Lutte contre les pirates du Net : musique et cinéma ont déposé quatre dossiers « TMG » auprès de la CNIL

Quatre organismes de la musique et du cinéma, réunis en « consortium » (Alpa, SCPP, Sacem et SPPF), demandent à la CNIL, laquelle a deux mois pour leur répondre, des autorisations d’utiliser les « radars » de TMG pour tenter de prendre des internautes en flagrant délit de piratage des oeuvres.

Nicolas Seydoux, président de l’Alpa

La société française Trident Media Guard (TMG) basée à Nantes pourra-t-elle être autorisée, d’ici cet été, à surveiller les téléchargement sur Internet ou les réseaux peer-to-peer et à collecter – pour la Haute autorité pour la diffusion des œuvres
et pour la protection des droits sur Internet (Hadopi) – les adresses IP des internautes pirates pris en flagrant délit de contrefaçon numérique ? La réponse dépend maintenant de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a deux mois pour rendre, d’ici au 21 juin, jour de la Fête de la musique, son avis sur le dispositif de
« radars » sur le Net que TMG doit mettre en oeuvre pour le compte de quatre organisations réunies au sein d’un  « consortium informel », chacune étant habilitée
à saisir l’Hadopi. Ce sont l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa),
la Société des auteurs, compositeurs  et éditeurs de musique (Sacem), la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF). Selon nos informations, elles ont en effet chacune envoyé leur « dossier miroir » à la CNIL, c’est-à- dire un dossier identique – mais personnalisé – de « demande d’autorisation » pour pouvoir utiliser la plateforme d’observation et de détection des téléchargements illicites, ainsi que d’identification des adresses IP des pirates du Net. « Les dossiers [de demande d’autorisation] viennent d’être adressés à la CNIL, qui a normalement deux mois pour répondre », indique
Marc Guez, directeur général de la SCPP, à Edition Multimédi@.
La société civile de gestion des droits d’auteurs de musiques – présidée par Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France (filiale de la première major du disque dans le monde) – a en effet signé sa demande jeudi 15 avril et expédié le dossier à la CNIL le lendemain. De son côté, Jérôme Roger, directeur général de la SPPF, nous confirme également avoir signé et envoyé sa demande le lundi 19 avril. De même que la Sacem.

L’Alpa au cœur du dispositif
Quant à l’Alpa, elle a fait parallèlement la même démarche auprès de la Cnil. Contacté, Frédéric Delacroix, le délégué général de l’Alpa – association créée il y a 25 ans cette année et présidée depuis maintenant huit ans par le producteur de films Nicolas Seydoux, patron de la major du cinéma Gaumont – n’a pas souhaité nous indiquer la date précise d’envoi de son dossier. Il s’agirait du 19 avril également. Au cœur du dispositif vis-à-vis de l’Hadopi, l’Alpa regroupe une trentaine de membres aussi variés que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), alias le ministère de la Culture et de la Communication, la Société des auteurs et compositeurs dramaturges (SACD), l’Association des producteurs de cinéma (APC) ou encore la Sacem et sa SDRM (1). Association née en 1985 à l’initiative du ministère de la Culture de l’époque et toujours très proche de la rue de Valois (2), l’Alpa va jouer pour le « consortium »
un rôle central dans la collaboration à la riposte graduée. Elle espère ainsi pouvoir être l’interlocutrice incontournable de l’Hadopi et bénéficier pleinement de la plateforme
d’« observation » de TMG. Créée en 2002, cette start-up nantaise (ex-Mediaguard) compte parmi ses actionnaires et administrateurs l’acteur- producteur Thierry Lhermitte, présent dans le capital depuis juin 2009 à hauteur de 50.000 euros au côté du fonds d’investissement Ouest Ventures de la société rennaise Grand Ouest Gestion. Spécialisée dans des « solutions pour contrer les téléchargements pirates sur les réseaux peer-to-peer » pour le compte des maisons de disques et les producteurs de films, TMG a été préférée fin 2009 à Advestigo à l’issue d’un appel d’offres lancé fin 2008 par le « consortium » avec l’aval du gouvernement. Cette dernière, également société française créée en 2002 mais basée à Saint-Cloud, avait pourtant non seulement déjà comme clients l’Alpa et Gaumont, côté cinéma, la Sacem, la SCPP
ou encore la SPPF, côté musique, mais elle avait aussi remporté l’appel d’offres
« musical » 
il y a cinq ans. Est-ce l’administrateur Thierry Lhermitte qui a fait pencher
la balance en faveur de la société nantaise ? Ou est-ce le moindre risque d’erreurs et d’intrusions de 
la technologie brevetée de TMG qui l’a emporté ? Quoi qu’il en soit, le choix a été ensuite officialisé fin janvier dernier, lors du Midem. Ironie de l’histoire, les demandes d’autorisation que les quatre organisations des industries culturelles soumettent à la CNIL interviennent cinq ans après la première demande effectuée par trois d’entre elles auprès de cette même autorité présidée par le sénateur Alex Türk.
La SCPP, la Sacem/SDRM et la 
SPPF avaient déposé une première demande en 2005 pour un outil de détection des internautes téléchargeant illégalement de la musique
sur les réseaux peer-to-peer. L’Autorité administrative indépendante, qui considère l’adresse IP comme étant une donnée à caractère personnel, avait pris son temps avant d’y opposer une fin de non recevoir en octobre de la même année. Mais sa décision fut aussitôt contestée devant 
le Conseil d’Etat, lequel l’avait ensuite annulé
en mai 2007. Les sociétés de gestion des droits musicaux avaient finalement pu lancer leurs radars automatiques sur le Net pour suivre à la trace 10.000 morceaux de musique, en vue de relever plusieurs dizaines de milliers d’infractions par jour ! Mais la politisation de la lutte contre le piratage (mission Olivennes) et le projet de loi Hadopi qui s’en est suivi ont quelque peu freiné l’élan des industries culturelles. Cette fois,
en déposant leurs dossiers – qui sont en fait des 
« autorisations complémentaires » pour les trois organisations de la musique et une « première demande » pour l’Alpa –, l’objectif est encore plus délicat et sensible, au regard du respect de la vie privée,
de la protection des données personnelles et des libertés fondamentales. La CNIL a maintenant moins de deux mois devant elle, mais pourrait prolonger sa réflexion en demandant aux intéressés des informations complémentaires. Mais la pression politique et législative est forte…

Deux décrets et quatre dossiers sensibles
Avec la technologie TMG, il s’agit de s’infiltrer sur les réseaux peer-to-peer avec l’objectif de « flasher » les fraudeurs en ligne en les amenant à télécharger des fichiers musicaux ou cinématographiques protégés par les droits d’auteur mais banalisés et surveillés à distance (autrement dit, des sortes de « leurres »), puis, une fois les contrevenants pris au piège, à transmettre leurs adresses IP à l’Hadopi. Et ce, dans
le cadre du « traitement automatisé de données à caractère personnel » qui a été officialisé le 7 mars dernier (lire EM@9 p. 3) et qui doit permettre à la Commission de protection des droits de l’Hadopi de collecter auprès de ses organismes représentant les ayants droit les pseudonyme et adresse IP – y compris le protocole peer-to-peer utilisé – de chaque abonné incriminé.
De la décision de la CNIL (3), qui doit aussi rendre un avis sur le projet de décret précisant la procédure de sanction à suivre par l’Hadopi (coupure de l’abonnement par décision du juge), dépendra le lancement de la traque en ligne aux infractions à la propriété intellectuelle. @