L’App Store – la cash machine d’Apple lancée il y a 15 ans – pourrait faire perdre beaucoup d’argent à Apple

Le 10 juillet, Apple fêtera les 15 ans de son App Store – « le plus grand lancement de ma carrière » (dixit feu Steve Jobs). Lancée avec seulement quelque 500 applications, la boutique en ligne en compte aujourd’hui plus de 1,8 million, dont certaines ventes rapportent à Apple. Mais l’écosystème est contesté.

En quinze ans, l’écosystème App Store est devenu une cash machine générant l’an dernier quelque 1.100 milliards de dollars de ventes et facturations. Mais « plus de 90 % » de ces revenus cumulés sont allés – « sans aucune commission versée à Apple » – aux seuls développeurs, éditeurs et commerçants de plus de 1,8 million d’applications présentes à ce jour dans la boutique en ligne de la marque à la pomme. C’est ce qu’a indiqué le 31 mai la firme de Cupertino en dévoilant une étude qu’elle avait commanditée auprès de la société américaine Analysis Group. Car lorsque les transactions n’ont pas lieu via l’App Store, Apple ne ponctionne pas ses 30 % de commission habituelles sur les ventes numériques (achats d’applis, achats dits in-app, c’est-à-dire effectués au sein de l’application) ni les 30 % la première année et les 15 % pour les suivantes sur les abonnements in-app. Cette économie plus indirecte que directe pour Apple a fait un bond de près de 30 % sur un an, pour franchir l’an dernier la barre du trillion (mille milliards), dont 910 milliards en ventes de biens et services physiques, 104 milliards de biens et services digitaux et 109 milliards de publicités in-app (voir graphique page suivante). Plus largement, selon cette fois le Progressive Policy Institute, les applications iOS ont induit « plus de 4,8 millions d’emplois aux EtatsUnis et en Europe », répartis à parts égales.

Phil Schiller, le méconnu Monsieur « App Store »
Bien qu’il ait pris du champ il y a près de trois ans en prenant le titre honorifique d’« Apple Fellow », Phil Schiller (photo) continue officiellement de diriger l’App Store qu’il a mis en place il y a quinze ans, après avoir œuvré aux succès du Mac, dans les ordinateurs, et de l’iPod et de iTunes, dans la musique numérique. Le marketing mondial des produits à la pomme, c’était lui lorsqu’il en était vice-président, auquel a succédé en août 2020 Greg Joswiak (1). Phil Schiller – entré à 27 ans chez Apple en 1987 et 63 ans depuis le 8 juin dernier – reste aussi en charge des événements d’Apple tels que la conférence annuelle des développeurs – la WWDC (Worldwide Developers Conference). L’édition 2023 s’est tenue le 5 juin avec l’annonce du casque de réalité virtuelle et augmentée Vision Pro qu’Apple rendra disponible seulement « début 2024 », d’abord aux Etats-Unis et « à partir de 3.499 dollars » (hors taxes). Depuis le lancement de l’App Store, « les utilisateurs ont téléchargé des applications plus de 370 milliards de fois et les développeurs ont gagné plus de 320 milliards de dollars de revenus directement [cumul de 2008 et 2022, ndlr] », se félicite aujourd’hui le groupe dirigé par Tim Cook depuis près d’une douzaine d’année.

Une app economy sous position dominante
Le successeur de Steve Jobs ne tarit pas d’éloges envers ceux qui alimentent sa poule aux œufs d’or, l’App Store : « Nous n’avons jamais été aussi optimistes ou inspirés par l’incroyable communauté de développeurs du monde entier. (…) Nous sommes plus déterminés que jamais à investir dans la réussite des développeurs et dans l’avenir de la app economy [l’économie des applications, ndlr] », a-t-il assuré. La firme de Cupertino, qui a réalisé en 2022 (pour son exercice annuel clos le 24septembre) un chiffre d’affaires global de plus de 394,3milliards de dollars (en hausse de 7,8 % sur un an), enregistre une forte croissance dans les « services », à 78,4 milliards de dollars (avec un bond annuel de 14,1 %). Ces services – pesant 19,8 % des revenus globaux d’Apple – englobent la publicité, l’extension de garantie AppleCare, le nuage informatique iCloud, les systèmes de paiement (Apple Card et Apple Pay), les contenus digitaux (musiques viaApple Music, la VOD viaApple TV+, le kiosque de presse numérique via Apple News+, les jeux vidéo via Apple Arcade ou encore du sport via Apple Fitness+). Les services incluent aussi les fameuses commissions perçues sur la plateforme App Store donnant accès à des applications et des contenus digitaux (livres, musiques, vidéos, jeux et podcasts). Autant dire que, malgré ses confortables commissions jusqu’à 30 % sur les ventes d’applis et les dépenses in-app, l’App Store rapporte peu directement à Apple lorsqu’il s’agit de contenus tiers et bien plus avec ses propres contenus et plateformes. Tout en contribuant à la croissance, l’écosystème App Store et ses milliers de développeurs et éditeurs contribue à la notoriété de la marque à la pomme pour la vente de ses iPhone pesant plus de la moitié de son chiffre d’affaires (205,4 milliards de dollars en 2022, soit 52,1 %), ses iPad (29,2 milliards, soit 7,4 %), ses wearables, AirPods, Apple TV, Apple Watch, Beats, HomePod et accessoires (41,2 milliards, soit 10,5 %), et ses Mac (40,1 milliards, soit 10,2 %). Ce cercle vertueux fait la force du fabricant Apple – sa vocation première – sur le marché mondial du numérique, avec son écosystème où gravitent développeurs, éditeurs et utilisateurs. Cette dynamique se retrouve dans la fréquentation de la marketplace App Store chaque semaine : plus de 650 millions de visiteurs en moyenne, plus de 747 millions de téléchargements et 1,5 milliard de rechargements (toujours hebdomadaires), ainsi que 40 milliards de mises à jour automatiques en moyenne sur sept jours. La multinationale, cotée au Nasdaq à la Bourse de Wall Street, a même été la première entreprise au monde à franchir pour la première fois la barre des 3.000 milliards de dollars de capitalisation boursière (le 03-01-22) – actuellement valorsiée 2.850 milliards de dollars (le 02-06-23).
Mais l’App Store constitue aussi le talon d’Achille d’Apple. Il y a d’abord le procès intenté par l’éditeur de jeux vidéo Epic Games à l’encontre de la firme de Cupertino pour « violation des lois antitrust » et « concurrence déloyale » depuis qu’elle a supprimé en août 2020 le jeu-vedette « Fortnite » de l’App Store (2). Le 24 avril dernier, la cour d’appel en Californie a confirmé que certaines dispositions de l’App Store enfreignent la loi californienne sur la concurrence déloyale et a émis une injonction. Apple conteste. Au-delà de cette affaire en cours, Apple s’attend à devoir modifier à nouveau les règles de son « App Store Review Guidelines » qui est la Bible des développeurs et éditeurs de l’écosystème à la pomme.

Risques règlementaires et financiers
Dans son dernier rapport annuel 2022, Apple met en garde ses actionnaires sur les risques règlementaires et juridiques : « De nouvelles initiatives législatives, comme la loi sur les marchés numériques de l’Union européenne [le Digital Markets Act (DMA), ndlr], pourraient nécessiter d’autres changements. Apple fait également l’objet de litiges et d’enquêtes liés à l’App Store, qui ont entraîné des changements dans ses pratiques commerciales et qui pourraient entraîner d’autres changements à l’avenir. (…) Cela pourrait réduire le volume des ventes, et la commission que la compagnie gagne sur ces ventes, diminuerait ». Et la pomme de prévenir : « Si le taux de la commission que la compagnie conserve sur ces ventes est réduit, ou si sa portée est réduite ou éliminée, les résultats d’exploitation et la situation financière de la compagnie pourraient être affectés de façon importante ». Et là, ce ne serait pas de la réalité virtuelle. @

Charles de Laubier

Droits d’auteur : musiciens et artistes peuvent s’affranchir des sociétés de gestion collective

Les Sacem, Sabam, Gema et autres SACD – sociétés de gestion collective des droits d’auteur et/ou des droits voisins des créateurs – ne sont plus des passages obligés pour les artistes en Europe à l’ère du streaming. Des « entités de gestion indépendantes » comme Bridger peuvent les concurrencer.

La directive européenne du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins dans la musique – censée être transposée par les Vingt-sept depuis six ans (1) – a ouvert ce marché européen toujours dominé par la Sacem (France), la Gema (Allemagne), la Sabam (Belgique), la Sgae (Espagne) ou encore la Siae (Italie). Elle a créé un statut d’« entité de gestion indépendante », ou IME (2) en anglais, dont l’activité principale est de gérer le droit d’auteur ou les droits voisins du droit d’auteur pour le compte de titulaires.

IME : Soundreef, MPLC, Bridger, …
Ces entités à but lucratif sont « indépendantes » dans le sens où elles ne sont détenues ni contrôlées par des titulaires de droits, contrairement aux sociétés de gestions collective. Mais qu’elles soient « indépendantes » ou « collectives », ces organisations sont toutes – conformément à la directive européenne de 2014 – soumises à des obligations en matière de gestion et de transparence, notamment sur les aspects financiers de l’exploitation des droits. Plusieurs sociétés ont obtenu ce sésame IME en Europe pour « disrupter » ce marché du copyright management telles que Soundreef en Italie, Motion Picture Licensing Company (MPLC) en Grande-Bretagne ou encore Bridger en France.
Cette dernière est une filiale du groupe belge Audiovalley fondé en 2003 par Alexandre Saboundjian (photo de gauche). Une autre de ses filiales, Jamendo (3), avait aussi obtenu en février ce statut d’IME au Luxembourg (4). « Ces deux filiales ont le statut IME aujourd’hui, mais seule la société Bridger est appelée à le porter à l’avenir », indique à Edition Multimédi@ Jocelyn Seilles (photo de droite), fondateur et directeur général de Bridger. Cette nouvelle IME a été lancée officiellement le 13 avril dernier. « Ouverte aux auteurs-compositeurs du monde entier, Bridger collecte et répartit les droits d’auteur générés par le streaming des œuvres musicales. Elle s’adresse aux auteurs-compositeurs indépendants qui ne sont pas affiliés à une société de gestion collective, ainsi qu’aux auteurs-compositeurs qui souhaitent bénéficier d’un service 100 % digital en complément de leur affiliation à une société de gestion collective », explique la nouvelle société Bridger. Edition Multimédi@ a voulu savoir si des compositeurs, des artistes interprètes, des scénaristes ou des réalisateurs – soit des auteurs dans la musique, dans l’audiovisuel et/ou dans le cinéma – pouvaient s’affranchir des sociétés de gestion collective comme la Sacem (5) ou la SACD (6), ou d’autres en Europe et parfois en situation de « monopole légal » localement, pour ne s’en remettre qu’à des IME. La réponse est oui, mais : «Un musicien peut tout à fait quitter la Sacem et n’être qu’avec Bridger pour la collecte de ses droits d’auteur. Toutefois en faisant cela, il se priverait de ses droits radio et télé que Bridger ne collecte pas encore. C’est pourquoi, il est peut-être plus intéressant pour un auteur-compositeur de rejoindre Bridger uniquement sur la partie digitale. Cela dépend de chaque projet musical. Si un artiste génère 100 % de ses droits sur les plateformes de streaming, alors il vaut mieux pour lui qu’il rejoigne Bridger », nous a expliqué un porte-parole de la filiale d’Audiovalley. Bridger collecte les droits issus du digital (streaming mais aussi téléchargement) et nous indique qu’elle prévoit d’intégrer une partie de ceux de l’audiovisuel : « Dans le futur, nous collecterons les droits des auteurs et compositeurs des musiques utilisées/synchronisées dans des productions audiovisuelles (de tous types) au titre de leur mise à disposition publique par les plateformes digitales, mais nous ne revendiquerons pas les droits d’auteur des réalisateurs, scénaristes, etc. de ces mêmes productions ». Pour les droits liés à la radio et à la télévision, il est prévu de conclure des accords de réciprocité et de représentation avec les sociétés de gestion collective. Mais cela se fera en fonction des besoins exprimés par les membres de Bridger qui sont plutôt orientés streaming.
Les nouveaux entrants IME sur ce marché mondial très lucratif de la collecte et de la gestion des droits d’auteur et droits voisins s’appuient sur les métadonnées (metadata) qui permettent d’identifier en ligne chaque morceau de musique et qui composent le registre des oeuvres musicales (7).

Streaming : 600 M€ mal et pas reversés
La blockchain et les NFT vont accélérer dans musique la redistribution des cartes et des rémunérations (8). Ces technologies du Web3 mettent un terme à la fameuse « boîte noire » constituée par les royalties que les plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Qobuz, …) n’ont pas pu reverser à leurs auteurs faute d’avoir été identifiés : selon, l’association britannique de musiciens indépendants Ivors Academy (9), au moins 600 millions d’euros de redevances « ne sont pas attribuées ou mal attribuées ». @

Charles de Laubier

Musique en ligne : 1 milliard de dollars de royalties impayées, premières restitutions en avril

Spotify, Apple Music, Amazon Music, Google/YouTube ou encore le français Deezer détiennent environ 1 milliard de royalties qu’elles n’ont encore pas versées aux auteurs de musiques « non-identifiées » ou d’origines étrangères inconnues. Ces sommes commencent enfin à être débloquées en avril.

(Depuis la publication de cet article dans le n°254 de Edition Multimédi@, le premier versement mensuel a porté sur 40 millions de dollars. Prochain paiement : mi-mai)

C’est un sujet brûlant aux Etats-Unis: plusieurs centaines de millions de dollars, qui pourraient dépasser 1 milliard, dorment dans la trésorerie des plateformes de streaming musical. Le Mechanical Licensing Collective (MLC), un organisme américain de gestion collective des droits d’auteur de la musique, est officiellement mandaté pour collecter ces arriérés auprès des Spotify, Apple Music et autres Google Play Music/YouTube qui thésaurisent les sommes non allouées. Déjà un demi-milliard de dollars a été récupéré : première restitution aux ayants droit courant avril.

D’Apple Music et Spotify à Deezer et Qobuz
Dirigé par Kris Ahrend (photo) et basé à Nashville (capitale du Tennessee), tout en ayant des implantations dans d’autres villes américaines, et une à Londres, le MLC joue le rôle de go-between entre les éditeurs de musiques et les auteurs-compositeurs, interprètes et paroliers autogérés et membres. Depuis le mois de janvier, il a commencé à gérer les licences générales, obligatoires pour tous les services de streaming et de téléchargement de musique en ligne aux Etats-Unis. « Le MLC est sur la bonne voie pour livrer ses premiers paiements de redevances en avril, dans le cadre de son processus de versement mensuel », a précisé Kris Ahrend dans sa newsletter de mars. Homologué en juillet 2019 par le « US Register of Copyrights » dans le cadre de la loi américaine Music Modernization Act (MMA) de 2018, le MLC a pour mission de récupérer auprès des plateformes numériques éligibles aux Etats-Unis ces redevances non payées mais dues en vertu des licences de musiques enregistrées mises en ligne. C’est au MLC de reverser tous les deux ans ces royalties impayées aux artistes une fois identifiés. N’entrent donc pas dans son champ d’action les licences ou les royalties d’exécution publique, les licences ou les redevances de synchronisation ou les redevances d’enregistrement (2).
Et à partir de cette manne inespérée, mais sans bénéficiaires dans l’immédiat, l’organisme de gestion collective à but non lucratif répartira les sommes et paiera les auteurs-compositeurs, les interprètes, les paroliers et les éditeurs de musique. Et cela commence à payer : le MLC a déjà perçu, à la première échéance des paiements du 15 février, un total de plus de 424,3 millions de dollars de royalties – un record historique – accumulées par les plateformes numériques. D’autres transferts de fonds sont à venir, qui pourraient dépasser le milliard cumulé. Plusieurs raisons expliquent cette rétention de royalties « non appariées » : soit les montants sont affectés à des œuvres dont l’auteur est non-identifiable, soit l’origine étrangère n’est pas déterminée. Ainsi, en tête des redevables : Apple Music a versé 163,3 millions de dollars ; Spotify a restitué 152,2 millions de dollars ; Amazon Music s’est acquitté de 42,7 millions de dollars ; Google, au titre de Google Play Music et de YouTube, a payé 32,8 millions de dollars. Même les plateformes françaises Deezer, dont Orange est actionnaire minoritaire, et Qobuz, propriété de Xandrie, ont restitué respectivement 988.338 dollars et 106.893 dollars.
Au total, une vingtaine de Digital Service Providers (DSP) ont payé leur écot. Ces derniers ont également livré au MLC, avec ces premiers règlements, plus de 1.800 fichiers de données contenant plus de 1,3 téraoctets et 9milliards de lignes de données ! « Nous pouvons commencer le processus d’examen et d’analyse des données afin de trouver et payer les propriétaires des droits d’auteur correspondant », s’est félicitée le MLC, tout en annonçant la création d’une page web dédiée intitulée « Historical Unmatched Royalties » (3), ainsi qu’« un portail de réclamation en ligne (4) qui permettra aux membres (5) d’identifier toutes les chansons non appariées qu’ils possèdent et de réclamer les redevances associées ». Bien que le MLC commence à payer les ayants droit en avril, il précise qu’il ne sera pas en possession de toutes les data avant juin prochain. Pour les sommes non réparties au bout de deux ans, elles seront distribuées à partir de janvier 2023 à tous les détenteurs d’œuvres identifiées au prorata de leur part de marché – majors en tête donc.

Le MLC à Londres devra rendre des comptes
Parallèlement, souligne le MLC, « les DSP demandent à la MMA de limiter leur responsabilité en cas de violation passée et d’utilisation illicite » de ces œuvres musicales. Cet échange de bons procédés – « Je paie, mais vous ne m’attaquez pas en justice » – porte ces fruits. Reste que le MLC ne paiera que les artistes situées sur le sol américain, à la grande satisfaction des associations de songwriters (SONA) et des music publishers (NMPA). En Europe, le MLC devra de Londres rendre des comptes : notamment, en France, à la Sacem ou à la SACD, « sinon, il faut tenter de corriger par soi-même en contactant le MLC », écrit à ses confrères et consœurs Wally Badarou, membre de l’Union des compositeurs de musique de films (UCMF). @

Charles de Laubier

Les ayants droits cherchent à monétiser les UGC, ces contenus créatifs générés par les internautes

Les « User-Generated Content » (UGC) sont en plein boom, que cela soit dans la création musicale, la production audiovisuelle ou les jeux vidéo et l’e-sport. En Europe, la directive « Copyright » consacre ces contenus générés par les internautes. Les détenteurs des droits d’auteur lorgnent ce potentiel.

« Personne ne peut nier que le contenu généré par les utilisateurs (UGC) a eu un impact sociétal énorme. Nous nous connectons, communiquons et réseautons avec d’autres utilisateurs d’UGC. Cela a créé une communauté de créateurs florissante comprenant des musiciens, des producteurs de contenu, des joueurs, des influenceurs et plus encore », s’enthousiasme Vance Ikezoye (photo), le PDG fondateur d’Audible Magic, spécialiste de la reconnaissance de contenus, dans son introduction du rapport intitulé « La montée en puissance de l’UGC », réalisé par Midia Research et publié en octobre.

Exceptions aux droits d’auteur et libertés
« La création et la consommation d’UGC continuent de croître de façon spectaculaire. Pour profiter de cette expansion continue du marché, il faut mettre en œuvre de nouveaux cadres de licence plus simples, en particulier pour la musique où cela pourrait générer un marché accessible d’une valeur de 6 milliards de dollars pour les propriétaires de contenu et les plateformes de médias sociaux », poursuit Vance Ikezoye, Américain d’origine japonaise (1). Ce rapport examine les implications sur les UGC de la directive européenne portant « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ». Cette directive Copyright, qui, adoptée il y a un an et demi maintenant, doit être transposée par les Etats membres de l’Union européenne au plus tard le 7 juin 2021, fait la part belle justement aux « contenus générés par les utilisateurs aux fins spécifiques de la citation, de la critique, de la revue, de la caricature, de la parodie ou du pastiche ». Cet espace de liberté d’expression des utilisateurs du Net – voire de « liberté des arts » – est garanti par « l’application des exceptions ou limitations au droit d’auteur » rendues obligatoires, quand bien même les plateformes numériques doivent prendre des mesures pour lutter contre le piratage en ligne d’œuvres protégées. Les UGC se retrouvent ainsi consacrés dans toute l’Europe par le fameux article 17 de cette directive « Copyright » : « Les Etats membres veillent à ce que les utilisateurs (…) puissent se prévaloir de l’une quelconque des exceptions ou limitations existantes [citation, critique, revue, caricature, parodie ou pastiche, ndlr] lorsqu’ils téléversent et mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs sur les services de partage de contenus en ligne », peut-on lire à son septième alinéa (3). Cette disposition favorable à l’esprit créatif des internautes ne manquera pas d’accélérer et de sécuriser juridiquement la production culturelle émanant des UGC et, partant, de contribuer à la croissance du marché du streaming. Les GAFAM, comme les autres plateformes de musiques et/ou de vidéos, se retrouvent couvertes par ces exceptions qui limitent le droit d’auteur au profit du grand public. Si les industries culturelles et leurs ayants droits veulent y trouver aussi une opportunité de monétiser leurs œuvres, elles doivent faciliter l’octroi de licences aux plateformes de diffusion d’UGC, afin de créer de nouvelles sources de revenus. Sinon, le manque à gagner risque d’être énorme pour elles. Selon ce rapport « Audible/Midia », les revenus mondiaux des UGC liés à la musique – générés par la publicité des contenus disponibles sur les plateformes gratuites – s’élèveront à 4 milliards de dollars en 2020, dont 2,2 milliards de dollars sont identifiés comme des revenus potentiels pour les détenteurs de droits de musique.
« Pour être clair, tous ces revenus ne sont pas actuellement versés aux détenteurs de droits – il s’agit simplement d’une estimation des revenus potentiels attribuables au CGU axé sur la musique », précise bien le rapport. Et en 2022, au rythme où s’intensifie l’activité des réseaux sociaux – lesquels totalisent 119 milliards de dollars de chiffre d’affaires publicitaires grâce à leurs quelque 7,7 milliards d’utilisateurs dans le monde –, les revenus issus de l’exploitation de la seule musique des UGC sur les plateformes telles que YouTube, Facebook ou encore TikTok devraient atteindre près de 6 milliards de dollars, avec un potentiel de royalties pour les titulaires de droits musicaux de 3,2 milliards de dollars (voir graphique page suivante). La Chine, notamment avec sa plateforme de vidéos courtes musicales TikTok alias Douyin éditée par le groupe ByteDance, va contribuer pour la moitié de l’augmentation des revenus publicitaires des médias sociaux entre 2019 et 2022.

Ciné et télé veulent aussi leur part
Bien que TikTok soit confronté en 2020 à l’incertitude aux Etats-Unis et en Inde, l’ampleur des revenus de ByteDance indique à quel point le groupe chinois (17 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019) est importante pour le secteur de la musique. « L’UGC a longtemps été sous-monétisé pour les détenteurs de droits musicaux », souligne Mark Mulligan, directeur général de Midia Research. Mais il n’y a pas que la musique des UGC qui représente un potentiel de recettes pour les ayants droits. Le cinéma et la télévision sont aussi très prisés par les contenus générés par les utilisateurs, notamment sur les médias sociaux avec des contenus tels que des caricatures, des parodies, des bandes-annonces (pour les fans sur YouTube par exemple) ou encore des vidéos de relaxation sur le mode dit ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response), phénomène venu d’Asie et très prisé des jeunes, provoquant des sensations agréables (frissons, picotements, stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif).

Jeux vidéo et e-sport ne sont pas en reste
Mais, estime le rapport « Audible/Midia », les industries audiovisuelles et cinématographiques ont permis jusqu’à présent un UGC généralisé, principalement promotionnel et basé sur des clips à durée limitée (de quelques secondes à quelques minutes), mais, à l’instar des titulaires de droits musicaux, elles n’ont pas encore puisé dans la monétisation issue du partage des recettes publicitaires. Le sport aussi pourrait devenir source de contenu des UGC auprès notamment d’un public jeune, sportif et/ou supporteur. « Alors que la pandémie mondiale du coronavirus et les perturbations à long terme des événements sportifs se poursuivent, les détenteurs de droits se concentrent encore plus sur la création d’un engagement numérique au-delà de la diffusion pure et simple d’événements en direct », souligne le rapport. Les jeux vidéo et l’e-sport ne sont pas en reste : le potentiel publicitaire des UGC est fort, mais la publicité n’est pas le seul moyen de monétiser. Dans Fortnite (Epic Games) ou League of Legends (Riot Games), les utilisateurs jouent gratuitement, mais les microtransactions et les biens virtuels sont intégrés dans les jeux comme des options de vente incitatives. Les utilisateurs peuvent personnaliser leurs avatars ou leur expérience en jeu au moyen de « skins » ou en utilisant la monnaie virtuelle pour même introduire de nouveaux personnages. Les fans peuvent acheter des badges, payer des « pourboires » aux autres joueurs ou payer pour que leurs commentaires soient bien en vue sur les tableaux d’affichage, ou faire tout autre microtransaction dans le gaming et l’e-sport. « Les créateurs d’UGC dépendent de leurs plateformes de distribution et des ententes qu’ils ont avec eux. Par conséquent, développer les opportunités “UGC” revient à nouer des partenariats avec les grandes plateformes vidéo (YouTube, Twitch, Facebook Gaming, …), et les mondes sociaux et vidéoludiques (Fortnite, Call of Duty, GTA, Fall Guys, Minecraft, Roblox, …). Des cadres durables doivent être mis en place avec les distributeurs d’UGC », estime le rapport d’une trentaine de pages (4). Cela suppose de faciliter l’octroi de licences pour les plateformes numériques, afin de résorber non seulement le transfert de valeur (value gap) mais aussi l’écart technologique (innovation gap).
Par exemple, Twitch (groupe Amazon) a récemment lancé « Soundtrack by Twitch » (5), avec un catalogue de plus de 1 million de chansons sous licence mises à disposition de sa communauté de créateurs qui peuvent les utiliser dans leurs flux. De son côté, Snap a lancé en octobre « Sounds on Snapchat » (6) qui permet désormais à ses utilisateurs d’ajouter de la musique sous licence à leurs vidéos. In fine, les titulaires de droits ne doivent pas voir les UGC comme une menace ou une cannibalisation de leurs contenus professionnels. Des partenariats win-win doivent s’instaurer, via la plateforme de diffusion. @

Charles de Laubier

Plateformes musicales et Sacem : accord clean claim

En fait. Depuis le 1er janvier 2020, est entré en vigueur un accord de bonne pratique appelé « clean claim » et signé entre trois plateformes musicales – Spotify, YouTube/Google, Apple Music – et les sociétés européennes de gestion collective des droits d’auteur telles que la Sacem. Fini la rétroactivité des droits.

En clair. Désormais, depuis le 1er janvier 2020, il n’est plus possible pour les musiciens et auteurs interprètes de toucher leurs droits d’auteur de manière rétroactive pour les diffusions de leurs musiques en ligne. C’est le résultat d’un accord signé l’an dernier entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et ses homologues européennes (l’anglaise PRS, l’allemande GEMA, l’italienne SIAE, l’espagnole SGAE, …), d’une part, et les trois principales plateformes de streaming musical que sont Spotify, YouTube/Google, Apple Music, d’autre part. « Ce nouvel accord de bonne pratique est appelé “clean claim”. Son principe est clair : si l’œuvre n’a pas été déposée à la Sacem dans l’année de sa première diffusion, nous ne pourrons plus la revendiquer auprès des plateformes comme Spotify, jusqu’au dépôt formel. Nous ne pourrons donc pas facturer au titre de ses exploitations en ligne, sur la période préalable au dépôt », a prévenu Julien Dumon, directeur des droits phonographiques et numériques à la Sacem, dans le magazine des sociétaires de la Sacem (au nombre de 169.400 à ce jour) diffusé cet hiver. Auparavant, la Sacem pouvait revendiquer les œuvres qu’elle supposait signées de ses membres en attendant que les membres déposent vraiment l’œuvre (1). Désormais, cela ne lui est plus possible, afin d’éviter les « conflits de revendication » éventuels avec d’autres sociétés de gestion collective européennes. Par exemple, si la PRS en Grande-Bretagne revendique une œuvre et la Sacem fait de même, cette situation provoque le blocage du paiement des royalties par la plateforme musicale. « Aujourd’hui, nous devons prouver que cette œuvre est bien déjà déposée. Certes, un délai de rattrapage est quand même prévu, mais il est court. Au plus tard, l’œuvre doit être déposée dans les douze mois suivant sa première exploitation », indique Julien Dumon.
La Sacem indique en outre qu’« 1 million de vues sur YouTube génèrent environ 350 euros en moyenne, quand 1 million d’écoutes sur Spotify apportent environ 1.100 euros de droits d’auteur » (2). Et de comparer : une musique en ligne recevra 0,001 euro par stream (Spotify Premium) ; chaque titre d’un album de douze titres vendu sur CD percevra en moyenne 0,06 euro. C’est déjà mieux qu’une chanson écoutée sur NRJ qui rapporterait seulement 0,000004 euro par auditeur ! @