Digital Markets Act (DMA) : mais que fait l’Arcep ?

En fait. Le 26 mars, l’Organe des régulateurs européens des télécoms (Berec) – que vice-préside Laure de La Raudière (Arcep) – tiendra à Bruxelles son 12e Forum annuel pour y rencontrer opérateurs télécoms, plateformes numériques et industriels. Objectif : harmoniser l’applications des règles européennes.

Arcep : ce sera de La Raudière, n’en déplaise à Niel

En fait. Le 5 janvier, Emmanuel Macron a déclaré qu’il « envisage de nommer » Laure de La Raudière à la présidence de l’Arcep. Pour Xavier Niel, « ce serait aberrant pour la concurrence ». Fin 2020, la députée avait évoqué devant lui « un deuxième New Deal Mobile » et l’absence de Free sur le marché des entreprises.

Opérateurs télécoms : Martin Bouygues détient les clés pour passer à un triopole en France

Patrick Drahi, le fondateur d’Altice qui sépare ses activités « Etats-Unis » et « Europe », ne veut pas vendre SFR. C’est du moins ce qu’il a affirmé le 8 mai, soit quelques jours après que des rumeurs – non démenties – ont relancé l’intérêt de Bouygues pour ses télécoms en France. Le spectre du triopole revient.

Depuis que Bloomberg a relancé la machine à rumeurs concernant la consolidation du marché français des télécoms, les spéculations vont bon train sur l’intérêt que porte Bouygues Telecom sur SFR. Bien que le groupe de Martin Bouygues (photo) ait aussitôt réagi après la diffusion de la dépêche de l’agence de presse le 19 avril dernier, il n’a pas démenti l’information mais s’est contenté d’une « mise au point » : « Comme tout acteur d’un marché, Bouygues étudie régulièrement les diverses hypothèses d’évolution du secteur des télécoms ; mais à ce jour, il n’y a aucune discussion avec un autre opérateur, et aucun mandat n’a été délivré à quelque conseil que ce soit ». Mais demain est un autre jour… Pour rappel, Bloomberg affirme que Bouygues a commencé à étudier avec des investisseurs – dont CVC Capital Partners, basé au Luxembourg – le rachat d’Altice France, propriétaire de l’opérateur télécoms SFR.
Réponse du berger à la bergère : « Je ne suis pas vendeur de mes activités françaises. J’ai commencé toute mon activité en France et il n’y a aucune chance que je vende », a assuré Patrick Drahi, fondateur d’Altice, alors qu’il était en déplacement le 8 mai dernier à Lisbonne, capitale du Portugal – où il est aussi propriétaire de l’ex-Portugal Telecom.

SFR vaut « beaucoup d’argent » (Patrick Drahi)
Mais le milliardaire franco-israélien ne ferme pas pour autant la porte à des négociations, laissant entendre que c’est une question de prix… « Pour acquérir une telle affaire, vous devez avoir beaucoup d’argent, et nous sommes sûrs de n’avoir reçu aucune information, rien de personne, à part des nouvelles de la presse », a-t-il ajouté, selon des propos rapportés ce jour-là par, à nouveau, l’agence Bloomberg.
Au moment où SFR peine à redresser la barre après la désaffection de 2 millions d’abonnés depuis son rachat à Vivendi en 2014, sur fond de crise managériale avec le départ en novembre dernier de Michel Combes – alors DG d’Altice, maison mère de SFR dont il était le PDG (1) –, et avec l’épée de Damoclès du surendettement au-dessus de la tête de Patrick Drahi à hauteur d’environ 50 milliards d’euros, la vente d’Altice France pourrait être une réponse et faire sens. Surtout que la séparation entre les activités américaines (Altice USA) et les activités européennes (Altice NV) vient d’être approuvée par les actionnaires d’Altice, réunis lors de l’assemblée générale annuelle du groupe qui s’est tenue le 18 mai à Amsterdam (où siège l’entreprise).

Scission Altice US-Altice UE
Avec ce projet de scission des activités en Europe de celles aux Etats-Unis, qui avait été annoncé en janvier et devrait aboutir début juin, Patrick Drahi espère regagner la confiance des investisseurs quelque peu échaudés par les contre-performances du groupe dont le titre à la Bourse d’Amsterdam a lourdement chuté (- 60 % en un an). Ce spin-off facilitera-t-il éventuellement la vente à la découpe d’Altice Europe, à commencer par SFR puis l’ex-Portugal Telecom, voire ses activités historiques en Israël ? Spéculations. Pour l’heure, Altice a indiqué qu’il finalisera d’ici le second semestre de cette année « des cessions d’actifs non stratégiques » tels que ses activités en République Dominicaine (2) et 13.000 pylônes mobiles (3). En outre, Altice a annoncé en mars être en négociations exclusives avec le groupe Tofane Global pour lui vendre ses activités télécoms dites de « gros » (4) en France, au Portugal et en République Dominicaine. Après ce premier délestage, la filiale française SFR deviendra-t-elle « non stratégique » à son tour si Martin Bouygues y mettait le prix ?
Depuis qu’il s’est emparé aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision pour devenir le numéro quatre du câble outre-Atlantique, Patrick Drahi commence à tirer profit de ses investissements américains autrement plus rentables que ses activités européennes. Pour autant, la reprise en main
de SFR par Patrick Drahi depuis l’éviction de Michel Combes semble commencer à porter ses fruits, si l’on se fie aux meilleurs résultats du premier trimestre publiés le 17 mai dernier avec – pour la première fois depuis quatre que SFR est sous contrôle d’Altice – de nouveaux abonnés tant dans le fixe (71.000) que dans le mobile (239.000). Du coup, le cours de Bourse a repris quelques couleurs mais il reste fébrile.
Après ses déboires, SFR est devenu une cible comme le fut un temps Bouygues Telecom sur fond de bataille tarifaire exacerbée. Maintenant que la filiale télécoms du groupe de construction, de télévision et de télécoms a de son côté redressé la barre, Martin Bouygues se sentirait pousser des ailes au point de vouloir racheter son rival SFR encore en difficulté. Ce serait une revanche pour lui, après avoir tenté en vain de s’en emparer en 2014 – Vivendi ayant finalement préféré alors vendre SFR à Numericable, alias Altice. Pourtant, ce rapprochement Bouygues Telecom-SFR avait la bénédiction officieuse du président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre à l’époque. Ce dernier s’était dit favorable à une fusion Bouygues Telecom-SFR mais pas à Free-SFR – malgré les sollicitations répétées de Xavier Niel – afin de préserver un « maverick », comprenez un franc-tireur tarifaire tel que Free, garant de la préservation d’une concurrence dynamique et surtout pour éviter de tomber dans un duopole si Bouygues Telecom était contraint de jeter l’éponge (5). Mais on connaît la suite, Vivendi avait en fin de compte préféré céder SFR à Patrick Drahi plutôt qu’à Martin Bouygues.
Après cet échec, ce dernier n’avait rien trouvé d’autre que d’envisager de pactiser avec Orange en vue de lui céder son activité – sous l’oeil bienveillant de l’Autorité de la concurrence, là encore – contre une participation au capital de l’opérateur historique. Et ce, comme l’avait révélé l’agence Bloomberg, encore elle, en décembre 2015, malgré le démenti du patron du groupe Bouygues – jusqu’à l’admettre le 5 janvier 2016 après des révélations du Canard Enchaîné ! – et après avoir assuré mordicus quelque mois plus tôt qu’il était hors de question de céder sa filiale télécoms – « Vous vendriez votre femme, vous ? » (6). Mais les discussions entre Bouygues et Orange ont tourné court en avril 2016.
Aujourd’hui, plutôt que d’être vendeur, Martin Bouygues serait cette fois à nouveau acheteur de SFR avec il partage depuis 2013 des investissements dans le mobile. De son côté, Free veut poursuivre son alliance de 2012 avec Orange dans la 4G. La question de passer de quatre à trois opérateurs taraude depuis quelques années le marché des télécoms, y compris la Commission européenne qui s’était prononcée en mai 2016 contre le rachat de O2 par Three, estimant que cette concentration sur le marché britannique du mobile aurait des conséquences néfastes sur la concurrence et les prix aux consommateurs (7).

Vers un triopole pour gagner plus
En France, plus de six ans après l’arrivée fracassante de Free Mobile, les résultats des opérateurs sont aujourd’hui positifs dans l’ensemble malgré la bataille tarifaire et les efforts d’investissement – près de 10 milliards d’euros en 2017, d’après l’Arcep. Le marché à quatre fonctionne : alors pourquoi changer une équipe qui gagne ? Certes, le revenu moyen par abonné – le fameux ARPU (8) – baisse et seul le volume permet de préserver la marge des opérateurs télécoms, d’où la tentation du triopole pour in fine augmenter les prix. « Les circonstances ont évolué et la porte de l’Arcep se rouvre ou du moins s’entrouvre », a même estimé son président, Sébastien Soriano, dans un entretien au Monde le 22 mai. Au risque d’ouvrir la boîte de Pandore. @

Charles de Laubier

Conflit avec TF1 sur la diffusion des chaînes gratuites : ni Orange, ni Free, ni Canal+ n’ont saisi le CSA

Le tribunal de commerce de Paris est-il en train de devenir le nouveau régulateur de l’audiovisuel français ? C’est à se le demander après que Orange et Canal+ aient préféré le saisir – plutôt que le CSA – pour porter plainte contre le groupe TF1 qui veut les faire payer pour la diffusion de ses chaînes.

« Le CSA n’a reçu aucune saisine d’Orange, Free ou Canal+ », a indiqué Nicolas Curien (photo), président du CSA depuis le 26 février (1), à Edition Multimédi@. Mais cela ne l’a pas empêché d’appeler dès le 6 mars au téléphone les groupes Canal+ et TF1 après que le premier ait interrompu, à partir de la nuit du 1er au 2 mars, la diffusion des chaînes du second dans ses offres Canal ADSL ou fibre, et son application MyCanal, mais aussi sur TNT Sat (1,5 million de foyers). Ce « dialogue » initié par
le régulateur de l’audiovisuel, lequel a aussi auditionné le 7 mars les deux parties en conflit, a payé : Canal+ a aussitôt rétabli le jour même, dans la soirée, le signal de TF1 – dont l’audience avait fléchi depuis cinq jours.

Tribunal de commerce Paris ou CSA ?
« Nous n’avons pas le pouvoir de nous autosaisir (2), mais nous pouvons être un facilitateur dès lors que l’on nous saisisse », nous a dit Nicolas Curien. Mais toujours aucune plainte devant le CSA ! Et ce n’est pas faute d’avoir faire un appel du pied à toutes les parties impliquées dans ce conflit : Orange, Free et Canal+ s’opposent au groupe TF1, lequel leur demande de payer pour la diffusion de ses chaînes disponibles en clair (TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI) – alors qu’elles étaient diffusées gratuitement jusqu’à présent. Or les contrats sont arrivés à échéances et TF1 saisit l’occasion pour une offre globale « TF1 Premium » payante.
Au moment où les relations s’étaient envenimées entre, cette fois, TF1 et Orange
– l’opérateur télécoms ayant reçu le 1er février une assignation en justice de la part de la filiale audiovisuelle de Bouygues –, le régulateur avait bien proposé le 7 février ses services : « Le CSA a souhaité exprimer sa préoccupation et manifester sa disponibilité pour accompagner et faciliter ces discussions, en prenant en compte de l’intérêt des téléspectateurs et de la situation économique des opérateurs concernés », avait-il fait valoir. Mais ni TF1 ni Orange ne sont s’en remis au CSA, nous a confirmé Nicolas Curien, les deux parties préférant aller ferrailler devant le tribunal de commerce de Paris – avant d’annoncer le 8 mars « un accord de distribution globale ». L’opérateur télécoms historique avait porté plainte en juillet 2017 contre la chaîne pour abus de position dominante dans la télévision (3). Il en est allé de même pour Canal+ qui a confirmé le 27 février les informations de BFM Business révélant que la filiale du groupe Vivendi avait porté plainte contre TF1 devant ce même tribunal – décidément très sollicité – sur le différend commercial qui les oppose sur la diffusion des chaînes de
TF1 dans CanalSat ou sur MyCanal. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous a répondu une porte-parole de Canal+.
Et comme jamais deux sans trois, il ne resterait plus qu’à Iliad/Free de porter plainte
à son tour devant le tribunal de commerce. C’est à se demander d’ailleurs si cette juridiction-là ne prend pas des allures de nouveau régulateur de l’audiovisuel français ! Pourtant, le CSA a les compétences pour régler ce genre de différend depuis la loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance audiovisuelle qui l’a doté de pouvoirs économiques (4). Son article 5 prévoit bien qu’« en cas de litige, le CSA assure une mission de conciliation (…) ». Cependant, la loi ne parle pas explicitement de conflits avec les FAI (5) ou les diffuseurs TV. SFR (Altice) avait tout de même saisi en mai 2017 le CSA, plutôt que d’aller traîner TF1 devant la justice.
TF1 avait annoncé le 29 juillet 2017 « la fin des accords de distribution de [ses] chaînes en clair et de MyTF1 avec Numericable-SFR ». Mais, après avoir été saisi, le CSA a été « dessaisi » après que SFR et TF1 aient finalement enterré la hache de guerre en annonçant le 6 novembre dernier «un accord global de distribution ». Le régulateur n’a donc eu à se prononcer sur ce litige-là. Le problème était pourtant le même que pour Orange, Canal+ et Free : refus de payer le nouveau service « TF1 Premium » incluant chaînes en clair, télévision de rattrapage MyTF1, et nouvelles fonctions telles que le
« retour au début » (start-over) ou la « catch-up enrichie » (replay au-delà de 7 jours
et HD). Pour cette nouvelle offre «à valeur ajoutée», le groupe TF1 dirigé par Gilles Pélisson – fort d’un accord avec SFR, d’une part, et avec sa propre filiale Bouygues Télécom, d’autre part – réclame à chacun des FAI et à Canal+ « moins de 20 millions d’euros par an ».

Pas de must carry ni de must offer
Les obligations de must carry ou de must offer pourraientils, eux, s’appliquer aux cas d’espèce : le CSA nous répond que « non, car elles ne s’appliquent pas aux chaînes privées, seulement à France Télévisions, Arte et France Médias Monde ». De son côté, le groupe M6 a réussi à signer – sans faire de vagues, lui – de nouveaux contrats de distribution avec Orange, SFR, Canal+ et Bouygues Telecom. @

Charles de Laubier

Arnaud Montebourg, nouveau régulateur des télécoms et nouvelle autorité de la concurrence numérique

Le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique est depuis plus de deux ans l’un des membres du gouvernement (Ayrault puis Valls) le plus actif. Bien avant d’ajouter « Numérique » à sa fonction, il a pris des allures de régulateur des télécoms et même d’autorité de la concurrence !