Avatars conversationnels, les chatbots s’imposent dans nos vies connectées sans garde-fous

Depuis un an, l’Assurance Maladie laisse un chatbot répondre aux millions de visiteurs de son site web Ameli.fr. De plus en plus d’entreprises ont recours à ces robots conversationnels pour assurer leurs relations clients. Du marketing au divertissement, ils remplacent l’humain. Selon quelles règles ?

Les chatbots s’en donnent à cœur-joie. A part la Californie qui leur a consacré une loi en 2018 pour les encadrer et assurer une transparence vis-à-vis des utilisateurs et des consommateurs (1), aucun autre pays – ni même l’Europe pourtant soucieuse du droit des consommateurs et du respect des données personnelles – n’a encore établi de cadre pour réguler ces agents conversationnels aux allures d’êtres humains, qu’il s’agisse d’avatars de l’écrit ou du vocal s’exprimant en langage naturel.

Un avis du CNPEN en vue pour la rentrée
Cependant, la Commission européenne a lancé, dans le cadre de son groupe d’experts de haut niveau sur l’intelligence artificielle (AI HLEG (2)), une réflexion sur les chatbots en vue d’établir des règles éthiques quant à leur utilisation et d’instaurer des garde-fous contre des pratiques abusives (conversations illégales, déloyales, trompeuses, voire manipulatrices). Objectif pour Bruxelles : assurer la protection des consommateurs et des données personnelles, ainsi que la vie privée. « Pensez-vous qu’en Europe, il faudrait adopter un cadre législatif comparable à celui de l’Etat de Californie ? », demande en France le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN), dans une consultation publique sur « les enjeux éthiques liés aux chatbots» lancée il y a un an (3). Selon nos informations, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont dépend le CNPEN (4), rendra un avis sur les chatbots « au début du prochain semestre », avec son analyse à la suite de cet appel à contribution qui s’est achevé à l’automne dernier. Son avis sera accompagné de recommandations dans l’utilisation éthique des agents conversationnels et à l’attention de leurs concepteurs et développeurs. « Cet aspect naturel du dialogue est susceptible d’influer sur l’être humain : c’est le problème fondamental de l’éthique des chatbots », prévient le CNPEN.
Il s’agit notamment d’éviter la manipulation – ou nudge – que pourrait pratiquer un dialogueur virtuel en amenant – sans contrainte et par des biais cognitifs – un utilisateur connecté à changer d’avis, à modifier son comportement, voire à faire quelque chose contraire à ses convictions. Et ce, parfois de façon insidieusement. « Tous les nudges sont-ils permis ? Comment peut-on distinguer les bons des mauvais nudges? », s’interroge le CNPEN, sachant qu’un nudge peut être un moyen soit d’influence des individus à des fins mercantiles ou politiques, soit au contraire de surveiller notre santé et d’améliorer notre bien-être. Bien d’autres questions se posent sur l’éthique des chatbots, telles que leur rôle en cas de conflit, de mensonge, de désinformation, de fausses nouvelles (fake news) ou encore d’appel à la délation. Sans parler des « deadbots » qui peuvent faire parler ou écrire virtuellement des personnes décédées (Microsoft y travaille), soit pour faire vivre la mémoire des disparus, soit pour usurper leur identité. « De tels usages porteraient-ils atteinte au principe de respect de la dignité de la personne humaine ? », questionne encore le CNPEN. Ces robots-logiciels en ligne et interactifs n’ont pas réponse à tout, mais ces « dialogueurs » (5) sont de plus en plus présents dans l’e-commerce, l’e-administration, voire l’e-divertissement. Google a présenté le 18 mai dernier son chatbot LaMDA (6). De son côté, Facebook veut racheter pour 1 milliard de dollars la start-up américaine Kustomer, laquelle avait racheté en mai 2020, la start-up newyorkaise Reply.ai qui lui a justement apporté ce savoir-faire conversationnel. La Commission européenne a fait savoir le 12 mai dernier qu’elle ouvrait une enquête sur le rachat de cette société spécialisée dans la gestion de la relation client et de la publicité en ligne, ou Customer Relationship Management (CRM) et Software as a Service (SaaS). CRM et chatbots sont devenus indissociables, Messenger et WhatsApp pouvant soutenir la conversation. Dix Etats membres de l’Union européenne – dont la France – ont demandé à Bruxelles d’examiner cette opération au regard du droit de la concurrence. Ce droit de regard de ces pays a été rendu possible par le fait que Facebook a tout de même dû soumettre son projet à l’autorité de la concurrence en Autriche. En conséquence, « Facebook doit donc nous notifier la transaction, qu’il ne peut mettre en œuvre sans notre autorisation », indique la Commission européenne.

« AmeliBot » de l’Assurance Maladie
En France, où la Cnil a émis en février sur les chatbots des « conseils pour respecter les droits des personnes » (7), l’Assurance Maladie a par exemple lancé il y a un an « AmeliBot » en s’appuyant sur la plateforme conversationnelle DigitalCX du néerlandais CX Company, laquelle a été rachetée en mai 2020 par son compatriote CM.com. L’expérience est concluante puisque le chatbot de cette branche de la Sécurité sociale a pu accélérer le traitement de plus de 40 millions de demandes en moyenne par mois. @

Charles de Laubier

L’échec de l’enceinte vocale Djingo, débranchée le 31 mars, écorne l’alliance Orange-Deutsche Telekom

Depuis fin mars, l’enceinte connectée Djingo d’Orange ne répond plus. Ce « speaker » intelligent, issue de la coopération franco-allemande des deux opérateurs télécoms historiques, est un échec côté français. Mais selon nos informations, l’équivalent côté allemand – Magenta – continue d’être vendu.

De « Ok Djingo » à « Djingo KO »… « Suite à l’arrêt de la commercialisation du speaker Djingo en octobre 2020, Orange a décidé de fermer définitivement les services Djingo et Alexa [l’assistant vocal d’Amazon proposé en plus, ndlr] sur les enceintes vocales Djingo. Ainsi, depuis le 31 mars 2021, le speaker Djingo a cessé de fonctionner. Plus aucune interaction n’est possible avec l’enceinte vocale », confirme un porteparole d’Orange, à Edition Multimédi@.

Speakers : Djingo s’arrête, Magenta continue
L’assistant vocal Djingo – à savoir la partie intelligence artificielle (IA) – n’est donc plus assortie de son enceinte connectée du même nom. Comme l’ex-France Télécom l’avait annoncé dans un tweet le 28 janvier (1), les services du « speaker » Djingo ont cessé de fonctionner. Bien que l’enceinte connectée soit toujours présentée dans la boutique en ligne d’Orange, elle est estampillée de la mention « Ce produit n’est plus commercialisé. Temporairement indisponible » (2). Issue de la coopération technologique entre Orange et Deutsche Telekom, l’enceinte vocale intelligence – baptisée Djingo côté français et Smart Speaker Magenta côté allemand – avait été lancée par les deux opérateurs télécoms historiques : en septembre 2019 en Allemagne et en novembre 2019 en France.
Ce speaker était présenté par Stéphane Richard (photo de gauche) et Timotheus Höttges(photo de droite), PDG respectifs d’Orange et de Deutsche Telekom, comme étant l’une des concrétisations les plus visibles (et sonores) de la coopération franco-allemande dans l’innovation. Si seize mois après son lancement, l’enceinte Djingo est débranchée et abandonnée côté français, il n’en va pas de même pour le smart speaker Magenta côté allemand. « Nous sommes à ce jour satisfaits des ventes de notre haut-parleur intelligent, et nous continuerons à commercialiser l’appareil. Nous avons même lancé l’an dernier un nouveau modèle, le Smart Speaker Mini », nous assure un porte-parole de Deutsche Telekom. Ce « petit frère » (dixit) vient en renfort – mais en plus compact et moins cher (49,99 euros) – du premier Smart Speaker, plus coûteux (149,99 euros) et lancé un an auparavant (3). L’enceinte française Djingo, elle, n’aura pas survécu face au trio dominant constitué par la Google Home, l’Echo d’Amazon et la HomePod d’Apple, forts de leur IA respective (Assistant, Alexa et Siri). « Orange a ainsi révisé la stratégie de développement de son interface vocale Djingo en stoppant la commercialisation du speaker dans un marché trop encombré », a justifié l’opérateur français dans son document d’enregistrement universel 2020 publié le 18 mars. Un an plus tôt, le discours était tout autre : « Développé avec Deutsche Telekom, l’enceinte connectée Djingo est une enceinte vocale qui intègre l’assistant virtuel Djingo, se commande à la voix et offre la possibilité d’utiliser l’assistant vocal Alexa d’Amazon pour accéder à des services complémentaires ». Après trois ans de développement francoallemand, une présentation en grande pompe par Stéphane Richard lors de son « Show Hello » d’avril 2017, et un lancement commercial retardé, les ventes s’avèrent aussitôt décevantes. Les deux premiers mois font état d’à peine « plus d’un millier d’enceintes connectées vendues en France ». Stéphane Richard doit monter au créneau, le 23 janvier 2020, pour défendre son enceinte vocale confrontée en outre à des problèmes techniques : « Les chiffres de vente sont modestes, mais nous n’avons eu aucune action de vente, pas de campagne de communication. (…) Le lancement commercial réel va se faire en 2020. Nous allons y mettre les moyens. (…) Nous sommes partis sur l’assistant vocal avec près de cinq ans de retard sur Google et Amazon : je plaide pour un peu de patience ». L’aide d’Alexa n’a pas suffi.
Quid de ceux qui ont un compte Alexa/Amazon justement ? : « L’arrêt du service et la suppression de votre compte Djingo et des données associées n’entraînent pas la suppression de votre compte Alexa/Amazon et des données associées (…) directement gérées par (…) Amazon », informe Orange sur la page web dédiée au « remboursement intégral » du speaker Djingo (4).

La coopération vocale « FR/DE » se poursuit
Bien que l’arrêt du speaker Djingo ternisse un peu la coopération franco-allemande des deux opérateurs télécoms de part et d’autre du Rhin, celle-ci se poursuit néanmoins dans le vocal. « Le sujet de la voicification/commande vocale en général n’est pas seulement lié à un dispositif. Nous apportons ici une contribution forte grâce à notre force d’innovation et nous continuons à coopérer avec nos partenaires français », nous assure Deutsche Telekom. Côté français, Orange nous précise que « le nom Djingo reste d’actualité » car il désigne l’assistant vocal utilisé sur d’autres interfaces : télécommande TV, maison connectée, etc. @

Charles de Laubier

Enchères des principales fréquences 5G en France : le gouvernement passe en force

Le coup d’envoi des enchères des fréquences 5G va être donné en France le 29 septembre, malgré les nombreux appels au principe de précaution sanitaire et environnementale. Le gouvernement, qui espère de la vente plus de 2,1 milliards d’euros, a écarté tout moratoire.

C’est mal parti. La cinquième génération de mobile (5G) ne fait pas l’unanimité. Avant même son lancement, elle est décriée par une partie de la population française que l’on ne peut ne pas écouter. Une soixantaine d’élus, dont les maires de onze grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, …), ont publié dans le Journal du Dimanche (JDD) du 13 septembre une tribune pour demander de surseoir au lancement de la 5G, dont les premières enchères doivent commencer le 29 septembre (1).

Macron devait « étudier » le moratoire
« Nous, maires et élus, proposons dans l’immédiat un moratoire sur le déploiement de la 5G au moins jusqu’à l’été 2021. Pendant ce moratoire, nous demandons la tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », ont écrit les signataires. A l’appui de leur prise de position au nom du principe de précaution, ces édiles ont tenu à rappeler que « le moratoire est l’une des propositions de la convention citoyenne pour le climat, que le président de la République [Emmanuel Macron] s’est engagé à étudier. Nous lui demandons, ainsi qu’au gouvernement, de respecter cet engagement ». Ils demandent en outre que « la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». Sur ce point, l’une des signataires, la maire écologiste (2) de Besançon, Anne Vignot (photo), a même parlé sur Franceinfo le jour même de gabegie : «On a promis la fibre sur tout le territoire ; on a promis la 4G. Et là, on passe d’une technologie à l’autre. C’est une vraie gabegie. On n’arrive jamais à stabiliser les moyens que l’on donne aux entreprises et aux particuliers, donc on a besoin d’un moratoire. (…) C’est de la gabegie de changer en permanence d’équipement avant d’avoir fini le déploiement », a lancé l’élue du chef-lieu de la région de Franche-Comté et préfecture du département du Doubs. Entrée en politique il y a dix ans, chez Europe Écologie-Les Verts (EELV), Anne Vignot – ingénieure de recherche au laboratoire chronoenvironnement du CNRS – est devenue maire le 3 juillet dernier, après avoir été depuis 2014 maire-adjointe de Besançon en charge de la transition écologique. « On n’a aucune étude qui nous permette de savoir à quoi l’on expose nos populations, et en tant que maire on a cette responsabilité. On a besoin de connaître l’impact de la 5G sur [la santé et] l’environnement. On sait que le numérique est quelque chose qui demande énormément d’énergie ; on sait que les problématiques de stockage sont vraiment très gourmandes. Il serait quand même temps qu’on envisage à chaque fois l’impact d’une nouvelle technologie », a-t-elle insisté.
• Côté environnement, les signataires de la tribune se font l’écho des « anti-5G » sur le fait que l’impact environnemental induit par les usages numériques ne cesse d’augmenter, et que, avec l’explosion des usages, les gains attendus par « la faussement nommée “dématérialisation” » ne sont pas démontrés. « Les industriels s’accordent sur la promesse de multiplication par 1.000 des données échangées sur les réseaux dans les prochaines décennies », affirment-ils. Selon eux, la 5G – aux débit dix fois supérieurs à ceux de la 4G – provoquera « un “effet rebond” » induit par la hausse de la consommation de données et des usages en ligne, qui se traduira par « une très forte consommation d’énergie par la sollicitation des antennes et des serveurs ». A leurs yeux, la 5G et le renouvellement des smartphones qu’elle va engendrer vont en outre « exponentiellement accélérer l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l’extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable ». Ils demandent donc au gouvernement qu’une étude d’impact environnemental préalable sur la 5G soit envisagée avant son déploiement.

Rapport de l’Anses début 2021
• Côté santé, les signataires font référence à un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), daté d’octobre 2019, qui a mis en évidence « un manque important, voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » de la 5G. Un rapport final de l’Anses, censé dire s’il y a un problème pour la santé ou pas, est attendu pour début 2021. « L’étude est actuellement en cours ; il nous semble indispensable d’attendre ses conclusions avant de déployer la 5G dans nos villes et dans nos campagnes. Ce temps d’analyse redonne à l’Etat son rôle souverain sur les questions sanitaires au regard de l’intérêt collectif plutôt que d’intérêts économiques industriels », insistent les élus. Pour eux, Les ondes hertziennes de la 5G vont s’ajouter à celles des 4G, 3G et 2G, « ce qui aboutira à une hausse du niveau d’exposition de la population aux ondes ». Ils estiment aussi « urgent de s’interroger sur l’impact sanitaire de la multiplication d’objets hyperconnectés ». De son côté, la maire de Rennes, Nathalie Appéré, a annoncé le 17 septembre avoir demandé à un spécialiste, Pierre Jannin, une étude d’impact sur la 5G.
• Côté technologies, là où Anne Vignot évoquait « une vraie gabegie », elle et ses homologues s’interrogent sur « l’inflation numérique » alors même que la France n’est pas capable de résorber sa fracture numérique avec les technologies existantes telles que la 4G et la fibre optique.

Fracture numérique : risque d’aggravation
Les trois mois de confinement ont jeté une lumière crue sur cette fracture numérique justement (3). «Alors que la technologie 4G n’est toujours pas totalement déployée, que les collectivités dépensent des sommes importantes pour équiper en fibre les espaces ruraux et des espaces mal desservis, l’arrivée de la 5G risque surtout d’aggraver les fractures numériques existantes, craignent les maires. Nous nous interrogeons sur le rôle de la 5G et de l’Internet mobile dans la résorption de la fracture numérique. Nous souhaitons que les communes aient la capacité de choisir le mode d’accès à Internet et la maîtrise du développement des réseaux numériques ». A noter que dans leur tribune, les élus n’évoquent pas du tout le risque supposé de cybersurveillance avancé par certains – Donald Trump en tête – lorsqu’il s’agit du numéro un mondial des équipements 5G, le chinois Huawei (4).
Le lendemain de la parution de cette tribune aux allures de pavé dans la marre (5), le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’est opposé à tout retard de la 5G. « Ce serait une erreur dramatique pour le pays. Ça nous priverait d’avancées en matière médicale, de gestion des flux d’énergie, de gestion des transports, a-t-il plaidé sur France 2 le 14 septembre. Ce serait un retour en arrière pour la France et moi je préfère la France en avant, conquérante, qui réussit économiquement, que la France fossilisée qui ne bouge pas ». Le même jour, Emmanuel Macron, ironisait sur les adeptes du « modèle Amish » et du « retour à la lampe à huile » ! Venant du président de la République, cette pique a été perçue comme méprisante.
Quant à l’eurodéputé EELV, Yannick Jadot, il s’est exprimé, sur France Inter, pour appeler à ne pas se précipiter sur la 5G sans « savoir » : « On ne peut pas dans le même temps dire qu’avec la 5G, c’est une révolution numérique qui va transformer nos modes de vie, nos modes de travail, nos entreprises, et ne pas avoir un débat public autour de qui va bénéficier de cette 5G et comment ça va changer nos modes de vie », a-t-il déclaré. Et sur Franceinfo, Benoît Hamon, l’ancien candidat socialiste à la présidentielle, était sur la même longueur d’onde : « A partir du moment où il peut y avoir une menace sur la santé publique, l’on doit obtenir les informations nécessaires pour savoir s’il y a un danger ou pas ». Quant aux opérateurs télécoms concernés au premier chef – Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free –, ils font le dos rond. Il y a bien eu la tribune surprise du 23 mai dernier de Martin Bouygues dans Le Figaro, où il demandait le report des enchères. La raison première avancée par le PDG du groupe éponyme était qu’il fallait tirer les conséquences du coronavirus : « La situation du pays, qui se relève avec difficulté d’un terrible cauchemar sanitaire humain et économique, commande de repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G ». Et d’ajouter plus loin : «Je le regrette, mais c’est ainsi. Il y a ceux qui sont persuadés, sans aucun fondement scientifique, que la 5G serait dangereuse (…) » (6) (*) (**). Devant une commission du Sénat le 10 juin, Martin Bouygues a confirmé sa proposition de repousser les enchères de quelques mois, mais cette fois « pour avoir le temps de renégocier un accord global [dans le cadre du New Deal mobile, ndlr] pour construisent 1.500 ou 2.000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années » (7). Le lendemain de son audition, le gouvernement et le régulateur lui lançaient une fin de non-recevoir en maintenant les enchères à fin septembre – initialement prévues en avril dernier (8).
A quelques jours du coup d’envoi de la « vente » des fréquences qui devrait rapporter plusieurs milliards d’euros à l’Etat (mise à prix à 2,17 milliards d’euros), et alors que les « anti-5G » se font encore plus entendre, Stéphane Richard apparaît comme le défenseur-en-chef de la 5G. Le PDG d’Orange tente de désamorcer les résistances :« Il n’y a rien de dramatique mais je pense qu’il était vraiment temps de le faire. C’est la raison pour laquelle on a milité pour le maintien du calendrier. Je pense que cela aurait été préjudiciable qu’on les reporte encore », a-t-il déclaré dans un entretien à l’AFP le 8 septembre, tout en laissant entendre que le début de la commercialisation des offres 5G sera « faisable avant la fin de l’année ». Quid des interrogations légitimes sur les risques sur la santé et l’environnement ? « Je l’entends et évidemment je ne peux pas l’ignorer, a concédé Stéphane Richard. J’observe que le débat est plus fort en France que partout ailleurs en Europe ».

70 M€ minimum chaque bloc de 10 Mhz
La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a écarté le 16 septembre sur Europe 1 l’idée d’un report des enchères : « Le moratoire a un intérêt à partir du moment où on n’a pas les données, et justement on a un rapport qui est sorti [le 15 septembre], qui nous précise que, sur les bandes qui vont être occupées d’ici la fin de l’année, il ne va y avoir en gros aucun risque si on respecte les normes ». Le même jour, le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, lançait sur Radio Classique : « Il n’y a pas de raison de stopper la 5G en elle-même ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, renchérissait sur France Inter : « la 5G est indispensable ». @

Charles de Laubier

Le nombre d’objets connectés à un réseau mobile (cartes MtoM) franchit la barre des 20 millions

Pour la première fois, l’Internet des objets (IoT) en France dépasse les 20 millions de cartes SIM connectées à un réseau mobile (Bouygues Telecom, Free, Orange ou SFR). La croissance annuelle à deux chiffres montre le dynamisme de ce marché des objets intelligents que convoitent aussi les GAFA.

Depuis près de trois ans, la croissance annuelle des cartes SIM dites MtoM (Machine-to-Machine) est égale ou supérieure en France à 3 millions d’unités supplémentaires : plus ou moins 20 % par an. Rien qu’au troisième trimestre 2019, malgré un ralentissement de la croissance, la hausse sur an a été d’un peu plus de 3 millions d’objets connectés de plus à un réseau mobile – pour atteindre un parc total de 20,3 millions au 30 septembre dernier. C’est ce que montrent les nouveaux chiffres des services mobiles que l’Arcep a publiés le 7 novembre (voir tableau ci-dessous).

Relais de croissance pour les opérateurs
Les objets connectés aux réseaux mobiles constituent un nouvel Internet qui rend intelligents toutes sortes d’appareils, le plus souvent à usages professionnels mais aussi et de plus en plus à utilisation grand public. « Les communications provenant de ces cartes sont généralement réalisées sans intervention humaine. Ces cartes sont par exemple utilisées pour le traçage des objets et outils de travail (flottes de véhicules, machines, …), à des fins d’actualisation de données (relevés à distance de compteurs, de capteurs, …), d’identification et de surveillance de tous ordres (alarmes, interventions à distance, …) », indique l’Arcep dans son observatoire des services mobiles. Cela peut aussi concerner des caméras de surveillance, des matériels communicants, voire des terminaux en tous genres. Les villes intelligentes (Smart Cities) et transports connectés ont de plus en plus recours à des cartes SIM pour certains objets connectés. Les quatre principaux opérateurs mobiles français – Bouygues Telecom, Free, Orange ou SFR – commercialisent les cartes MtoM essentiellement auprès d’une clientèle professionnelle.
En 2018, le chiffre d’affaires généré par ces cartes SIM dédiés aux objets connectés s’est élevé à 125 millions d’euros pour un revenu mensuel moyen par carte MtoM de 0,6 euro HT. La croissance annuelle de ces revenus est significative : + 10 %. Ce qui, selon les calculs de Edition Multimédi@, devrait porter ce segment de marché français à 137,5 millions d’euros cette année. Les opérateurs télécoms voient donc dans ce que les Anglo-saxons appellent l’IoT (Internet of Things) un relais de croissance, alors que la croissance de leur marché mobile global tend à ralentir. Le taux de pénétration des cartes SIM en France est actuellement de 113 %, ce qui laisse suggérer que la maturité du marché mobile se le dispute à la saturation. Certains modèles de montres connectées peuvent accueillir une carte SIM (Apple Watch, Samsung Gear, LG Urbane, …). Pour autant, les cartes SIM pour des communications MtoM sont loin de représenter la totalité du marché des objets connectés. Car il n’y a pas que les fréquences mobiles (3G et 4G) pour les faire tous communiquer. D’autres objets connectés, notamment ceux liés à la domotique, peuvent se contenter d’une connexion Wifi fournie par la « box » de la maison. C’est le cas aussi des enceintes connectées à assistant vocal. En mobilité, la technologie sans fil Bluetooth peut aussi faire l’affaire lorsqu’il s’agit de connecter une montre intelligente (smartwatch) ou un bracelet de santé (activity bracelets) à un smartphone doté de l’application correspondante. Bien plus que les seules cartes MtoM encore très orientées vers les professionnels et les industriels, le vaste marché des « wearables » grand public (montres connectées, trackers/moniteurs d’activité, bracelets de santé, etc) attise les convoitises. Le 1er novembre dernier, Google a annoncé le rachat de Fitbit, l’un des leaders et pionniers mondiaux des objets connectés consacrés au fitness. La transaction de 2,1 milliards de dollars doit être finalisée en 2020. Selon le cabinet d’études IDC, le marché mondial des objets connectés est dominé par le chinois Xiaomi, suivi par Apple (numéro un mondial sur les seules montres connectées), Huawei, Fitbit et Samsung. @

Charles de Laubier

Dégrouper la « box » des opérateurs aux Etats-Unis : idée transposable aux objets connectés en Europe

Le régulateur américain des communications, la FCC, s’apprête à changer
de président pour être « Trump » compatible. Du coup, ses propositions de dégrouper les set-top-boxes des câblo-opérateurs risquent d’être enterrées
avant d’avoir existé. Pourtant, elles méritent réflexion – y compris en Europe.

Par Winston Maxwell*, avocat associé, Hogan Lovells

La prise de fonctions le 20 janvier 2017 du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, sera suivie de la démission du président actuel de la FCC (1), Tom Wheeler. Le successeur
de ce dernier, issu du Parti républicain, sera nommé pour le remplacer. Le départ de Tom Wheeler (2) signifie l’abandon probable de l’idée de dégrouper le décodeur des câblo-opérateurs américains. Cette idée, qui a fait l’objet d’une proposition adoptée par la FCC le 28 février dernier, mérite néanmoins notre attention car elle illustre les enjeux liés à la télévision connectée et plus généralement au partage de données collectées dans le cadre des objets connectés.

Des set-top-boxes peu performantes
D’abord examinons la notion de « dégroupage » d’un décodeur, appelé aux Etats-Unis set-top-box. Les services de transmission d’un câblo-opérateur se divisent en deux
« tuyaux » logiquement distincts. Le premier tuyau consiste en la transmission de programmes utilisant de la bande passante réservée à cet effet. Il s’agit de services de transmission gérés de bout en bout par le câblo-opérateur. Le deuxième tuyau consiste en la fourniture d’un service d’accès à Internet. Cette deuxième partie du service est ouverte et soumise aux règles sur la neutralité de l’Internet. Pour accéder à l’offre télévisuelle sur la partie gérée du service, le téléspectateur doit utiliser un décodeur fourni par le câblo-opérateur. Aux États-Unis, la fourniture de cette « box » est payante, le téléspectateur s’acquittant d’un loyer mensuel. Selon la FCC, ce décodeur est non seulement cher, mais il est aussi peu performant, la technologie ayant peu évolué depuis une décennie. Les téléspectateurs américains semblent donc prisonniers d’une situation où le câblo-opérateur leur impose la location d’un décodeur peu performant. En 2015, la FCC, a lancé une première consultation publique pour mettre fin au monopole de fait qui existe en faveur des câblo-opérateurs pour la fourniture de leurs décodeurs. L’idée était de créer un marché dynamique où les développeurs indépendants pourraient proposer des fonctions qui aujourd’hui sont regroupées au sein du décodeur. Car cette « box » agrège plusieurs fonctions distinctes. La fonction
la plus basique consiste à transformer les signaux vidéo en images et sons lisibles par le téléviseur. Mais elle gère également l’accès aux programmes payants. Pour ce faire, elle a une fonction d’authentification et de gestion des conditions d’accès. Ces systèmes font régulièrement l’objet d’attaques par des pirates qui essayent de contourner le système afin d’organiser un marché noir d’accès aux programmes payants. C’est pour cette raison que les câblo-opérateurs et les ayant droits ne souhaitent pas que cette fonction soit séparée du décodeur, car l’existence d’un décodeur physique permet d’augmenter les mesures d’anti-piratage. Une autre fonction de la « box » est de fournir le guide électronique de programmes – Electronic Program Guide (EPG) – et de gérer les fonctions de recherches de programmes et de navigation. Les décodeurs actuels semblent archaïques comparé à l’interface d’une tablette ou d’un smartphone. C’est pour cette raison que la FCC a souhaité envisager de dégrouper les différentes fonctions du décodeur afin de permettre plus d’innovation et de choix au bénéfice du téléspectateur. La première proposition de la FCC aurait contraint les câblo-opérateurs à fournir des flux de données selon un standard ouvert, de manière à permettre à n’importe quel développeur d’intégrer ces fonctions dans différents types de terminaux. Ces fonctions pourraient être intégrées par exemple
dans le logiciel de navigation d’une tablette, ou d’une télévision connectée. La FCC
a rencontré une forte résistance de la part des câblo-opérateurs et des ayant droits. Dégrouper la fonction d’authentification et de gestion des conditions d’accès augmenterait le risque de piratage. La FCC a ainsi fait marche arrière et a proposé
une solution de compromis par laquelle le câblo-opérateur fournirait une application téléchargeable sur une tablette ou télévision connectée. Cette application resterait
sous le contrôle du câblo-opérateur permettant un niveau plus élevé de sécurité que
s’il s’agissait d’une application tierce.

Les enjeux de l’interface et des données
Mais la sécurité n’est pas le seul enjeu. La FCC souhaitait également ouvrir à la concurrence les fonctions du décodeur liées à l’interface avec les utilisateurs.
Cette proposition s’est également heurtée à une opposition des câblo-opérateurs
qui craignaient la perte de leurs relations commerciales avec leurs abonnés. L’enjeu était ici commercial. La maîtrise de l’interface de navigation permettrait à un prestataire tiers d’organiser la page d’accueil, d’apposer ses propres marques, et surtout de collecter des données sur les habitudes des téléspectateurs. Aux yeux des câblo-opérateurs, le décodeur reste un rempart contre la captation de la valeur des données par les grands prestataires d’Internet.

Dégroupage des objets connectés ?
A première vue, le dégroupage des « box » semble similaire à l’ouverture à la concurrence des téléphones dans les années 1990. Le dégroupage des téléphones a conduit à une vague d’innovation sans précédent, aux extrémités des réseaux. Cette innovation se perpétue encore aujourd’hui sur l’Internet, où il est possible d’« innover sans permission » – pour emprunter les termes de Yochai Benkler (3) – aux extrémités du réseau. Le droit d’innover aux extrémités du réseau est aujourd’hui garantie par la régulation sur la neutralité de l’Internet. Mais les règles sur la « Net Neutrality » ne s’appliquent pas aux services « gérés », comme la télévision accessible sur les « box ». S’agissant d’un opérateur de télécommunications bénéficiant d’un monopole juridique, imposer le dégroupage des terminaux en 1990 semblait logique. La question devient plus complexe lorsque l’opérateur en cause évolue dans un marché concurrentiel.
La proposition de la FCC fournit un exemple des complexités qui se transposent facilement à l’Internet des objets, où l’accès aux données est devenu un enjeu clé
pour l’innovation : compteurs électriques intelligents, maisons connectées, ou encore véhicules connectés. Obliger une entreprise privée à ouvrir à des tiers l’accès aux données de ses clients peut sembler à première vue attrayant pour encourager l’innovation. Mais vue de plus près, la question est complexe (4) et la notion
d’« innovation » incertaine (voir encadré ci-dessous), sans même parler de la protection des données à caractère personnel, un enjeu crucial. L’étude de l’Autorité de la concurrence (France) et de la Competition and Markets Authority (Grande-Bretagne) sur les écosystèmes et leurs effets sur la concurrence – analyse conjointe publiée en décembre 2014 (5) – montre que l’existence d’un écosystème fermé ne se traduit pas forcément par une diminution de la concurrence et de l’innovation. Chaque situation doit être examinée séparément. La même conclusion découle de l’étude récente conduite par la même Autorité de la concurrence avec cette fois la Bundeskartellamt (Allemagne) sur la collecte de données par les plateformes – analyse conjointe publiée en mai 2016 (6). Cette collecte de données ne conduit pas forcément à une diminution de l’innovation et de la concurrence.
La Commission européenne s’est exprimée le 10 janvier dernier sur le partage de données collectées dans le contexte des terminaux, compteurs ou encore véhicules connectés. Selon sa communication intitulée « Construire une économie européenne de la donnée » [« Building a European Data Economy », lire l’article pages 6 et 7, ndlr], la Commission européenne souligne la nécessité d’encourager le partage tout en respectant les négociations commerciales, la sécurité des systèmes, et l’investissement des entreprises ayant permis la production des données. Le débat sur le dégroupage des « box » et autres plateformes d’objets connectés promet de rester vif. @

* Winston Maxwell a eu l’occasion d’exposer la question du
dégroupage des « box » aux Etats-Unis au CSA Lab lancé
14 juin 2016, dont il est l’un des neuf membres experts,
ainsi qu’au Conseil d’Etat lors du colloque « Concurrence et
innovation à l’ère du numérique » le 9 décembre 2016.

ZOOM

Encourager l’innovation par la régulation, mais quelle « innovation » ?
Pour élaborer un système réglementaire qui favorise l’innovation, encore faut-il pouvoir la mesurer. Or, mesurer le niveau d’innovation est compliqué. Dans les années 1990, des recherches ont été faites aux Etats-Unis sur le lien entre la régulation sur la protection de l’environnement et l’innovation. A l’époque, certains disaient que la régulation favorisait l’innovation : cela s’appelait « l’hypothèse de Porter ». Valider cette hypothèse nécessite de se mettre d’accord sur ce que l’on entend par « innovation ».
Si l’on mesure l’innovation par les dépenses de recherches dédiées aux problèmes
de conformité (on parle de compliance innovation), alors, oui, la régulation conduit généralement à une augmentation de l’innovation. En revanche, si l’on mesure l’innovation par d’autres critères, par exemple le nombre de brevets déposés ou le nombre de start-up levant des fonds de capital risque, la réponse sera différente. Sans pouvoir mesurer l’innovation, on navigue à l’aveugle. La régulation peut elle-même innover. Certains auteurs prônent une régulation « adaptative » et « expérimentale »
qui s’adapterait en fonction des résultats observés. Préconisée dans la dernière étude annuelle du Conseil d’Etat, la réglementation expérimentale serait particulièrement bien adaptée aux marchés numériques, où le risque d’erreur est élevé. Mais cette forme de régulation nécessiterait des mécanismes de suivi sur l’efficacité de la régulation, et ces mécanismes sont rares. @