Droits voisins et presse : l’accord Google-AFP sur 5 ans est un bon début de (re)partage de la valeur

Résultat de plusieurs mois de négociations, l’accord d’une durée de cinq ans annoncé le 17 novembre 2021 entre Google et l’Agence France-Presse (AFP), sur les droits voisins de cette dernière, est un précédent qui devrait inspirer les éditeurs en France et dans le reste de l’Europe.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Outre son caractère irrémédiable, rappelons que le progrès numérique est ambivalent (1), c’est-à-dire qu’il amplifie à la fois des effets positifs comme des effets négatifs, et qu’il est difficile de tenter de corriger les effets négatifs sans impacter les effets positifs. Cette ambivalence se manifeste notamment au niveau de l’information du public (avec les risques nouveaux de manipulation), ou au niveau de l’économie (avec les conséquences ambiguës de l’ubérisation mais aussi dans les relations entre les plateformes digitales et les médias traditionnels).

Bras de fer entre presse et GAFAM
La révolution numérique a créé une nouvelle société parallèle dirigée par les GAFAM (2), lesquels ont imposé un nouveau partage de la valeur. Ce nouveau clone virtuel capte l’essentiel des profits en laissant les charges au vieux monde. Ce modèle n’est pas viable durablement car, à terme, la société traditionnelle finira par se vider de sa substance. C’est ce type de conflit, dont le bras de fer a débuté en 2018, qui opposait les géants du Net – et notamment Google – aux médias historiques, à savoir : la reprise sur Internet, par les moteurs de recherches et agrégateurs d’actualités, des articles des éditeurs de journaux et des dépêches des agences de presse. Ce conflit trouvait sa cause dans une appréciation divergente du nouveau modèle économique. Pour les éditeurs et agences de presse, les articles et les dépêches qu’ils produisent sont le fruit d’un travail effectué par des journalistes astreints à une déontologie (ce qui est une garantie de qualité de l’information). Ce travail génère des coûts. En conséquence, la reprise des articles de presse par les GAFAM nécessite une rémunération. Et ce, d’autant plus que les ressources des médias traditionnels ont doublement baissé : d’une part, du fait de la migration des budgets publicitaires vers le monde numérique, et, d’autre part, du fait de la gratuité qui a été érigée comme norme par la révolution numérique. Selon les géants du Net, en revanche, la reprise des articles et dépêches par les moteurs de recherche constitue de fait une publicité et contribue à renforcer la visibilité des journaux ou des fils d’actualités qui les produisent. Et cela contribue donc à la renommée de ces médias. En conséquence, estimaient les plateformes numériques, aucune rémunération n’était à payer. En principe, le droit de la propriété intellectuelle français était du côté des éditeurs d’informations. Cependant, les GAFAM considéraient que les solutions traditionnelles n’étaient pas transposables dans le « Nouveau Monde » dématérialisé d’Internet. Restait aussi la difficile question du territoire : on ne peut ignorer que la dématérialisation inhérente au numérique ait fait voler en éclats les concepts de frontière et donc de territorialité. Comment concilier le système juridique français avec la mondialisation que suppose le cyberespace planétaire ? Seule une réponse européenne pouvait peser face à Google, chacun des Vingt-sept seul ne faisant plus le poids face aux GAFAM. À l’initiative de la France, une réponse légale, par l’intermédiaire des droits voisins, a été incluse dans une directive européenne d’avril 2019 censée avoir été transposée par les Etats membres depuis le 7 juin 2021 « au plus tard » : celle sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (3). Dans son article 15 intitulé « Protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne », cette directive « Copyright » dispose que les Etats membres confèrent aux éditeurs de publications de presse établis dans un pays de l’Union européenne (UE) les droits voisins pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse par des « fournisseurs de services de la société de l’information ».
La France a été la première à transcrire immédiatement cette directive dans son droit interne (4) : la loi française de juillet 2019 dispose que l’autorisation des éditeurs est requise – article L218-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) – pour la reprise de leurs articles et que les droits des éditeurs peuvent être cédés ou faire l’objet d’une licence (article L218-3 du CPI).

L’« Etat » Google, pas hors-la-loi
L’adoption de cette directive européenne « Copyright », comme sa transcription dans l’ordre juridique français, aurait dû, selon notre modèle démocratique, mettre fin au débat en application du principe selon lequel « la loi est dure mais c’est la loi »… Cependant, nous commençons à nous rendre compte que les GAFAM disposent de la puissance financière d’un Etat (sans les contraintes de l’administration et/ou des électeurs) et qu’ils ont de plus en plus tendance à vouloir s’affranchir des contraintes légales nationales existantes, probablement pour « penser globalement et virtuellement». Le projet «metaverse » (de monde en ligne virtuel et immersif) de Facebook sera prochainement l’aboutissement de cette démarche transfrontalière et planétaire. En conséquence, plutôt que de se soumettre à la loi française, et d’entrer de bonne foi dans une négociation avec les éditeurs et les agences de presse pour la rémunération de la reprise de leurs contenus, Google avait unilatéralement décidé qu’elle n’afficherait plus les extraits d’articles ou de dépêches, ni les photographies, ni les vidéos, au sein de ses différents services, sauf à ce que chaque éditeur lui en donnent l’autorisation à titre gratuit.

Poids de l’Autorité de la concurrence
Le risque d’être marginalisé ou de devenir invisible était tel que la très grande majorité des éditeurs ont consenti gratuitement lesdites autorisations (et ce pour un périmètre plus large qu’avant la directive « Copyright »…). Saisi en France par les éditeurs et l’Agence France-Presse (AFP), l’Autorité de la concurrence (ADLC) a considéré en avril 2020 que le comportement de Google était « susceptible de constituer un abus de position dominante » et qu’il « portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse » (5). Elle a donc prononcé sept injonctions provisoires à l’égard de Google pour l’obliger à renoncer à la gratuité et à négocier de bonne foi avec les éditeurs la rémunération qui leur était due. Cette décision a été confirmée par un arrêt définitif d’octobre 2020 de la cour d’appel de Paris (6). Hélas ! Google n’a pas semblé avoir été immédiatement sensible aux injonctions de l’ADLC puisque, le 12 juillet 2021, les filiales Google France et Google Ireland se sont vues infligées une sanction de 500 millions d’euros (7) pour avoir méconnu plusieurs des injonctions d’avril 2020. De plus, le gendarme de la concurrence a ordonné à Google de présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés aux éditeurs et de leur communiquer les informations nécessaires à l’évaluation d’une telle offre, sous peine d’astreintes pouvant atteindre 900.000 euros par jour de retard. C’est dans ce contexte que Google et l’AFP ont annoncé dans un communiqué commun (8) daté du 17 novembre 2021, la conclusion d’un accord concernant la reprise des contenus multimédias produits et diffusés par l’Agence France-Presse. Le même jour, dans une dépêche AFP, son PDG Fabrice Fries a apporté quelques précisions complémentaires par rapport au communiqué initial : cet accord est d’une durée de cinq ans et « couvre toute l’UE, dans toutes les langues de l’AFP [à savoir six langues, ndlr], y compris dans les pays qui n’ont pas transposé la directive ».
Cet accord quinquennal est manifestement un bon début. D’abord, il caractérise l’acceptation d’une loi nationale – française en l’occurrence – par un GAFAM (il est curieux mais réaliste de devoir écrire une chose pareille). De plus, il constitue en France un précèdent qui devrait produire des effets immédiats et d’autres ultérieurement sur l’Hexagone et dans le reste de l’UE. Aujourd’hui, ce précédent ne pourra qu’inciter, d’une part, Google à conclure des accords similaires avec d’autres éditeurs, et, d’autre part, les éditeurs à conclure des accords similaires avec d’autres plateformes. Notons que Facebook (9) avait aussi conclu en octobre 2021 un accordcadre similaire avec l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), comme l’avait fait Google (10) en janvier 2021. Le Monde et Le Figaro ont déjà signé chacun un accord avec Facebook, après l’avoir fait un avec Google. L’Apig représente notamment les quotidiens nationaux et régionaux français dans la seule catégorie « information politique et générale » (300 titres de presse membres), lesquels doivent à leur tour signer individuellement avec Google sur la base du contratcadre signé par leur organisation professionnelle (11). De plus, il est probable que l’accord conclu en France incitera sans délai Google à faire de même dans d’autres pays européens, et notamment au Danemark et en Espagne.
Demain (ou du moins l’expiration du délai de cinq ans de l’accord en cours), l’AFP sera en position de renégocier le montant de la licence à son niveau réel. Même si le montant de l’accord actuel n’a pas été divulguée, le PDG de l’AFP et le DG de Google France avaient indiqué dans une dépêche… AFP datée du 13 juillet 2021 qu’il s’agissait d’une « licence globale » à rémunération forfaitaire annuelle, incluant les droits voisins (12), pour l’exploitation de tous les contenus de l’agence de presse sur Google Search, Google News, Google Discover et le nouveau service Showcase. Il est plus que probable que Google a négocié un montant faible permettant une transition en douceur vers une reprise payante des contenus. A la fin de cette période transitoire, il est à espérer que les éditeurs obtiendront le fruit légitime des coûts indispensables engagés pour la fourniture d’une information de qualité. L’obtempération de Google à la directive européenne « Copyright » transcrite dans la loi française n’est pas une défaite pour les GAFAM. Ils ont probablement pris conscience qu’un partenariat avec les éditeurs et les agences de presse était intrinsèquement indispensable pour l’avenir même des ces géants du Web puisque ces derniers devraient y trouver un triple intérêt : d’abord, l’information de qualité est le garant d’une société démocratique (on le voit avec le danger des « fake news » et les théories complotistes).

La « richesse » des GAFAM : avarice ?
De plus, les utilisateurs des GAFAM ont besoin de ces informations que ces derniers sont incapables de produire euxmêmes. En conséquence, pour bénéficier de ces « produits », ou « contenus », encore faut-il partager la valeur afin que leurs producteurs puissent en vivre. Depuis Esope ou la Fontaine, « combien en a-t-on vus qui du soir au matin sont pauvres devenus pour vouloir trop tôt être riches ? » car « l’avarice perd tout en voulant tout gagner » (13). Enfin, les GAFAM ont compris qu’ils vont avoir besoin de s’appuyer sur les éditeurs et les agences de presse (comme le fait l’AFP) pour mettre en place des programmes portant sur la lutte contre la désinformation. A défaut, les plateformes digitales pourraient elles-mêmes, se trouver instrumentalisées. @

Projet de fusion TF1-M6 : Xavier Niel appelle à la rescousse la Commission européenne

Le président du conseil d’administration du groupe Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), Xavier Niel, estime que la Commission européenne serait bien mieux à même d’instruire le projet de fusion entre TF1 et M6, au lieu de laisser faire l’Autorité de la concurrence.

A défaut d’avoir pu racheter le groupe M6, pour lequel il s’était porté candidat parmi d’autres au printemps dernier auprès du principal actionnaire vendeur, l’allemand Bertelsmann, Xavier Niel (photo) est décidé à mettre des bâtons dans les roues du projet de fusion entre TF1 – filiale du groupe Bouygues qui a été retenue comme l’acquéreur – et M6. L’Autorité de la concurrence, qui n’a pas attendu d’avoir la notification de cette opération pour lancer dès le mois d’octobre (1) les « tests de marché » (2) avec envoi de questionnaires aux professionnels concernés, compte rendre sa décision d’ici à l’été 2022.

Vers un jeu de domino européen
Or, parmi les opposants – comme Canal+ – à cette mégafusion audiovisuelle si elle était acceptée, Xavier Niel, président du conseil d’administration d’Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), conteste non seulement ce projet « TF1- M6 » mais aussi le fait que ce dossier puisse être instruit à Paris par l’Autorité de la concurrence et non pas à Bruxelles par la Commission européenne. Canal+ serait sur la même longueur d’onde. En novembre dernier, d’après Les Echos, il l’a fait savoir directement auprès des autorités antitrust de l’exécutif européen. Parmi elles, il y a la « DG Comp » (3) qui est chapeautée par la commissaire Margrethe Vestager, viceprésidente de la Commission européenne. Cette montée de Xavier Niel au créneau européen est intervenue après que le Conseil d’Etat, en France, l’ait débouté le 5 novembre de son recours en référé déposé le 27 octobre.
Selon Capital, il exigeait que l’Autorité de la concurrence (ADLC) explique pourquoi elle « s’estime compétente » pour examiner cette opération de concentration. Les juges du Palais Royal l’ont débouté de sa demande (4). Qu’à cela ne tienne, le président d’Iliad porte l’affaire au niveau européen en arguant du fait que le nouvel ensemble TF1-M6 ne sera pas contrôlé uniquement par le groupe Bouygues, mais conjointement avec le géant allemand Bertelsmann et actuel propriétaire de M6. Détenu par la discrète famille Mohn (5), le géant international des médias Bertelsmann, qui possèdera 16 % du nouvel ensemble avec deux sièges au conseil d’administration, réalise en France moins les deux tiers de son chiffre d’affaires européen. Ce qui plaide, selon Xavier Niel, pour un examen de cette opération de concentration à l’échelon européen et non pas franco-français. Or le groupe de Martin Bouygues, qui aura 30 % du nouvel ensemble et quatre sièges au conseil d’administration, est pour l’instant considéré a priori comme l’acquéreur et réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires européen en France. Ce qui en fait, notamment aux yeux de TF1 et de l’ADLC, une affaire française relevant du gendarme de la concurrence hexagonale. Ni dans son communiqué du 8 juillet (6) ni dans celui du 17 mai (7), le premier groupe privé français de télévision ne mentionne la Commission européenne, mais seulement l’ADLC et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Pourtant : « Ce mariage fait de TF1-M6 un groupe très important sur le plan européen », avait estimé Michel Abouchahla, président du magazine Ecran Total spécialisé dans le cinéma, dans un entretien à l’AFP fin mai dernier. Avec un chiffre d’affaires conjugué proche des 3,5 milliards d’euros, le nouvel ensemble pourrait peser pas loin de 5 % de la production de fiction en Europe, d’après l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
Dans un autre entretien à l’AFP, Isabelle de Silva – alors présidente de l’ADLC – avec évoqué Bruxelles en ces termes : « Sur des opérations d’envergure telles que celle-ci, nous aurons sûrement des échanges avec la Commission européenne (…), d’autant que la problématique qui se pose aujourd’hui en France pourrait se présenter demain en Belgique ou en Allemagne ». Et surtout, l’opération TF1-M6 pourrait être suivie en Allemagne par la fusion des médias télévisés de Bertelsmann avec le groupe de chaînes gratuites et payantes ProSiebenSat.1 Media. Ce dernier est détenu à hauteur de 15 % par l’italien Mediaset (appartenant à la holding Fininvest de Sylvio Berlusconi), lequel prévoit de fusionner ses activités italiennes, espagnoles et allemande dans sa nouvelle holding de droit néerlandais baptisée Media For Europe (MFE). Bref, un vrai jeu de domino dans l’audiovisuel européen et le marché publicitaire de la télévision.

Un « quasi-monopole » de la TV privée
Le gendarme de la concurrence estime le poids du nouvel ensemble TF1-M6 à l’aune des chiffres d’affaires nets (après rabais) de la publicité télévisée de chacun des deux groupes privés. Leur part de marché publicitaire cumulée en 2020 dépasserait les 75 % (49 % pour TF1 et 27 % pour M6) sur le marché français de la pub TV, lequel totalise plus de 2,8 milliards d’euros cette année-là (hors digital). Lors d’une audition devant le CSA le 5 juillet (8), le vice-président d’Iliad, Maxime Lombardini, avait mis en garde contre un « quasi-monopole de la télévision privée ». @

Charles de Laubier

L’AFP réinvente avec Google la « licence globale »

En fait. Le 13 juillet, le PDG de l’AFP, Fabrice Fries, et le directeur général de Google France, Sébastien Missoffe, « dans des déclarations transmises conjointement à l’AFP », ont indiqué qu’ils étaient « proches d’aboutir à un accord » sur les droits voisins de l’Agence France-Presse mais aussi sur une « licence globale ».

En clair. C’est le retour de la licence globale. Des sociétés de gestion collectives de droits d’auteurs et de nombreux internautes en avaient rêvée il y a une quinzaine d’années pour la musique en ligne ; l’Agence France-Presse va la faire pour tous ses contenus (textes, photos, vidéos, infographies, …) – quel que soit le support. Son PDG, Fabrice Fries, et le DG de Google France, Sébastien Missoffe, l’ont chacun fait savoir à l’AFP, le 13 juillet, le jour même où par ailleurs l’Autorité de la concurrence (ADLC) rendait publique sa décision prise la veille d’« inflig[er] une sanction pécuniaire de 500.000.000 euros » à Google. Et ce, pour ne pas avoir négocié « de bonne foi » avec les éditeurs de presse la rémunération des droits voisins due à ces derniers – et malgré les injonctions (1) prononcées le 9 avril 2020 par l’ADLC.
Et ce n’est pas l’accord-cadre signé entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) le 12 février dernier – soit cinq mois après la deadline imposée par l’ADLC – qui a allégé l’amende. Auprès des journaux membres de l’Apig, lesquels doivent à leur tour signer individuellement un contrat encadré, le géant du Net s’était engagé à verser sur trois ans 62,7 millions d’euros (2) de rémunération globale incluant leurs droits voisins. Quant à l’AFP, elle s’apprête enfin à signer avec Google non seulement sur ses droits voisins – que le géant du Net a rechigné à reconnaître et à rémunérer en tant que tels – mais aussi sur une « licence globale » pour l’exploitation de tous ses contenus sur Google Search, Google News, Google Discover et le nouveau service Showcase (3). Cette licence globale à rémunération forfaitaire annuelle, incluant les droits voisins, est en fait une exigence de la firme de Mountain View pour avoir « le même accès global, mondial et sans limite aux images (photos, vidéos et infographies) produites par l’AFP », ainsi qu’à « de nouveaux services (web stories, contenus audio, news corner, etc.) ».
Dans ces négociations débutées il y a un an avec l’AFP, Google a même doublé le montant de son offre initiale, dite « term sheet », étendue notamment à des contenus audio en anglais. Mais la direction de l’AFP avait fait part à Google de ses craintes, concernant ses photos, vidéos et iconographies, sur « une licence totale, mondiale, sans limite ni restriction d’usage, portant sur l’intégralité [de ses] contenus d’images ». @

Enchères des principales fréquences 5G en France : le gouvernement passe en force

Le coup d’envoi des enchères des fréquences 5G va être donné en France le 29 septembre, malgré les nombreux appels au principe de précaution sanitaire et environnementale. Le gouvernement, qui espère de la vente plus de 2,1 milliards d’euros, a écarté tout moratoire.

C’est mal parti. La cinquième génération de mobile (5G) ne fait pas l’unanimité. Avant même son lancement, elle est décriée par une partie de la population française que l’on ne peut ne pas écouter. Une soixantaine d’élus, dont les maires de onze grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, …), ont publié dans le Journal du Dimanche (JDD) du 13 septembre une tribune pour demander de surseoir au lancement de la 5G, dont les premières enchères doivent commencer le 29 septembre (1).

Macron devait « étudier » le moratoire
« Nous, maires et élus, proposons dans l’immédiat un moratoire sur le déploiement de la 5G au moins jusqu’à l’été 2021. Pendant ce moratoire, nous demandons la tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », ont écrit les signataires. A l’appui de leur prise de position au nom du principe de précaution, ces édiles ont tenu à rappeler que « le moratoire est l’une des propositions de la convention citoyenne pour le climat, que le président de la République [Emmanuel Macron] s’est engagé à étudier. Nous lui demandons, ainsi qu’au gouvernement, de respecter cet engagement ». Ils demandent en outre que « la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». Sur ce point, l’une des signataires, la maire écologiste (2) de Besançon, Anne Vignot (photo), a même parlé sur Franceinfo le jour même de gabegie : «On a promis la fibre sur tout le territoire ; on a promis la 4G. Et là, on passe d’une technologie à l’autre. C’est une vraie gabegie. On n’arrive jamais à stabiliser les moyens que l’on donne aux entreprises et aux particuliers, donc on a besoin d’un moratoire. (…) C’est de la gabegie de changer en permanence d’équipement avant d’avoir fini le déploiement », a lancé l’élue du chef-lieu de la région de Franche-Comté et préfecture du département du Doubs. Entrée en politique il y a dix ans, chez Europe Écologie-Les Verts (EELV), Anne Vignot – ingénieure de recherche au laboratoire chronoenvironnement du CNRS – est devenue maire le 3 juillet dernier, après avoir été depuis 2014 maire-adjointe de Besançon en charge de la transition écologique. « On n’a aucune étude qui nous permette de savoir à quoi l’on expose nos populations, et en tant que maire on a cette responsabilité. On a besoin de connaître l’impact de la 5G sur [la santé et] l’environnement. On sait que le numérique est quelque chose qui demande énormément d’énergie ; on sait que les problématiques de stockage sont vraiment très gourmandes. Il serait quand même temps qu’on envisage à chaque fois l’impact d’une nouvelle technologie », a-t-elle insisté.
• Côté environnement, les signataires de la tribune se font l’écho des « anti-5G » sur le fait que l’impact environnemental induit par les usages numériques ne cesse d’augmenter, et que, avec l’explosion des usages, les gains attendus par « la faussement nommée “dématérialisation” » ne sont pas démontrés. « Les industriels s’accordent sur la promesse de multiplication par 1.000 des données échangées sur les réseaux dans les prochaines décennies », affirment-ils. Selon eux, la 5G – aux débit dix fois supérieurs à ceux de la 4G – provoquera « un “effet rebond” » induit par la hausse de la consommation de données et des usages en ligne, qui se traduira par « une très forte consommation d’énergie par la sollicitation des antennes et des serveurs ». A leurs yeux, la 5G et le renouvellement des smartphones qu’elle va engendrer vont en outre « exponentiellement accélérer l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l’extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable ». Ils demandent donc au gouvernement qu’une étude d’impact environnemental préalable sur la 5G soit envisagée avant son déploiement.

Rapport de l’Anses début 2021
• Côté santé, les signataires font référence à un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), daté d’octobre 2019, qui a mis en évidence « un manque important, voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » de la 5G. Un rapport final de l’Anses, censé dire s’il y a un problème pour la santé ou pas, est attendu pour début 2021. « L’étude est actuellement en cours ; il nous semble indispensable d’attendre ses conclusions avant de déployer la 5G dans nos villes et dans nos campagnes. Ce temps d’analyse redonne à l’Etat son rôle souverain sur les questions sanitaires au regard de l’intérêt collectif plutôt que d’intérêts économiques industriels », insistent les élus. Pour eux, Les ondes hertziennes de la 5G vont s’ajouter à celles des 4G, 3G et 2G, « ce qui aboutira à une hausse du niveau d’exposition de la population aux ondes ». Ils estiment aussi « urgent de s’interroger sur l’impact sanitaire de la multiplication d’objets hyperconnectés ». De son côté, la maire de Rennes, Nathalie Appéré, a annoncé le 17 septembre avoir demandé à un spécialiste, Pierre Jannin, une étude d’impact sur la 5G.
• Côté technologies, là où Anne Vignot évoquait « une vraie gabegie », elle et ses homologues s’interrogent sur « l’inflation numérique » alors même que la France n’est pas capable de résorber sa fracture numérique avec les technologies existantes telles que la 4G et la fibre optique.

Fracture numérique : risque d’aggravation
Les trois mois de confinement ont jeté une lumière crue sur cette fracture numérique justement (3). «Alors que la technologie 4G n’est toujours pas totalement déployée, que les collectivités dépensent des sommes importantes pour équiper en fibre les espaces ruraux et des espaces mal desservis, l’arrivée de la 5G risque surtout d’aggraver les fractures numériques existantes, craignent les maires. Nous nous interrogeons sur le rôle de la 5G et de l’Internet mobile dans la résorption de la fracture numérique. Nous souhaitons que les communes aient la capacité de choisir le mode d’accès à Internet et la maîtrise du développement des réseaux numériques ». A noter que dans leur tribune, les élus n’évoquent pas du tout le risque supposé de cybersurveillance avancé par certains – Donald Trump en tête – lorsqu’il s’agit du numéro un mondial des équipements 5G, le chinois Huawei (4).
Le lendemain de la parution de cette tribune aux allures de pavé dans la marre (5), le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’est opposé à tout retard de la 5G. « Ce serait une erreur dramatique pour le pays. Ça nous priverait d’avancées en matière médicale, de gestion des flux d’énergie, de gestion des transports, a-t-il plaidé sur France 2 le 14 septembre. Ce serait un retour en arrière pour la France et moi je préfère la France en avant, conquérante, qui réussit économiquement, que la France fossilisée qui ne bouge pas ». Le même jour, Emmanuel Macron, ironisait sur les adeptes du « modèle Amish » et du « retour à la lampe à huile » ! Venant du président de la République, cette pique a été perçue comme méprisante.
Quant à l’eurodéputé EELV, Yannick Jadot, il s’est exprimé, sur France Inter, pour appeler à ne pas se précipiter sur la 5G sans « savoir » : « On ne peut pas dans le même temps dire qu’avec la 5G, c’est une révolution numérique qui va transformer nos modes de vie, nos modes de travail, nos entreprises, et ne pas avoir un débat public autour de qui va bénéficier de cette 5G et comment ça va changer nos modes de vie », a-t-il déclaré. Et sur Franceinfo, Benoît Hamon, l’ancien candidat socialiste à la présidentielle, était sur la même longueur d’onde : « A partir du moment où il peut y avoir une menace sur la santé publique, l’on doit obtenir les informations nécessaires pour savoir s’il y a un danger ou pas ». Quant aux opérateurs télécoms concernés au premier chef – Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free –, ils font le dos rond. Il y a bien eu la tribune surprise du 23 mai dernier de Martin Bouygues dans Le Figaro, où il demandait le report des enchères. La raison première avancée par le PDG du groupe éponyme était qu’il fallait tirer les conséquences du coronavirus : « La situation du pays, qui se relève avec difficulté d’un terrible cauchemar sanitaire humain et économique, commande de repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G ». Et d’ajouter plus loin : «Je le regrette, mais c’est ainsi. Il y a ceux qui sont persuadés, sans aucun fondement scientifique, que la 5G serait dangereuse (…) » (6) (*) (**). Devant une commission du Sénat le 10 juin, Martin Bouygues a confirmé sa proposition de repousser les enchères de quelques mois, mais cette fois « pour avoir le temps de renégocier un accord global [dans le cadre du New Deal mobile, ndlr] pour construisent 1.500 ou 2.000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années » (7). Le lendemain de son audition, le gouvernement et le régulateur lui lançaient une fin de non-recevoir en maintenant les enchères à fin septembre – initialement prévues en avril dernier (8).
A quelques jours du coup d’envoi de la « vente » des fréquences qui devrait rapporter plusieurs milliards d’euros à l’Etat (mise à prix à 2,17 milliards d’euros), et alors que les « anti-5G » se font encore plus entendre, Stéphane Richard apparaît comme le défenseur-en-chef de la 5G. Le PDG d’Orange tente de désamorcer les résistances :« Il n’y a rien de dramatique mais je pense qu’il était vraiment temps de le faire. C’est la raison pour laquelle on a milité pour le maintien du calendrier. Je pense que cela aurait été préjudiciable qu’on les reporte encore », a-t-il déclaré dans un entretien à l’AFP le 8 septembre, tout en laissant entendre que le début de la commercialisation des offres 5G sera « faisable avant la fin de l’année ». Quid des interrogations légitimes sur les risques sur la santé et l’environnement ? « Je l’entends et évidemment je ne peux pas l’ignorer, a concédé Stéphane Richard. J’observe que le débat est plus fort en France que partout ailleurs en Europe ».

70 M€ minimum chaque bloc de 10 Mhz
La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a écarté le 16 septembre sur Europe 1 l’idée d’un report des enchères : « Le moratoire a un intérêt à partir du moment où on n’a pas les données, et justement on a un rapport qui est sorti [le 15 septembre], qui nous précise que, sur les bandes qui vont être occupées d’ici la fin de l’année, il ne va y avoir en gros aucun risque si on respecte les normes ». Le même jour, le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, lançait sur Radio Classique : « Il n’y a pas de raison de stopper la 5G en elle-même ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, renchérissait sur France Inter : « la 5G est indispensable ». @

Charles de Laubier

L’éclatement possible de la bulle des start-up pourrait être salvateur pour l’innovation

La crise historique pourrait provoquer l’éclatement de la bulle des start-up. Beaucoup d’entre elles brûlent du cash sans encore générer de chiffre d’affaires. Sans argent frais ni débouché, c’est asphyxie. La spéculation sur l’hypercroissance de l’innovation a ses limites, surtout lorsque les fonds sont publics.

L’année 2020 sera-t-elle celle de l’éclatement de la « bulle start-up » comme l’année 2000 fut celle de l’éclatement de la « bulle Internet » ? La question mérite d’être posée, tant la crise sanitaire sans précédent que nous traversons crée une récession économique et financière qui pourrait être fatale à bon nombre start-up biberonnées à l’argent frais et au crédit d’impôt. La Grande-Bretagne, jusqu’alors paradis – s’il en est – des start-up des technologies et des sciences de la vie, a lancé le 20 avril dernier un plan d’aide à ses jeunes pousses d’un montant de près de 1,5 milliard d’euros (1).

Des centaines de milliards de prêts et d’aides
En France, la « start-up nation » chère à Emmanuel Macron, les jeunes pousses sont en réalité sous perfusion permanente d’argent frais. Or la pandémie du coronavirus et le confinement généralisé ont perturbé cet afflux de cash par intraveineuse financière, lorsque ce n’est pas le cathéter lui-même qui a été retiré. A l’instar de toutes les entreprises basées en France, les start-up peuvent recourir au prêt garanti par l’Etat (PGE) pour faire face aux conséquences économiques du coronavirus. En s’appuyant sur la banque publique d’investissement Bpifrance, détenue à parts égales par l’Etat et la Caisse des Dépôts (CDC), le gouvernement a lancé le 23 mars dernier le dispositif de PGE (2) afin de garantir jusqu’à 300 milliards d’euros de prêts d’ici la fin de l’année 2020. Cela faisait suite au discours de déclaration de « guerre » contre le coronavirus du président de la République, lequel avait annoncé la mise en place d’« un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d’échéances bancaires et de garanties de l’Etat à hauteur de 300 milliards d’euros pour tous les prêts bancaires contractés auprès des banques ». Et le chef de l’Etat avait alors promis : « Pour les plus petites d’entre elles et tant que la situation durera, celles qui font face à des difficultés n’auront rien à débourser, ni pour les impôts, ni pour les cotisations sociales. Les factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus ». Emmanuel Macron était déterminé à y mettre le prix : « Nous n’ajouterons pas aux difficultés sanitaires la peur de la faillite pour les entrepreneurs, l’angoisse du chômage et des fins de mois difficiles pour les salariés. Aussi, tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises quoi qu’il en coûte ». Toutes les start-up de la French Tech en difficulté auront-elles accès au PGE à 300 milliards d’euros ? Nicolas Dufourcq (photo), directeur général de Bpifrance, a indiqué à Challenges que près de la moitié des PGE est attribué à de très petites entreprises (TPE) dans la mesure où chacun de ces prêts est inférieur à 50.000 euros. De plus, à fin avril, quelque 1,4 milliard d’euros de prêts ont été accordés « selon un critère de masse salariale, prévu pour les entreprises réalisant peu ou pas de chiffre d’affaires » – à savoir « les entreprises très jeunes, dont une partie sont des start-up » (3). Mais ces sommes paraissent dérisoires au regard de la crise financière et de la récession économique historiques qui pourraient détruire une partie du tissu de la « start-up nation ». Certes, il y a eu une mesure complémentaire prise le 25 mars en faveur des jeunes pousses « du fait de leur fragilité » : le gouvernement – toujours en cheville avec Bpifrance, mais aussi avec le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, et le secrétariat général pour l’investissement (4), Guillaume Boudy – a lancé en plus « un plan d’urgence exceptionnel de près de 4 milliards d’euros pour aider les jeunes entreprises à traverser cette période difficile ». Car il y a péril dans la French Tech. Ces 4 milliards d’euros dédiés aux start-up se déclineront notamment en un « French Tech Bridge » pour faire le lien financier « entre deux levées de fonds ». Ces crédits-relais peuvent aller de 100 000 euros à 5 millions d’euros, « sous la forme d’obligations convertibles avec un accès possible au capital », cofinancés par des investisseurs privés.

La French Tech chère à Emmanuel Macron
Ce « pont » financier permettra d’injecter un total de 160 millions d’euros en fonds propres pour les startup françaises, dont 80 millions d’euros financés par l’Etat, lequel garantira également des prêts de trésorerie distribués par Bpifrance et des banques privées à hauteur de 2 milliards d’euros. « A cela s’ajoute le remboursement accéléré par l’Etat des crédits d’impôts sur les sociétés restituables en 2020, dont le crédit impôt recherche (CIR) pour l’année 2019 et des crédits TVA », a précisé le gouvernement (5). Ces aides financières empêcheront-t-elles la bulle spéculative des start-up d’éclater. Rien n’est moins sûr. Car covid-19 ou pas, beaucoup de start-up de la génération « French Tech » voulue par Emmanuel Macron ont besoin de brûler beaucoup d’argent pour honorer leur promesse de forte croissance, voire d’hypercroissance.

Plan d’urgence et fonds de solidarité
Si ces ambitieuses jeunes pousses, dévoreuses de capitaux et de cash, n’arrivent plus à lever des fonds – privés ou publics – ni à trouver leur marché, donc leurs (futurs clients), elles risquent d’être menacées de faillite, avant même d’avoir pu dégager des revenus pour nombre d’entre elles. En outre, le chômage partiel, financé par l’Etat, et le report des charges fiscales et sociales des entreprises – pour un total de 100 milliards d’euros supplémentaires (6) en guise de « plan d’urgence économique » (au lieu des 45 milliards d’euros initialement prévus) – pourraient ne pas suffire là aussi à les maintenir à flot et à éviter les licenciements économiques. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait aussi annoncé la création d’un fonds de solidarité doté de 6 milliards d’euros (au lieu 1 milliard d’euros à ses débuts), « afin d’aider les plus petites entreprises, les indépendants, les micro-entreprises », pour peu que chacune de ces entités affiche une perte de 70 % entre mars 2019 et mars 2020. Les start-up fragilisées, dont la promesse de croissance rapide nécessite de brûler beaucoup plus d’argent que les autres TPE, présentent un risque « létal » plus élevé dans ce contexte de chamboulement économique et financier provoqué par cette crise sans précédent. En temps normal, le taux de mortalité chez les start-up est déjà élevé. L’année 2020 pourrait s’annoncer comme une hécatombe, au point que l’on pourrait assister à l’éclatement de la « bulle start-up ». Les entreprises membres du Syntec Numérique ont fait part de leurs inquiétudes. Dans un « baromètre covid- 19 du secteur numérique » publié le 9 avril dernier par ce syndicat professionnel rassemblant quelque 2.000 sociétés de toutes tailles (start-up, TPE, PME, ETI et grands groupes), elles estiment que la reprise de leur activité « s’étale[ra] jusqu’au deuxième trimestre 2021 ». Il leur faudra un an pour refonctionner normalement. Or « 46 % des dirigeants qui expriment leur inquiétude quant à la pérennité de leur entreprise si la reprise de l’économie ne se fait pas à un rythme normal dans trois mois ». Ils sont même 79 % à penser qu’il y a un risque de devoir mettre la clé sous la porte si leur activité n’est pas repartie dans six mois. Autrement dit, il y a aura de la casse dans la « start-up nation ». Les trésoreries fondent comme neige au soleil, alors même que les investisseurs, les capital-risqueurs et les business angels sont pris d’une frilosité bien compréhensible. Ces grands argentiers de la French Tech ont tendance à sauver les meubles de leurs start-up en portefeuille, plutôt que de continuer à débloquer des fonds pour de nouvelles pousses. L’écosystème financier des start-up est mis à mal, le coronavirus l’ayant grippé. Les liquidités se sont asséchées et les business plan sont tous à revoir. « C’est une crise qui va faire des dégâts considérables ; il n’y a aucune raison pour que les start-up soient épargnées », a estimé François Véron, fondateur de Newfund, selon ses propos rapportés par l’AFP le 27 mars. Le secrétaire d’Etat au Numérique, lui, a appelé le 26 mars les fonds d’investissement à dépasser leur frilosité en prenant « leur part de responsabilité » et « leur part de soutien aux start-up » en cette période d’« unité nationale ». Cédric O avait rappelé la veille qu’« une biotech peut mettre 10 ans de recherche à sortir son produit, sans réaliser de chiffre d’affaires », tout en prévenant : « Si on détruit ce tissu au cœur de notre stratégie, de la compétitivité et de la souveraineté française, le risque est qu’on mette des années à le reconstituer ».
De son côté, l’association France Digitale – qui veut « faire de la France le hub des start-up en Europe » – estime que « les mesures prises par le gouvernement et adoptées le Parlement ont été rapides, utiles, mais peuvent nécessiter encore quelques adaptations pour être parfaitement calibrées à destination des start-up et des VC [venture capital, ou capital-risqueurs en français, ndlr] ». Aussi, en cette période de pandémie et de récession, France Digitale propose un pack de mesures complémentaires appelé le « Covid-19 Startup Rescue Kit » (7). Qui qu’il en soit, force est de constater que les start-up continuent d’absorber plus de cash qu’elles ne génèrent de revenus.

Récupérer plusieurs fois sa mise initiale ?
Selon Avolta Partners, un cabinet de conseil spécialiste des fusions et acquisitions dans la French Tech, 4,7 milliards d’euros ont été investis en 2019 dans les start-up françaises (+ 36 % sur un an) par des fonds de capital-risque. En revanche, les « sorties » n’ont atteint que 3,7 milliards d’euros (+ 4 %). Et ce « retour sur investissement » espéré par les investisseurs (8), lesquels souhaitent récupérer plusieurs fois leur mise initiale (revente à d’autres fonds, à de grandes entreprises, ou cession à l’occasion d’une introduction en Bourse), pourrait continuer de stagner, voire décroître en raison de la crise « covid-19 ». @

Charles de Laubier