Les réactions au rapport Bergé « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique »

La présentation à l’Assemblée nationale le 4 octobre du rapport « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique » a suscité de nombreuses réactions de producteurs et d’auteurs. Les voici regroupées autour des principales propositions faites par la députée « macroniste » Aurore Bergé.

Aurore Bergé (photo), c’est un peu comme « la voix son
maître ». La réforme de l’audiovisuelle qu’elle préconise
en tant que rapporteur est l’exposé de ce que souhaite le présidentielle de la République – que l’ex-élue LR devenue députée LREM des Yvelines avait rejoint dès février 2017 lorsque Emmanuel Macron n’était encore que candidat (1). Ses quarante propositions préparent le terrain au projet de
loi sur la réforme de l’audiovisuel, texte qui sera présenté au printemps 2019.

SACD, UPC, SPI, Scam, Adami, Sirti, …
• Lutte contre le piratage : « La lutte contre le piratage est à juste titre placée comme priorité première, qui conditionne l’ensemble des autres », se félicite l’UPC. La SACD, elle, déclare que « les auteurs (…) sont en particulier en phase avec la logique (…) visant à renforcer la lutte contre le piratage tout en développant l’offre légale et en assurant un renforcement de la diffusion et de la visibilité des œuvres audiovisuelles et cinématographiques ». Et d’ajouter « à cet égard » que « la réforme de la chronologie des médias, comme l’assouplissement des conditions de diffusion des films de cinéma, sont des mesures urgentes ». De son côté, « le SPI approuve le fait que [la lutte contre le piratage] soit posé comme un préalable à toute réforme de fond ». La Scam est aussi « favorable (…) à un renforcement de la lutte contre le piratage ainsi que des pouvoirs de sanction et du champ de compétence de [l’Hadopi]». • Fusion envisagée de l’Hadopi et du CSA : La Scam « invite (…) à la prudence quant à la fusion envisagée de la Hadopi et du CSA et à la conduite – a minima- d’une étude d’impact ».
• Redevance audiovisuelle : La SACD estime que la proposition de « transformation de la redevance audiovisuelle en contribution universelle déconnectée de la possession d’un téléviseur [et payée par tous les foyers français, ndlr],comme l’ont fait de nombreux grands pays européens » va « dans le bon sens ». La Scam « salue » aussi « la proposition relative à l’universalisation de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) » et s’attend à sa « revalorisation ». Le SPI « salue », lui aussi, « la volonté affirmée par le rapport de réformer la CAP pour lui donner un caractère universel adapté à l’évolution des usages » mais il considère que « l’hypothèse de financements supplémentaires dégagés ne doit pas être fléchée vers une suppression de la publicité pour France 5 et Radio France mais vers un engagement renforcé à l’égard de la création ». • Rémunération des auteurs : « La volonté de garantir l’existence d’une rémunération proportionnelle des auteurs à l’ère numérique et d’assurer le développement de pratiques contractuelles équilibrées entre auteurs et producteurs sont des exigences indispensables », prévient la SACD qui a déjà passé des accords avec Netflix et YouTube mais pas avec Amazon ni Facebook. « L’invitation faite aux plateformes de conclure rapidement des accords avec les ayants droit afin de leur assurer une rémunération proportionnelle » est aussi accueillie favorablement par
la Scam. Et l’Adami : « Il convient désormais d’inscrire un principe de rémunération proportionnelle des comédiennes et comédiens au titre de l’exploitation de leur travail notamment dans l’univers numérique ». • Transparence des relations auteurs-producteurs : La Scam estime qu’« une plus grande transparence dans les relations auteurs·rices-producteurs·rices et une meilleure connaissance des données d’exploitation des œuvres est essentiel à l’ère de la multiplication des moyens de diffusion et compte tenu de la place prise par certains acteurs étrangers ». L’Adami, elle, déclare que « ce rapport [reconnaît les artistes] comme “les perdants de la nouvelle donne numérique”. C’est un geste fort. Il devra inspirer les décisions législatives à venir ». • Fiscalité et financement de la création : La Scam considère que « les propositions relatives à une meilleure convergence des dispositifs fiscaux servant au financement de la création afin de faire contribuer équitablement acteurs historiques et ‘’nouveaux services’’ semblent de très bon aloi ». La taxe prélevée sur
le chiffre d’affaires publicitaire des plateformes vidéo pourrait être augmentée et son assiette élargie. L’UPC « salue le rééquilibrage du partage de la valeur ». Pour sa part, le SPI estime que « ces objectifs (…) doivent répondre aux enjeux de l’avenir du secteur, dans un contexte de fragilisation des acteurs par l’entrée des plateformes et GAFAN, mais aussi de remise en cause des systèmes de financement de la création (…), sur la base de l’ensemble des recettes liées à l’exploitation des œuvres et à laquelle les nouveaux acteurs doivent participer ». • Indépendance de la production : « Le SPI salue la définition proposée pour une réelle et nécessaire indépendance de
la production, exigeant l’absence de liens capitalistiques entre diffuseur et producteur. Elle doit s’articuler avec un encadrement des étendues de droits cédés. Il en va de la diversité et de la liberté de la création ». L’UPC, elle, souligne que « la production cinématographique indépendante est un pivot de la diversité des œuvres et du dynamisme de la création à l’ère numérique et qu’il est crucial de la développer ». • La radio numérique terrestre (RNT) : Le Sirti considère que « la volonté d’accélérer le déploiement de la radio numérique terrestre (DAB+) pour assurer l’émergence d’une offre radiophonique renouvelée » est « encourageante », tout en rappelant que l’équipement des récepteurs radio d’une puce DAB+ sera obligatoire« avec le lancement en décembre prochain du DAB+ à Lyon et Strasbourg ». • Les quotas francophones : Pour le Sirti, sera bienvenu « l’adaptation du dispositif des quotas francophones aux nouvelles réalités numériques » et « une simplification législative ».

L’ARP appelle à la poursuite des débats
Les débats vont se poursuivre. Les cinéastes de l’ARP, qui constatent « avec satisfaction que de nombreuses propositions positives et modernes, adaptées aux nouveaux usages », invitent à poursuivre les « débats constructifs », notamment aux Rencontres cinématographiques de Dijon qui se tiendront du 7 au 9 novembre prochains. @

Charles de Laubier

La BD se cherche toujours dans le livre numérique

En fait. Le 25 janvier, l’Hadopi a animé au 45e Festival international de la BD d’Angoulême une table ronde sur la bande dessinée numérique. Une première.
Le 15 décembre dernier, la même Hadopi publiait un rapport sur la diffusion de
la BD. Constat : la BD reste le parent pauvre du livre numérique en France.

En clair. « Le marché du numérique de la bande dessinée est encore peu développé », nous indique une porte-parole de l’institut d’études GfK qui a publié le 23 janvier des chiffres record pour le marché français de la BD : 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 pour 43 millions d’exemplaires vendus, soit le plus haut niveau depuis dix ans. La BD numérique, elle, reste marginale. Si le marché du livre numérique se situe en 2017 tout juste autour des 10 % du marché français de l’édition, soit à moins de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires (1), le 9e Art digital n’y a toujours pas trouvé sa place.
Et si le livre en général est toujours le parent pauvre en France de la dématérialisation des biens culturels – à l’opposé de la musique et des films –, la bande dessinée reste
la grande absente de cette révolution numérique. En sera-t-il question au sein de la mission sur la BD que la ministre de la Culture a confiée le 25 janvier à Pierre Lungheretti ?
Le 45e Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême tente bien d’intégrer cette dématérialisation, avec notamment le « Challenge digital », mais le marché ne suit pas vraiment. Et ce n’est pas le prochain Salon du livre de Paris – organisé du 16 au 19 mars prochains par le Syndicat national de l’édition (SNE),
lequel boude d’ailleurs Angoulême sur fond de désaccord avec la société 9eART+ organisatrice du FIBD (2) – qui devrait changer la donne. « La lecture de BD numériques peine à décoller ; elle concerne moins de 5% des internautes », constate l’Hadopi dans son étude sur « la diffusion dématérialisée des bandes dessinées et mangas » publiée en décembre (3). La France reste très timorée, contrairement au Japon et aux Etats-Unis. Les éditeurs français, voire franco-belges, sont attentistes
vis-à-vis du digital, tandis que les auteurs sont peu convaincus.
Les BD seraient difficilement numérisables et les liseuses pas vraiment adaptées, tandis que les DRM (4) poseraient un problème d’interopérabilité. Les plateformes telles que Izneo (Média Participations/Fnac Darty) ou Sequencity (E.Leclerc) sont trop peu nombreuses. La faiblesse de l’offre légale de BD numériques et le frein que constitue le prix unique du livre ouvrent la voie au piratage. @

Numérisation des livres indisponibles : la tentation d’ignorer la décision de la CJUE invalidant ReLire

La plateforme ReLire de numérisation des 500.000 livres indisponibles du XXe siècle a été partiellement invalidée le 16 novembre par la justice européenne. Comme pour la TVA sur les ebooks, la tentation – exprimée un temps par le DG
du Syndicat national du livre (SNE) – serait d’ignorer cette décision.

« Lorsque nous avons eu une condamnation au niveau français pour l’application d’un taux de TVA réduit sur le livre numérique, nous avons tenu bon sans appliquer la décision de la CJUE, et nous avons finalement obtenu gain de cause. Nous pourrions soutenir une position similaire dans le cas de ReLire, dans l’attente de mesures rectificatives ». Lorsque le directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), Pierre Dutilleul (photo), tient
ces propos dans une interview à ActuaLitté, c’est cinq
jours avant le verdict.

Manque de respect des auteurs
Son idée est alors de s’inspirer de ce qui a été fait lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait invalidé le taux réduit de TVA sur les livres numériques par décision du 5 mars 2015. Ainsi, la France pourrait ignorer l’invalidation de ReLire en attendant que la législation sur la numérisation les 500.000 livres indisponibles du XXe siècle (1) soit corrigée. Mais cette attitude risquerait cette fois de ne pas avoir la bienveillance de la Commission européenne. Autant l’harmonisation des taux de TVA entre livres imprimés et livres numériques apparaît inéluctable aux yeux de cette dernière, autant le non respect de l’auteur à qui il n’est pas demandé d’accord préalable avant toute numérisation ne saurait être toléré. Paris, qui se vante constamment d’être aux avant-postes de la protection du droit d’auteur face à la réforme envisagée par Bruxelles, se retrouve dans cette affaire en porte-à-faux et pris en flagrant délit de non respect des auteurs eux-mêmes…
Cinq jours après l’hypothèse formulée par Pierre Dutilleul, le verdict tombe et invalide
le dispositif mis en place par la France depuis quatre ans (2) (*) (**) car contrevenant à la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général du SNE a
un tout autre discours : « La décision de la CJUE n’invalide pas ReLire mais impose certaines conditions à la réalisation de sa mission, et nous respectons bien évidemment cette décision. Dans cette attente, l’octroi de nouvelles licences est bien évidemment suspendu », nous a-t-il répondu. Si la France devait faire la sourde oreille, elle risquerait de s’exposer à une notification de griefs de la part de la Commission européenne, voire à une procédure d’infraction pour manquement.
Ce que reproche la CJUE à la réglementation française réside dans l’absence d’une information individuelle de l’auteur avant toute numérisation de son oeuvre littéraire.
En effet, il est prévu que le droit d’autoriser l’exploitation numérique des livres indisponibles est transféré à la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) « lorsqu’un livre est inscrit dans la base de données [ReLire de la BnF (3)] depuis plus de six mois » – autrement dit lorsque l’auteur ne s’y est pas opposé par écrit dans les six mois après l’inscription de son livre dans la base de données.

C’est justement ce principe de opt-out qui pose problème à la CJUE, car il n’est pas assorti d’une obligation d’information préalable des intéressés. « Il n’est donc pas exclu que certains des auteurs concernés n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs œuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position (…). Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur
part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite
à cette utilisation. », déplore la CJUE, laquelle avait été saisie par le Conseil d’Etat (renvoi préjudiciel) après la plainte de deux auteurs français (4) qui avaient dénoncé une violation des droits exclusifs garantis aux auteurs par l’instauration d’une exception ou d’une limitation. « Tout auteur doit être effectivement informé de la future utilisation de son oeuvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite », souligne l’arrêt. Une simple absence d’opposition de la part de l’auteur d’un livre ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à sa numérisation et son exploitation en gestion collective. Directement concernée par ce désaveux, la Sofia (5) – dont le conseil d’administration s’est réuni le 22 novembre dernier – estime qu’il est urgent d’attendre : « Cette décision appelle une analyse approfondie. Le Conseil d’Etat aura à en préciser le sens et la portée [s’il n’annule
pas le décret d’application (6) ndlr], au regard de la réglementation française »

L’Etat français doit corriger
Pourtant, le 1er mars 2014, le Conseil constitutionnel avait validé la loi du 1er mars 2012 sur cette exploitation par le Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLire). Sont actionnaires de cette société commune la Caisse des dépôts et consignations (CDC), bras armé financier de l’Etat, et le Cercle de la librairie, syndicat historique des éditeurs et des libraires (7). @

Charles de Laubier

Photo et Web 2.0 : quand les juges se font critiques d’art et plus sévères sur la preuve de « l’originalité »

Avec Internet, la photo passe du statut d’oeuvre de l’esprit à celle de bien de consommation. La preuve de « l’originalité » est de plus en plus difficile à établir en contrefaçon, sauf à invoquer la concurrence déloyale ou le parasitisme. La jurisprudence fluctuante crée de l’incertitude juridique.

Par Marie d’Antin et Claude-Etienne Armingaud, avocats, cabinet K&L Gates

L’image est au cœur de notre société et des réseaux de communication en ligne. L’évolution des moyens d’édition électronique permet à chacun de faire des photographies
à tout instant depuis un appareil de poche. L’accès à une certaine qualité (quoique parfois standardisée) et la recherche permanente d’une certaine reconnaissance sociale à travers les réseaux sociaux tels que Instagram, Twitter, Facebook, Pinterest ou des blogs divers, incitent chacun à s’improviser photographe et à publier de nombreux contenus photographiques de manière instantanée dans le monde entier.

Photographie, révélateur d’originalité
Cette publication de masse conduit aujourd’hui à un glissement de la photographie du statut d’oeuvre de l’esprit à celle d’un bien de consommation, comme le montrent, par exemple, les poursuites engagées aux États-Unis contre l’artiste Richard Prince pour l’appropriation de photographies issues de comptes Instagram, transformées puis exposées et vendues dans de célèbres galeries (1).
Cette publication de masse pourrait expliquer la réticence croissante des juges à accorder aux photographies une protection par le droit d’auteur. C’est ainsi qu’un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 21 mai 2015 a rejeté les prétentions de l’auteur d’un célèbre portrait de Jimi Hendrix, repris par une société de cigarettes électroniques à des fins publicitaires. Cet auteur a été débouté au motif de l’absence d’originalité de sa photographie (2). Les développements ci-dessous reviennent sur les évolutions récentes afin de permettre aux titulaires et exploitants d’œuvres photographiques d’anticiper l’avenir. Sans doute en raison du procédé technique obtenu à l’aide d’un traitement mécanique de l’image, la photographie a rencontré dès son origine des difficultés pour s’imposer comme « oeuvre de l’esprit ». Aujourd’hui, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) protège largement « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit » (3) y compris les « œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » (4) et ce, « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». A défaut de précision légale, la jurisprudence a pu dégager le critère de l’originalité compris comme « l’empreinte de la personnalité de son auteur » et en dessiner les contours, permettant d’accéder à la protection par le droit d’auteur. La première jurisprudence faisant état de cette notion en matière de photographie remonte au 24 avril 1862 dans un arrêt rendu dans l’affaire du comte de Cavour. Deux photographes avaient à l’époque fait un portrait de ce dernier (personnage illustre du Risorgimento italien). D’autres personnes furent par la suite poursuivies en justice par les photographes pour avoir reproduit le portrait en question sans autorisation. Dans cette action en contrefaçon, les plaignants mirent en avant le caractère d’« oeuvre
d’art » de la photographie. Ce qu’ont contesté les accusés. En appel, le jugement a donné raison aux auteurs du portrait, estimant que les photographiques peuvent être
« le produit de la pensée, de l’esprit, du goût et de l’intelligence de l’opérateur ».

Dans un arrêt important du 1er décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la notion d’originalité en matière de photographie de portrait, qui ressort des « capacités créatives lors de la réalisation de l’oeuvre » au travers des « choix libres et créatifs » de l’auteur, tels que le « choix de la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage » ou « lorsque du tirage du cliché l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciel ». C’est en effet « à travers ses différents choix [que] l’auteur de la photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa touche personnelle à l’oeuvre créée » (5).

Critères techniques du photographe
En ce sens, la CJUE reprend la position exprimée par la Cour d’appel de Paris en 1990, lorsque l’auteur avait choisit « seul la pose des mannequins, l’angle de prise de vue
et les éclairages adéquats pour mettre en valeur le style adopté par l’appelante, le cadrage, l’instant convenable de la prise de vue, la qualité des contrastes de
couleurs et de reliefs, le jeu de la lumière et des volumes […] le choix de l’objectif et
de […] la pellicule ainsi que […] le tirage le plus adapté à une bonne promotion du style souhaité » (6).
Ainsi, ces critères techniques sont composés de choix effectués en amont par le photographe (cadrage, lumière, pellicule, objectif) mais également au cours de la réalisation de la photographie (pose, contraste, prise de vue) et à l’issue de la séance (recadrage, tirage).

Affaires « Artnet », « Hendrix », etc.
Une fois l’originalité démontrée, une photographie pourra bénéficier de la protection du droit d’auteur, permettant notamment à son auteur d’accéder à la paternité (droit moral) et de contrôler l’utilisation de son oeuvre par des tiers (droit patrimonial). Pourtant, de manière paradoxale, la démocratisation de l’accès à la photographie semble s’accompagner d’une incertitude jurisprudentielle croissante quant à l’appréciation des critères de son originalité.
Conformément aux articles 6 du Code de procédure civile et 1315 du Code civil, la charge de la preuve repose sur celui qui prétend être l’auteur d’une photographie qualifiable d’oeuvre comme le rappelle de manière constante la jurisprudence (7), puisque seul l’auteur « est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole » (8).
A l’ère du numérique, cette preuve peut devenir très contraignante dans la mesure où les clichés se multiplient, pour des sujets parfois banals, et les choix éditoriaux peuvent être restreints aux fonctionnalités mises à disposition de l’utilisateur d’un logiciel. Au fil des jurisprudences, les auteurs doivent apporter une preuve de plus en plus minutieuse, photographie par photographie, peu important la quantité de contenus à décrire (9). Ainsi dans l’affaire « Artnet », la preuve de l’originalité de 6.758 clichés repris par un catalogue a du être apportée par le demandeur (10).
Cette démarche contraignante conduit souvent les photographes à invoquer alternativement d’autres fondements juridiques, tels que la concurrence déloyale ou le parasitisme (11).
Surtout, les moyens de preuve de l’originalité sont appréciés de manière hétérogène et subjective par les juges qui tendent à toujours plus sévérité.

Considérés parfois comme chanceux ou témoins d’événements qu’ils retranscrivent, les photographes peinent encore aujourd’hui à prouver l’originalité de leur créations. Certains juges ont été jusqu’à affirmer que « s’il y a un auteur, c’est l’événement lui-même, pas le photographe » ! (12)
L’absence de lignes directrices claires et pérennes des décisions récentes contribue à l’incertitude juridique qui habille la preuve de l’originalité d’une photographie. S’il est désormais établi qu’une photographie est originale lorsqu’elle résulte d’une combinaison de choix libres et créatifs de son auteur, les critères techniques dégagés par la jurisprudence pour apprécier l’effort créatif d’un photographe – cadrage, angle, prise de vue, retouches, etc. – se retournent parfois contre le photographe pour lui refuser toute originalité. C’est ainsi que l’effort créatif, à la source de l’originalité d’une oeuvre, ne saurait se réduire à des choix guidés par des impératifs techniques (13), comme cela peut être le cas lors d’évènements sportifs (14) ou sur des plateaux (15). Dans le même temps, « mettre en exergue des caractéristiques esthétiques de la photographie » (16) ne suffit pas non plus à caractériser l’originalité. Dans l’affaire « Hendrix », le photographe n’expliquait pas « qui est l’auteur des choix relatifs à la pose du sujet, à son costume et à son attitude générale ». En conséquence, le juge n’a pu « comprendre si ces éléments qui sont des critères essentiels dans l’appréciation des caractéristiques originales revendiquées […] sont le fruit d’une réflexion de l’auteur de la photographie ou de son sujet, si l’oeuvre porte l’empreinte de la personnalité de Monsieur G. M. ou de Jimi Hendrix » (17).
Pourtant, le 20 novembre 2015, un cliché représentant le footballeur Patrick Evra a
été jugé suffisamment original par le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans la mesure où « la capture de cet instant [était] significative en ce que l’auteur cherche à représenter les faiblesses du joueur et son émotion dans un moment de faiblesse » (18).
Le flou artistique persiste Les critères d’appréciation de l’originalité demeurent donc flous en matière photographique. Cependant, si l’originalité est un critère subjectif, elle demeure l’apanage de l’humain : un juge fédéral américain a récemment souligné qu’un primate ne pouvait être le titulaire des droits d’un cliché réalisé sur un appareil
« emprunté » à un photographe professionnel (19)… sauf à se faire payer en monnaie de singe ! @

Livre numérique : les auteurs s’inquiètent du piratage et de leur rémunération

Alors que le marché du livre numérique peine à décoller en France, les auteurs doutent de la capacité de l’industrie de l’édition à lutter contre le piratage sur Internet. En outre, ils se prennent à espérer une meilleure rémunération avec le nouveau contrat d’édition tenant compte du numérique.

Ils sont désormais plus de 400 auteurs à avoir signé la pétition contre le piratage lancée il y a un peu plus d’un mois. « Le temps où le monde du livre se pensait à l’abri du piratage est révolu. Nous sommes très nombreux à nous être aperçus que plusieurs
de nos ouvrages étaient mis à disposition sur de sites de téléchargement gratuits », s’inquiètent-ils. Après la musique et le cinéma, c’est au tour du livre de tirer la sonnette d’alarme sur ce qui pourrait devenir un fléau pour l’industrie de l’édition.

Sondage : 20 % piratent des ebooks
Selon le 5e baromètre réalisé pour la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), et publié au Salon du livre en mars dernier, 20 % des personnes interrogées disent avoir eu recours à une offre illégale. Le piratage de livres numériques serait en nette augmentation, puisque ce taux n’était que de 13 % il y a trois ans. Cette pratique illicite concerne aujourd’hui 4 % de la population français, selon l’institut de sondage OpinionWay qui a mené cette enquête (1). « Aujourd’hui, les livres mis en ligne illégalement pullulent », constatent les auteurs qui multiplient les e-mails d’alerte aux hébergeurs Internet pour leur demander de supprimer immédiatement des liens de téléchargement. Mais les écrivains et illustrateurs de livre craignent le même problème que pour les sites web pirates de la musique (The Pirate Bay, T411, …) ou du cinéma (Allostreaming, eMule, Wawa, …) : les hébergeurs ont beau supprimer les liens d’accès, ils réapparaissent peu après avec de nouvelles adresses ou sites miroirs.
« Ce qui revient à lutter contre une grave avarie par voie d’eau avec un dé à coudre ! », déplorent les auteurs, tout en critiquant le fait que la directive européenne « Commerce électronique » de 2000 « dédouane de toute responsabilité en la matière l’ensemble des hébergeurs » (2). En France, cette disposition a été transposée il y a maintenant plus de dix par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004.
Ce qui confère aux plateformes et hébergeurs numériques une responsabilité limitée
au regard du piratage en ligne qui pourrait être constaté chez eux, à ceci près qu’ils doivent retirer « promptement » les contenus illicites qui leur seraient signalés (3).
Le livre, la musique et le cinéma sont main dans la main à Bruxelles pour demander à la Commission européenne de réformer ce statut d’hébergeur, comme en contrepartie de la révision de la directive « DADVSI » (4) de 2001 que souhaite Jean-Claude Juncker pour « casser les silos nationaux dans le droit d’auteur » (suppression du géo-blocage, élargir les exceptions au droit d’auteur, harmoniser la copie privée, …).

En France, au moment où le gouvernement met en place un plan de lutte contre le piratage en impliquant les acteurs du Net, les auteurs ne veulent pas être les laissés pour compte. Une première charte « anti-piratage » engageant les professionnels de
la publicité en ligne a été cosignée en mars par le SNE, lequel devrait aussi cosigner
la seconde charte prévue en juin avec les professionnels du paiement sur Internet (5). Mais cette volonté d’« assécher » les sites web illicites en les attaquant au portefeuille sera-elle suffisante, notamment dans le monde du livre ? « Le piratage, tentaculaire et en permanente évolution, ne pourra être combattu que par la mise en place d’une action commune à tous les acteurs du monde éditorial : auteurs, éditeurs, distributeurs, libraires, site de téléchargement légaux, etc… Le phénomène du piratage littéraire ne doit plus être pris en compte de façon ‘artisanale’ au coup par coup », estiment les auteurs, qui rappellent en outre que le SNE avait écarté en 2011 le recours à l’Hadopi parce que « le phénomène du piratage était marginal dans le domaine du livre numérique ». En fait, le coût de la réponse graduée était le vrai obstacle.

Précarité des auteurs
Autre sujet de préoccupation : la rémunération. Alors que la ministère de la Culture
et de la Communication mène jusqu’au 25 mai une enquête sur les revenus des auteurs (6), un sondage que la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et la SGDL ont rendu public au Salon du livre en mars montre que 60 % des auteurs se disent « insatisfaits » de leurs relations avec leurs éditeurs : àvaloir en baisse, droit d’auteur inférieur à 10 %, précarité de la profession, … Reste à savoir si le nouveau contrat d’édition tenant compte du numérique, qui est censé être appliqué par les éditeurs depuis le 1er décembre dernier, améliorera le traitement et la rémunération
des auteurs à l’heure d’Internet. @

Charles de Laubier