La banque centrale américaine, la Fed, met des bâtons dans les cryptos pour préserver le dollar

A peine le géant du e-paiement PayPal avait-il annoncé le 7 août sa cryptomonnaie indexée sur le dollar, baptisée « PayPal USD », que la banque centrale des Etats-Unis – la Federal Reserve (Fed) – publiait le lendemain un avertissement à l’attention du secteur bancaire américain.

Il ne s’agit pas, du point de vue des Etats- Unis, de déstabiliser le sacro-saint dollar américain, qui est devenu depuis la Seconde-Guerre mondiale (1) la plus importante monnaie de réserve internationale, après avoir détrôné la livre sterling britannique. Le dollar est la monnaie la plus utilisée dans le monde. Or dès qu’une monnaie ou une devise – et à plus forte raison une cryptomonnaie – menace la suprématie du billet vert, la Fed (Federal Reserve) voit rouge.

La Fed freine les cryptos et lance FedNow
D’où ses mises en garde aux émetteurs de monnaies numériques, y compris celles adossées au dollar. C’est ainsi que la banque centrale américaine (2) a publié le 8 août – soit le lendemain de l’annonce par PayPal de sa propre cryptomonnaie indexée sur le dollar et baptisée « PayPal USD » – un avertissement aux banques des 50 Etats membres, du moins à celles « qui cherchent à s’engager dans certaines activités impliquant des jetons en dollars ». La Fed, présidée par Jerome Powell (photo), a rappelé que le Federal Reserve Act (3) permet au conseil des gouverneurs de la Fed d’exercer son « pouvoir discrétionnaire » pour « limiter les banques d’Etat membres et leurs filiales à n’exercer, en tant que mandant, que les activités qui sont autorisées pour les banques nationales ».
Pour les transactions avec des jetons en dollars (dollar tokens) rendues possibles – comme pour toutes les cryptomonnaies – par la blockchain, ce que la Fed appelle « la technologie du grand livre distribué [distributed ledger] ou des technologies similaires », elles sont possibles mais à une condition : que la banque ait obtenu l’autorisation après avoir démontré au Bureau du contrôleur de la monnaie (OCC) et aux superviseurs qu’elle a mis en place « des contrôles pour mener l’activité de manière sûre et saine ». Autrement dit, pour peu qu’elles aient le feu vert de la Fed, les banques américaines peuvent « effectuer des activités de paiement à titre principal, notamment en émettant, détenant ou effectuant des transactions de jetons en dollars », ce que l’OCC appelle des « stablecoin » (cryptos adossées à une monnaie plus stable comme le dollar ou l’euro). Même pour tester un dollar token, une autorisation écrite dite de « non-objection prudentielle » est aussi nécessaire. Les Etats-Unis ont en fait tendance à voir l’émergence de ces « stablecoin » comme une menace potentielle pour la stabilité financière du pays voire du monde et un risque d’atteinte à sa souveraineté monétaire. Dans sa « lettre de supervision et de régulation » (4), la Fed oblige les banques à éviter « les risques opérationnels » (gouvernance, surveillance du réseau, …), « les risques de cybersécurité » (smart contracts, codes open source, …), « les risques de liquidité » (rachats importants, sorties rapides de dépôts, …), « les risques financiers illicites » (secret bancaire, identité d’un client, activités suspectes, …), « les risques liés à la conformité des consommateurs » (identification, protection des consommateurs, …). La Fed entend ainsi maintenir la pression sur les banques qui doivent plus que jamais montrer pattes blanches en matière de cryptomonnaies, stablecoins compris. La Réserve fédérale, à la fois juge et partie, n’a-t-elle pas lancé le 20 juillet dernier FedNow (5), un service de e-paiement instantané à bas coût proposé à leurs clients par déjà 35 banques et organismes de crédit ? Certains y voient une volonté de la Fed de rendre obsolètes les cryptomonnaies (6).
Ce n’est pas un hasard si le rappel à la loi fédérale a été émis juste après l’annonce du PayPal USD (PYUSD), la veille. Le géant du e-paiement a lancé le 7 août son stablecoin qui est « entièrement adossé aux dépôts en dollars américains, aux bons du Trésor américain à court terme et aux équivalents de trésorerie similaires, et peut être échangé 1:1 contre des dollars américains ». PayPal estime que « les stablecoins réglementés et entièrement adossés ont le potentiel de transformer les paiements dans les environnements web3 et numériques natifs ». Et le PDG de PayPal, Dan Schulman, d’affirmer : « La transition vers les monnaies numériques nécessite un instrument stable qui est à la fois numérique et facilement connecté à la monnaie fiduciaire comme le dollar américain ».

PayPal vise le monde, Worldcoin aussi
PayPal USD est émis en tant que jeton numérique ERC- 20 sur la blockchain Ethereum par Paxos Trust Company (ex-itBit), une fintech newyorkaise pionnière de la blockchain et du bitcoin. PayPal a obtenu de la part du l’Etat de New York en juin 2022 la licence BitLicense validant la sécurité de ses investissements dans les cryptos. Pendant ce tempslà, le 24 juillet, la version bêta de la cryptomonnaie Worldcoin (WLD), cocréée par le fondateur d’OpenAI/ChatGPT, Sam Altman, a été lancée (7). Face à cette « bitconnisation » de la finance, les banques centrales du monde entier et les régulateurs ne sont pas au bout de leurs peines. @

Charles de Laubier

Majorité numérique à 15 ans harmonisée en Europe ?

En fait. Le 28 juin, la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » a été définitivement adoptée en commission mixte paritaire par députés et sénateurs. L’âge de 15 ans pour les réseaux sociaux va-t-il être harmonisé au niveau des Vingt-sept ?

En clair. Maintenant que la loi française « Majorité numérique » a été adoptée le 28 juin, obligeant les réseaux sociaux et plateformes numériques à vérifier non seulement que leurs jeunes utilisateurs ont bien l’âge de 15 ans pour les utiliser, mais aussi à obtenir une autorisation parentale en dessous de cet âge-là, la Commission européenne devra donner son avis. Le gouvernement français lui a en effet notifié la proposition de loi telle qu’adoptée, afin d’avoir le feu de Bruxelles qui doit vérifier que cette législation est bien conforme au droit de l’Union européenne.
Une fois le blanc-seing de la Commission européenne obtenu, le gouvernement fixera par décret une date d’entrée en vigueur de la loi, « [date] qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne ». L’harmonisation de la majorité numérique en Europe ne semble pas prévue, le règlement général sur la protection des données (RGPD) laissant le loisir aux Etats membres de fixer cette majorité numérique entre 13 et 16 ans (1). Cette vérification de l’âge viendra donc s’ajouter à l’obtention du consentement de l’enfant « e-majeur » ou d’un parent pour le traitement des données à caractère personnel – cette obligation concernant la protection de la vie privée étant déjà en vigueur. Pour l’accès aux réseaux sociaux, ce n’est qu’à compter de la date de promulgation de la loi « Majorité numérique » que les plateformes numériques (YouTube, Instragram, WhatsApp, TikTok, Facebook, Google Actualités, …), ainsi que les sites pornographiques premiers visés (2), disposeront de deux ans pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. C’est le président de l’Arcom qui est chargé de veiller à ce que les plateformes numériques mettent en œuvre une « solution technique certifiée pour vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de moins de quinze ans ».
Au préalable, l’Arcom devra établir un « référentiel » validé par la Cnil (3), auquel les « solutions techniques » devront être conformes. Or la Cnil, qui a préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (4) préféré à la carte d’identité, n’a toujours pas rendu public le bilan du test mené par un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) de Bercy. @

La peur envers les intelligences artificielles de type ChatGPT tourne à la psychose irrationnelle

Depuis la pétition signée le 29 mars 2023 par Elon Musk et des experts demandant un moratoire sur le développement des « cerveaux numériques » qui, selon eux, présentent des « risques majeurs pour l’humanité », les craintes se le disputent aux fantasmes quant à l’avenir des « ChatGPT ».

A les entendre ces Cassandres et Nostradamus de ce début du XXIe siècle, « l’extinction de l’humanité » serait pour bientôt. La fin des temps arriverait aussi rapidement que se développent les intelligences artificielles à la ChatGPT, lesquelles sont l’objet de toutes leurs angoisses existentielles. Si l’Apocalypse relève de l’eschatologie religieuse, la « ChatGPTéisation » annoncerait, elle, l’hécatombe de l’être humain. Ce tsunami numérique des IA, à l’apprentissage fulgurant, provoquerait la fin du monde.

L’Homo sapiens supplanté par l’IA sapiens
Les tribunes et déclarations de ces craintifs se suivent et se ressemblent : il faudrait pour les uns instaurer « un moratoire » face aux « risques majeurs pour l’humanité » que constitueraient les IA concurrentielles pour l’homme ; il est temps pour les autres de « prendre au sérieux certains des risques les plus graves de l’IA avancée » menaçant l’espèce humaine d’« extinction ». Les peurs que suscitent les ChatGPT, Midjourney et autres Bard, ainsi que toutes les autres IA surhumaines qui les supplanteront, virent aux fantasmes voire à l’hystérie collective. « L’atténuation du risque d’extinction dû à l’IA devrait être une priorité mondiale, parallèlement à d’autres risques à l’échelle de la société tels que les pandémies et les guerres nucléaires », clament des dizaines de signataires chercheurs en intelligence artificielle (AI Scientists), professeurs d’universités et personnalités, dont Samuel (Sam) Altman (photo), le cofondateur avec Elon Musk de la start-up OpenAI qui a développé ChatGPT (générateur de textes) et de Dall-E (générateur d’images). Ce sont les deux IA les plus en vue depuis leur lancement respectif fin novembre 2022 et début 2021.
Sam Altman, qui a fait part le 17 mai au Sénat américain de sa peur de voir cette « superintelligence » provoquer de « graves dommages au monde », serait-il devenu malgré lui le pompier-pyromane en chef des IA générative ? La courte déclaration mise en ligne le 30 mai dernier sur le site du Center for AI Safety (1), une ONG américaine dédiée aux « risques IA », est aussi signée par Bill Gates (Gates Ventures) ou encore Grimes (célèbre musicienne). Il y a même le Canadien Geoffrey Hinton (75 ans), professeur émérite d’informatique et chercheur, parfois surnommé le parrain voire le « Dieu le Père » (Godfather)de l’IA et du Deep Learning (apprentissage profond dont se nourrissent les intelligences artificiels). Il s’est distingué le 1er mai dernier en annonçant qu’il quittait Google « pour pouvoir parler des dangers de l’IA ». Et critiquer son ancien employeur dans ce domaine comme l’a suggéré le New York Times (2) ? Que nenni : « Sans considérer comment cela affecte Google. Google a agi de façon très responsable », a-t-il rectifié dans un tweet (3). Geoffrey Hinton, qui aujourd’hui rejoint le cœur de ceux qui parlent de « profonds risques pour la société et l’humanité », a travaillé pendant près d’un demi-siècle sur l’IA générative appliquée aux chatbots, ces robots conversationnels (4) qui terrifient un nombre croissant d’humains. Au risque de conflits d’intérêts, il avait annoncé en mars 2013 – lorsque la firme de Mountain View a racheté son entreprise DNNresearch (5) – qu’il allait « poursuivre [s]es recherches à Toronto et, en même temps, aider Google à appliquer les nouveaux développements en apprentissage profond pour créer des systèmes qui aident les gens ». Il n’avait alors émis à l’époque aucune réserve sur ses travaux…
Elon Musk, pourtant moins frileux dans d’autres domaines industriels où le zéro risque n’existe pas, et qui plus est un des cofondateurs d’OpenAI (d’où il s’est retiré en 2018), a été l’un des milliers de cosignataires de la tribune « AI Pause » (6) parue le 22 mars 2023. Ce texte lançait des cris d’orfraie en disant stop : « Nous appelons tous les laboratoires d’IA à suspendre immédiatement pendant au moins 6 mois la formation des systèmes d’IA plus puissants que GPT-4. Cette pause devrait être publique et vérifiable et inclure tous les acteurs-clés. Si une telle pause ne peut être mise en œuvre rapidement, les gouvernements devraient intervenir et instituer un moratoire ». Parmi les plus de 31.800 autres signataires : le chercheur français Joseph Sifakis, prix Turing de l’informatique 2007, pour qui « la technologie va trop vite » (7). Sam Altman, lui, n’en est pas signataire…

Réguler, oui ; arrêter l’IA, non
Le patron d’OpenAI, financé à coup de milliards par Microsoft, appelle les Etats à réguler ces IA superintelligentes : pour mieux freiner ses concurrents (comme Google avec Bard) et conforter la position dominante de ChatGPT sur ce tout naissant marché ? Après le Sénat américain le 17 mai, Sam Altman a rencontré le 23 mai Emmanuel Macron (8), puis le lendemain il a menacé de Londres de fermer ChatGPT en Europe si son futur AI Act était trop contraignant ! Avant de se dédire face au courroux du commissaire européen Thierry Breton l’accusant le 25 mai (9) de « chantage ». @

Charles de Laubier

Cookies et consentement des internautes : les leçons à tirer des récentes sanctions de la Cnil

En décembre 2021 et en décembre 2022, la Cnil a sanctionné Google, Facebook, TikTok, Apple, Microsoft et Voodoo d’une amende allant de 3 millions à 90 millions d’euros. Il leur est reproché de ne pas faciliter aux internautes le refus des cookies publicitaires aussi facilement que leur acceptation.

Par Vanessa Bouchara et Florian Viel, cabinet Bouchara Avocats

Pour la seconde année consécutive, le mois de décembre aura été riche en décisions rendues par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) sur la thématique de la gestion des cookies. Alors que le mois de décembre 2021 voyait le gendarme de la protection des données personnelles et de la vie privée prononcer des sanctions administratives contre Google (1) et Facebook (2), ce sont en décembre 2022 les sociétés TikTok (3), Apple (4), Microsoft (5) et Voodoo (6) qui ont fait à leur tour l’objet de sanctions pour des manquements à loi française « Informatique et Libertés » dans le cadre de la gestion de leurs cookies.

Pas de consentement, pas de cookies
Google a eu une amende de 90 millions d’euros, Facebook de 60 millions d’euros, TikTok de 5 millions d’euros, Apple de 8 millions d’euros, Microsoft de 60 millions d’euros et Voodoo de 3 millions d’euros. Il ressort de toutes ces décisions deux principaux manquements récurrents que tout éditeur de site Internet ou d’application mobile devrait appréhender afin de les éviter.
Comme le rappelle la Cnil dans l’ensemble de ces décisions, « tout abonné ou utilisateur d’un service de communications électroniques doit être informé de manière claire et complète, sauf s’il l’a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant : 1° de la finalité de toute action tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations déjà stockées dans son équipement terminal de communications électroniques, ou à inscrire des informations dans cet équipement ; 2° des moyens dont il dispose pour s’y opposer » (7). Se faisant, ces accès ou inscriptions – via l’utilisation de traceurs – ne peuvent avoir lieu qu’à condition que l’abonné ou la personne utilisatrice ait exprimé, après avoir reçu cette information, son consentement. Par exception à ce qui précède, il est prévu deux cas spécifiques dans lesquels certains traceurs bénéficient d’une exemption au consentement : soit lorsque ceux-ci ont pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique, soit lorsqu’ils sont strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur (8). Ainsi, afin de déterminer si l’utilisation de cookies nécessite le recueil préalable du consentement de l’abonné ou de l’utilisateur, l’éditeur du site en ligne ou de l’application mobile doit déterminer si l’ensemble des finalités associées à ces cookies sont exemptées ou non de consentement. Comme le souligne expressément la Cnil dans ses décisions à l’encontre de respectivement Apple et de Microsoft, à l’appui de ses lignes directrices du 17 septembre 2020 (9), l’utilisation d’un même traceur pour plusieurs finalités, dont certaines n’entrent pas dans le cadre de ces exemptions, nécessite de recueillir préalablement le consentement des personnes concernées. Sans consentement, l’éditeur du service en ligne devra alors s’abstenir d’utiliser ce cookie pour la finalité non exemptée de consentement.
En effet, en considérant que les éventuelles différentes finalités fonctionnelles et non fonctionnelles d’un même cookie sont indissociables les unes des autres, l’utilisation de cette catégorie de traceurs reviendrait alors à détourner les dispositions de la loi « Informatique et Libertés » puisque le consentement de l’utilisateur ne serait plus jamais sollicité préalablement au dépôt de cookies. Par extension à ce qui précède et comme le remarque la Cnil dans sa décision à l’encontre de la société Voodoo, le refus exprès d’un utilisateur à l’utilisation de cookies pour des finalités non exemptées de consentement se doit d’être respecté par l’éditeur du service concerné, à défaut de quoi ce dernier prive d’effectivité le choix exprimé par l’utilisateur.

Aussi facile d’accepter que de refuser
Depuis l’entrée en application du RGPD, le « consentement » prévu à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » précité doit s’entendre au sens du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), c’est-à-dire qu’il doit être donné de manière libre, spécifique, éclairée et univoque, et se manifester par un acte positif clair. Dans ses décisions prononcées à l’encontre des sociétés Google, Facebook, TikTok et Microsoft, la Cnil rappelle que le considérant 42 du RGPD : « Le consentement ne devrait pas être considéré comme ayant été donné librement si la personne concernée ne dispose pas d’une véritable liberté de choix ou n’est pas en mesure de refuser ou de retirer son consentement sans subir de préjudice ». La Cnil précise par ailleurs que, comme mentionné dans ses lignes directrices et ses recommandations (10) datées du même jour, et confirmées par un arrêt du Conseil d’Etat du 19 juin 2020 (11), il doit être aussi aisé de refuser ou retirer son consentement aux traceurs que de le donner.

Inventivité des éditeurs et « dark pattern »
Le caractère « libre » du consentement implique en effet un choix et un contrôle réel pour les personnes concernées (12). Or, dès lors qu’un éditeur rend le refus d’utilisation de cookies non fonctionnels plus complexe que son acceptation, celui-ci incite l’internaute qui souhaite pouvoir visualiser le site Internet ou utiliser l’application rapidement, à accepter ces cookies en le décourageant à les refuser – viciant ainsi son consentement qui n’est plus libre. Les modalités proposées à l’utilisateur pour manifester son choix ne doivent donc pas être biaisées en faveur du consentement, comme l’indique la Cnil dans sa décision à l’encontre de Microsoft.
Par ailleurs, si le refus de l’utilisateur de consentir aux cookies peut potentiellement se déduire de son silence, c’est à la stricte condition que l’utilisateur en soit pleinement informé, et que l’équilibre entre les modalités d’acceptation et de refus soit respecté. Ainsi, si l’utilisation d’un bouton « tout accepter » est commune sur les bandeaux cookies, cette modalité de recueil du consentement de l’utilisateur ne sera licite que si l’utilisateur dispose d’un bouton « tout refuser » présent au même niveau et sur le même format, afin de ne pas altérer la liberté de son choix. La pratique encore commune des éditeurs de sites web ou d’applications mobiles d’opposer un bouton « tout accepter » à un bouton « paramétrer » ou « personnaliser » (ou équivalent), n’est donc pas licite et constitue un « dark pattern », comme l’indique la Cnil dans ses décisions à l’encontre des sociétés Facebook et Google.
A propos de ces « dark pattern », la délégation de la Cnil – qui a effectué un contrôle en ligne sur le site web « facebook.com » – mentionne d’ailleurs une étude universitaire de 2020 intitulée « Les “dark patterns” au temps du RGPD : récupération des fenêtres de consentement et démonstration de leur influence » (13). Les chercheurs – provenant notamment des universités de Cambridge et du MIT – ont démontré que 93,1 % du panel des internautes confrontés à des bandeaux cookies s’arrêtent au premier niveau et que seule une faible minorité d’entre eux vont au second niveau pour personnaliser ou refuser. Cette étude démontrait également que le fait de reléguer le bouton du refus au second niveau augmentait en moyenne de 23,1 points de pourcentage le taux de consentement aux cookies. Enfin, pour que le consentement de l’internaute soit libre, l’éditeur du site ou de l’application doit également veiller à ce que l’information relative à ses cookies et transmise à l’internaute – avant le recueil de son éventuel consentement – soit complète, visible et mise en évidence. Cette information doit en particulier porter sur les finalités poursuivies par les opérations de dépôt et de lecture des cookies, et sur les moyens dont l’utilisateur dispose pour s’y opposer. Une description générale et approximative des finalités de l’ensemble cookies non fonctionnels déposés, par l’utilisation de termes généraux tels que « améliorer votre expérience sur nos sites web » et « à des fins d’analyse et de marketing », est imprécise et constitue un manquement à la loi « Informatique et Libertés » (14), comme le mentionne la Cnil dans sa décision à l’encontre de TikTok.
Il résulte ainsi de ces six décisions, rendues par la Cnil sur les seuls mois de décembre 2021 et 2022, des rappels de règles bien établies ou en phase de l’être depuis l’entrée en vigueur du RGPD (15) – à savoir depuis le 25 mai 2018. Si ces règles sont claires, leur application n’est toutefois pas toujours l’objectif des éditeurs de sites et d’applications qui font preuve d’inventivité pour limiter la chute du taux de consentement de leur utilisateurs ou abonnés (16) à l’utilisation de cookies non fonctionnels, comme le démontre le Comité européen de la protection des données (CEPD) dans son rapport « Cookie Banner » publié le 18 janvier 2023 (17). Ces éditeurs considèrent en effet que leur intérêt à utiliser des cookies non fonctionnels, en particulier à des fins de publicités ciblées ou analytiques, prévaut sur le respect du consentement de leurs utilisateurs ou abonnés, et par extension acceptent le risque de sanctions administratives et d’actions judiciaires qui en résulte.

Sanctions plus rapides et solutions alternatives
Les modifications de la loi « Informatique et Libertés » et de son décret d’application, intervenues le 24 janvier puis le 8 avril 2022, ont pour ambition de permettre une plus grande souplesse dans le recours aux mises en demeure ou aux sanctions. Si la réforme des procédures correctrices de la Cnil (18) – permettant à celle-ci de prononcer des sanctions plus rapidement – ne sera probablement pas suffisante pour convaincre toutes les entreprises et organisations de changer leurs pratiques, le développement de solutions alternatives aux cookies non exemptés de consentement pourrait l’être. @

* Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en droit
de la propriété intellectuelle, a fondé
le cabinet Bouchara Avocats (www.cabinetbouchara.com).

La réalité augmentée n’augmente pas la rentabilité de Snap malgré la hausse des « snapchatteurs »

Le réseau social Snapchat a beau voir le nombre de ses utilisateurs augmenter de 17 % en 2022, à 375 millions de « snapchatteurs », cela n’empêche pas la société Snap d’augmenter son déficit. Et lors de son « Investor Day » le 16 février, elle devra convaincre sur son avenir en réalité augmentée.

En publiant ses résultats 2022 le 31 janvier, la société californienne Snap a déçu, malgré la hausse de 17 % de ses utilisateurs, à 375 millions, et un objectif d’atteindre entre 382 et 384 millions de « snapchatteurs » d’ici la fin de ce premier trimestre 2023. Pour l’exercice de l’an dernier, le chiffre d’affaires est de 4,6 milliards de dollars, certes en hausse de 12 % sur un an, mais les pertes nettes – 1,4 milliard de dollars – se sont creusées de… 193 %. Son cours de Bourse a décroché à Wall Street et sa capitalisation n’est plus de que 19,3 milliards de dollars (au 09-02-23), bien loin du pic des 54 milliards de dollars d’octobre 2020.

R&D : 2,1 milliards de dollars en 2022
Bien qu’ayant terminé 2022 avec 3,9 milliards de dollars de cash, Snap est par ailleurs très endetté, à hauteur de 3,7 milliards avec une première échéance de remboursement en 2025. De tout cela, le PDG cofondateur de Snap, Evan Spiegel (photo), devra s’en expliquer devant les investisseurs lors de l’« Investor Day » qu’il organise le 16 février prochain dans ses locaux de Santa Monica (Californie). Dans la lettre aux actionnaires datée du 31 janvier (1), l’entreprise a d’ores et déjà prévenu que « le chiffre d’affaires du premier trimestre 2023 devrait être en baisse, entre – 10 % et – 2 % sur un an ».
Snap avait lancé au troisième trimestre 2022 un plan de restructuration qui prévoyait « une réduction d’environ 20 % de [son] effectif mondial » – dont 1.300 suppressions d’emploi en août dernier. Les productions « Snap Originals » et le drone Pixy ont été sacrifiés. Au 31 décembre 2022, ses effectifs étaient de 5.288 de salariés. « Nous sommes en voie de réaliser les 500 millions de dollars de réduction des coûts d’ici le premier trimestre de 2023 », assure le groupe au fantôme (2).
Parallèlement, Snap ne lésine pas sur les dépenses de recherche et développement (R&D) qui s’élèvent à 2,1 milliards de dollars rien qu’en 2022, en forte hausse de 34,7 % sur un an. « Nos efforts de R&D sont axés sur le développement de produits, la technologie publicitaire et l’infrastructure à grande échelle », précise l’entreprise dans son rapport annuel publié par la SEC, le gendarme boursier américain, le 1er février dernier (3). Pour se différencier des Facebook, Instagram et autres TikTok, Snap mise gros sur la réalité augmentée (RA) dont l’écosystème dépasse à ce jour plus de 300.000 créateurs et développeurs qui ont construit plus de 3 millions de « lentilles » de RA (« lens » en anglais) pour permettent la créativité et l’expression de soi. Snapchat s’ouvre directement sur l’appareil photo (« camera ») du smartphone ou de la tablette, voire la webcam de l’ordinateur sur le Web, ce qui facilite la création d’un « snap » et l’envoi de photos et de vidéos à des amis (via messagerie, « map » ou « stories »). Snap vend aussi depuis septembre 2016 – et malgré l’échec de la première version – des lunettes de RA, connectées en Bluetooth et appelées « Spectacles », utilisables sur son réseau social (4). Les lentilles se distinguent des « filtres » (« filter » en anglais) par le fait que les premières sont des animations virtuelles – autrement dit un filtre à réalité augmentée. C’est là que le réseau social au fantôme, très prisé de la génération Z, se distingue de ses concurrents. Y compris sur le marché publicitaire d’où Snap tire l’essentiel de ses revenus : ses offres « Snap Ads » et « AR Ads » proposent aux annonceurs et partenaires des filtres sponsorisés (« sponsored filters ») et des lentilles sponsorisées (« sponsored lenses »), pour peu que les marques se familiarisent avec ces technologies visuelles – surtout en RA. « Nous avons ajouté de nouvelles fonctionnalités et capacités à Lens Studio, notre logiciel de développement de réalité augmentée, qui permettent des expériences plus riches et plus immersives, et aident à approfondir l’engagement », assure Snap.
Mais le contexte macroéconomique (crise sanitaire, inflation, guerre en Ukraine, …) amène des entreprises à réduire leur budget publicitaire, notamment ceux orientés vers la RA souvent utilisée à titre expérimental. Sans parler du durcissement de la protection des données (fin des cookies tiers) qui limite le ciblage et l’efficacité publicitaire. Les autres acteurs du Net surveillent Snap comme un thermomètre pour prendre la température de la publicité en ligne (5).

Plus de 2 millions d’abonnés à Snapchat+
Lancé au début de l’été 2022 dans plusieurs pays, dont la France, le service par abonnement payant Snapchat+ – mais toujours avec publicités – a dépassé les 2 millions de souscripteurs (4,59 euros par mois, ou moins selon la durée de l’engagement), lesquels bénéficient d’exclusivités, d’expérimentations et d’avant-premières. L’avenir de Snapchat est entre les mains d’Evan Spiegel, qui détient 53,1 % des droits de vote de l’entreprise mais seulement 3 % du capital de Snap (6) aux côtés des 17,6 % du chinois Tencent. @

Charles de Laubier