Parmi les dix milliardaires qui possèdent des médias en France, Daniel Kretinsky est le seul non-Français

Sur la dizaine de milliardaires qui font la pluie et le beau temps sur les médias en France, en tant qu’actionnaires – situation unique au monde –, un seul n’est pas Français : le Tchèque Daniel Kretinsky. Ce pro-Macron, conservateur, libéral et Européen, investit tous azimuts sur le marché français.

(Le 2 juillet 2024, soit huit jours après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°324, l’armateur CMA CGM du milliardaire Rodolphe Saadé a finalisé l’acquisition d’Altice Media)

Plus que jamais, des pans entiers du paysage médiatique français sont aux mains de dix milliardaires (1), qui bénéficient en outre des aides d’Etat à la presse. Tous ont la nationalité française, sauf un : Le milliardaire Vincent Bolloré (groupe Bolloré) est Français et possède Vivendi/Canal+ /C8/CNews, Havas, Prisma Media/Voici/ Capital/Femme actuelle, et Lagardère/Europe 1/JDD/Hachette Livre. Le milliardaire Rodolphe Saadé (groupe CMA CGM) est FrancoLibanais et détient La Provence/Corse Matin, M6, Brut, et La Tribune/La Tribune Dimanche, et rachète Altice Media/BMFTV/RMC. Le milliardaire Bernard Arnault (groupe LVMH) est Français et contrôle Le Parisien/Aujourd’hui en France, Les Echos, Radio Classique, Challenges/Sciences et Avenir, OpinionWay et bientôt Paris Match. Le milliardaire Patrick Drahi (groupe Altice) est Franco-Israélo-Portugais et possède Altice Média/BFMTV/RMC qu’il est en train de vendre au milliardaire Rodolphe Saadé, après avoir vendu L’Express à Alain Weill (ex-PDG de Next RadioTV/BFMTV/ RMC) et Libération cédé à Presse Indépendante. Le milliardaire Xavier Niel (groupe Iliad-Free) est Français et est copropriétaire du groupe Le Monde/Le Monde/Télérama/ Le Nouvel Obs/Télérama/La Vie/Le Monde diplomatique/Courrier international/ LeHuffPost.fr, du groupe Nice-Matin/Nice-Matin/Var-Matin et Bestimage.

Bolloré, CMA CGM, LVMH, Bouygues, Fiducial, …
La famille milliardaire Dassault (groupe Dassault/GIMD) est Française (Olivier Dassault est décédé en mars 2021) et possède le groupe Le Figaro/Le Figaro/Le Figaro Magazine/Le Figaro TV, Le Journal du Net/L’Internaute, Gala, TV Magazine. Le milliardaire Martin Bouygues (groupe Bouygues) est Français et possède TF1/TMC/TFX/TF1 Séries Films/LCI/Ushuaia TV/Histoire TV/TV Breizh, TF1+ (ex-MyTF1) et TFou Max. Le milliardaire François Pinault (holding Artémis dirigé par son fils François-Henri Pinault et détenteur de Kering/Yves Saint Laurent/Gucci et Christie’s) est Français et possède Le Point, Point de Vue, Le 1 hebdo et Tallandier Editions. Le milliardaire Christian Latouche (groupe Fiducial) est Français et possède Sud Radio, Lyon Capitale, Lyon TV (2). Quant au milliardaire Daniel Kretinsky (groupe EP/CMI), il est le seul de nationalité étrangère, à savoir Tchèque. Européen convaincu, il fêtera ses 49 ans le 9 juillet prochain, soit une semaine avant qu’« il » ne soit auditionné – le 16 juillet – par l’Arcom dans le cadre de l’appel aux candidatures pour l’édition de services nationaux de la TNT, et pour lesquels le régulateur entendra les 25 « candidats recevables » du 8 juillet au 17 juillet (3).

Kretinsky lorgne la TNT, L’Opinion et Delcourt
La filiale CMI France a en effet déposé un dossier pour espérer lancer une chaîne nationale – « RéelsTV » – sur l’une des 15 fréquences de la TNT remises en jeu. Contacté par Edition Multimédi@ pour savoir s’il sera aux côtés de Denis Olivennes, président de CMI France, pour défendre ce projet, Daniel Kretinsky (photo de Une) ne nous a pas répondu. Dernier arrivé dans le désormais « Club des Dix » milliardaires des médias en France, l’homme d’affaire tchèque est le plus actif du moment. Il s’apprête à prendre 49 % du capital de la société Bey Médias, éditeur de L’Opinion et de L’Agefi, fondée par Nicolas Beytout. C’est ce dernier qui a annoncé le 13 juin être entré en négociation exclusive avec CMI France. Le quotidien « libéral, pro-business et européen » (4) a été créé en tant que « bimédia » en 2013 par l’ex-directeur de la rédaction du quotidien économique Les Echos et ancien PDG du groupe Les Echos au début de l’ère « Bernard Arnault/LVMH » actuelle. Tandis que L’Agefi, site financier et bi-hebdo papier, a été racheté en 2019 par Bey Médias auprès du milliardaire François Pinault (Artémis).

TikTok n’est plus censuré en Nouvelle-Calédonie, mais la décision de son blocage reste contestée

« La censure de TikTok en Nouvelle-Calédonie […] semble illégale », titrions-nous dans Edition Multimédi@ n°322 daté du 27 mai. Le même jour, La Quadrature du Net déposait devant le Conseil d’Etat – lequel a rejeté le 23 mai son précédent recours – un recours en excès de pouvoir cette fois.

« Bien que le blocage de TikTok soit levé [depuis le 29 mai 2024, ndlr], le précédent politique et juridique existe désormais. Nous pensons qu’il faut tout faire pour que celui-ci ne se reproduise pas et reste un cas isolé. Que ce soit par la Cour européenne des droits de l’homme ou par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, ce type de censure est unanimement condamné. Nous ne pouvons donc pas laisser le Conseil d’Etat se satisfaire de ce blocage et devons exiger de lui qu’il rappelle le droit et sanctionne le gouvernement », a expliqué le 5 juin La Quadrature du Net (LQDN), l’association de promotion et de défense des libertés fondamentales dans l’environnement numérique.

Recours d’urgence versus mesure d’urgence
Le recours de près d’une trentaine de pages (1) daté du 27 mai 2024 et signé par Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh (photo), avocat au barreau de Paris, demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision attaquée, à savoir celle prise le 14 mai dernier par le Premier ministre qui a ordonné le blocage de TikTok sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Et ce, dans un contexte de sérieux troubles sur l’archipel où l’état d’urgence avait été décrété – pour douze jours légaux maximum – le 15 mai et l’armée déployée pour sécuriser les ports et aéroport de Nouvelle-Calédonie (2). De nombreuses voix se sont exprimées sur le réseau social en Nouvelle-Calédonie contre la réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral de ce territoire, projet contesté par les indépendantistes. Des émeutes et des violences ont eu lieu.
Le blocage sans précédent en France (tous territoires confondus) avait aussitôt été attaqué en justice par deux organisations, La Quadrature du Net (LQDN) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), ainsi que par trois Néo-Calédoniens. Ces premiers recours distincts en urgence devant le Conseil d’Etat avaient été déposés le 17 mai. Le juge des référés de la haute juridiction administrative avait ensuite le 21 mai donné 24 heures au gouvernement pour apporter les preuves écrites et/ou visuelles (images, vidéo, …) pouvant justifier le blocage de TikTok pour des raisons en rapport avec des « actes de terrorisme ». Le Premier ministre Gabriel Attal pourrait-il vraiment s’appuyer sur la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence justement, dont l’article 11 prévoit que « le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne, provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » (3) ?

Dans un monde de plateformes de streaming et de podcasts, la radio voit son avenir s’éclater

Les 6 et 7 juin a eu lieu la quatrième édition de la Fête de la radio. Mais le cœur y est-il vraiment ? L’Arcom dévoilera son livre blanc sur l’avenir de la radio, lors des Assises qui lui sont consacrées le 18 juin. Le média plus que centenaire est en pleine réflexion existentielle face aux GAFAM.

Quatre mois après la Journée mondiale de la radio initiée par l’Unesco (ce fut le 13 février cette année), la quatrième édition de la Fête de la radio a eu lieu en France les 6 et 7 juin, événement lancé en 2021 à l’initiative de l’Arcom – via une association conventionnée (1) – avec le parrainage du ministère de la Culture. Ces deux journées permettent de mieux faire connaître le média radio et ses mutations, de la FM au DAB+, en passant par le streaming et les podcasts. Plus de 100 ans après sa naissance et près de 40 ans après la libéralisation de la communication audiovisuelle, la radio est toujours aussi populaire auprès d’un très large public.

La radio devenu un contenu comme un autre
Si son audience cumulée peut encore battre des records, le média radio n’en est pas moins en pleine fragmentation de cet auditoire qui se disperse en fonction des modes de diffusion : en analogique (FM), en numérique (DAB+) ou sur Internet (live streaming, replay, podcast, …). Cet éclatement radiophonique induit une multitude d’appareils de réception utilisés et des situations d’écoute désormais très différentes : chaque jour en France, au premier trimestre, la radio a totalisé 38,7 millions auditeurs en moyenne chaque jour, à raison de 2h26 quotidiennes par auditeur (toujours en moyenne), dont 77,3 % sur des supports dédiés à la radio tels que l’autoradio d’un véhicule, la chaîne hi-fi ou le poste de radio, et 22,7 % sur des supports numériques tels que les smartphones (5,9 millions d’auditeurs quotidiens), les enceintes connectées (1,5 million), les ordinateurs (1,4 million), téléviseurs (959.000) et les tablettes (539.000). D’après Médiamétrie sur la période de janvier à mars 2024, ce basculement de l’écoute de la radio sur ces supports numériques a engendré sur la même période un nouveau record, à 9,7 millions de personnes écoutant chaque jour la radio sur de ces appareils non dédiés à la radio (voir graphiques). Les Français sont davantage équipés en supports multimédias (97 %) qu’en supports dédiés à la radio (90 %), sachant que 99 % des foyers disposent d’au moins un support pour écouter la radio (qu’il soit dédié ou pas). Cette décorrélation progressive de ses récepteurs dédiés historiques (postes de radio, autoradios, radio-réveil, tuner de chaîne hi-fi) fait entrer le média radio dans le flux numérique des contenus en ligne. En se délinéarisant (en live, en différé ou en podcast), la radio perd un peu de sa spécificité. La radio devient un contenu comme un autre à l’ère de la plateformisation numérique. Les éditeurs de stations radio doivent investir dans plusieurs support (FM, DAB+, applications, sites web, podcasts) pour aller cherche l’auditeur là où se trouve. Si les grandes radios ont les reins solides pour faire face à ces coûts de multidiffusion, il n’en va pas de même pour les radios indépendantes et plus encore pour les radios associatives. Ces dernières sont pour 75 % d’entre elles présentes en DAB+ et ont été les premières à soutenir depuis 2014 cette technologie numérique, lancée d’abord à Paris, Marseille et Nice et couvrant à ce jour plus de 60 % de la population métropolitaine.

TDF, l’ex-Télédiffusion de France, est en voie d’être vendu par appartements, à commercer par sa fibre

Derrière l’ultra-HD sur la TNT pour les JO 2024 de Paris, il y a TDF. Mais la télé ne pèse plus que 18 % du chiffre d’affaires 2023 de l’ex-Télédiffusion de France, loin derrière les télécoms (60 %), suivies de la radio (14 %) et de la fibre (8 %). A presque 50 ans, son démantèlement commence.

C’est un peu de la souveraineté audiovisuelle française que l’on « brade » progressivement à des fonds d’investissement étrangers. L’exTélédiffusion de France, devenue il y a 20 ans TDF, ne sera-t-elle bientôt plus que l’ombre d’elle-même. La vente par appartements de ce fleuron tricolore des infrastructures réseau ne fait que débuter. A l’heure où l’échéance de 2025 pour « la fibre pour tous » approche à grands pas, les financiers s’affairent en coulisse autour des actifs de l’ancien monopole public de l’audiovisuel, diversifié depuis dans les télécoms et présidé depuis près de 15 ans par Olivier Huart (photo).

Les actionnaires étrangers font pression
Dix ans après avoir été cédé à un consortium de fonds d’investissement étrangers (1) menés par le canadien Brookfield (45 % du capital), avec son compatriote PSP, le néerlandais APG et le britannique Arcus (45 % à eux trois), aux côtés de « l’investisseur français de référence » Predica, filiale du Crédit Agricole Assurances (10 %), le groupe TDF – qui n’est plus français depuis longtemps – pourrait disparaître du paysage audiovisuel et télécoms de l’Hexagone. Alors que ces fonds – Brookfield en tête – cherchent depuis quelques années à céder leurs participations en espérant dégager de fortes plus-values, le contexte économique et les conditions de marché n’ont pas encore été favorables pour leur permettre de sortir par le haut.
Le canadien Brookfield en sait quelque chose, lui qui a tenté à trois reprises de céder ses 45 % dans TDF : une première fois en 2019 mais les discussions avec Axione/Bouygues n’ont pas abouti, une seconde fois en 2021 mais sans lendemain là aussi, une troisième fois en 2022 où, après deux ans de covid-19 et malgré le début de la guerre en Ukraine, cela devait être la bonne. Cette opération financière devait même être la plus grosse attendue en France dans les télécoms depuis bien longtemps, valorisant l’ensemble de l’ex-Télédiffusion de France jusqu’à 10 milliards d’euros, dont près de 4,5 milliards pour les 45 % de Brookfield. La « culbute » s’annonçait formidable pour les fonds qui avaient acquis fin 2014 TDF pour la « modique » somme de 3,6 milliards d’euros, dont 1,4 milliard de dette à l’époque. La position dominante de TDF sur son marché domestique de la radiodiffusion profitait déjà aux fonds, comme c’est toujours le cas aujourd’hui (2). Hélas, cette troisième tentative de Brookfield et de ses fonds partenaires a elle aussi échoué début 2023 sur les récifs des crises énergétiques, inflationnistes et guerrières. L’acquéreur déclaré, le fonds suédois EQT, a rencontré des difficultés de financement et le méga-deal n’a finalement pas abouti (3). A défaut d’avoir pu sortir dans des conditions acceptables, les fonds actionnaires font pression sur la direction de TDF pour sortir de l’impasse, quitte à la convaincre de démanteler leur « poule aux œufs d’or ».

TV5Monde, la chaîne publique de la francophonie, est aussi une plateforme à succès grâce à Yves Bigot

Chaîne internationale reconnue de la francophonie, détenue et financée par six Etats que sont la France, la Suisse, le Canada, le Québec, la Belgique et Monaco, TV5Monde comptait ouvrir son capital et sa gouvernance à des pays africains. Mais son PDG Yves Bigot a été lâché par le gouvernement.

La décennie « Yves Bigot » aura été profitable à la chaîne francophone internationale TV5Monde. Ce journaliste avait pris ses fonctions de président-directeur général à 58 ans le 7 janvier 2013 en succédant à Marie-Christine Saragosse (1). Il quittera TV5Monde à 69 ans le 30 juin prochain (soit cinq mois avant la fin de son mandat), sa démission – surprise – ayant été annoncée en interne le 28 mai par le secrétaire général de la chaîne Thomas Derobe (2), alors que Yves Bigot était lui-même en mission à Washington (3) pour l’entreprise après avoir remis la veille sa lettre de démission au conseil d’administration présidée depuis août 2015 par Delphine Ernotte (4). Trois femmes sont candidates à sa succession, dont l’ex-ministre Elisabeth Moreno, selon La Lettre (5). Cette démission intervient après que la ministre de la Culture Rachida Dati lui ait signifié le 19 avril dernier : « On n’a rien à vous reprocher, votre bilan est impeccable, mais on ne vous renouvellera pas ». A Télérama le 28 mai, Yves Bigot a justifié son départ précipité : « Je ne suis pas fonctionnaire et il faut que je trouve un job. […] Si on m’avait proposé de continuer, je l’aurais fait volontiers » (6) En 40 ans d’existence, et surtout durant ces onze dernières années sous sa direction générale, TV5Monde (ex-TV5) est devenu l’un des plus grands groupes audiovisuels d’envergure mondiale et le premier éditeur international de chaînes francophones, diffusées à la fois par voies hertziennes et numériques.

A quand TV5Monde sur la TNT en France ?
Le bouquet TV5Monde (dix chaînes) est ainsi présent sur les TNT nationales de pays africains, par satellite, par câble, sur les box d’opérateurs télécoms ainsi qu’en streaming par Internet ou sur application mobile. A propos de la TNT, une porte-parole du groupe a apporté à Edition Multimédi@ la précision suivante : « TV5Monde est disponible sur la TNT au Bénin, au Sénégal, aux Seychelles, à l’Ile Maurice et au Rwanda. Concernant notre présence sur la TNT en France, elle n’est pas au programme. Nous sommes évidemment pour y être disponible un jour mais c’est une décision qui revient à l’Arcom ». Et ce n’est pas faute de lui avoir demandé : en 2009, l’ancienne directrice générale Marie-Christine Saragosse avait déjà sollicité le CSA pour « réfléchir à une fréquence de TV5Monde sur la TNT ». Mais cela n’avait pas abouti. Contactée sur ce point, l’Arcom ne nous a pas répondu. « Cette éventuelle présence sur la TNT en France aurait également un coût très important qui n’est pas à la portée de TV5Monde », nous a en outre indiqué la porte-parole du groupe télévisé francophone.