Lutte contre le piratage : comment la Commission européenne veut responsabiliser les acteurs du Net

La Commission européenne a présenté le 14 septembre dernier une directive réformant le droit d’auteur afin de l’adapter au marché unique numérique, ainsi qu’un règlement audiovisuel. Dans l’article 13 du projet de directive, il est notamment question de co-régulation pour lutter contre le piratage sur Internet. Explication.

andrus-ansipLes différentes mesures prévues dans le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique seront complétées par le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle contre le piratage des oeuvres sur Internet. La Commission européenne – par la voix de son commissaire Andrus Ansip (photo) – a en effet décidé à mettre en place un mécanisme d’auto-régulation appelé « follow-the-money » afin de tarir financièrement les sites web jugés pirates. Cela suppose que les acteurs du Net (moteurs de recherche, plateformes Internet, réseaux sociaux, …), identifiés comme « intermédiaires » mais restant considérés comme non responsables de par leur statut d’hébergeurs (à moins d’avoir « un rôle actif »), prennent des « mesures appropriées et proportionnées » (articles 13 du projet de directive) avec notamment des « technologies d’identification de contenus » telles que  Content ID de YouTube, Signature de l’INA ou encore Audible Magic.
Les acteurs du Net sont en outre appelés à signer le premier Memorandum of Understanding (MoU), daté du 21 juin 2016, sur la vente en ligne des biens contrefaits (charte d’engagements intitulé « Memorandum of Understanding on the online sale of counterfeit goods »).

Les acteurs du Net appelés à signer des chartes d’engagement
D’autres MoU de ce type seront soumis à l’avenir à la signature des professionnels de la publicité en ligne, des systèmes de e-paiement et des services de transport, afin d’ « assécher » financièrement les sites web contrefaisant. La Commission européenne préconise aussi d’harmoniser les législations nationales et l’arsenal judiciaire contre le piratage. Quant aux Etats membres, ils seront tenus de veiller à ce que les fournisseurs de services en ligne mettent en place des mécanismes de plaintes et de réparation, à la disposition des utilisateurs en cas de litige.
Les pays européens devront en outre faciliter la coopération entre les plateformes du Net et les ayants droits des industries culturelles, afin d’identifier et de définir les meilleures pratiques et meilleures technologies de reconnaissance de contenus.
En France, une première charte « anti-piratage » a été signée le 23 mars 2015 par les professionnels de la publicité en ligne. Une seconde charte devait l’être dans le paiement en ligne, qui fait l’objet d’un comité de suivi depuis septembre 2015 (il y a un an maintenant), sous la responsabilité de Thierry Wahl, inspecteur général des Finances, et de Julien Neutre, directeur de la création, des territoires et des publics au CNC. Cette seconde charte de type « follow the money » est Continuer la lecture

La France, le Canada et la Belgique proposent d’adapter au numérique la Convention de l’Unesco de 2005

En fait. Le 20 octobre, la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles fête ses 10 ans. Selon les informations de Edition Multimédi@, la France, le Canada et la Belgique proposent une « directive opérationnelle transversale » sur le numérique.

En clair. Ce n’est pas plusieurs « directives opérationnelles » sur le numérique que proposent la France et le Canada, rejoints par la Belgique, mais une seule « directive opérationnelle transversale » pour « une mise en oeuvre de la convention relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique ». Edition Multimédi@ s’est procuré – et met en ligne – le projet de texte porté pour l’instant par ces trois pays qui l’ont approuvé avant le 10 octobre dernier, en vue de le présenter au Comité intergouvernemental de l’Unesco qui se réunira du 14 au 16 décembre prochain. Mais c’est seulement en… juin 2017 que cette directive opérationnelle transversale sur le numérique sera soumise pour adoption à la Conférence des parties. Le rythme de l’Unesco n’est décidément pas celui de la révolution numérique !

Trois axes sur fond de neutralité technologique
La proposition franco-canado-belge, conforme au principe réaffirmé de neutralité technologique, s’articule sur trois axes : les politiques publiques « adaptées à l’écosystème numérique » (financement de la création, accessibilité des contenus culturels, répartition équitable de la valeur ajoutée, protection des droits des créateurs, promotion des offres légales, meilleures indexation et reconnaissance des contenus, …) ; la coopération internationale (accessibilité renforcée de toutes les cultures, circulation sur les réseaux des expressions culturelles endogènes « négligées par l’économie numérique », coopération autour de la création en ligne et de la coproduction/co-création d’oeuvres en réseau, attention particulière aux demandes de financement de la culture numérique (2), …) ; les échanges de biens et services culturels numériques (promouvoir la Convention de l’Unesco dans les accords de commerce, dont le futur TTIP, mettre en oeuvre des politiques et programmes culturels adaptés, …).
Reste à savoir si cette directive opérationnelle numérique à caractère non contraignant pour les Etats Continuer la lecture

Stream ripping : la question de la licéité de la copie privée à l’ère du streaming reste posée

Le streaming s’est imposé face au téléchargement sur Internet. Si mettre en ligne une oeuvre (musique, film, photo, …) nécessite l’autorisation préalable des ayants droit, les internautes ont-ils le droit à la copie privée – exception au droit d’auteur – lorsqu’ils capturent le flux (stream ripping) ?

Par Christiane Féral-Schuhl, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-SchuhlLe streaming désigne, dans une traduction littérale (de l’anglais « stream »), une « diffusion en flux ». Dans le cas d’un direct, le diffuseur est ainsi maître du moment et du contenu de la diffusion et l’internaute peut décider de se connecter ou non, mais sans pouvoir choisir le contenu ou le moment de la diffusion.
Dans le cas d’œuvres protégées stockées et disponibles en ligne (oeuvres musicales, audiovisuelle, photographiques …), cette technologie permet à l’internaute – au moyen d’un logiciel fourni habituellement par le site de « diffusion » – d’avoir accès à ces fichiers en lecture seulement mais sans qu’il ait besoin d’effectuer préalablement une copie entière et pérenne par téléchargement sur son disque dur.

Streaming et ripping plébiscités
La popularité exponentielle du streaming suscite de plus en plus l’inquiétude des auteurs et ayants droit en raison, d’une part, de la prolifération sur Internet de sites Internet illicites mettant en ligne des contenus protégés sans l’autorisation préalable des auteurs ou titulaires de droits, et, d’autre part, du développement du stream ripping.
Cette technique se développe rapidement, permettant à l’internaute de réaliser une copie sur son disque dur en « capturant » ainsi le flux du streaming. L’opération de streaming suppose que l’oeuvre mise en ligne ait été préalablement numérisée – lorsque celle-ci n’est pas créée ab initio – et copiée sur le serveur de l’exploitant du
site web où l’oeuvre va être accessible. Tant la doctrine que la jurisprudence ont pu confirmer que l’acte de numérisation s’analyse en un acte de reproduction soumis en conséquence à l’accord du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins. De même, pour copier l’oeuvre sur le serveur, l’exploitant procède à son « chargement sur une mémoire centrale d’un ordinateur » (1) ou encore à son « stockage (…) sous forme numérique sur un support électronique » (2) entraînant la « fixation matérielle de l’oeuvre ». Cette opération s’analyse également en un acte de reproduction soumis
à l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins. La reproduction de l’oeuvre constitue donc un préalable indispensable à mise en ligne de l’oeuvre. Une fois l’oeuvre numérique ou numérisée copiée sur le serveur de l’exploitant, celui-ci peut décider de la mettre en ligne, à la disposition du public, par exemple à partir d’une plateforme d’écoute ou de vidéos en ligne. La question s’est posée de savoir si cette mise en ligne constitue un acte de représentation publique au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI) (3). La jurisprudence française répond très clairement par l’affirmative : « La représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque (4), nécessitant donc l’accord de l’auteur pour diffuser l’oeuvre sur Internet (…). (Ainsi) constitue une atteinte aux droits patrimoniaux sur une oeuvre cinématographique, la diffusion de celle-ci en streaming sur un site Internet sans autorisation du titulaire des droits patrimoniaux » (5). La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce également en ce sens puisqu’elle considère que la mise à disposition du public – par voie de streaming – de contenus protégés par le droit d’auteur ou les droits voisins justifie le blocage des sites litigieux (6). C’est également
la position des juges américains qui ont sanctionné le site de streaming musical Grooveshark pour violation massive du droit d’auteur en raison de 5.977 morceaux de musique téléchargés directement et sans autorisation (7).
Le site web de l’exploitant fournit parfois à l’usager les moyens d’enregistrer de manière pérenne les contenus, à l’exemple du logiciel StationRipper, disponible gratuitement sur Internet. Ces logiciels permettent de capter les flux musicaux de plusieurs plateformes (par exemples de webradios) et de les enregistrer sur le disque dur sous forme de fichiers MP3.

Jurisprudence « Radioblog »
Un tel dispositif doit également être soumis à l’autorisation des titulaires de droit, comme le rappelle la jurisprudence, notamment dans l’affaire du site Radioblogclub.fr. Ce site d’écoute à la demande et en streaming de musique fonctionnait à l’aide de liens hypertextes, d’un moteur de recherche fourni par le site et d’un logiciel téléchargeable. Avant sa fermeture au printemps 2007, il référençait automatiquement des listes d’écoute (ou playlists), plus de 800.000 connections par jour et jusqu’à plus de 20 millions de visiteurs par mois.

Le cas de TubeMaster++
En l’absence d’accord conclu avec les sociétés de perception et de répartition des droits, le créateur, le gérant et le responsable juridique de Radioblogclub.fr ont été assignés en contrefaçon de droits d’auteur (8) et condamnés (9) en septembre 2009,
et le jugement a été confirmé en appel (10) en mars 2011 (1 million d’euros de dommages et intérêts à verser aux ayants droit, 10.000 euros d’amende et 9 mois de prison avec sursis). La Cour de cassation, saisie à son tour, a confirmé en septembre 2012 la décision d’appel, considérant que « les prévenus ont conçu le logiciel et le site en cause afin de permettre au public d’écouter, au mépris des droits de leurs auteurs et producteurs, des phonogrammes qu’ils savaient protégés (…) » alors que « tout service de communication au public en ligne d’oeuvres protégées, sans avoir obtenu les autorisations requises et toute mise à disposition d’un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions des articles (précités) ». De même le créateur du logiciel TubeMaster++ qui permettait d’enregistrer les flux de Deezer et d’autres flux en streaming, a été condamné (11) à des peines d’amendes et à dédommager la Sacem, la SDRM et la SCPP (5000 euros chacun).
La technique du streaming autorise l’usager à lire les données au cours du téléchargement, sans qu’une copie pérenne n’ait à être préalablement effectuée.
La question s’est donc posée de savoir si, en écoutant un enregistrement diffusé
en streaming, l’usager pouvait bénéficier de l’exception visée à l’article L.122-5-6e
du CPI ? Cet article autorise « la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’oeuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre ». L’acte de reproduction doit donc toujours constituer « une partie intégrante et essentielle du procédé technique ». Tel est bien le cas lorsque l’on analyse le processus technique de diffusion en streaming : la fixation s’opère à la fois dans la mémoire vive et dans la mémoire cache de l’ordinateur. Pour visualiser les contenus, l’usager a recours à des logiciels appropriés et aux ressources de l’hypertexte. Ces contenus sont stockés temporairement dans la mémoire vive de l’ordinateur et les éléments de la consultation sont simultanément et automatiquement, au moyen des logiciels de navigation (de type Internet Explorer, Safari ou autres) stockés dans un fichier temporaire logé dans la mémoire cache. Il faut également que l’acte de reproduction ait pour « unique objet de permettre l’utilisation licite de l’oeuvre ou sa transmission ». Tel est bien encore le cas puisque le stockage n’est qu’un procédé technique d’acheminement des signaux permettant à l’internaute de consulter l’oeuvre. Son caractère temporaire ne permet aucun acte d’exploitation.
Enfin, il ne doit pas avoir de valeur économique propre. La reproduction réalisée en streaming constitue donc bien une reproduction provisoire au sens de l’article L.122-5 6° du CPI et n’est donc pas soumis à l’autorisation des titulaires de droit. Mais c’est sans compter la technique du stream ripping qui permet désormais à l’usager de copier un contenu en procédant à l’extraction du fichier caché derrière un flux en streaming. Cette copie s’opérant sur le disque dur, il ne s’agit donc plus d’une reproduction provisoire relevant de l’exception visée à l’article L.122-5-6e du CPI. S’agit-il alors de l’exception de copie privée prévue par l’article L. 122-5 2° du même CPI pour le droit d’auteur et son article L.211-3 pour les droits voisins ? C’est une question à laquelle tente de répondre l’Hadopi (12). Sous réserve de la licéité de la source, cette exception vise la reproduction d’une oeuvre strictement réservée à l’usage privé du copiste et
non destinée à l’usage collectif. Selon les défenseurs de cette thèse, le convertisseur opèrerait comme un magnétophone, permettant l’enregistrement destiné à l’usage personnel de l’internaute (13). Rappelons par ailleurs que le CSPLA a préconisé en octobre 2012 d’appliquer la rémunération pour copie privée au cloud, de plus en plus utilisé pour le streaming (14).

Copie privée : une exception, pas un droit
A noter que l’argument de la copie privée, conformément à la jurisprudence
« Mulholland drive » (15) de juin 2008, ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d’une oeuvre protégée faite sans le consentement du titulaire de droits d’auteur.
Aussi, soit l’auteur a autorisé la reproduction et il est fondé à percevoir une rémunération pour copie privée, soit l’oeuvre est diffusée en violation du droit exclusif de l’auteur et la reproduction est illicite. La question est d’autant plus importante que le stream ripping prend de plus en plus d’importance, l’Hadopi chiffrant à 41 % le nombre de « consommateurs de musiques, de films ou de séries (ayant) déjà utilisé des convertisseurs pour transformer de la musique ou un film diffusés en streaming en ficher audio ou vidéo ». @

Droit d’auteur : l’eurodéputée Julia Reda « débloque »

En fait. Le 20 janvier dernier, l’eurodéputée Julia Reda (Parti Pirate et écologiste) a présenté devant la Commission des affaires juridiques du Parlement européen un rapport sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » en Europe.

Julia RedaEn clair. « Bien que la directive (européenne) de 2001 ait été faite afin d’adapter le droit d’auteur et les droits voisins à l’ère numérique, en réalité elle bloque les échanges de savoirs et de culture transfrontaliers ». C’est le principal enseignement que livre l’eurodéputée Julia Reda (photo) lors de la présentation de son pré-rapport que le Parlement européen lui a demandé en vue de la réforme de la directive sur le droit d’auteur, dite DADVSI (1).
Son objectif est d’harmoniser sur le marché unique numérique européen le droit d’auteur, afin de lever les obstacles – les fameux « silos nationaux » identifiés dans le droit d’auteur (2) – et mettre un terme à la fragmentation des règles
en Europe, tout en favorisant le développement des services de streaming et des plateformes numériques pan-européens.

En finir avec le patchwork européen et les « blocages » nationaux
Julia Reda propose notamment faire tomber plus tôt dans le domaine public les œuvres, en réduisant la durée des droits de 70 à 50 ans après le décès de l’auteur, soit sur la durée prévue par la Convention de Berne de 1886-1979 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Ainsi, il en serait fini du patchwork des durées en Europe. Concernant les exceptions au droit d’auteur inscrites dans la directive DADVSI, elle demande à ce qu’elles soient rendues « obligatoires » dans toute l’Union européenne pour supprimer les restrictions nationales.
Elle prône également l’élargissement des exceptions – dans le respect du « test de trois étapes » instauré par l’article 9-2 de la Convention de Berne – aux usages innovants et numériques tels que les créations transformatives : remix, mashup, hackathon, œuvres nées de l’hybridation digitale ou encore caricatures, parodies et pastiches. Les exceptions au « monopole » du droit d’auteur, notamment pédagogique (enseignement et recherche), doivent aussi bénéficier aux analyses techniques d’œuvres comme
le text-and-data-mining, aux prêts de livres numérisés par les bibliothèques. Ces exceptions au droit d’auteur devraient, selon elle, être dépourvues de protections techniques (de type DRM), à moins d’en connaître le code source ou l’interface spécifique.
En revanche, Julia Reda fait l’impasse sur la question des usages non-marchands :
« Une distinction entre usages commerciaux et non-commerciaux engendre de nouveaux problèmes dans l’environnement en ligne, plus nombreux étant les utilisateurs qui sont aussi producteurs d’œuvres ». @

Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

Fleur Pellerin portrait« Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine [LCAP, ndlr] sera présenté au premier trimestre 2015 en conseil des ministres », a promis à nouveau Fleur Pellerin (photo), ministre de la Culture et de la Communication, le 26 novembre dernier. Elle avait déjà eu l’occasion de le dire le 14 octobre, au cours de son audition par la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait l’objet de réunions interministérielles qui vont se poursuivre début 2015. Le gouvernement a encore jusqu’au 25 mars 2015, date du dernier conseil des ministres du premier trimestre, pour affiner un avant-projet de loi. Aucun texte ne circulait et n’était encore soumis à discussion au moment où nous avons publié cet article le 15 décembre dernier (une version accessible ici a été rendue publique depuis).

Vaste loi « Liberté de création, etc. » sans l’Hadopi
Promis depuis deux ans et demi, depuis que François Hollande est président de la République, le projet de loi « Création » s’est transformé au fil du temps en projet de loi à trois volets : « Liberté de création, architecture et patrimoine ». « Ce qui montre que je ne m’intéresse pas qu’à l’audiovisuel et au numérique ! », avait justifié Fleur Pellerin, comme pour rassurer le monde de la culture que ses fonctions passées de ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique (juin 2012-avril 2014) ne l’ont pas rendue « tout-numérique ».
Ce projet de loi fera-t-il pour autant l’impasse sur le numérique ? Alors que le transfert des compétences de l’Hadopi (1) vers le CSA (2) devait être inscrit dans le projet de loi « Création » sans lendemain d’Aurélie Filippetti, cette mesure est désormais oubliée par sa successeur Fleur Pellerin. D’autant que le budget de l’Hadopi pour 2015 a d’ores
et déjà été fixé par « Liberté de Création » du futur projet de loi prévoira des mesures
« numériques », notamment en faveur des artistes et interprètes qui revendiquent une meilleure rémunération dans la musique en ligne (streaming en tête). Fera-t-elle aussi la part belle aux exceptions aux droits d’auteurs ? « Nous devons travailler sur les demandes d’exception, comme (…) sur l’”exploration des données” (text and data mining)et sur les œuvres transformatives », a déclaré Fleur Pellerin le 18 novembre devant le CSPLA (3) qui dépend de son ministère, en faisant référence au mashup,
à l’hackathon ou encore à la création par hybridation numérique.

Chartes et listes noires antipiratages
Mais le sujet le plus sensible pour la ministre de la Culture et de la Communication sera le renforcement de la lutte contre le piratage sur Internet que les industries culturelles de la musique et du cinéma disent en constante augmentation. Ralliée à l’approche de « droit souple » adoptée par Mireille Imbert-Quaretta (MIQ) dans son rapport sur la lutte contre la contrefaçon en ligne, Fleur Pellerin préfèrerait favoriser l’autorégulation plutôt que d’avoir à légiférer dans un domaine aussi sensible. La loi « Liberté de création » ne devrait donc pas compléter la réponse graduée, sauf peut-être en renforçant la coopération entre l’Hadopi et les services de l’Etat.
Le premier outil que préconise le rapport MIQ consiste à faire signer aux acteurs du
Net concernés « des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ». Selon nos informations, l’élaboration de deux chartes de bonne conduite (publicité et paiement en ligne) vient de commencer dans le cadre de discussions menées à un niveau interministériel : ministère de la Culture et de la Communication, ministère de la Justice, ministère de l’Intérieur. Le Syndicat des régies Internet (SRI)
est le plus avancé en la matière car elle dispose déjà d’une « charte de qualité » qui prévoit, depuis 2013, que ses membres (Yahoo, Microsoft, Dailymotion, Orange, Lagardère Active, HiMedia, …) s’engagent à « empêcher la diffusion de messages publicitaires sur les sites coupables de manquements répétés aux droits de propriété intellectuelle ». Une troisième charte est envisagée pour les moteurs de recherche et les hébergeurs.
Le deuxième outil « antipiratage » proposé par le rapport MIQ, et que Fleur Pellerin a déjà fait sien, consiste en « une information publique sur les sites Internet qui portent massivement atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins ». En d’autres termes, il s’agit d’une « liste noire » portée à la connaissance non seulement de tous les intermédiaires techniques de l’Internet mais aussi des internautes et mobinautes eux-mêmes. Selon Mireille Imbert- Quaretta, qui est aussi la président de la commission
de protection des droits (CPD), le bras armé de l’Hadopi dans la réponse graduée,
cette blacklist permettrait de « renseigner le public, qui s’interroge parfois sur la licéité d’un site en particulier ». Tous les acteurs numériques intervenant dans l’écosystème en ligne (opérateurs télécoms, FAI, moteurs de recherche, régies et serveurs de publicités en ligne, système de e-paiement, …) devront prendre connaissance de
cette liste noire et prendre eux-mêmes les mesures qui s’imposent pour lutter contre
le piratage en ligne. « Beaucoup des propos du rapport [MIQ] me paraissent très intéressants et l’Hadopi pourra mettre certaines de ses propositions en oeuvre :
je suis en train de voir celles qui exigent des aménagements législatifs ou requièrent
un dialogue avec le ministère de la justice. L’établissement et la publication de listes noires me paraissent par exemple entrer dans le cadre des compétences de l’Hadopi », a expliqué Fleur Pellerin devant les députés le 14 octobre. Les acteurs de la publicité et du paiement en ligne se sont dits favorables à cette démarche d’autorégulation pour lutter contre la contrefaçon commerciale en ligne.
Il s’agit, dans le cadre de la directive « Commerce électronique » (4) de 2000,
d’« assécher » les ressources des sites web dits « massivement contrefaisants »
selon une approche dite « follow the money ». Mais avant de « frapper au portefeuille », les acteurs du Net demandent à ce qu’il y ait « l’intervention de l’autorité publique qui constaterait, notamment à partir d’informations fournies par les ayants droit, les atteintes et qui rendrait ses constatations publiques ». D’où l’instauration de listes noires officialisée par une autorité publique qui devrait être l’Hadopi. C’est ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis, où une « Notorious Markets List » (5) recense les sites web de contrefaçon ou de violation de droits d’auteur.
Sans légiférer, Fleur Pellerin pourrait ainsi contourner la loi « LCEN » (6), promulguée
il y a dix ans (7), laquelle prévoit une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, conformément à l’article
14 de la directive « Commerce électronique », ils sont tenus les retirer promptement.

Impliquer les intermédiaires du Net
Bien que les hébergeurs ne puissent pas être soumis à « une obligation générale de surveiller les informations » (8), ils peuvent quand même être soumis à des obligations spécifiques dès lors qu’il y a « une violation ». C’est cette brèche législative que va exploiter Fleur Pellerin pour impliquer tous les intermédiaires dans la lutte contre le piratage sur Internet. Et ce, dès 2015. Nul acteur du Net ne sera censé ignorer la liste noire ou dire qu’il ne savait pas. Mais cette publicité sur les sites web proposant musiques et films (voire livres) piratés ne risquera-t-elle pas de tenter de nouveaux internautes prêts à braver les interdits ? L’avenir nous le dira. @