Deux ans après la nomination de Christel Heydemann à la tête du groupe Orange, l’heure est au premier bilan

Il y a un an, Christel Heydemann présentait son plan stratégique à horizon 2025 baptisé « Lead the future », en tant que directrice générale du groupe Orange – poste auquel elle a été nommée il y a deux ans. Malgré une rentabilité en hausse, la participation et l’intéressement pour les plus de 127.000 salariés déçoivent.

Orange reste très rentable, avec un bénéfice net de près de 3 milliards d’euros en 2023 – 2.892 millions d’euros précisément, en croissance de 10,5 % sur un an. Depuis l’annonce le 15 février de ses résultats financiers annuels, « en ligne avec le plan Lead the Future » que sa directrice générale Christel Heydemann (photo) a présenté il y a un an, le cours de l’action en Bourse a quelque peu frémi à la hausse (passant de 10,63 euros la veille à 10,90 euros le 20 février). Mais, depuis, le prix du titre n’a cessé de piquer du nez, à 10,51 euros au 7 mars. Et la capitalisation boursière de ce groupe du CAC40 ne dépasse pas les 30 milliards d’euros (27,9 milliards au 08-03-24), alors qu’elle a connu des jours meilleurs par le passé. Le groupe au carré orange – et aux 127.109 salariés dans le monde (au 31-12- 23), dont 73.000 en France – a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,8 % sur un an, à 44,1 milliards d’euros. Christel Heydemann a envoyé à tous les employés d’Orange un e-mail pour les remercier « chaleureusement » de « [leur] professionnalisme et [leur] engagement de tous les instants ». Et ? « Très logiquement, les personnels du groupe en France s’attendent donc à bénéficier d’une participation et d’un intéressement correspondant aux succès annoncés. Il n’en est rien.

Les syndicats d’Orange mécontents
Tout au contraire, la participation et l’intéressement qui seront versés à chaque collaborateur en 2024 accusent une baisse moyenne de 10 %, une première chez Orange », regrette le premier syndicat de l’entreprise, CFE-CGC. Cette baisse de 10 % en moyenne de la participation et de l’intéressement est à rapprocher de l’inflation – donc de la perte du pouvoir d’achat – qui a été d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022. « La claque ! », dénonce la Confédération générale des cadres, qui demande au conseil d’administration « la distribution d’un intéressement supplémentaire pour tous les personnels du groupe en France ». Cette déception du côté des personnels et des syndicats est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment où le gouvernement – le ministère de l’Economie et des Finances (Bercy) en tête – incite à plus de partage de la valeur dans les entreprises au profit de leurs salariés. « Au conseil d’administration d’Orange, les représentants de Bercy [l’Etat détenant près de 23 % du capital du groupe et près de 29 % des droits de vote (1), ndlr] préfèrent Continuer la lecture

Le nouveau plan stratégique d’Orange vise 2025 ; beaucoup attendaient une vision « humaine » à 2030

Après le plan « Engage 2025 » de l’ancien PDG d’Orange, Stéphane Richard, Orange va devoir se contenter d’un nouveau plan stratégique à horizon… 2025, baptisé « Lead the future », que Christel Heydemann, la DG du groupe, a présenté le 16 février. Au programme : recentrage et économies, sur fond de baisse des effectifs.

Certaines mauvaises langues diront que la feuille de route à horizon 2025, présentée par Christel Heydemann (photo) le 16 février à l’occasion de la publication des résultats annuels d’Orange dont elle directrice générale depuis le 4 avril 2022, est plus un « plan comptable » qu’un « plan stratégique ». Chez les syndicats, c’est la déception à tous les étages. « Les salariés du groupe attendaient beaucoup de cette annonce pour se projeter dans l’avenir. Orange a besoin d’un vrai projet industriel ambitieux et non de la poursuite d’une politique de gestion par l’optimisation des coûts engagée depuis plusieurs années et qui a accéléré la casse des compé- tences clefs », regrette le syndicat CFDT.
Recentrage de l’opérateur télécoms et économies drastiques : telles sont les deux priorités qu’assigne la nouvelle direction d’Orange aux 130.307 salariés du groupe, dont 28 % sont des agents fonctionnaires. Rappelons que l’Etat (1) détient toujours 22,95 % du capital de l’entreprise et 29,25 % des droits de vote, tout en ayant trois administrateurs sur les quatorze membres du conseil d’administration présidé par Jacques Aschenbroich. Et comme un plan peut en cacher un autre : « Lead the future » est doublé de « Scale up », un remède de cheval financier concocté par Stéphane Richard lorsqu’il était PDG et administré à Orange depuis 2019 pour faire 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Nous y sommes.

Atteindre 1,6 milliard d’économies cumulées d’ici à 2025
Mais, alors que le groupe Orange s’est déjà serré la ceinture pour dégager 700 millions d’euros d’économies cumulées de 2019 à fin 2022, Christel Heydemann en remet une couche sans même attendre cette année le 1 milliard. D’ici 2025, son plan « Lead the future » ajoute en plus 600 millions d’euros de réduction de coûts à réaliser « d’ici 2025 ». Si l’inflation devait se calmer, ce nouvel objectif pourrait être atteint avant cette échéance, comme cela aurait pu être le cas pour le 1 milliard. « Hors coûts additionnels liés à l’inflation, le groupe aurait atteint avec un an d’avance l’objectif d’économies nettes de 1 milliard d’euros », a expliqué la direction le 16 février. Et de détailler les baisses de charges déjà réalisées : « Ces économies résultent principalement de l’évolution des effectifs liée à l’attrition naturelle [comprenez les départs en retraite, les licenciements ou les démissions, ndlr] mais aussi aux accords de temps partiel seniors et à la politique salariale stricte du groupe, ainsi qu’à des efforts continus d’optimisation et de rationalisation, principalement dans les activités du siège et les fonctions support ».

En dix ans : 23,5 % d’effectifs en moins
La masse salariale est en première ligne. Selon les données collectées par Edition Multimédi@, les effectifs d’Orange ont diminué de 5.636 salariés entre 2018 et 2022, soit une baisse de plus de 4,1 % pour se situer aux 130.307 personnes évoquées plus haut à la date du 31 décembre 2022 (2). L’année 2023 verra Orange passer pour la première fois sous la barre des 130.000 salariés. En dix ans, Orange s’est délesté de plus de 40.000 em- ployés par rapport aux 170.531 de 2012 (-23,5 %). Mais si l’on regarde sur les vingt dernières années, l’ex-France Télécom a vu fondre ses effectifs de… 107.900 employés (-45,3 %). Et ce, par rapport au pic de 237.900 atteint au 31 décembre 2002 lorsque le PDG du groupe était un certain Thierry Breton (3). Lui succèdera en février 2005 Didier Lombard qui, après la vague de suicides durant son mandat, sera condamné en 2019 pour « harcèlement moral institutionnel » – ce que confirmera définitivement la cour d’appel de Paris le 30 septembre dernier (4).
« La première richesse d’Orange que sont les personnels a été oubliée… Regrettable », pointe le syndicat CFE-CGC. Même ressenti du côté de Force Ouvrière (FO Com) : « Pas de futur pour Orange sans son personnel au cœur ! Il ne peut y avoir de performance économique sans performance sociale, et nous ne voyons aucun élément social dans cette stratégie ». La CGT, elle, « estime que la situation est inquiétante, et le constate tous les jours sur les lieux de travail ; ceci explique probablement le blackout des résultats du baromètre social par la direction ce qui rappelle les heures sombres vécues par les salariés dans les années 2000 ». Elle fait référence à ce qu’Orange appelle aussi le « baromètre salarié », une enquête que la direction s’était engagée à réaliser chaque année pour lui permettre de « mesurer la perception de la qualité de vie au travail et l’adhésion du personnel à la mise en œuvre du plan stratégique » (à l’époque le plan « Engage 2025 » de Stéphane Richard). Or le groupe, qui ne nous a pas répondu sur ce point, précise dans son dernier rapport d’activité qu’« en 2021, l’enquête a cependant été décalée à 2022 ». Nous sommes en 2023, et toujours pas de baromètre salarié en vue depuis celui de 2020 (5). Le thermomètre social montrerait-il une poussée de fièvre inquiétante ? « La sous-traitance à outrance dégrade la fourniture des services d’Orange », dénonce la CFE-CGC. « Nous réaffirmons notre opposition à une politique de filialisation et de sous-traitance à outrance », abonde FO. « Derrière ces annonces se cachent une filialisation à outrance des activités et des infrastructures et encore plus de sous-traitance dans la gestion du réseau », déplore aussi la CGT.
Le rapport annuel d’Orange indique que « le recours à la sous-traitance concerne 32.221 effectifs équivalent temps plein à fin décembre 2021 », soit plus de 30 % de effectifs d’Orange en France, pour un montant total annuel dépassant pour la première fois les 3 milliards d’euros. Outre la sous-traitance, il y a la filialisation comme avec le « projet Libellule », comme l’appelle la direction d’Orange, qui consiste à « accompagner » les salariés des 323 boutiques du réseau physique de distribution – les « agences de distribution » dont Orange est proprié- taire – vers les 220 boutiques de la filiale Générale de Téléphone (GDT) détenue à 100 %. Les syndicats craignent à terme une « filialisation des salariés » de l’ensemble des boutiques d’Orange vers GDT, dont la « convention collective nationale des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager » est bien moins avantageuse que les accords « Orange SA ». La CFDT « s’oppose elle aussi, à la filialisation au sein du groupe dès lors qu’elle se traduit par du dumping social, des conditions de travail dégradées ».
Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’était tenu le 22 septembre 2022, la DG d’Orange avait laissé entendre que son plan stratégique 2030 allait être plus « humain » que comptable (6), sa stratégie à 2025 exposée dans un communiqué (7) et des slides (8) donne l’impression de l’inverse.

Nouveaux métiers et hausse des forfaits
« L’humain, l’agilité organisationnelle et la simplification des processus seront au cœur de cette transformation. Dans un monde fait de ruptures technologiques, le groupe investira dans la formation et (…) facilitera l’évolution des salariés vers les nouveaux métiers de la data, du cloud, de la cybersécurité ou de l’IA », a tout de même assuré Christel Heydemann.
Son plan « concentre Orange sur son cœur de métier » (fibre, 5G, Wifi, réseau d’entreprise avec Orange Business, cybersécurité, satellite avec Eutelsat), après avoir cédé OCS à Canal+. Orange Bank est à vendre. « Augmenter de 1 à 2 euros nos forfaits » (mobile et fixe) fait aussi partie de sa stratégie, même si elle a attendu le 17 février pour l’annoncer sur RTL. @

Charles de Laubier

La liberté de la presse l’emporte sur la contestée procédure non contradictoire, grâce à Mediapart

Avec le procès « Perdriau contre Mediapart », qui a donné lieu à une ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 30 novembre 2022, c’est la liberté de la presse qui est consacrée. Ce revirement du juge est salutaire, mais le risque de « censure judiciaire » reste. Faut-il légiférer ?

Par Julie Jacob, avocate associée, cabinet Jacob Avocats

Alors que la vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris avait ordonné, dans son ordonnance du 18 novembre 2022, la censure d’une enquête du site de presse en ligne Mediapart révélant de nouvelles informations sur les pratiques politiques du maire de Saint-Etienne, le tribunal judiciaire de Paris – via la même vice-présidente – a prononcé une ordonnance de rétractation le 30 novembre 2022 (1). Ce qui a permis ainsi la publication de l’enquête sur la gestion de la mairie de Saint-Etienne.

Mise en péril de la liberté de la presse
Par cette même ordonnance, le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, a été condamné à verser la somme de 9.000 euros à la Société éditrice de Mediapart sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La première décision datée du 18 novembre 2022, qui avait fait interdiction à Mediapart de publier une enquête sous astreinte financière de 10.000 euros par jour, résultait d’une procédure non contradictoire, telle que prévue par l’article 493 du code de procédure civile, visant les cas de risque de déperdition de la preuve et d’atteinte à la vie privée. Cet article entré en vigueur en 1976 dit ceci : « L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » (2). Le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, avait dénoncé lundi une « censure préalable » et une « attaque sans précédent contre la liberté de la presse » car « Mediapart n’était pas informé de cette procédure et l’ordonnance a été prise par un juge sans que notre journal n’ait pu défendre son travail et ses droits » (3). Dans son ordonnance autorisant une telle procédure non contradictoire, le tribunal avait considéré qu’il n’était pas possible de respecter le principe du contradictoire compte tenu tant de « l’urgence » de la situation, que du caractère « irrémédiable » du préjudice. Il faut s’interroger si une procédure de référé d’heure à heure n’aurait pas tout de même permis de plaider cette affaire, avec le respect du contradictoire et donc avec la présence de toutes les parties. L’ordonnance avait été rendue en urgence, à la demande du maire de Saint- Etienne qui avait sollicité « l’interdiction précise de publier un enregistrement clandestin et son verbatim au titre du respect dû à sa vie privée », sans que Mediapart n’ait pu se défendre, autorisant dès lors une procédure non contradictoire. Manifestement, la vice-présidente, devant qui la requête a été déposée, a été trompée par le demandeur, pour la raison spécifique que Gaël Perdriau avait déjà connaissance des enregistrement litigieux depuis plusieurs mois et ne pouvait réellement « se prévaloir, pour justifier de déroger au principe du contradictoire, du caractère imminent de l’atteinte alléguée ». C’est la raison pour laquelle le tribunal a finalement rétracté son ordonnance du 18 novembre 2022 (laquelle n’a d’ailleurs pas été publiée), considérant que la voie du référé respectant le principe du contradictoire était à privilégier. Il est clair que le recours à la requête ne doit pas servir à contrôler la presse ni à créer un précédent pour les cas futurs.
Dans sa requête aux fins de mesures conservatoires, Gaël Perdriau avait indiqué au tribunal que la procédure de référé, même d’heure à heure, était inadaptée, car Mediapart aurait publié tout ou partie de l’enregistrement de la décision dans l’attente de la décision statuant sur la demande de suppression. Il a ainsi indiqué au juge que les préjudices auraient été « irrémédiables ». Il s’avère qu’en réalité, Gaël Perdriau n’a pas communiqué à la vice-présidente, l’ensemble des informations sur l’antériorité de la connaissance de l’existence de l’enregistrement litigieux et d’une première publication d’extraits dans Mediapart.

Pas de « censure préventive » ni « définitive »
La société du site de presse en ligne a contre-attaqué et saisi en référé le tribunal de Paris afin d’obtenir l’annulation « purement et simplement » de cette première décision de justice en demandant au tribunal d’« ordonner que la décision à intervenir soit exécutoire à compter de son prononcé compte tenu de l’extrême urgence de la situation ». Mediapart, qui avait respecté l’injonction faite par l’ordonnance rendue le 18 novembre 2022, a finalement obtenu gain de cause avec la rétractation de ladite ordonnance. Le tribunal a ainsi fait droit à la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête permettant, ainsi, à Mediapart de publier son enquête. Dans l’ordonnance du 30 novembre 2022, on peut notamment lire : « [L]a particulière gravité de l’ingérence faite à la liberté d’expression au titre du respect dû aux droits d’autrui tels le respect de la vie privée impose que la mesure sollicitée conserve une finalité provisoire et conservatoire. Par ailleurs, le recours à la requête entraînant un traitement judiciaire exorbitant, dérogeant à un débat contradictoire immédiat, ne doit pas être dévoyé de son objet et servir à instituer un contrôle a priori de toute publication, aboutissant dans ce cas à une censure préventive, ni encore servir à des fins principales d’interdiction définitive ».

Interventions : SNJ, RSF, AAPDP, APJ,…
Mais si l’on pourrait saluer un retour à la normal au regard de la liberté de la presse, le motif invoqué pour permettre au tribunal de revenir sur sa décision est toutefois contestable puisque le principe du recours à une procédure non contradictoire est en tout état de cause extrêmement limité. Il convient de mettre en avant un risque de perte de preuve ou d’atteinte grave à la vie privée, ce qui n’était aucunement le cas en l’espèce. Mediapart avait en effet pour projet de publier des enregistrements, ainsi qu’une enquête sur la vie politique du maire de Saint Etienne. Aucune atteinte à une liberté fondamentale n’était caractérisée pour se priver d’un débat contradictoire.
Au cours de l’audience du 25 novembre était intervenu volontairement le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris « afin de s’assurer du bon déroulement du débat contradictoire au cours de la présente audience ».
Et à cette même audience, le Syndicat national des journalistes (SNJ), le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes ont chacun déposé leurs conclusions d’intervention volontaire, reprises oralement à l’audience. La Ligue des droits de l’homme s’est elle aussi fait entendre notamment sur les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Quant à l’association Reporters sans frontières (RSF), elle a soutenu ses conclusions d’intervention volontaire, là aussi sur la CEDH (4). Deux autres conclusions d’intervention volontaire sont venues de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse (AAPDP), notamment sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et de l’Association confraternelle de la presse judiciaire (APJ). Entre les deux ordonnances, une proposition de loi a été présentée le 21 novembre 2022 par la sénatrice Nathalie Goulet. Elle vise à modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 et à préciser qu’une publication ne pourrait être interdite que par une décision rendue contradictoirement. Elle ne comporte qu’un article unique : « L’article 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par une phrase ainsi rédigée : “Une publication ne peut être interdite qu’en application d’une décision judiciaire rendue contradictoirement.” ». Dans l’exposé de ses motifs, la sénatrice centriste – avocate de profession et rejointe par vingt-quatre autres sénateurs – explique : « Un magistrat parisien, dans une affaire de presse vient de rendre une ordonnance sur requête. Cette procédure assez classique vient d’être utilisée de façon totalement inédite en matière de presse. Son contenu vise à interdire a priori une publication et ce sans contradictoire, ce qui est la marque d’une ordonnance sur requête dont la durée de vie est limitée mais qui fait grief. Par ce moyen légal, mais encore une fois inédit, il est porté une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et aux principes acquis en la matière depuis la loi du 29 juillet 1881. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à exclure l’utilisation de toute procédure non contradictoire, lorsque son objet concerne la liberté de la presse ».
Cependant, il nous semble que cette proposition de loi « Faire respecter la règle du contradictoire en matière de droit de la presse » (5) ne semble pas adaptée. Il est des cas où, en effet, l’appel à une requête non contradictoire pourrait s’avérer nécessaire. Ce pourrait être par exemple lorsque l’atteinte à la vie privée serait désastreuse et irrémédiablement compromise.
Cette rétractation d’ordonnance du 30 novembre 2022 nous rappelle en tout cas qu’il faut rester extrêmement vigilant aux éventuelles atteintes à la liberté de la presse. Les réactions ont été nombreuses, tant dans le monde politique que dans la presse. Les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ont applaudi ensemble le 1er décembre « une victoire pour la liberté d’informer » (6).

Des éditeurs de presse inquiets
Côté éditeurs de journaux, l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) s’est félicitée que « le tribunal [soit] heureusement revenu sur [sa] décision » mais s’inquiète que « les restrictions à la liberté de la presse se multiplient » (7). Quant au Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), dont est membre cofondateur Mediapart, il avait pointé le fait que cette « censure préalable d’un article de Mediapart [faisait] écho à la récente décision (8) rendue par le tribunal de commerce de Nanterre contre le média Reflets.info [lui interdisant] de publier de nouveaux articles sur le groupe Altice en raison d’un risque de “dommage imminent” » (9). @

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange se fait désirer, jusqu’au 16 février 2023

Le plan stratégique 2030 de Christel Heydemann pour Orange, dont elle est la directrice générale depuis avril, se fait attendre. Initialement prévue d’ici la fin de l’année, voire dès cet automne, cette feuille de route de l’après-Stéphane Richard ne sera présentée qu’en février 2023. Ce qui alimente les inquiétudes en interne.

Lors de son baptême du feu devant les actionnaires d’Orange réunis en assemblée générale annuelle le 19 mai, soit 45 jours après sa prise de fonction en tant que directrice générale du groupe, Christel Heydemann (photo) avait dit qu’elle présentera son plan stratégique 2030 « d’ici la fin de l’année ». Il était même question de le révéler dès cet automne. « Plus le temps avançait, plus la date était repoussée », indique à Edition Multimédi@ une source en interne et proche de la direction. « C’est fin juillet qu’a finalement été retenue la date du 16 février 2023 pour présenter ce plan stratégique 2030, soit le jour de la publication des résultats annuels de l’exercice en cours », nous précise cette même source. Mieux vaut tard que jamais. Cette nouvelle échéance a été confirmée par Christel Heydemann le 25 octobre lors de la présentation de « solides résultats » pour le troisième trimestre (1). Les 136.566 salariés du groupe (au 30 juin 2022, dont les 47.009 en France) se focalisent, eux, plus sur le maintien de leur pouvoir d’achat que sur la réduction des coûts. Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’est tenu le 22 septembre, la nouvelle directrice générale d’Orange est intervenue pour (tenter de) rassurer représentants du personnel, syndicats et forces vives.

La cabinet Bain & Company, plume de la DG
D’après les promesses faites par Christel Heydemann lors de ce CSEC, le plan stratégique 2030 devrait être plus « humain » que comptable. Selon nos informations, c’est le cabinet américain de conseil en stratégie et management Bain & Company qui l’accompagne dans la rédaction de sa feuille de route. Mais pourquoi la directrice générale d’Orange a-t-elle remis à février 2023 la levée de voile sur sa stratégie plutôt que de le faire durant ce second semestre 2022 comme prévu initialement ? Un premier élément de réponse se trouve dans la nomination – annoncée le 23 septembre – de Caroline Guillaumin qui succèdera à Béatrice Mandine comme directrice exécutive de la communication du groupe Orange. « Elle accompagnera le déploiement du futur plan stratégique [2030] et jouera un rôle essentiel pour la communication auprès des salariés et de l’ensemble des parties prenantes externes du groupe », a indiqué la patronne d’Orange (2). Jusqu’alors directrice des ressources humaines de la Société générale, dont elle fut auparavant directrice de la communication de ce groupe bancaire, Caroline Guillaumin aura un rôle central à jouer chez l’opérateur télécoms historique où il faudra passer du plan stratégique « Engage 2025 » de Stéphane Richard au plan stratégique 2030 de Christel Heydemann.

Le double-jeu du président Jacques Aschenbroich
La DG prépare en outre sa communication « corporate » de 2023 cornaqué de Clément Léonarduzzi, vice-président de Publicis France et ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Rappelons que l’Etat français est actionnaire d’Orange, à hauteur de 22,95 % du capital (3), et compte trois administrateurs. En reculant la divulgation de son plan stratégique 2030, le temps notamment que sa « dir com» soit pleinement opérationnelle, Christel Heydemann prend le risque du flou industriel et de la démobilisation de ses troupes déjà marquées par le « climat de malaise » depuis l’AG de mai (4). Alors même que, sans avoir de feuille de route stratégie 2030, de multiples réorganisations ont déjà commencées au sein du groupe : dans la filiale « entreprises » Orange Business Services (OBS), dans la distribution digitale mais aussi physique (avec plus de 320 boutiques propriétés d’Orange et celles de Générale de téléphone), au niveau d’Orange Bank (cette néobanque à vendre), ou encore pour unifier les systèmes d’information des différents opérateurs télécoms du groupe (dans le monde).
« C’est une pagaille interne effroyable », nous confie-t-on. Les priorités stratégiques de la directrice générale Christel Heydemann ne sont pas les mêmes que celles du président non-exécutif du conseil d’administration Jacques Aschenbroich (photo ci-contre), en poste, lui, depuis le 19 mai. Ce dernier œuvre par exemple pour qu’Orange Bank – ex-Groupama Banque – soit cédée au plus vite au vu de son déficit chronique : selon nos calculs, près de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation depuis cinq ans qu’Orange consolide dans ses comptes ces « services financiers mobiles ». Mais Christel Heydemann, elle, serait plus pour trouver une alliance stratégique à Orange Bank. Dans le cadre de l’évolution de la direction d’Orange, elle a annoncé le 12 septembre la promotion au poste de DG d’Orange Bank de Stéphane Vallois, lequel a remplacé le 1er octobre Paul de Leusse dont il était jusqu’alors le délégué. « Stéphane Vallois sera chargé de continuer à développer Orange Bank dans la dynamique impulsée dans le cadre du futur plan stratégique », a-t-elle précisé. Orange Bank compte plus de 2,7 millions de clients, dont 845.000 en Afrique (5). Ironie de l’histoire : Stéphane Vallois est un ancien « Bainie », surnom désignant ceux qui ont travaillé chez Bain & Company, comme ce fut le cas aussi de Paul de Leusse. Ce cabinet international prête aujourd’hui main-forte à Christel Heydemann pour écrire son plan stratégique 2030 tant attendu. Ce cabinet américain, dont le siège mondial est à Boston, est un habitué de l’opérateur historique français : Orange Consulting, dirigé par Philippe Roger au sein d’OBS, s’appuie sur lui – y compris pour parler en 2017 d’« Humanité(s) Digitale(s) » (6). Plus récemment, Bain & Co a publié cet été une étude mettant en garde les « telcos », dont Orange : « L’inflation réduira d’au moins trois à cinq points de pourcentage les marges d’EBITDA [marge brute d’exploitation, ndlr] de la plupart des opérateurs télécoms au cours des deux prochaines années ». Et de leur recommander de prendre trois mesures pour notamment « réduire les coûts », à savoir : « obtenir une vue d’ensemble des dépenses, élever le directeur financier [Ramon Fernandez chez Orange, dont il est aussi directeur général délégué depuis 2018, ndlr] au niveau des quatre plus hauts dirigeants du groupe, et faire preuve de grande rapidité en capital-investissement pour repérer les occasions de créer de la valeur » (7). La réduction des coûts restera en tout cas la « raison d’être » comptable d’Orange dans le prolongement du plan stratégique « Engage 2025 », lequel poursuit « Scale up » qui est un « programme d’efficacité opérationnelle » lancé en 2019 pour atteindre 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Ramon Fernandez a indiqué le 25 octobre que déjà 600 millions d’euros d’économies nettes cumulées auront été réalisées à fin 2022.
Jacques Aschenbroich, lui, entend aussi imprimer sa marque au risque de marcher sur les plates-bandes de Christel Heydemann – voire d’être critiqué en interne pour « ingérence sur tout » (dixit notre source). N’a-t-il pas transformé le Comité innovation et technologie (CIT) en « comité stratégique » au risque de court-circuiter le conseil d’administration ? Le président de ce CIT est Frédéric Sanchez, un administrateur indépendant d’Orange et par ailleurs président de la société de services Fives, laquelle est un fournisseur de l’équipementier automobile Valeo… dont Jacques Aschenbroich est toujours président du conseil d’administration (après en avoir été le PDG jusqu’en janvier 2022). Cette double casquette en agace plus d’un, jusqu’à Bpifrance Participations, filiale de la banque publique d’investissement (bras armé financier de l’Etat actionnaire), qui souhaiterait voir le président d’Orange quitter enfin Valeo (8). Il se dit même que l’Elysée ne croit plus en Orange, lui préférant Iliad/Free comme opérateur européen en construction – Emmanuel Macron et Xavier Niel se connaissent bien depuis 2010 et s’apprécient.

2030, l’année fatidique de toutes les ruptures
Une chose est sûre, c’est qu’Orange aura muté d’ici la fin de cette décennie. D’ici 2030, Orange aura achevé l’extinction du réseau de cuivre historique qui est encore aujourd’hui largement utilisé pour l’ADSL ou le VDSL par 17 millions de foyers français (9). D’ici 2030, Orange aura arrêté la 2G et la 3G dans les pays européens. D’ici 2030, horizon fixé par l’ONU pour atteindre les ODD (10), Orange aura contribué à ce que chaque adulte dans le monde – y compris en France où l’illectronisme perdure (11) – ait un accès abordable aux réseaux numériques. D’ici 2030, Orange aura généralisé la 5G sur tout l’Hexagone. Last but not least : en 2030, Orange n’aura plus qu’une décennie pour être avec ses réseaux « net zéro carbone ». @

Charles de Laubier

Altice contre Reflets.info : procès-bâillon au nom du secret des affaires versus liberté de la presse

Des syndicats d’éditeurs et de journalistes de la presse (Spiil, SNJ, SNJ-CGT, FEJ, …) s’insurgent contre la « censure » du site de presse en ligne Reflets.info, condamné le 6 octobre en référé à « ne pas publier de nouvelles informations » sur le groupe Altice et son PDG Patrick Drahi.

Le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné en référé le 6 octobre 2022 à la société éditrice Rebuild.sh de « ne plus publier sur le site de son journal en ligne “Reflets.info” de nouvelles informations » issues des données piratées en août dernier par les hackeurs « Hive » sur le réseau informatique du groupe Altice, et l’a condamnée « à payer à chacune des sociétés Altice Group Lux [basée au Luxembourg, ndlr], Altice France et Valais Management Services [le family office de la famille de Patrick Drahi, PDG fondateur du groupe Altice, ndlr] la somme de 1.500 euros », soit 4.500 euros au total pour compenser leurs frais de justice.

« Dommage imminent » sur Altice ?
Sans se prononcer sur le fond, n’étant pas compétent en référé sur « une éventuelle atteinte à la liberté d’expression », le tribunal de commerce de Nanterre où l’audience s’est tenue le 27 septembre, justifie l’interdiction pour Reflets.info de publier de « nouvelles informations » – sur le groupe Altice (SFR, BFMTV, RMC, …) et sur le train de vie son PDG milliardaire Patrick Drahi (photo) – au motif que son éditeur Rebuild.sh « a manifesté son intention de poursuivre la publication » sur son site de presse en ligne d’articles révélant des informations (1) issues de ce piratage effectué par un rançongiciel. Pour le juge Luc Monnier (ayant délégation du président du tribunal de commerce de Nanterre), cela « fait peser une menace sur les sociétés du groupe Altice face à l’incertitude du contenu des parutions à venir qui pourraient révéler des informations relevant du secret des affaires ».
Et le juge d’affirmer : « Cette menace peut être qualifiée de dommage imminent » (2). Rebuild.sh a interjeté appel de cette décision. Plusieurs syndicats de la presse se sont insurgés contre cette atteinte à la liberté d’informer, que cela soit le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), dont Reflets.info est l’un des 260 membres (3), mais aussi le Syndicat national des journalistes (SNJ) qui a réagi dès le 29 septembre (4), la Fédération européenne des journalistes (FEJ) le 30 septembre (5) ou encore le SNJ-CGT le 6 octobre (6). Le Spiil, lui, s’insurge contre ce jugement en référé et estime que « la décision du tribunal de commerce instaure de fait une censure en interdisant à un éditeur de publier de nouveaux articles ». Le syndicat créé en octobre 2009, et qui représente aujourd’hui 260 membres pour un total de 314 titres de presse (7) dont Reflets.info, voit se « confirmer [ses] craintes concernant le fait que la loi sur le secret des affaires permette à des entreprises d’interdire à des médias de publier des informations en s’appuyant sur le droit commercial ». Cette loi controversée du 30 juillet 2018 portant sur « la protection du secret des affaires » (8) avait déjà soulevé des craintes à l’époque car considérée comme une menace sur la liberté et le droit d’informer, un risque de muselage des journalistes et des lanceurs d’alerte.
Le texte de loi était même passé, avant d’être promulgué, par les fourches caudines du Conseil Constitutionnel qui, dans sa décision du 26 juillet 2018 (9), a rappelé que la liberté d’expression et de communication est protégée tant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment dans son article 11 (10), que par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (11). Les sages de la rue Montpensier ont quand même rappelé qu’il existe « des exceptions à la protection du secret des affaires », notamment au profit des lanceurs d’alerte (12). L’article L. 151-8 du code de commerce (13) ne prévoit-il pas que « le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information (…) ; pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte (…) » ?
La haute institution de la Ve République en conclut que cet article L. 151-8 du code de commerce « ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle » et « est conforme à la Constitution ».

Liberté de la presse : principe constitutionnel
Or, comme l’avait souligné les députés et les sénateurs à l’origine de la saisine constitutionnelle, la loi « Protection du secret des affaires » non seulement ne mentionne pas explicitement parmi les exceptions le journalisme d’investigation ni la protection des sources des journalistes, mais aussi elle impose en outre que la liberté d’expression et de communication fasse l’objet d’« une instance [judiciaire devant un tribunal civil ou commercial, ndlr] relative à une atteinte au secret des affaires » pour être évaluée voire neutralisée (avant tout procès au fond). Alors même que ce droit d’informer devrait s’imposer de lui-même comme droit fondamental. C’est là que le bât blesse. Le 6 octobre dernier, le Spiil a appelé à « faire reconnaître la liberté de la presse comme principe constitutionnel » (14). Lors des débats de transposition en France, au printemps 2018, de la directive européenne « Secret des affaires » datant de 2016 (15), le Spiil était déjà monté au créneau pour regretter que « la primauté du droit à être informé sur le droit aux secrets ne soit pas exprimée avec suffisamment de clarté ». Et le syndicat de la presse en ligne de mettre en garde contre « une multiplication des procédures contentieuses ».

Loi du 29 juillet 1881 et « procès-bâillon »
Le Spiil à l’époque (il y a plus de quatre ans) de dénonçait déjà les risques : « Les éditeurs de presse, souvent de très petites tailles, n’ont pas les moyens de soutenir des procédures abusives. Or certains acteurs économiques sont friands de ces “procès-bâillon”. Cette confusion risque donc de générer un comportement d’autocensure, préjudiciable à notre démocratie ». Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu jeudi 15 mars 2018, rejoignait ces préoccupations en indiquant qu’« en toute logique, conformément à la directive [européenne de 2016], il conviendrait (…) de mentionner au nombre des cas licites, et non parmi les dérogations, l’hypothèse de l’obtention d’un secret des affaires dans le cadre de l’exercice du droit à l’information (…) » (16). Et ce n’est pas faute de ne pas avoir demandé au législateur et aux pouvoirs publics de tenir compte du droit fondamental qu’est la liberté d’expression, telle que consacrée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (17), en l’inscrivant nommément dans la loi « Protection du secret des affaires ». Ce qui ne fut pas fait, au risque de déséquilibrer ce texte législatif au profit du secret pour les entreprises. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse encadre la responsabilité des éditeurs de presse et, assure le Spiil, présente les garanties nécessaires pour permettre au juge de bien apprécier la valeur d’intérêt général des informations révélées.
Deux décisions rendues en juin 2019 – l’une de la cour d’appel de Paris dans l’ a f faire « Conforama/ Challenges.fr » (18), d’une part, et l’autre de la Cour de cassation dans l’affaire « Consolis/Mergermarket- Debtwire.com » (19), d’autre part – sont venues concrétiser la menace judiciaire qui pèse sur le droit d’informer, notamment là aussi sur des révélations faites par les sites de presse en ligne (20). Ce fut par exemple le cas aussi en 2014 lorsque TourMag.com, site de presse spécialisé dans l’actualité du secteur du tourisme, avait été condamné pour avoir publié des informations économiques et sociales (non démenties) concernant le tour-operator TUI, acteur important de ce secteur. « Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, a rappelé le Spiil, il s’agissait d’une violation du Code du travail et de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique »? (21).
Le site de presse en ligne Reflets.info, qui se définit luimême comme un « journal d’investigation en ligne et d’information hacking », n’est pas à l’origine du piratage informatique d’Altice. Bien que le titre ait été cofondé en 2010 par journaliste Antoine Champagne alias « Kitetoa », journaliste, et Olivier Laurelli alias « Bluetouff », hackeur (22). Le groupe de pirates informatiques Hive, lui, avait procédé à sa cyberattaque au ransomware en août 2022 et, à défaut du paiement de la rançon (23) de 5,5 millions de dollars demandée par les hackeurs, a mis en ligne sur le Dark Net – la face obscure d’Internet accessible notamment par le logiciel Tor – des documents financiers et documents privés ainsi récupérés. La défense de l’éditeur Rebuild.sh l’affirme : « Ni le piratage, ni l’accessibilité des documents piratés ne sont du fait du journal “Reflets”. (…) Si les informations relèvent éventuellement de la vie privée du dirigeant de la société Altice [Patrick Drahi, ndlr], elles ne relèvent certainement pas du “secret des affaires” au sens de la loi ». Dans un communiqué du 6 octobre, celui-ci relève que le juge empêche Reflets.info de publier « de nouvelles informations » mais en revanche qu’« il n’a [pas] lieu à référé sur autres demandes » d’Altice « à l’encontre » de Rebuild.sh : « En clair, nous ne sommes pas censurés sur le passé… mais sur l’avenir ! Ce qui laisse présager des futures et potentielles entraves à l’encontre de l’ensemble de la presse. (…) L’effet voulu, c’est à dire un procès-bâillon pour faire taire les journalistes, est atteint », prévient l’éditeur du site de presse en ligne incriminé (24).

Rebuild.sh/Reflets.info fait appel (procès et dons)
Le groupe Altice, qui demandait la suppression de trois articles « sous astreinte de 500 euros par jour de retard », n’a donc pas eu gain de cause sur les articles déjà en ligne (25). Le tribunal de commerce de Nanterre a rappelé dans son ordonnance du 6 octobre qu’« il ne relève pas de la compétence du président du tribunal de commerce statuant en référé de se prononcer sur une éventuelle atteinte à la liberté d’expression qui nécessite ici un débat de fond ». Pour faire face à ses frais de justice, y compris pour la procédure en appel, l’association J’aime l’info – reconnue d’intérêt général – organise une collecte de fonds en ligne (26) pour Reflets.info. @

Charles de Laubier