La disparition prochaine de Vivendi signe l’échec de la stratégie de synergies d’Arnaud de Puyfontaine

C’est un échec pour Arnaud de Puyfontaine, bras droit de Vincent Bolloré et stratège des synergies au sein de Vivendi. La convergence entre les métiers d’édition, de publicité et de médias n’a pas porté ses fruits, ni au sein du conglomérat ni en Bourse. L’éclatement de ses activités met fin à l’aventure Vivendi.

Avec Vincent Bolloré, ce n’est pas « Veni, vidi, vici » (le « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu » cher à Jules César), mais plutôt « Veni, vidi, vixi » qui, en paraphrasant Victor Hugo, pourrait devenir « Vivendi est venu, Vivendi a vu, Vivendi a vécu ». Après plus de quinze ans de valorisation boursière décevante, et malgré la scission en septembre 2021 d’Universal Music, qui était soi-disant « l’arbre qui cachait la forêt », le président du directoire de Vivendi (« la forêt »…), Arnaud de Puyfontaine (photo), a échoué à faire un groupe intégré de la maison mère de Canal+/StudioCanal, d’Editis (deuxième français de l’édition revendu en juin 2023 à Daniel Kretinsky pour pouvoir racheter le numéro un de l’édition Hachette), du groupe de presse Prisma Media et du publicitaire Havas. Dix ans après la prise de contrôle de Vivendi par Vincent Bolloré, ce dernier a décidé de façon radicale d’envisager le démembrement du groupe de l’avenue de Friedland (où est basé le siège social du conglomérat depuis l’époque de Jean-Marie Messier). Ni son fils Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi ni Arnaud de Puyfontaine lui-même ne sont à l’origine de ce revirement stratégique.

Vivendi ne sera pas le « Disney européen » rêvé par Vincent Bolloré
Passée la surprise générale, les actionnaires en sauront plus sur ce projet de split lors de la présentation des résultats annuels 2023 prévue le 7 mars prochain. Pourtant, lors de la finalisation du « rapprochement » entre Vivendi et Lagardère le 21 novembre dernier – il y a à peine 55 jours ! –, le groupe de Vincent Bolloré se « réjoui[ssait] » encore : « Cette opération lui confère une toute nouvelle dimension en confortant ses positions d’acteur majeur de la culture, des médias et du divertissement, et en devenant un leader mondial de l’édition, du travel retail et des expériences ». Ce qui allait dans le sens de la stratégie de convergence des contenus que s’échinait à mettre en oeuvre Arnaud de Puyfontaine (« ADP ») depuis 2014 pour tenter de concrétiser le rêve de son principal actionnaire Bolloré de faire du conglomérat multimédia un « Disney européen ». Il y a un peu plus de deux ans, le bras droit de Bolloré faisait sien ce rêve synergique, après un premier échec retentissant de Vivendi en 2016 dans le projet avorté de « Netflix latin » envisagé un temps avec le groupe italien Mediaset, appartenant à Sylvio Berlusconi via sa Continuer la lecture

Sorti en 2020 de la galaxie News Corp, en désaccord avec son père, James Murdoch n’a pas dit son dernier mot

Le 15 novembre 2023, lors de la prochain AG du groupe de médias News Corp, l’aîné des deux fils Murdoch, Lachlan (52 ans), en deviendra président – succédant à son père Rupert Murdoch. Le cadet, James (50 ans), n’est plus dans l’organigramme de la galaxie News Corp depuis juillet 2020. Qu’est-il devenu ?

James Murdoch (photo) avait démissionné le 31 juillet 2020 du conseil d’administration de News Corp, le groupe fondé quarante plus tôt par son père Rupert Murdoch, magnat des médias, à la tête du plus grand empire de presse et de télévision. « Ma démission est due à des désaccords sur certains contenus éditoriaux publiés par les organes de presse de la société et certaines autres décisions stratégiques », avait justifié le fils cadet du milliardaire australo américain dans sa letter of resignation. Réputé bien moins conservateur que son père et que son frère ennemi Lachlan, James Murdoch avait déjà exprimé son opposition à la ligne éditoriale très à droite des médias du groupe. Pourtant pressenti un temps comme l’héritier naturel de la firme, il avait ainsi quitté la galaxie médiatique de son père qui comprend des journaux renommés tel qu’en Grande-Bretagne The Times, The Sunday Times ou The Sun ainsi qu’aux Etats-Unis The Wall Street Journal, et des tabloïdes en Australie The Daily Telegraph, Herald Sun ou encore The Courier-Mail. La compagnie « Murdoch » englobe aussi le groupe de télévision Fox Corporation, qui est issue de la séparation de 21st Century Fox d’avec News Corp en mars 2019. Et ce, lorsque Rupert Murdoch a cédé à Disney les studios de cinéma et certaines télévisions de la 21st Century Fox, dont James Murdoch avait été le directeur général de juillet 2015 à mars 2019.

James, frère ennemi de Lachlan
Parallèlement, James Murdoch avait aussi été président de la filiale britannique Sky, de janvier 2016 jusqu’à la vente de ce bouquet de télévisions payantes à Comcast en octobre 2018. Lors de la séparation en 2019 des activités audiovisuelles – délestées des studios 20th Century Studios et d’une partie des chaînes de l’ex21st Century Fox vendus à Disney, y compris ses parts dans la plateforme de streaming Hulu – a été créé le groupe de télévision Fox Corporation (éditeur des chaînes Fox News (pro-Trump), Fox Sports ou encore Fox Business restées dans le giron « Murdoch ». L’aîné Lachlan Murdoch continuera à diriger Fox Corporation, qui s’est emparé en 2020 de la plateforme de streaming Tubi, tout en devenant président de News Corp à partir de mi-novembre à l’occasion des deux assemblées générales des actionnaires des deux groupes. Celle de Fox Corporation sera le 17 novembre.

Lupa Systems, un fonds milliardaire
Ce n’est pas la première fois que la galaxie « Murdoch » optait pour la stratégie du spin-off. En 2013 déjà, le conglomérat News Corporation avait été coupé en deux entités, cotées en Bourse : d’une côté la presse et l’édition logées dans le nouveau News Corp, et, de l’autre, la télévision et le cinéma dans 21st Century Fox. Rupert Murdoch avait pris la décision de cette première scission il y a dix ans à la suite du scandale d’espionnage téléphonique de personnalités par le tabloïd britannique News of the World, fermé depuis juillet 2011 (1), qu’éditait la filiale britannique News International présidée de 2007 à 2012 par le fils James – dont la responsabilité fut reconnue avec celle de son père dans ce scandale (2). Ce premier spin-off s’était surtout fait sur fond d’échecs numériques de l’ex-News Corporation (3).
Pour le patriarche Rupert Murdoch (92 ans aujourd’hui), le digital n’a jamais été sont fort. Son benjamin James, entré dans le groupe paternel en 1997, avait bien tenté de l’intéresser au Web. Mais l’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’avait pas facilité la tâche. Le magnat des médias essuiera à l’époque les plâtres : MySpace, le réseau social chèrement acquis en 2005 par le magnat, a été disqualifié par Facebook ; The Daily, le quotidien lancé en 2011 pour les tablettes iPad, fut un échec coûteux ; Hulu, la plateforme pionnière de la VOD en streaming cocréée en 2007 par AOL, NBC Universal, Yahoo et Myspace, est mis en échec par Netflix. News Corp cèdera finalement à Disney en 2019 sa participation de 30 % dans Hulu que détenait sa filiale 21st Century Fox – dont James Murdoch était alors encore directeur général.
Cela fait maintenant quatre ans et demi que James (50 ans) a pris ses distances avec les affaires de son pater familias. Il est à la tête d’une société d’investissement qu’il a créée en mars 2019 et baptisée Lupa Systems. James Murdoch l’a financée en partie avec les 2 milliards de dollars qu’il a reçus sur le total des 71,3 milliards de dollars payés par Disney pour s’emparer de 21st Century Fox. Chacun des six enfants du nonagénaire (Prudence, Elisabeth, Lachlan, James, Grace et Chloe), issus de quatre mariages, avait reçu le même pactole. Aujourd’hui, la succession à venir du « président émérite » milliardaire s’annonce déjà comme une guerre fratricide. Pour l’heure, le trust familial Cruden Financial Services – basé aux Nevada – est contrôlé par « huit voix », dont quatre voix de Rupert Murdoch et une voix de chacun des quatre aînés de la fratrie (les deux autres héritières Grace et Chloe n’ayant pas de droit de vote). James Murdoch détient donc toujours une voix du trustee mais il se tient à l’écart, loin de son frère Lachlan – les deux se détestent. Mais le cadet n’a pas dit son dernier mot, d’après le journaliste américain Michael Wolff qui vient de publier « The Fall. The End of Fox News and the Murdoch Dynasty » le 26 septembre aux éditions Henry Holt and Co/Macmillan (4). Car James Murdoch reste passionné de médias, mais aussi de technologies.
Lupa Systems est une société d’investissement newyorkaise présente aussi en Inde, à Bombay. Elle s’est alliée avec un incubateur de start-up Betaworks, fondé par un ancien dirigeant d’AOL et de Time Warner, John Borthwick. Ce « start-up studio » basé à New-York accompagne de jeunes pousses spécialisées dans l’intelligence artificielle (AI en anglais), l’intelligence augmentée (IA), les grands modèles de langage (LLM), le traitement automatique du langage naturel (NLP), les « rails » web3 (développement d’applications décentralisées pouvant interagir avec la blockchain) ou encore l’apprentissage automatique (ML). Lupa Systems et Betaworks ont créé Betalab Camp, dont la vocation est « la protection de la vie privée et les startup en amorçage visant à réparer Internet » (5). Y sont incubés Blockchain.art, International Persuasion Machines, Nth Party, Readocracy, Synthetaic et Rownd. James Murdoch veut aussi lutter contre les fake news sur Internet. Dans le Web3, Lupa Systems fait partie du tour de table d’Authentic Artists, qui a développé une IA générative de musique pour la plateforme d’artistes WarpSound et pour les métavers comme Meebits (6), ainsi qu’une collection de musique NFT sur OpenSea. James Murdoch avait aussi injecté de l’argent dans un pionnier de la réalité virtuel, The Void, repris en 2021 par Hyper Reality Partners.
Lupa Systems détient depuis 2019 la majorité du capital de Tribeca Enterprises, plateforme orientée artistes, cofondée en 2003 par Robert De Niro et organisatrice du Tribeca Festival. L’éditeur américain de bandes dessinées Artists Writers & Artisans (AWA Studios) compte aussi Lupa Systems parmi ses actionnaires. Dans les médias, James Murdoch a participé en 2021 à une levée de fonds du média social français Brut. Il a aussi investi dans Vice Media, un groupe américain de médias numériques et audiovisuels, qui a été racheté en juin après avoir fait faillite (lire p. 3).

James, le plus actif de la fratrie Murdoch
Par ailleurs, James Murdoch a créé la fondation Quadrivium pour mettre les technologies au service de la démocratie, contre l’« illibéralisme high-tech » (7), ou encore pour lutter contre les changements climatiques. Et en Inde, James Murdoch s’est associé avec Uday Shankar (ex-patron de Disney en Asie-Pacifique) pour mettre en place en 2021 le fonds Bodhi Tree System afin d’investir dans des startup asiatiques. James est sans doute le plus actif de la fratrie Murdoch. @

Charles de Laubier