La loi Hadopi – dont fut rapporteur l’actuel ministre de la Culture, Franck Riester – fête ses dix ans

Cela fait une décennie que la loi Hadopi du 12 juin 2009 a été promulguée – mais sans son volet pénal, censuré par le Conseil constitutionnel, qui sera rectifié et promulgué quatre mois plus tard. Franck Riester en fut le rapporteur à l’Assemblée nationale. Jamais une loi et une autorité n’auront été autant encensées que maudites.

Alors que le conseiller d’Etat Jean-Yves Ollier doit rendre au ministre de la Culture Franck Riester (photo), qui l’a missionné, son rapport de réflexion sur « l’organisation de la régulation » – fusion Hadopi-CSA ? – dans la perspective de la future loi sur l’audiovisuel, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) fête ses dix ans. Car il y a en effet une décennie que la loi du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » a porté cette autorité publique sur les fonts baptismaux. Cette loi, dite « Création et Internet » – ou loi « Hadopi » – a donc modifié le code de la propriété intellectuelle (CPI) pour remplacer l’ARMT (1) par l’actuelle Hadopi. Car, face à la montée du piratage sur Internet boosté par les réseaux de partage décentralisés peer-to-peer, le président de la République de l’époque – Nicolas Sarkozy – rêvait d’instaurer des radars automatiques sur Internet en s’inspirant des radars routiers qu’il avait lui-même décidé lorsqu’il était ministre l’Intérieur. Autant ces derniers, installés au nom de la sécurité routière, n’ont jamais fait l’objet d’aucun débat parlementaire (2), autant le dispositif d’infraction dans la lutte contre le piratage sur Internet a âprement été discuté au Parlement.

La tentation de Sarkozy pour des radars du Net
Comme la loi dite DADVSI (3) de 2006 ne prévoyait pas de sanction en cas de piratage, Nicolas Sarkozy, tout juste élu président de la République en mai 2007, et sa ministre de la Culture et de la Communication de l’époque, Christine Albanel, ont entrepris d’y remédier, poussés par les industries culturelles – au premier rang desquelles la musique. C’est ainsi qu’ils ont confié dès juillet 2007 à Denis Olivennes, alors PDG
de la Fnac, une « mission de lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d’œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques ». Quatre mois et quatre-vingts auditions plus tard, son rapport (4) fut remis à Nicolas Sarkozy et aboutira aux accords dits « Olivennes », « pour le développement et la protection des œuvres et des programmes culturels sur les nouveaux réseaux », appelés aussi
« accords de l’Elysée » car signés justement au Château en présence du chef de l’Etat le 23 novembre 2007.

La censure du Conseil constitutionnel
Les fournisseurs d’accès Internet (FAI) – à savoir France Télécom (devenu Orange), Iliad (maison mère de Free), Neuf Cegetel et Numéricâble (devenus SFR, aujourd’hui groupe Altice), etc. – s’étaient alors engagés auprès des ayants droit et des pouvoirs publics à « expériment[er] des technologies de filtrage des réseaux disponibles (…) et
à les déployer si les résultats s’avèr[ai]ent probants et la généralisation techniquement et financièrement réaliste » (5). Quant aux plateformes d’hébergement et de partage de contenus sur Internet, autrement dit les Google, YouTube et autres Dailymotion, ils ont promis de « généraliser à court terme les techniques efficaces de reconnaissance de contenus et de filtrage » (par empreinte numérique). Très réticents à généraliser le filtrage sur leur réseau, ce qu’exigeaient d’eux les industries culturelles, les FAI feront tout pour ne pas y donner suite. Et les plateformes numériques, elles, rappelleront que le filtrage généralisé contrevient aux directives européennes « E-commerce » de 2000 et « DADVSI » de 2001.
Nicolas Sarkozy, lui, voulait non seulement des « radars » partout sur le Net (6), mais aussi taxer les FAI pour compenser la fin de la publicité sur la télévision publique. Cela faisait beaucoup ! Le spectre du filtrage envenimera les débats au Parlement lors des premiers pas du projet de loi « Olivennes » (encore lui), dont l’arbitre sera in fine le président de la République lui-même. Quant au député (UMP puis LR) Franck Riester, artisan et farouche défenseur de cette future loi controversée « favorisant la diffusion
et la protection de la création sur Internet », il en sera nommé rapporteur à l’Assemblée nationale. Les joutes parlementaires dureront du dépôt du texte le 18 juin 2008 jusqu’à sa version finale du 12 juin 2009, après censure du Conseil constitutionnel.
La loi renvoie les expérimentations de « reconnaissance des contenus et de filtrage »
à leur évaluation par la haute autorité nouvellement instituée par cette loi « Hadopi ». La censure constitutionnelle porta, elle, sur le volet pénal adopté le 13 mai. Le texte prévoyait alors que les sanctions pour piratage – mécanismes d’avertissement et de sanction administrative pouvant aller jusqu’à la suspension de l’accès à Internet pendant une durée d’un mois à trois mois – devaient être prononcées non pas par l’autorité judiciaire (le juge) mais par la seule Hadopi et son bras armé la commission de protection des droits (CPD) – dont Franck Riester sera membre de fin 2009 à fin 2015. Dans leur décision du 10 juin 2019, les sages du Palais-Royal ont reproché au législateur d’enfreindre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, laquelle a gravé dans le marbre « la libre communication des pensées et des opinions » (article 11), et de « confier de tels pouvoirs (de sanctions) à une autorité administrative (qui n’est pas une juridiction) dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins » (7). Résultat : le Parlement a dû non seulement amender sa loi « Hadopi 1 » (8), d’où sa date du 12 juin 2009, mais en plus adopter une loi
« Hadopi 2 » (9) datée du 29 octobre de la même année instaurant « la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ». Franck Riester est là aussi rapporteur de ce nouveau volet pénal. Cette fois, l’Hadopi ne se voit plus confier de pouvoir de sanction mais une « réponse graduée » qui consiste à envoyer aux abonnés soupçonnés de piratage sur Internet jusqu’à trois avertissements pour « négligence caractérisée », à savoir pour manquement à l’obligation faite à tout abonné auprès d’un FAI de « veiller à ce que cet accès [à Internet] ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins [de piratage] ».
L’abonné qui n’aurait pas assuré la « sécurisation de son accès à Internet » est donc condamnés par le juge pénal à des amendes pouvant aller jusqu’à 1.500 euros, voire
à la suspension de son accès à Internet pour une durée maximale d’un mois (au lieu
de deux mois à un an initialement prévu). Cette coupure de l’accès, décriée, sera finalement supprimée par décret du 9 juillet 2013 à l’initiative d’Aurélie Filippetti, farouche opposante à la loi « Hadopi » devenue ministre de la Culture et de la Communication, et de la ministre de la Justice, Christiane Taubira. La fameuse contravention de cinquième classe, dite de « négligence caractérisée », fut officiellement introduite dans le CPI par un décret d’application daté 25 juin 2010.
C’est donc avec retard (10) que l’Hadopi – pourtant installée depuis le début de cette année-là – mettra en route sa « réponse graduée » avec l’aide de la toujours très discrète société nantaise TMG (11) (*) (**).

In fine, 243 condamnations depuis 2010
Les envois d’avertissements ont commencé en septembre 2010. Depuis, l’Hadopi
a expédié plus de 11,1 millions de premiers e-mails (cumul au 31 mars 2019), suivis
de plus de 1 million de deuxième avertissement, et a transmis 3.795 dossiers à
la Justice, dont 1.318 ont donné lieu à une suite pénale – pour 243 condamnations (12). Tout ça pour ça, diront certains. Il faut dire qu’en une décennie, les usages se sont déplacés des réseaux peer-to-peer – où l’Hadopi est compétente – vers le streaming qui échappe encore à ses prérogatives. @

Charles de Laubier

Sécurité des systèmes d’information et des données personnelles : nul ne peut ignorer ses responsabilités

RSI, NIS, OSE, OIV, PSC, EBIOS, RGPD, SecNumCloud, … Derrière ces acronymes du cadre réglementaire numérique, en France et en Europe, apparaissent les risques et les obligations en matière de sécurité des systèmes d’information et des traitements de données personnelles.

Par Christophe Clarenc, avocat, Cabinet DTMV & Associés

Les rapports d’activité pour 2018 publiés mi-avril (1) par, respectivement, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), le « régulateur de la sécurité numérique » en sa qualité d’autorité en charge de la cybersécurité nationale,
et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), en charge de la sécurité des traitements de données personnelles, offrent et permettent un tour d’horizon rapide des évolutions réglementaires et de l’état des responsabilités en la matière.

Une réglementation évolutive
Au plan réglementaire, on doit tout d’abord mentionner la loi n° 2018-133 du 26 février 2018, le décret 2018-384 du 23 mai 2018 et l’arrêté du 14 septembre 2018 qui sont venus assurer la transposition en France de la directive européenne du 6 juillet 2016, dite « NIS », sur la sécurité des réseaux et systèmes d’information (RSI) des
« opérateurs de services essentiels » (2) (OSE) et des grands « fournisseurs de services numériques » (3) (FSN). Cette réglementation est supervisée en France
par l’ANSSI et dans la ligne de son dispositif de protection des RSI des opérateurs d’importance vitale (OIV) (4). Elle soumet les OSE et les FSN pour la protection de leurs RSI critiques à un régime de « règles de sécurité nécessaires pour garantir un niveau de sécurité adapté au risque existant compte tenu de l’état des connaissances », et de déclaration des incidents et de contrôle.
Cette réglementation définit et prescrit pour les OSE l’ensemble des « mesures appropriées » pour tout à la fois prévenir, limiter l’impact et gérer les incidents et compromissions de sécurité. Les règles de sécurité prescrites pour les FSN sont établies dans un règlement d’exécution du 30 janvier 2018 (5). Ces règles et mesures sont définies dans cinq « domaines » : celui de la « gouvernance » des RSI concernés (6) (analyse de risque, politique de sécurité décrivant l’ensemble des procédures et
des moyens organisationnels et techniques de sécurité mis en oeuvre, homologation
et audits de sécurité, cartographie (7)) ; celui de leur « protection » (architecture, administration, identités et accès), celui de leur « défense » (détection et traitement des incidents) ; et celui de la « résilience des activités » (gestion de crise en cas d’incident de sécurité ayant un impact majeur sur la fourniture des services essentiels en cause). Ces règles établissent le champ et les mesures de référence de la protection responsable des systèmes d’information critiques.
On peut ensuite mentionner le règlement européen sur la cybersécurité (8), voté en mars 2019 par le Parlement européen, qui vient, d’une part, donner mandat permanent et compétences à l’ENISA, l’Agence européenne chargée de la sécurité des RSI (9), d’autre part, établir une cadre pour la mise en place d’un « système européen de certification de cybersécurité » pour les processus, produits et services des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce dispositif, qui pourrait devenir un ressort essentiel du « marché unique numérique », devra s’articuler avec
les compétences de souveraineté et les intérêts normatifs et industriels fondamentaux des Etats membres avancés dans ce domaine, dont la France avec l’ANSSI. Les deux chambres du Parlement français avaient émis fin 2017 alerte et réserve sur ce point.
Le dispositif prévoit que la Commission européenne proposera la liste prioritaire des processus, produits et services TIC susceptibles d’être soumis à ce système de certification et que la certification, structurée en trois « niveaux d’assurance » (élémentaire, substantiel et élevé) procédera par démarche volontaire des acteurs intéressés.

Référentiels et socle de conformité
L’ANSSI a présenté en 2018 sa méthode EBIOS Risk Manager de référence pour l’analyse des risques de sécurité numérique et l’élaboration d’un « socle de sécurité solide appliquant les référentiels pertinents vis-à-vis de l’état de l’art (10) et de la réglementation », en vue notamment d’un label de conformité pour les éditeurs de solutions logicielles de gestion des risques et de la conformité. Le « régulateur de
la sécurité numérique » s’est également intéressé spécifiquement à la sécurité des données personnelles, en faisant évoluer son référentiel SecNumCloud pour intégrer les exigences du règlement général sur la protection des données (RGPD) et en publiant pour la matière des recommandations (« commandements de base »,
« précautions élémentaires ») tirées et adaptées de son guide d’hygiène informatique. Ce référentiel SecNumCloud concerne les prestations de services d’informatique en nuage (PSIN). Il fait partie des référentiels d’exigences et de labellisation développés par l’ANSSI pour qualifier les « prestataires de services de confiance » (PSC) (11).

Incidents, risques et manquements
La Cnil a elle-même publié en 2018 un guide de sécurité des données personnelles (12), consolidant et développant ses recommandations antérieures. Elle souligne dans son rapport pour 2018 que les « mesures de précautions élémentaires » rappelées dans les recommandations de son guide et de celui de l’ANSSI permettent de prévenir ou de limiter l’impact de nombreuses violations de données personnelles et « doivent aujourd’hui être le socle minimum sur lequel toute organisation fait reposer son système d’information ». D’autant que le RGPD, entré en vigueur en mai 2018, « impose à tous les organismes qui traitent des données personnelles de mettre en place des mesures pour prévenir les violations de ces données » et de pouvoir « apporter la preuve de
leur conformité ». En effet, le RGPD place la « garantie de sécurité appropriée » des données personnelles parmi les « principes » de conformité et de responsabilité du traitement des données personnelles, avec la responsabilité de « mettre en oeuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour assurer et être en mesure de démontrer que le traitement est effectué conformément au règlement » (13). La mise en oeuvre du « socle de sécurité » recommandé aura ainsi vocation à constituer la preuve de la conformité à l’obligation de garantie de sécurité appropriée des données personnelles traitées, obligation de moyen renforcée et de moyens effectifs à l’état de l’art, en particulier dans le cadre de la notification obligatoire d’une violation de données susceptible de révéler non seulement un défaut de sécurité causal mais une politique de sécurité défaillante.
L’ANSSI rapporte la survenance en 2018 de 1.869 signalements d’événements de sécurité, dont 391 incidents (hors OIV) et 16 incidents majeurs, contre respectivement 2.435, 794 et 20 en 2017. Elle rappelle l’étendue et l’intensité constantes des menaces et des risques de cybersécurité (sabotage, déstabilisation, espionnage, captations, fraudes, etc.), en soulignant que l’espionnage est le risque qui pèse le plus fortement sur les organisations, à travers notamment des attaques indirectes exploitant des relations de confiance établies entre parties prenantes. Le rapport publié en mai 2018 par la Délégation interministérielle aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces (DMISC) sur l’état de la menace numérique en 2018 présente un tableau instructif des attaques, des fraudes et des dommages enregistrés avec le développement notamment du « crimeas- a-service » (CaaS) et souligne le risque majeur des objets connectés, à la fois cibles et vecteurs d’attaques, dont la sécurité n’est souvent pas la préoccupation principale de leurs fabricants. Il note par ailleurs que si la grande majorité des entreprises françaises sont touchées par des cyberattaques et que la France est le deuxième pays au monde le plus affecté par les vols de données personnelles, « la sécurité représente moins de 5 % du budget IT dans près de deux tiers des entreprises ». La Délégation parlementaire au renseignement a pu constater dans son rapport publié en avril 2018 que le tissu économique français « pâtit encore d’une culture de sécurité, notamment informatique, très largement déficitaire ». Pour sa part, la CNIL mentionne la poursuite en 2018 de nombreux signalements de violations de données personnelles issues de failles de sécurité et la réception entre fin mai 2018 (entrée en vigueur du RGPD) et fin décembre 2018 de 1.170 notifications de violations à la suite principalement d’atteintes à la confidentialité. De son analyse de ces notifications, elle a constaté tout d’abord que plus de 50 % des violations avaient pour cause un acte externe malveillant (principalement par piratage cyber et secondairement par vol physique) et environ 17 % un acte interne accidentel (principalement par adressage à un mauvais destinataire et secondairement par publication non volontaire). Ensuite, que ces violations mettaient « en évidence des faiblesses des systèmes d’information ou des processus mis en oeuvre au sein des entreprises ».
Tout comme en 2017, la majorité des sanctions (7 sur 10) et les montants les plus élevés de sanctions pécuniaires prononcés par la Cnil en 2018 l’ont été pour des manquements à la sécurité et à la confidentialité des données des utilisateurs ou des clients (14). Ces montants restent néanmoins limités au regard de la gravité des manquements des atteintes constatées.

Sanctions des carences ou insuffisances
La Cnil souligne que ce ne sont pas les incidents de sécurité en tant que tels qu’elle
a sanctionnés, mais les carences ou les insuffisances manifestes dans les mesures prises pour assurer la sécurité, causales dans les violations constatées y compris dans les cas d’intrusions élaborées. Les motifs de manquement et les montants de sanctions pourraient se développer fortement sur la base du RGPD, et avec une meilleure répartition entre les différentes parties prenantes à la sécurité des traitements. Il sera également instructif de suivre le traitement par la DGCCRF du signalement que lui
a adressé la Cnil en novembre 2017, dans l’affaire de la sécurisation des jouets connectés (15), au regard des « enjeux de sécurité et de conformité qui persistent
en dehors du champ d’application de la loi “Informatique et Liberté” ». @

Cinéma et VOD : la nouvelle chronologie des médias fait l’impasse sur le day-and-date et le e-cinéma

Déjà, en juillet 2009, la chronologie des médias faisait comme si Internet et le piratage en ligne n’existaient pas. Il en va encore aujourd’hui, dix ans après, depuis le nouvel accord très conservateur signé en décembre 2018 au détriment de la VOD et de la SVOD. Pire : le cinéma français ignore la simultanéité salles-VOD (day-and-date) mais aussi sur la sortie directement en VOD (e-cinéma).

La nouvelle chronologie des médias du cinéma français fait l’impasse sur deux modes de diffusion encore tabous en France, malgré leur intérêt potentiel pour les producteurs de films qui le souhaiteraient. Pour le day-and-date (ou D&D), à savoir la sortie simultanée des nouveaux films en salles et en VOD, il n’en est plus question en France depuis les tentatives du producteur et distributeur Wild Bunch avec l’ARP en 2014 à travers les projets Tide et Spide, avec l’aide du programme Media (Creative Europe) de la Commission européenne. Car la puissante Fédération nationale des cinémas français (FNCF), qui réunit la plupart des exploitants de salles obscures sous la présidence inflexible de Richard Patry (photo), fait partie de ceux qui bloquent toute idée de simultanéité salles-VOD en France.
Or pour qu’il y ait des expérimentations D&D, cela supposerait un accord interprofessionnel plus qu’improbable – déjà que la filière du 7e Art français a déjà eu du mal à accoucher d’une nouvelle chronologie des médias. Pour autant, la Commission européenne continue de soutenir les initiatives de D&D malgré « des difficultés juridiques et des résistances » – comme l’avait confirmé à Edition Multimédi@ le cabinet de la commissaire européenne à l’Economie et à la Société numériques, Mariya Gabriel.

Fenêtres de diffusion des nouveaux films incitant au piratage
Netflix réclame en vain le droit de sortir ses films et séries à la fois en salles et en SVOD, lorsqu’il n’est pas tenté de court-circuiter les salles obscures – en faisant du e-cinéma – au risque d’être exclu de la sélection du Festival de Cannes. Le e-cinéma reste justement encore la voie quasi inexplorée du ecinéma, qui consiste à sortir un film directement en VOD payante sans passer par la salle. En 2015, Wild Bunch et TF1 avait diffusé directement en ligne les films « Les enquêtes du département V : Miséricorde » et « Son of a Gun ». Mais, selon une étude de Médiamétrie à l’époque, le e-cinéma était peu connu des internautes (23 % seulement en avaient entendu parler).
Ce déficit de notoriété perdure encore aujourd’hui, et la confusion règne toujours entre e-cinéma (sans salle auparavant) et la VOD (précédée de la salle). Wild Bunch a refait un pied de nez à la chronologie des médias l’année suivante, en sortant uniquement en VOD son film « 99 Homes » – Grand Prix du dernier Festival du film américain de Deauville. Si l’ARP a levé le pied sur la simultanéité salles-VOD, elle milite désormais auprès du CNC pour pour permettre aux films agréés ne réussissant pas à rencontrer leur public en salle d’avoir une seconde chance en sortant tout de suite en e-cinéma. Or, Continuer la lecture

Cinéma et VOD : la nouvelle chronologie des médias ne fait pas l’unanimité et s’avère déjà obsolète

La nouvelle chronologie des médias, entrée en vigueur le 21 décembre 2018,
n’a pas été signée par le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVAD)
ni par le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN). De plus, elle ignore les nouveaux usages numériques de la génération « Millennials ».

L’accord sur la chronologie des médias, entré en vigueur le 21 décembre 2018, n’a pas été signé
par les deux principaux syndicats de la VOD et de l’édition de DVD/ Blu-ray. Présidés respectivement par Marc Tessier (photo de gauche), administrateur de Videofutur, et par Dominique Masseran (photo de droite), directeur général de Fox Pathé Europa, le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVAD) et le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) n’ont pas voulu cautionner une chronologie des médias déjà obsolète et favorisant le piratage.

VOD et SVOD, grandes perdantes
« La majorité des membres du SEVN est déçue par le traitement réservé à la vidéo physique et digitale, explique Dominique Masseran à Edition Multimédi@. La fenêtre vidéo est non seulement largement réduite mais elle est aussi la seule à ne pas s’avancer, ou sous des conditions de dérogation sans intérêt pour notre secteur.
Pour le SEVN, ce texte tourne le dos aux nouveaux usages et attentes du public
ainsi qu’à la lutte contre la piraterie en empêchant l’accès légal aux films lorsque l’exploitation salle est terminée ».
Dès la première réunion de signatures du 6 septembre 2018, portant sur la dernière mouture de la nouvelle chronologie des médias (1), accord qui fut entériné le 21 décembre (2), les deux syndicats avaient fait connaître leur décision de ne pas signer cet accord. « Les secteurs de la vidéo et de la VOD sont les plus exposés aux nouvelles formes de piratage, comme à la concurrence de nouveaux acteurs. Le projet d’accord n’en tient pas compte et les empêche de s’adapter pour répondre aux attentes de leur public. Au contraire, ils seraient les seuls dont la fenêtre d’exploitation serait réduite, et le délai d’ouverture resterait inchangé, à quelques exceptions près, privant ainsi la production française de ressources nouvelles sur les nouveaux supports numériques », avaient déclaré ensemble le SEVAD et le SEVN. Les deux organisations, dont ne sont pas membres ni Netflix ni Amazon Prime Video, « ne peuvent pas souscrire à une réduction de leur place dans l’économie du cinéma,
à rebours des évolutions observées dans tous les autres territoires et sur tous les nouveaux modes de diffusion ». Le SEVAD représente notamment TF1, M6, France Télévisions, Videofutur, FilmoTV ou encore UniversCiné. Le SEVN compte parmi ses membres Disney, Universal Pictures Video, Warner Home Video, Sony Picture Home Entertainment, SND (M6), TF1 Vidéo, Paramount Home Entertainment, Gaumont Vidéo, Fox Pathé Europa, ou encore Pathé Distribution. L’accord du 6 septembre 2018, entériné et entré en vigueur le 21 décembre, laisse la vidéo à la demande vendue à l’acte (en vente ou en location) dans un quasi statu quo par rapport à la précédente chronologie des médias signée il y a près de dix ans (juillet 2009). La VOD reste ainsi reléguée à quatre mois après la sortie des films dans les salles de cinéma, lesquelles gardent leur monopole sur ces quatre mois. Seule la dérogation à trois mois est étendue aux films totalisant 100.000 entrées au plus « à l’issue » de leur quatrième semaine d’exploitation en salle de cinéma.
Mais face à cette très timide avancée, la fenêtre d’exclusivité de la VOD est réduite avec l’avancement de la fenêtre de diffusion de la télévision payante telle que Canal+
et OCS qui, elle, est avancée à huit mois après la sortie du film en salle, contre dix ou douze mois dans l’accord de juillet 2009, voire à six mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois (c’est-à-dire ceux ayant réalisé 100.000 entrées au plus à l’issue de leur quatrième semaine d’exploitation en salle). Bref, la VOD est pénalisée au profit des salles de cinéma, d’un côté, et des chaînes payantes du cinéma, de l’autre. Autrement dit : les intérêts commerciaux des salles de cinéma défendues par leur Fédération nationale des cinémas français (FNCF), d’une part, et ceux de la chaîne cryptée Canal+ du groupe Vivendi/Bolloré, d’autre part, sont avantagés au détriment de la VOD. De plus, les chaînes payantes du cinéma se retrouvent aussi mieux loties que les plateformes de SVOD de type Netflix et Amazon Prime Video. Certes ces dernières avancent bien dans la chronologie des médias – de trente-six mois dans l’accord de juillet 2009 à dix-sept mois après la sortie du film en salle dans l’accord de décembre 2018.

Des fenêtres incitant au piratage
Mais cette fenêtre à dix-sept mois de la SVOD (voire quinze mois s’il y a un accord d’investissement avec le cinéma) reste largement moins avantageuse que la fenêtre de la télévision payante à huit (voire six mois), alors que ces deux services sont plus que jamais en concurrence frontale lorsqu’ils investissent tous les deux dans le cinéma. Ce deux poids-deux mesures égratigne la neutralité technologique (3). « Il semblait logique que dès la première fenêtre payante, il n’y ait plus de distinction entre un service linéaire et non linéaire, à même niveau de vertu [dans le financement des films, ndlr] », n’avaient pas manqué de relever la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la société des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (l’ARP). La nouvelle chronologie a minima signée après des années de tergiversations préserve un écosystème à bout de souffle – où la fréquentation en salle baisse pour la deuxième année (4) – et un financement du cinéma français d’un autre âge. Déjà en juillet 2009, l’accord faisait comme si Internet et le piratage en ligne n’existaient pas.

Quid du day-and-date et du e-cinéma ?
Encore aujourd’hui, en décembre 2018, l’accord ne prend pas suffisamment en compte l’usage de la VOD et de la SVOD. En les reléguant respectivement à quatre et à dixsept mois après la sortie des nouveaux films en salle, la chronologie des médias va continuer à générer de la frustration chez les internautes et les mobinautes. Condamner les « Millennials » à ne pas pouvoir regarder rapidement sur leur smartphone, leur ordinateur ou leur tablette le dernier film dont tout le monde parle, c’est pousser certains d’entre eux à aller le chercher tout de suite sur des sites de piratage.
En outre, cet accord fait l’impasse non seulement sur la simultanéité salles-VOD (day-and-date) mais aussi sur la sortie directement en VOD (e-cinéma), deux modes de diffusion encore tabous en France malgré leur intérêt potentiel pour les producteurs de films qui le souhaiteraient. Pour le day-and-date (ou D&D), à savoir la sortie simultanée des nouveaux films en salles et en VOD, il n’en est plus question en France depuis les tentatives du producteur et distributeur Wild Bunch avec l’ARP en 2014 à travers les projets Tide et Spide, avec l’aide du programme Media (Creative Europe) de la Commission européenne. Mais la puissante FNCF, qui réunit la plupart des exploitants de salles obscures, bloque toute idée de simultanéité salles- VOD en France (5).
Et pour qu’il y ait des expérimentations D&D, cela supposerait un accord interprofessionnel plus qu’improbable – déjà que la filière du 7e Art français a déjà eu du mal à accoucher d’une nouvelle chronologie des médias très conservatrice. Pour autant, la Commission européenne continue de soutenir les initiatives de D&D malgré
« des difficultés juridiques et des résistances » – comme l’avait confirmé à Edition Multimédi@ le cabinet de la commissaire européenne à l’Economie et à la Société numériques, Mariya Gabriel (6), dans le cadre de son action « Promotion des oeuvres européennes en ligne » (7). Les premières expérimentations en Europe avaient d’ailleurs fait l’objet d’un bilan encourageant mais insuffisant, dressé en 2015 par le chercheur Thomas Paris (8). Depuis, il n’y a que Netflix pour réclamer en vain le droit de sortir ses films et séries à la fois en salles et en SVOD, lorsqu’il n’est pas tenté de court-circuiter les salles obscures (en faisant du e-cinéma) au risque d’être exclu de la sélection du Festival de Cannes (9). Présidé par Pierre Lescure, Le Festival de Cannes a décidé de ne sélectionner pour la Palme d’or que des films sortant en salles. Le numéro un mondial de la VOD par abonnement n’a pas franchi le Rubicon sur l’Hexagone avec son tout dernier long métrage « Roma » : récompensé au Lion d’Or du Festival de Venise, il est sorti dans des salles de cinéma dans le monde, mais pas en France, ainsi que sur sa plateforme de SVOD depuis le 14 décembre dernier. Reste à savoir si Festival de Venise s’alignera en 2019 sur la position controversée du Festival de Cannes, alors que l’Italie prépare un décret « anti- Netflix » obligeant un film de sortir d’abord par la salle avant d’être proposé en ligne au bout de 105 jours (60 jours pour les films peu distribués et attirant peu de spectateurs). Ces contraintes chronologiques ne changent presque rien pour Netflix, qui continuera à diffuser sans délai et en exclusivité ses propres productions auprès de ses abonnés. « Les films doivent être montrés sur grand écran, en particulier “The Irishman” [du réalisateur américain Martin Scorsese, ndlr]. Mais la contradiction, c’est que l’argent que nous avons eu la chance de trouver vient d’un réseau [Netflix] », a fait remarquer l’acteur Robert de Niro lors du Festival de Marrakech début décembre.
En France, il reste encore la voie quasi inexplorée du ecinéma, qui consiste à sortir un film directement en VOD payante sans passer par la salle. En 2015, Wild Bunch et TF1 avait diffusé directement en ligne les films « Les enquêtes du département V : Miséricorde » et « Son of a Gun ». Mais, selon une étude de Médiamétrie à l’époque, le e-cinéma était peu connu des internautes (23 % seulement en avaient entendu parler). Ce déficit de notoriété perdure encore aujourd’hui, et la confusion règne toujours entre e-cinéma (sans salle auparavant) et la VOD (précédée de la salle). Wild Bunch a refait un pied de nez à la chronologie des médias l’année suivante, en sortant uniquement en VOD son film « 99 Homes » – Grand Prix du dernier Festival du film américain de Deauville (10).

L’ARP milite pour le e-cinéma
Si l’ARP a levé le pied sur le D&D, elle milite désormais auprès du CNC pour permettre aux films agréés ne réussissant pas à rencontrer leur public en salle d’avoir une seconde chance en sortant tout de suite en e-cinéma. Or, pour ne pas être en
« infraction » avec la chronologie des médias, ce film devrait néanmoins effectuer une
« sortie technique » d’un ou plusieurs jours en salles avant d’être proposé aussitôt en VOD – sans devoir attendre la fin des quatre mois d’exclusivité de la salle justement. Des réunions ont eu lieu à ce sujet au CNC. @

Charles de Laubier

Les priorités 2019 du nouveau président du CSPLA

En fait. Le 21 janvier prochain se réunira le prochain « trilogue » de négociation sur le projet de directive européenne « Droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Pendant ce temps-là, le nouveau président du CSPLA, Olivier Japiot, a fixé les priorités de son mandat de trois ans.

En clair. Edition Multimédi@ a demandé ses priorités pour l’année 2019 à Olivier Japiot, conseiller d’Etat nommé le 28 novembre dernier – par arrêté de la ministre de
la Justice et du ministre de la Culture (publié au JO du 4 décembre) – président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). « En principe, devraient être présentés à la réunion plénière du printemps prochain les trois rapports suivants : “Ventes passives” [c’est-à-dire les ventes non sollicitées par le vendeur de contenus audiovisuels à l’échelle transfrontière au sein du marché unique numérique, ndlr], “Preuve de l’originalité” [d’une oeuvre pour justifier de sa protection légale, y compris sur Internet, ndlr], “Intelligence artificielle” [dans les secteurs de la création culturelle, notamment lorsque l’IA se substitue à l’humain, ndlr] », nous at- il répondu. Quant à la mission que son prédécesseur, Pierre- François Racine, lui avait confiée
il y a tout juste un an sur l’impression 3D, elle devrait déboucher au cours de ce 1er semestre 2019 sur l’adoption d’« une charte de bonnes pratiques dans le domaine de l’art ». Cette mission-là a déjà le rapport qu’Olivier Japiot lui-même avait rendu au CSPLA en juin 2016 et intitulé « L’impression 3D et le droit d’auteur : des menaces à prévenir, des opportunités à saisir ». Il y préconisait justement d’« établir une charte des bonnes pratiques afin notamment de les inciter à afficher systématiquement un appel pédagogique au respect de la propriété intellectuelle » pour prévenir du piratage,
« principalement sur les oeuvres d’art plastique » (1). La charte « Impression 3D », établie avec Vincent Ploquin-Duchefdelaville, a pris du retard car elle devait être proposée le 31 juillet dernier (2). Concernant l’IA, le rapport d’Alexandra Bensamoun
et de Joëlle Farchy lui sera remis fin avril. Le rapport sur la preuve de l’originalité, par Josée-Anne Bénazeraf et Valérie Berthez, est attendu pour fin mars. Celui sur les ventes passives devait être remis à l’automne dernier. Le CSPLA a déjà publié de nombreux rapports (blockchain, licences libres, données et contenus numériques, etc.). « Nous proposerons des coopérations sur des sujets d’intérêt commun, notamment en matière d’études et de manifestations, à des partenaires (…) tels que l’Hadopi, le CNAC (3), le Conseil national du numérique et l’INPI (4) », a aussi écrit Olivier Japiot dans un courrier (5) adressé aux membres du CSPLA le 14 décembre. @