Piratage : le risque européen du « Follow the money »

En fait. Le 1er juillet, la Commission européenne a adopté deux communications « pour un meilleur respect des droits de propriété intellectuelle dans l’Union européenne et dans les pays tiers ». Est visé le piratage « à une échelle commerciale ». Parmi l’arsenal prévu : le « Follow the money ». Un ACTA bis ?

En clair. « Nous voulons cibler les intermédiaires, les sites qui violent les droits de propriété intellectuelle, plutôt que les utilisateurs finaux », a précisé la Commission européenne à Next Inpact le 20 juin dernier. En adoptant ces « nouveaux outils (non législatifs) », elle veut ainsi attaquer le piratage au portefeuille selon le principe du
« Follow the money », à savoir « priver les contrevenants agissant à une échelle commerciale de leurs revenus ». La lutte contre la contrefaçon concerne ici aussi bien les biens physiques que numériques. Comme l’ensemble des contrevenants, les sites web reconnu coupables de violation de la propriété intellectuelle seront privés de leurs ressources financières par la coopération des régies publicitaires, des prestataires de moyens de paiement ou des autres « intermédiaires » du Net. « Le plan d’action de l’UE comprendra dix actions spécifiques prévoyant une nouvelle politique en matière d’application des outils pour s’attaquer en particulier aux activités d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle à une échelle commerciale », a indiqué la Commission européenne. Reste à savoir ce qu’elle appelle « échelle commerciale », qui reste
une notion vague et attrape-tout déjà utilisée dans le projet d’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA). Ce texte, qui avait finalement été rejeté par les eurodéputés le
4 juillet 2012 précisément à la suite d’une vague de contestation (1), précisait que « les actes commis à une échelle commerciale comprennent au moins ceux qui sont commis à titre d’activités commerciales en vue d’un avantage économique ou commercial direct ou indirect ». Ce sont les mesures pénales dans un accord commercial que fustigeaient les opposants à ce texte, dont la Quadrature du Net (2). L’ACTA prévoyait notamment que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) puissent être obligés de « divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné » présumé pirate.

Le marché de l’occasion numérique reste à inventer

En fait. Le 9 juin, l’avocate Josée-Anne Bénazéraf nous a indiqué qu’elle ne savait pas quand la commission spécialisée du CSPLA sur « l’apparition éventuelle d’un marché secondaire des biens culturels numériques » achèvera ses travaux.
Elle et la professeure Joëlle Farchy sont censées les terminer en juillet.

Josée-Anne-BénazérafEn clair. La lettre de mission de Josée-Anne Bénazéraf (photo) et de Joëlle Farchy, chargées il y a près d’un an de mener à bien les travaux d’une « commission spécialisée sur les enjeux aussi bien juridiques qu’économiques de l’apparition éventuelle d’un marché secondaire des biens culturels numériques », fixe bien une échéance à juillet 2014.
Mais l’incertitude apparaît quant au respect de la période de remise au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) du rapport, lequel est supervisé par Alexandre Segretain, conseiller au tribunal administratif de Paris.

Droits d’auteur : limitations et exceptions sur le Net ?

En fait. Le 6 juin, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) – 3 millions d’ayants droits – a tenu son AG annuelle.
Parmi les inquiétudes : les limitations et les exceptions aux droits d’auteur envisagées par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi).

En clair. « Du fait de la mise au point de nouvelles technologies et de l’utilisation de plus en plus répandue de l’Internet dans le monde, on a considéré qu’il importait d’effectuer un rééquilibrage entre les intérêts des diverses parties prenantes [à savoir entre les ayants droits et les utilisateurs des œuvres protégées, ndlr]». C’est en ces termes que l’Ompi introduit les travaux qu’elle intensifie au sein de son Comité permanent du droit d’auteur
et des droits connexes, ou SCCR (1), créé il y a plus de quinze ans.
La Cisac, qui représente 227 sociétés de gestion collective – dont la Sacem – dans
le monde (lire EM@93, p. 7), a cosigné le mois dernier avec 17 autres organisations internationales d’ayants droits une lettre datée du 7 mai dernier à José Manuel Barroso,
le président de la Commission européenne, et au commissaire Michel Barnier, ainsi qu’à la présidence de l’Union européenne. Avec l’IFPI et l’ICMP (musique), la MPA et la FIAPF (cinéma), la FEP (maisons d’éditions) ou encore l’IVF (vidéo), la Cisac demande aux instances communautaires « que le mandat du SCCR de l’Ompi soit clarifié avant la poursuite des travaux concernant les limitations et les exceptions aux droits d’auteur ». Les organisations d’ayants droits, dont l’IFRRO, s’inquiètent particulièrement de la tournure qu’a prise, à leurs yeux, la vingt-septième session du SCCR qui s’est tenue à Genève du 28 avril au 2 mai derniers. Les limitations et exceptions aux droits d’auteur à l’ère numérique ont été discutées pour les bibliothèques et les services d’archives, ainsi que pour les établissements d’enseignement et de recherche, et pour les personnes handicapées. Il s’agit notamment pour l’Ompi de « permettre aux bibliothèques et aux services d’archives de conserver les informations élaborées et diffusées sous une forme numérique et (…) de donner accès à ces informations. ». La question se pose aussi pour les établissements d’enseignement et de recherche, sachant que la Convention de Berne autorise déjà l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur à des fins de citation et d’enseignement.
Les ayants droits sont d’autant plus inquiets que la Commission européenne a mené jusqu’au 5 mars une consultation en vue de réviser la directive « DADVSI » (2) et d’envisager plus d’exceptions aux droits d’auteur dans le monde numérique, ainsi
qu’une réforme… de la copie privée. @

Eric Walter, Hadopi : « On ne peut plus légiférer en 2014 contre le piratage comme on l’a fait en 2009 »

La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) aura 5 ans le 12 juin. « Si c’était à refaire aujourd’hui, le texte serait sans doute différent » nous dit son secrétaire général, qui dresse un bilan
« largement positif » avec le piratage « stabilisé ». Le nombre de 100 dossiers transmis à la justice est atteint.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Eric WalterEdition Multimédi@ : La loi Hadopi du 12 juin 2009, instaurant
la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, a 5 ans dans quelques jours. Quel bilan faites-vous de ce texte de loi très controversé ? Si c’était à refaire, faudrait-il l’adopter en l’état ?
Eric Walter :
Je n’ai pas à faire le bilan du texte. C’est une responsabilité qui appartient au législateur.
En revanche, nous pouvons dresser un bilan de la mise en oeuvre.
Il est largement positif, au delà des controverses qui, pour beaucoup, se nourrissent d’approximations voire souvent d’erreurs.
Le téléchargement illicite est désormais stabilisé. Nous ne nous en attribuons pas tout
le mérite, mais que l’existence même d’Hadopi et les débats qui l’ont entourée y aient contribué me semble une évidence difficile à contredire.

Atteinte aux droits d’auteurs : un FAI peut bloquer un site web, comme bon lui semble

Dans un arrêt du 27 mars 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) donne aux juridictions nationales les moyens de mieux combattre les atteintes
en ligne aux droits d’auteurs et aux droits voisins. Mais elle a dû trouver un compromis avec les libertés d’entreprendre et d’information.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Rémy FeketePour la première fois, la CJUE autorise les injonctions adressées aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) leur ordonnant de bloquer l’accès aux sites proposant des contenus illicites, tout en rappelant les limites posées par le principe du « juste équilibre » entre les différents droits de l’Union européenne (UE).
Le principe ne peut qu’être salué même si sa mise en oeuvre est lourde de préoccupations.