La CSNP demande à l’Etat de lancer une étude d’impact sur les communs numériques

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) a publié le 8 novembre un avis sur les communs numériques. Bien qu’ouverts et gratuits, plusieurs « freins » à leur développement sont identifiés. Les Etats jouent parfois contre eux, en finançant des produits ou services similaires.

Parmi les onze recommandations que fait la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) – instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy – dans son avis rendu le 8novembre et intitulé «Commun numériques : vers un modèle souverain et durable », la n°5 suggère à l’Etat français de « lancer une étude d’impact économique et sociétale comparée pour les communs numériques d’intérêt général ». Et ce, « afin d’évaluer, notamment d’un point de vue comparatif, les coûts générés et évités par les communs numériques d’intérêt général ».

Clarifier les aides d’Etat dans les communs
La CSNP, dont la mission sur les communs numériques a été pilotée par Jeanne Bretécher (photo), mentionne juste en guise d’exemple où une étude comparée pourrait être pertinente : « NumAlim versus Open Food Facts ». Mais sans expliquer pourquoi. Ces deux initiatives poursuivent le même objectif : fournir des informations sur les produits alimentaires. Mais les deux sont d’origine différente, comme l’analyse Edition Multimédi@. Open Food Facts est un projet collaboratif lancé par des citoyens bénévoles pour créer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires, utilisé par NutriScore, Yuka, Foodvisor et ScanUp ou encore Centipède. Alors que NumAlim est en revanche un projet initié par l’Ania (1), le lobby de l’industrie alimentaire, et opéré par la société Agdatahub (détenue par la holding API-Agro), pour créer une plateforme de données ouvertes mais aussi payantes sur les produits alimentaires. Mais au-delà du fait qu’Open Food Facts à but non lucratif est un vrai commun numérique gratuit et que NumAlim est une plateforme commerciale avec sa place de marché « BtoB » HubAlim, leurs financements diffèrent : Open Food Facts dépend principalement des contributions de bénévoles et de dons, tandis que NumAlim bénéficie du financement de la Banque des Territoires, filiale d’investissement de la Caisse des Dépôts (CDC), bras armé financier de l’Etat français.

Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ». Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Services d’intérêt économique général Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ». Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France (1)). « Les communs numériques sont de formidables moteurs d’innovation, de transparence et de souveraineté. (…) Ils permettent de décentraliser les systèmes, lutter contre les cyberattaques et renforcer l’accès des citoyens aux données publiques », a souligné Mireille Clapot. Les communs numériques d’aujourd’hui sont nés avec les pionniers du Web, le World Wide Web créé en 1989 étant un commun historique de liens hypertextes donnant accès gratuitement à une mine d’informations. La gratuité sur Internet s’est d’ailleurs vite confrontée à ce que certains appellent « la tragédie des communs », à savoir que cette gratuité promise par le numérique s’arrête là où la marchandisation, le droit d’auteur (2) ou encore les développements propriétaires commencent. Le CNSP s’inspire des quatre propositions-clés formulées par un rapport européen initié par l’Ambassadeur pour le numérique, Henri Verdier, et rendu en juin 2022 à l’occasion de l’Assemblée numérique organisée lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ce rapport intitulé « Vers une infrastructure numérique souveraine des biens communs » (3) et élaboré par dix-neuf Etats européens, dont la France (4), préconise : la création d’un guichet unique européen pour orienter les communautés vers les financements et aides publiques adéquats ; le lancement d’un appel à projet pour déployer rapidement une aide financière aux communs les plus stratégiques ; la création d’une fondation européenne pour les communs numériques, avec une gouvernance partagée entre les États, la Commission européenne et les communautés des communs numériques ; la mise en place du principe « communs numériques par défaut » dans le développement des outils numériques des administrations publiques. « Cependant, sans changement culturel sur la compréhension de la valeur ajoutée des communs, leur durabilité est menacée par un manque d’utilisation et de contribution », ont alerté les auteurs du rapport qui font référence à la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques (5). La CSNP pourrait aller plus loin en préconisant, nous indique Jeanne Bretécher, d’inscrire les communs (notamment numériques) dans le concept européen de « services d’intérêt économique général » (SIEG) en vue de bénéficier d’aides publiques. Commun numérique et réseau commun ? Concernant cette fois l’avis sur les télécoms attendu aussi en septembre, le CSNP indique à Edition Multimédi@ qu’il n’évoquera pas les communs numériques. Ce que certains pourront regretter. Les conclusions du député Xavier Batut porteront sur le rôle de l’Arcep – dont l’ancien président Sébastien Soriano prônait les communs numériques dans les télécoms (6) –, la mutualisation, la péréquation ou encore l’Ifer (7). Nous y reviendrons. @

Charles de Laubier