rails du cloud en faisant d’Azure – dont il était vice-président avant de devenir directeur général du groupe (5) – sa première vache à lait (87,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires lors du dernier exercice annuel), Satya Nadella a commencé à faire de l’IA générative le moteur de tous ses produits et services. « Avec les copilotes, nous rendons l’ère de l’IA réelle pour les gens et les entreprises du monde entier. Nous insufflons rapidement l’IA dans chaque couche de la pile technologique et pour chaque rôle et processus métier afin de générer des gains de productivité pour nos clients », a déclaré fin octobre cet Indo-américain (né à Hyderabad en Inde), qui est aussi président de Microsoft depuis près de deux ans et demi (6). « Copilotes » (copilots) est le terme qu’il emploie volontiers pour désigner les outils alimentés par l’IA destinés à être intégrés à tous les produits et services de l’éditeur du système d’exploitation Windows, des logiciels Office 365, du cloud Azure et des serveurs associés, du navigateur Edge, du moteur de recherche Bing, de la console de jeux vidéo Xbox et de son Cloud Gaming, ou encore du réseau social professionnel LinkedIn.

La Française Catherine MacGregor
Bref, Microsoft mise plus que jamais sur l’IA générative, directement issue de son partenariat à quelque 13 milliards de dollars (49 % du capital inclus) avec la société californienne OpenAI que redirige à nouveau Sam Altman depuis le 22 novembre (7), grâce aux interventions intéressées de Satya Nadella (8). Ces « copilotes » sont appelés à devenir la nouvelle interface des utilisateurs, particuliers ou entreprises. A 56 ans, le PDG de Microsoft présidera le 7 décembre une assemblée générale annuelle des actionnaires qui s’annonce la plus révolutionnaire et « intelligente » en termes technologique pour l’entreprise, laquelle fêtera son demi-siècle d’existence en avril 2025. Mais Satya Nadella devra aussi donner des gages à ses actionnaires sur la bonne utilisation de l’IA déployées tous azimuts. « Nous reconnaissons également [notre] responsabilité de veiller à ce que cette technologie[de l’IA] qui change le monde soit utilisée de façon responsable. Le travail de Microsoft sur l’IA est guidé par un ensemble de principes fondamentaux : l’équité, la fiabilité et la sécurité, la confidentialité et la sécurité, l’inclusion, la transparence et la responsabilité », ont déclaré les membres du conseil d’administration dans une lettre aux actionnaires datée du 19 octobre (9), en prévision de la prochaine assemblée générale. D’ailleurs, quatre jours avant d’évincer – le 17 novembre et à la surprise générale – son patron Sam Altman (10), l’ancien conseil d’administration d’OpenAI avait reçu une lettre de chercheurs l’avertissant que « l’IA pouvait menacer l’humanité » (11), alors que son patron (réintégré le 22 novembre) développe un projet de super-IA baptisé « Q* » (prononcez « Q-Star ») et relevant de la catégorie des surpuissantes AGI (Artificial General Intelligence). Quoi qu’il en soit, OpenAI aura plus que jamais besoin des superordinateurs de Microsoft accessibles dans le cloud pour lui apporter la puissance de calcul nécessaire.
Plus largement, la gouvernance de Microsoft joue la carte de la diversité des activités et des profils. Sur les 12 membres du conseil d’administration, la plupart candidats au renouvellement de leur mandat, 11 sont indépendants. Parmi les deux nouveaux administrateurs indépendants soumis au vote des actionnaires le 7 décembre : une Française, en la personne de Catherine MacGregor (51 ans), née Catherine Fiamma au Maroc, directrice générale de l’énergéticien français Engie, ex-GDF Suez (dans le capital duquel l’Etat français détient toujours une golden share et compte deux administrateurs). Ingénieure CentraleSupélec, elle a passé onze ans chez Schlumberger (devenu SLB). « [Catherine MacGregor] apportera à Microsoft des informations importantes et une expérience mondiale », se félicite déjà le conseil d’administration. C’est la première personnalité française qui entre au conseil d’administration du « M » de GAFAM. Mais elle n’aura pas de rôle opérationnel au sein de la firme de Redmond, dont le seul « Frenchie » à avoir atteint le plus haut niveau de direction chez Microsoft est JeanPhilippe Courtois (près de 40 ans de maison), actuel viceprésident en charge des partenariats nationaux de transformation et membre du comité exécutif. Il fut le deuxième dirigeant le mieux payé de Microsoft (12)
Les actionnaires de Microsoft auront, le 7 décembre, un tout premier bilan de la stratégie IA de Microsoft depuis l’accord financier et technologiques avec OpenAI annoncé en janvier dernier (13). Du « ChatGPT » a été injecté partout dans les produits Microsoft, y compris avec l’offre « OpenAI Service ». Avec l’IA, Satya Nadella pense pouvoir atteindre son objectif de «faire d’Azure “l’ordinateur du monde” », le chiffre d’affaires de l’activité cloud ayant dépassé les 110 milliards de dollars sur l’exercice 2022/2023 et Azure représentant plus de 50 % du total. @

Charles de Laubier

La CSNP demande à l’Etat de lancer une étude d’impact sur les communs numériques

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) a publié le 8 novembre un avis sur les communs numériques. Bien qu’ouverts et gratuits, plusieurs « freins » à leur développement sont identifiés. Les Etats jouent parfois contre eux, en finançant des produits ou services similaires.

Parmi les onze recommandations que fait la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) – instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy – dans son avis rendu le 8novembre et intitulé «Commun numériques : vers un modèle souverain et durable », la n°5 suggère à l’Etat français de « lancer une étude d’impact économique et sociétale comparée pour les communs numériques d’intérêt général ». Et ce, « afin d’évaluer, notamment d’un point de vue comparatif, les coûts générés et évités par les communs numériques d’intérêt général ».

Clarifier les aides d’Etat dans les communs
La CSNP, dont la mission sur les communs numériques a été pilotée par Jeanne Bretécher (photo), mentionne juste en guise d’exemple où une étude comparée pourrait être pertinente : « NumAlim versus Open Food Facts ». Mais sans expliquer pourquoi. Ces deux initiatives poursuivent le même objectif : fournir des informations sur les produits alimentaires. Mais les deux sont d’origine différente, comme l’analyse Edition Multimédi@. Open Food Facts est un projet collaboratif lancé par des citoyens bénévoles pour créer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires, utilisé par NutriScore, Yuka, Foodvisor et ScanUp ou encore Centipède. Alors que NumAlim est en revanche un projet initié par l’Ania (1), le lobby de l’industrie alimentaire, et opéré par la société Agdatahub (détenue par la holding API-Agro), pour créer une plateforme de données ouvertes mais aussi payantes sur les produits alimentaires. Mais au-delà du fait qu’Open Food Facts à but non lucratif est un vrai commun numérique gratuit et que NumAlim est une plateforme commerciale avec sa place de marché « BtoB » HubAlim, leurs financements diffèrent : Open Food Facts dépend principalement des contributions de bénévoles et de dons, tandis que NumAlim bénéficie du financement de la Banque des Territoires, filiale d’investissement de la Caisse des Dépôts (CDC), bras armé financier de l’Etat français.
Cet exemple illustre le deux poids-deux mesures dans la façon dont l’Etat français appréhende les « communs numériques ». La France apparaît plus encline à financer des start-up – au nom de la French Tech ou de la Start-up Nation – qu’à subventionner des projets de communs numériques d’intérêt général. Or pour ces derniers, relève la CSNP, « les modèles de financement des “start-ups”, avec prise de participation, ne sont pas adaptés ». Une telle dichotomie dans l’accès au financement opère implicitement une discrimination entre start-up et communs numériques, alors que la réglementation européenne des aides d’Etat considère les communs numériques d’intérêt général comme une activité économique classique, au même titre que des start-up. Ces communs numériques pourraient même entrer dans la catégorie des Services économiques d’intérêt général (SIEG) dont les aides publiques peuvent être plus élevées. L’étude d’impact économique et sociétale comparée que la CSNP appelle de ses vœux permettrait d’y voir plus clair sur la stratégie d’investissement de l’Etat français dans les communs numériques – que cela soit par la CDC via ses filiales Banque des Territoires et Bpifrance (2), ou par ses différents programmes d’investissement. « Cette étude pourrait être portée par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances [interministérielle, ndlr], France Stratégie [service du Premier ministre, ndlr] ou le Conseil général de l’économie [CGE à Bercy, ndlr] », propose la CSNP qui va même plus loin. « D’une manière générale, la CSNP souhaite que des études d’impact soient conduites sur les investissements publics dans des domaines numériques (French Tech, NumAlim, Qwant…) ». La plan gouvernemental French Tech aura dix ans fin 2023, dont la mission est installée depuis 2017 chez l’incubateur Station F fondé par le milliardaire fondateur de Free, Xavier Niel. Quel impact a la French Tech et ses 22.767 start-up (3) soutenus par l’Etat sur les communs numériques ?
Le moteur de recherche d’origine franco-allemand Qwant, cofinancé par la CDC et le groupe Axel Springer, est-il – depuis son lancement avec Emmanuel Macron à l’Elysée il y a plus de dix ans (4) – un commun numérique ou un « Google à la française » à but lucratif ? Une étude d’impact serait donc la bienvenue. D’autant que les communs numériques – ou digital commonsen anglais – sont de plus en plus répandus et utiles.

« Wiki », « Open data » ou encore « Freeware »
Ce sont par exemple : les logiciels libres comme OpenOffice ou Linux ; les plateformes comme Wikipedia ou OpenStreetMap ; les bases de données ouvertes comme Open Food Facts ou Open Library ; les « fédivers » comme les médias sociaux interopérables Mastodon ou PeerTube (5) ; les initiatives publiques comme les Géo-communs de l’IGN (6), la messagerie instantanée Tchap de la DINum (7), la formation à distance avec BigBlueButton de l’Education nationale, l’accès au droit comme Open Law de la Dila (8) et d’Etalab, ou encore le logiciel libre socio-fiscal OpenFisca de France Stratégie (9) et d’Etalab (10). @

Charles de Laubier

Un an après avoir lancé ChatGPT, aux airs de « Google-killer », OpenAI prépare un « smartphone-killer »

La start-up californienne OpenAI, cofondée par son actuel DG Sam Altman et devenue licorne valorisée presque 100 milliards de dollars, défraie la chronique depuis le lancement de ChatGPT il y a un an. Après avoir déstabilisé Google, elle veut lancer un petit terminal « smartphone-killer » boosté à l’IA.

(Vendredi 17 novembre 2023 au soir, heure de Paris, soit peu après le bouclage du n°310 de Edition Multimédi@ faisant sa Une sur OpenAI et Sam Altman, nous apprenions le limogeage surprise de ce dernier par son conseil d’administration. Vingt-quatre heure après, OpenAI revenait sur sa décision… Après avoir hésité à rejoindre Microsoft prêt à l’embaucher, Sam Altman a finalement trouvé le 22 novembre un accord avec OpenAI – avec le soutien du bailleur de fonds Microsoft – pour finalement y retourner !)

Google et Apple pourraient bien être les prochaines victimes collatérales d’OpenAI. Car la licorne à l’origine de l’IA générative ChatGPT, lancée il y a un an presque jour pour jour, accélère son offensive technologique. D’une part, elle a organisé le 6 novembre sa toute première conférence des développeurs, OpenAI DevDay, où ont notamment été lancés un « GPT-4 Turbo » et des interfaces de programmation (API) pour créer des agents conversationnels personnalisés intégrables dans des applications ou pour développer son propre « ChatGPT » autonome sans codage (1).
En mettant le turbo, OpenAI veut faire une super-IA tout-en-un capable de générer par elle-même aussi bien du texte et des images, mais aussi de l’audio et de la vidéo. Le 9 novembre, un programme open source baptisé « OpenAI Data Partnerships » (2) a même été lancé pour exploiter tous azimuts des données publiques et privées afin de former encore plus largement les IA génératives. Ce qui positionne la future plateforme IA intégrée d’OpenAI comme un potentiel « Google-killer ». D’autre part, son PDG cofondateur Sam Altman (photo) avait confirmé dès fin septembre être en « discussions avancées » avec l’ancien designer de l’iPhone chez Apple, l’Américano-britannique Jony Ive, et le PDG fondateur du conglomérat Softbank, le Japonais Masayoshi Son, autour d’un projet de lancement d’un terminal à intelligence artificielle susceptible de remplacer à terme les smartphones (3).

Un trio de rêve : OpenAI-Softbank-LoveFrom
Parallèlement, mais sans lien a priori avec ce projet d’appareil, Sam Altman a dit le 13 novembre au Financial Time qu’il demandait à Microsoft des fonds supplémentaires, en plus des 10 milliards de dollars déjà accordés sur plusieurs années par ce dernier, afin de rendre l’IA encore plus intelligente – vers le futur ChatGPT-5 et au-delà (4). Il faudra en tout cas attendre de nombreux mois avant que ne voit le jour le terminal IA grand public rêvé par OpenAI, LoveFrom (société de design créée en 2019 par Jony Ive (5) qui a recruté d’anciens collègues d’Apple comme Marc Newson) et Softbank, dont la filiale britannique ARM pourrait produire les puces. Mais les trois entrepreneurs ont sûrement dû suspendre leur brainstorming, le temps de suivre le lancement d’un petit terminal boosté à l’IA conversationnelle et sans écran (à épingler ou à magnétiser sur un vêtement ou un sac), baptisé Ai Pin. Présenté le 9 novembre et en précommande depuis le 16 novembre aux Etats-Unis, sa disponibilité est prévue début 2024 – sans encore de date pour l’Europe.

Avec son « Ai Pin », Humane montre la voie
Son concepteur : la start-up californienne Humane, cofondée en 2017 par deux anciens dirigeants d’Apple (l’exdirecteur design Imran Chaudhri et l’ex-directrice logiciel Bethany Bongiorno), mari et femme dans la vie. Respectivement président et directrice générale, ils se sont entourés de dizaines d’anciens employés de la marque à la pomme spécialistes de design, d’écran ou encore de cloud – tous placés sous la houlette de Patrick Gates ancien directeur ingénierie d’Apple et actuel Chief Technology Officer (CTO) de Huname. Et parmi sa dizaine d’investisseurs, auprès desquels Humane a levé à ce jour 230 millions de dollars, il y a… Sam Altman, sans que l’on sache combien le patron d’OpenAI a mis de sa poche aux côtés de Kindred Ventures, SK Networks, LG Technology Ventures, Microsoft, Volvo Cars Tech Fund, Tiger Global ou encore Qualcomm Ventures. Et comme le monde est décidément petit : la licorne OpenAI et les start-up LoveFrom et Humane, avec lesquelles elle croit en une sorte de « smartphone-killer », sont toutes les trois basées à San Francisco, en Californie.
De la taille d’une petite boîte d’allumettes, Ai Pin de Humane répond au doigt et à la voix grâce à respectivement son micro et son pavé tactile intuitif. En faisant des gestes ou en interagissant via l’écran à encre laser projeté sur sa paume, l’épingle IA peut être utilisée aisément au quotidien et lors des déplacements. Son prix – moitié moins élevé qu’un iPhone – est de 699 dollars (6) auquel s’ajoute un abonnement de 24 dollars par mois comprenant : un numéro de téléphone portable dédié au Ai Pin – grâce à une carte eSIM intégrée – et un nombre illimité de conversations, de SMS et de data, avec un stockage dans le cloud.
Le 9 novembre, Humane a annoncé aussi être un opérateur mobile virtuel (MVNO) aux Etats-Unis et en partenariat exclusif avec T-Mobile US – le troisième plus grand opérateur télécoms américain, derrière AT&T et Verizon. D’après ses spécifications (7), le petit bijou de technologie de Humane prend des photos à 13 mégapixels (4.208 x 3.120 px) et des vidéos (dont la résolution n’est en revanche pas encore indiquée). Mais comment sans écran savoir si le sujet est bien cadré ? L’IA (AI-Powered Photographer) et la projection laser sur la main du photographe pourraient faire l’affaire. Côté musique, la plateforme de streaming Tidal (d’origine norvégienne et ex-plateforme musicale du rappeur Jay-Z) est accessible et optimisée à l’IA. Sam Altman ne manquera sûrement pas de s’inspirer de l’Ai Pin pour son futur « OpenAI device », qui a l’ambition d’être à l’IA ce que l’iPhone fut à l’écran tactile – ce qui pourrait être… une vraie épine dans le pied d’Apple. Le multimilliardaire Masayoshi Son, 69e fortune mondiale (8), serait prêt à investir 1 milliard de dollars – sans doute via l’un de ses deux Vision Funds (9) – dans une joint-venture avec le patron de ChatGPT (OpenAI) et le designer Jony Ive (LoveFrom), d’après le Financial Times (10).
A l’instar de Humane qui a pris de l’avance avec son Ai Pin, le trio Altman-Son-Ive vise aussi à ne plus être dépendant des écrans et à accroître l’interaction entre l’homme et l’IA. Une fois l’appareil IA conçu, la licence OpenAI deviendrat-elle aussi un MVNO ? Pour peu que le « device » d’OpenAI ait lui aussi son eSIM intégrée. Il se trouve que le géant japonais Softbank de Masayoshi Son est aussi actionnaire minoritaire de T-Mobile US (3,3 % du capital après avoir fusionné Sprint avec T-Mobile US) et, en Europe, de Deutsche Telekom (4,5 %) : cela pourrait aider par la suite… « Google-killer », « Apple-killer », « smartphone-killer », … Cette nouvelle génération d’AI wearables (dispositifs portables basés sur l’intelligence artificielle) pourrait faire des ravages si le grand public décidait de se les approprier. Le moteur de recherche classique de Google, dont la toute première mise en ligne de la version bêta date d’il y a un quart de siècle, a déjà été court-circuité par les Assistant (Google), Alexa (Amazon) et autres Siri (Apple). Avec les IA génératives et la commande vocale assistée par l’IA, sa position dominante va être sérieusement contestée. Pour tenter d’assurer ses arrières la filiale d’Alphabet est prise d’agitations : non seulement Google pousse son IA générative Bard, mais a aussi investi 300 millions de dollars pour prendre 10 % du capital d’Anthropic (11), un rival d’OpenAI.

Sam Altman, le futur « Steve Jobs » ?
Depuis le succès planétaire de son iPhone et de son système d’exploitation iOS, lancés il y a plus de quinze ans par Steve Jobs, Apple n’a pas vraiment innové depuis avec un nouvel appareil disruptif. Comme si le PDG de la firme de Cupertino depuis fin août 2011, Tim Cook, s’était endormi sur les lauriers de Steve Jobs décédé début octobre de la même année. Les nombreux transfuges d’Apple partis chez Humane ou chez LoveFrom en disent long : la marque à la pomme ne fait plus rêver. Avec son épingle Ai Pin et son système d’exploitation Cosmos (« AIby-design »), Humane prend des airs d’« Apple-killer » voire d’« iOS-killer ». A moins que le trio Altman-Son-Ive ne donne le coup de grâce au « capitaine » Cook. @

Charles de Laubier

Publicité et live : Netflix devient plus que jamais un concurrent frontal de la télévision traditionnelle

Publicité, live streaming, mesure d’audience : Netflix marche de plus en plus sur les plates-bandes des chaînes de télévision traditionnelles – au point de menacer leur avenir dans leurs pré-carrés nationaux. Et Nielsen commence à comparer la première plateforme mondiale de SVOD avec les TV hertziennes ou câblées.

« Nous avons lancé notre partenariat de mesure [d’audience] avec Nielsen aux Etats-Unis ce mois-ci, en octobre. Nous sommes donc très enthousiastes. Nous avons une longue liste d’autres partenaires dans d’autres pays avec lesquels nous devons offrir la même capacité ; alors nous sommes impatients de le faire », a annoncé le 18 octobre Gregory Peters (photo), co-PDG (1) de Netflix, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats du troisième trimestre.
La première plateforme mondiale de la SVOD est décidée à se mesurer aux chaînes de télévision traditionnelles, au sein même du même agrégat audiovisuel – « The Gauge » – de l’institut américain de mesure d’audience Nielsen. Une révolution dans le « AAL », qui est aux Etats-Unis ce que le « PAF » est à la France (2). Les premiers résultats de « l’engagement » des téléspectateurs aux Etats-Unis portent sur le mois de septembre et montrent que Netflix s’arroge à lui seul chaque jour 7,8 % en moyenne de la part du temps d’écran TV américain. Non seulement, la plateforme de SVOD cocréée il y a plus de 15 ans par Reed Hastings coiffe au poteau les chaînes de télévision traditionnelles, mais elle se place aussi en seconde position – juste derrière YouTube – des grands streamers aux Etats-Unis. Dans le AAL, le streaming vidéo évolue en tête de l’audience audiovisuelle avec un total de 37,5 % de part du temps d’écran TV américain, bien devant la TV par câble (29,8 %) et la TV hertzienne (23 %).

Accord pluriannuel entre Nielsen et Netflix
C’est la première fois que Netflix voit ses contenus en streaming (séries, films, directs) mesurés par le géant américain de la mesure d’audience Nielsen aux côtés des mesures d’audience des programmes des chaînes linéaires de télévision. Octobre marque donc le mois de la concrétisation chiffrée aux Etats-Unis de l’accord pluriannuel qui avait été annoncé par Nielsen et Netflix en janvier dernier. « The Gauge » a d’abord été déployé au Mexique et en Pologne, les deux autres pays concernés par cet accord sans précédent et où les premiers résultats d’audience « TV & Streaming » ont été divulgués à partir du mois de mai (3). Pour ce faire, Netflix a souscrit aux Etats-Unis aux « données de mesure de la télévision nationale de Nielsen et aux évaluations des plateformes de streaming », et au Mexique et en Pologne aux « données d’audience multiplateformes provenant de panels de streaming sur chaque marché respectif » (4).

Bascule de la télé linéaire au streaming
Sur le marché américain, « The Gauge » est un exploit publicitaire et technologique puisque Nielsen a dû batailler face à la résistance de certains groupes de télévision traditionnelle. Cela a commencé l’an dernier lorsque Nielsen a signé le 16 août 2022 un accord triannuel avec Amazon pour mesurer sur Prime Video et Twitch l’audience des retransmissions exclusives des fameux Thursday Night Football (TNF), ces matchs très regardés de la ligue de football américaine NFL. Une première pour une plateforme de streaming. NBCUniversal, Paramount ou encore Warner Bros. Discovery avaient vu rouge, au point d’inciter les marques et agences publicitaires à boycotter Nielsen (5). En vain. « Le plus grand changement dans le domaine du divertissement continue d’être le passage de la télévision linéaire au streaming. Et “The Gauge” de Nielsen montre où les téléspectateurs passent leur temps – et comment leurs habitudes de consommation changent », avait déclaré en janvier Pablo Perez De Rosso (photo ci-contre), vice-président de Netflix, en charge de la stratégie, de la planification, de l’analyse et du financement de contenus.
Ainsi, la firme de Los Gatos (Californie) peut, grâce à Nielsen, monétiser son audience auprès des annonceurs publicitaires, demandeurs de transparence et de comparabilité des mesures entre télé et vidéo. Depuis le lancement il y a près d’un an (le 3 novembre 2022 aux EtatsUnis) de son abonnement moins cher compensé par de la publicité, Netflix met la pression sur le marché publicitaire de la télévision linéaire, dont le potentiel mondial est d’environ 180 milliards de dollars d’après le World Advertising Research Center (Warc). La plateforme de SVOD au « N » rouge, dont le seul tarif à ne pas avoir été augmenté le 18 octobre est celui de l’offre avec publicités (à partir de 6,99 dollars par mois aux Etats-Unis, à 5,99 euros en France et à 4,99 livres sterling au Royaume-Uni), s’active pour attirer à elle les marques encore « linéarisées » (ou « enchaînées », c’est selon). Le co-PDG Theodore Sarandos, qui n’exclut pas à terme le lancement d’une formule 100 % gratuite entièrement financée par la publicité, fonde de grands espoirs sur son offre AVOD (6) à bas prix. Le potentiel pour Netflix réside dans le 0,5 milliard de foyers ayant la télévision connectée dans le monde. « Notre priorité immédiate est que Netflix devienne un achat essentiel pour les annonceurs. Au troisième trimestre 2023, le nombre d’abonnés avec publicités a augmenté de près de 70 % par rapport au trimestre précédent et représente maintenant environ 30 % de toutes les nouvelles inscriptions dans nos 12 pays publicitaires », s’est félicité Netflix dans sa lettre aux actionnaires datée du 18 octobre (7). Entre l’augmentation des tarifs d’abonnements sans publicité, la persistance de l’inflation et la concurrence accrue entre les désormais nombreuses plateformes de SVOD, Netflix risque un désengagement de ses offres « premium ». L’offre avec publicités – qui s’améliore (meilleure qualité d’image depuis avril et la fonction téléchargement à partir de novembre) – pourrait compenser les désaffections. Mais, pour l’heure, la firme de Los Gatos peut encore se targuer d’avoir augmenté son parc d’abonnés mondial, à 247,1 millions au 30 septembre 2023, en hausse de 10,8 % sur un an.
Nielsen va désormais jouer un rôle crucial pour Netflix, y compris dans sa montée en charge dans le live streaming qui va concurrencer là aussi les retransmissions en direct d’événement (sportifs, culturels, …) des chaînes de télévision traditionnelles. Par exemple, sera diffusée le 14 novembre la « Coupe Netflix » (8), un événement sportif en direct d’un tournoi « épique » entre des athlètes de F1 de « Drive to Survive » et des golfeurs de « Full Swing » – deux « drama of sport » (dixit Ted Sarandos), comprenez séries sportives ou docufictions sportifs, qui rencontrent un grand succès sur la plateforme comme encore « Tour de France » (9). « Le direct est un excellent moyen d’étendre les marques de drama of sport que nous avons créées. Nous investissons massivement dans l’augmentation de nos capacités de live », a indiqué Ted Sarandos. Et pourquoi pas aussi acheter des droits sportifs pour les retransmettre en direct : dans le cadre de « Break Point », docusérie dans les coulisses du tennis professionnel (ATP et WTA) diffusé cette année, Netflix a tenté en 2022 de s’emparer des droits de diffusion de l’ATP dans certains pays européens, dont la France, avant de renoncer face à la surenchère des prix.

Netflix, bien plus rentable que la TV
Selon le Wall Street Journal, la plateforme s’intéresse aussi aux droits dans le cyclisme. Mais à condition que le sport en direct soit rentable : « Netflix n’est pas anti-sports, nous sommes juste pro-profits », a déjà dit Ted Sarandos (10). Le groupe de Reed Hastings – lequel est devenu en janvier 2023 président exécutif après avoir été Co-PDG et ne détenant plus que 2 % du capital – table cette année, et selon les calculs de Edition Multimédi@, sur un bénéfice net de 5,4 milliards de dollars, soit un bond de plus de 20 %, sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 33,5 milliards de dollars, en hausse de 6,2 % par rapport à 2022. @

Charles de Laubier

Le fonds d’investissement américain KKR étend son emprise sur les TMT, jusqu’en Europe

KKR, un des plus grands capital-investisseurs au monde, n’a jamais été aussi insatiable jusque dans les télécoms, les médias et les technologies. Le méga-fonds américain, où Xavier Niel est un des administrateurs, veut s’emparer du réseau de Telecom Italia. Son portefeuille est tentaculaire.

Fondé en 1976 par Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR & Co n’en finit pas de gonfler. Le mégafonds d’investissement américain gère un portefeuille de 690 placements en capital-investissement dans des sociétés dans le monde entier, pour plus de 700 milliards de dollars au 31 décembre 2022. Au 30 juin 2023, ses actifs sous gestion (AUM (1)) et ses actifs sous gestion à honoraires (FPAUM (2)) s’élevaient respectivement à 518,5 milliards de dollars et à 419,9 milliards de dollars.

Xavier Niel, administrateur de KKR
Les deux co-présidents exécutifs du conseil d’administration de KKR sont deux des trois cofondateurs, Henry Kravis (79 ans, photo) et George Roberts (80 ans), le troisième cofondateur – Jerome Kohlberg – étant décédé (en 2015 à 90 ans). Ils sont épaulés par deux co-directeurs généraux que sont Joseph Bae et Scott Nuttall, eux aussi membres du conseil d’administration qui compte au total quatorze administrateurs (Board of Directors). Parmi eux : un seul Européen, en l’occurrence un Français : Xavier Niel depuis mars 2018, fondateur et président du conseil d’administration d’Iliad, maison mère de Free (3). La dernière opération en date engagée par KKR, en Europe justement, concerne TIM (ex-Telecom Italia).
Le 16 octobre, l’opérateur historique italien a annoncé qu’il a reçu ce jour-là « une offre ferme » pour son réseau fixe de la part de la firme new-yorkaise qui souhaite s’en emparer depuis longtemps. Le montant de cette offre n’a pas été divulgué, mais il serait bien inférieur aux 30 milliards d’euros qu’en espérait le premier actionnaire de TIM, le français Vivendi (23,75 %). Le groupe de Vincent Bolloré se dit prêt à saisir la justice (4). L’ex-Telecom Italia précise que l’offre de KKR porte sur son réseau fixe, « y compris FiberCop », filiale qui gère une partie de l’infrastructure réseau (derniers kilomètres du cuivre et une portion du réseau de fibre) et qui est déjà détenue à hauteur de 37.5 % de son capital par KKR depuis avril 2021 (5). L’offre du capital-investisseur expire le 8 novembre (6), « sous réserve de la possibilité de discuter des termes de nouvelles extensions jusqu’au 20 décembre prochain » (7). L’Etat italien, qui se dit ouvert à l’offre KKR en cours d’examen, détient 9,81 % de TIM (via la CDP) et s’attend à avoir 20 % de la société (Netco) opérant le réseau fixe convoité par KKR – selon un accord signé le 10 août entre le fonds américain et le ministère italien de l’Economie et des Finances (8). En outre, KKR a prévenu TIM qu’il allait faire « une offre ferme dans quatre à huit semaines » sur les actions détenues par l’ex-Telecom Italia dans Sparkle, sa filiale d’infrastructures optiques et de câbles-sous-marins. Selon Reuters, la valorisation combinée de Netco et de Sparkle atteindrait 23 milliards d’euros, dette comprise. Membre du conseil d’administration de KKR et président du conseil d’administration d’Iliad, la maison mère de Free étant présente en Italie depuis 2018, Xavier Niel suit ces grandes manœuvres de très près. Après avoir échoué en 2022 à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, il s’était positionné fin 2022 pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (9).Toujours dans les télécoms en Europe, KKR avait investi en 2006 dans l’opérateur danois TDC via le consortium NTC et en est complètement sorti en septembre 2013, en empochant une belle plus-value. En marge des télécoms européennes, cette fois dans le cloud, KKR – associé avec TowerBrook (fonds de George Soros) – a investi en 2016 dans le français OVH pour un total de 250 millions d’euros. Dans le logiciel aussi, KKR a investi en 2021 dans l’éditeur Körber, spécialisé dans la supply chain (10).
Dans l’édition en Europe, le capital investisseur new-yorkais s’est intéressé en 2018 à Editis en faisant une offre de rachat sur le groupe espagnol Planeta qui détenait encore à l’époque le deuxième groupe français d’édition. Passé fin 2018 dans les mains de Vivendi (Bolloré), Editis avait été mis en vente en 2022. Xavier Niel faisait partie des prétendants au rachat, mais son offre faite avec un fonds non divulgué – probablement KKR – avait été jugée insuffisante par Vivendi qui a finalement cédé Editis au tchèque Daniel Kretinsky.

Simon & Schuster, Singtel, FGS Global, …
Parmi les nombreuses autres sociétés présentes dans le portefeuille multimilliardaire de KKR, citons sa dernière grosse acquisition aux Etats-Unis de la maison d’édition Simon & Schuster, cédée par Paramount en août pour plus de 1,6 milliard de dollars (11). Retour aux télécoms, mais cette fois à Singapour : KKR a injecté en septembre 800 millions de dollars dans Singtel Digital InfraCo, la filiale infrastructures réseaux de l’opérateur Singtel (12). Ou encore dans les relations publiques, KKR a investi 1,4 milliard de dollars en avril 2023 pour prendre 30 % de FGS Global (13), filiale du géant de la publicité WPP. @

Charles de Laubier