La taxe « copie privée » a rapporté aux industries culturelles plus de 4 milliards d’euros en 20 ans

C’est une manne dont les ayants droit de la musique, de l’audiovisuel, de l’écrit (presse-édition) et de la photo (image fixe) ne peuvent plus se passer. De 2002 (taxe sur les CD/DVD) jusqu’à 2020 (taxation de presque tous les appareils de stockage), la « rémunération pour copie privée » fait recette.

La « rémunération pour copie privée », qui est une taxe prélevée sur le prix de ventes des supports et appareils de stockage numérique (smartphone, tablettes, box, clés USB, disques durs externes, cartes mémoires, disques optiques, …), est appliquée pour « compenser le préjudice subi par les auteurs, artistes, éditeurs et producteurs du manque à gagner résultant de l’utilisation de leurs oeuvres ». Cette taxe « copie privée » est la contrepartie du droit de copie privée, permettant à chacun d’enregistrer des musiques, des films, des livres ou des photos pour un usage privé, dans le cadre du cercle restreint familial (1).

Musique : 2 milliards d’euros cumulés
Selon les calculs de Edition Multimédi@, à partir des chiffres enfin rendus publics par Copie France, qui est l’unique organisme chargé de percevoir la rémunération pour copie privée, l’année 2020 a franchi deux seuils symboliques : la barre des 4 milliards d’euros pour le total cumulé des sommes perçues depuis près de vingt ans (2002-2020), dont le cap des 2 milliards d’euros dépassé rien que pour la musique (part sonore au sens large). Ces deux dernières décennies « digitales » (2) ont ainsi vu les recettes de la taxe «copie privée» grimper au fur et à mesure de la généralisation des usages numériques et des appareils et/ou support de stockage associés.
En Europe, la France est le pays qui taxe le plus : sur plus de 1 milliard d’euros collectés sur 2020 au titre du private copying levy dans l’Union européenne (4), l’Hexagone pèse à lui seul plus d’un quart (26,8 %) de ces recettes totales. En effet, Copie France a collecté l’an dernier 273 millions d’euros, soit 5 % de mieux que l’année précédente. Et les industries culturelles et les ayants droit (auteurs, artistes, éditeurs et producteurs) n’entendent pas en rester là puisque d’autres appareils vont être assujettis à leur tour par la « commission pour la rémunération de la copie privée », laquelle est rattachée au ministère de la Culture et présidée jusqu’en septembre 2021 par le conseiller d’Etat Jean Musitelli (photo). Ainsi, à partir du 1er juillet prochain seront taxés eux aussi les smartphones et les tablettes revendus reconditionnés – à moins que la polémique suscitée par l’exonération à la taxe « copie privée » envisagée un temps dans le projet de loi « Empreinte numérique » (5) n’ait raison de ce nouveau barème déjà publié au J.O. du 6 juin (6). Autre taxation en vue : celle des ordinateurs (fixes et portables) pour leurs disques durs internes, jusque-là épargnés pour des raisons politiques d’inclusion numérique (7). La commission « Musitelli » y travaille, comme le confirme son président à Edition Multimédi@ : « Le CSA [l’institut d’études, pas le régulateur de l’audiovisuel, ndlr] a pu lancer le sondage dans la deuxième quinzaine de mai. Il est en cours de réalisation et devrait s’achever début juillet. Il est prévu que les résultats de l’enquête soient présentés à la commission vers la mi-septembre ». A suivre. @

Charles de Laubier

Pas de front uni des groupes publics de télévision en Europe face aux Netflix, Disney+ et autres Amazon Video

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a-t-elle abandonné l’idée d’un « “Netflix public” européen » ? Car face aux grandes plateformes de SVOD, les télévisions publiques en Europe sont divisées. Il ne tient qu’à l’Union européenne de radio-télévision (UER), qu’elle préside en 2021 et 2022, d’y remédier.

« Un “Netflix public” européen est possible et peut naître dans les mois qui viennent. Un projet numérique d’ambition européenne au service de la création peut être le moyen de redonner de la fierté à l’audiovisuel public, et de prendre notre place dans la compétition mondiale », assurait Delphine Ernotte (photo) dans une tribune parue dans Le Monde le 14 novembre 2017.
Trois ans et demi après, alors que la patronne de France Télévisions préside aussi cette année et l’an prochain l’Union européenne de radio-télévision (UER) qui est composée de groupe public de l’audiovisuel : aucun « Netflix public » européen en vue. Les grandes plateformes privées américaines de SVOD (1), que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore AppleTV+, s’en donnent à cœur-joie sur le Vieux Continent où elles ne rencontrent aucun rival européen sérieux. Pourtant, c’était un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, formulée noir sur blanc dans son programme électoral : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes ». Une fois élu président de la République, le locataire de l’Elysée avait aussitôt confié à la présidente de France Télévisions le soin de concrétiser sa promesse de plateforme commune au niveau européen.

Britbox, Salto, Viaplay, Now, Joyn, Discovery+, …
Mais c’était sans compter l’ADN nationale des services publics de chaque pays, et l’absence de coordination des Etats membres – propriétaires de ces chaînes publiques – susceptibles de mener à bien un tel projet, chacun y allant de son projet. On connaît la suite : la BBC, le groupe audiovisuel public britannique, a lancé en novembre 2019 avec l’entreprise privée de télévisions ITV, son compatriote, la plateforme Britbox au Royaume-Uni ; le groupe de chaînes publiques France Télévisions a de son côté lancé en octobre 2020 avec les groupes français privés de télévision TF1 et M6 la plateforme vidéo Salto. Avant que les services publics de l’audiovisuel ne partent en ordre dispersé, des initiatives 100 % privées ont aussi fleuri. C’est ainsi que le groupe suédois Modern Times Group (MTG) a été pionnier dans l’offre de streaming vidéo en lançant en février 2011 Viaplay, service qui est maintenant opéré par le groupe scandinave Nordic Entertainment Group (groupe Nent), un spin-off créé par MTG il y a près de trois ans.

L’émiettement SVOD en Europe
Dans le privé toujours, le groupe britannique de télévision payante Sky, filiale de l’américain Comcast, a lancé quant à lui Now TV en juillet 2012 au Royaume-Uni, devenu Now et disponible dans d’autres pays. Les groupes audiovisuels américain Discovery et allemand ProSiebenSat.1 Media ont lancé ensemble en mai 2017 la plateforme Joyn Plus+ en Allemagne. De son côté, Discovery a aussi lancé en juillet 2018 en Grande-Bretagne et en Irlande le service de vidéo à la demande QuestOD, lequel a changé de nom en octobre 2019 pour Dplay, avant d’être à nouveau rebaptisé en octobre 2020 Discovery+. A ces principales plateformes de SVOD et/ou de TVOD (4) dans l’Union européenne (UE) s’ajoutent bien d’autres initiatives telles que TIM Vision (Telecom Italia) et Mediaset Infinity en Italie, TV 2 Play au Danemark, Videoplay et Videoland aux Pays- Bas, Ruutu+ en Finlande, Streamz en Belgique, Voyo en Slovénie, ou encore C More en Scandinavie. Sans parler du japonais Rakuten TV et du français Molotov TV.
Cet émiettement des plateformes fait le jeu des géants américains de l’Internet. Même NBCUniversal, filiale audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms américain Comcast avait les coudées franches pour lancer en février dernier, sur l’Hexagone, Hayu, sa plateforme d’émissions de téléréalité à la demande désormais disponible dans une dizaine de pays européens. Et son compatriote ViacomCBS, qui a redu disponible il y a plus de deux ans Pluto TV en Europe, y déploie parallèlement Paramount+ (ex- CBS All Access). Le champ est d’autant plus libre que le projet de « Netflix latin » envisagé en avril 2016 par le français Vivendi et l’italien Mediaset avait aussitôt tournée court, les deux groupes de respectivement Vincent Bolloré et Sylvio Berlusconi ne trouvant pas mieux que d’aller ferrailler en justice l’un contre l’autre durant cinq ans pour des rivalités capitalistiques (5). Quant aux groupes publics de télévision, le plus souvent financés par des redevances audiovisuelles payées par les foyers européens (138 euros en France, 220 en Allemagne), ils n’ont pas su s’organiser – même au sein de l’UER – pour donner la réplique aux GAFAN. Ce fut surtout faute d’une véritable volonté politique de la part des différents Etats membres. A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Emmanuel Macron a échoué à faire émerger un « Netflix européen » public et, par ailleurs, a abandonné sa grande réforme de l’audiovisuel (6). Le marché européen de la SVOD est pourtant bien là, avec ses 9,7 milliards de chiffre d’affaires en 2020 selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) – auxquels s’ajoutent 1,87 milliard pour la TVOD, soit un total de 11,6 milliards d’euros généré l’an dernier (voir graphique). Delphine Ernotte, à la tête de France Télévisions depuis août 2015 et reconduite à ce poste en juillet 2020 pour un mandat de cinq ans, peut-elle relancer l’idée de « “Netflix public” européen » en tant que présidente de l’UER jusqu’au 31 décembre 2022 ? Le 28 mai, cette union de « médias de service public » – dépassant largement l’UE avec 115 organisations membres dans 56 pays – a annoncé la nomination d’un directeur du numérique, de la transformation et des plateformes (7). Le Belge Wouter Quartier prendra ses fonctions en août prochain. Il a été le « Monsieur digital » de la radiotélévision flamande VRT et de sa plateforme vidéo VRTNu. « Wouter Quartier travaillera en étroite collaboration avec un comité numérique nouvellement élu qui s’est engagé à soutenir l’UER à mesure que nous progressons dans ce domaine », a indiqué Jean Philip De Tender, directeur média de l’UER.
Reste à savoir si, au-delà de sa mission première d’aider les médias publics à développer leurs activités numériques et leurs propres plateformes, émergera une volonté d’une plateforme SVOD commune, du moins dans l’UE. Rien n’est moins sûr, les homologues de France Télévisions continuant à résonner « national » lorsque ce n’est pas « régional ». Et la stagnation des financements publics, voire leur recul, et la baisse des recettes publicitaires, dans un contexte de crise sanitaire, entraîne un « repli sur soi » des médias publics. A défaut de plateforme paneuropéenne publique, Delphine Ernotte et Emmanuel Macron se sont repliés sur la co-production.

Repli sur la coproduction européenne
« Je crois à la construction d’un audiovisuel européen, non pas à une seule chaîne européenne, mais à l’alliance, au soutien entre les médias publics. Très concrètement, je me suis attachée à des coproductions européennes entre la ZDF (Allemagne) et la Raï (Italie) et vous verrez prochainement sur nos antennes le produit de ces coproductions » (8), a indiqué Delphine Ernotte le 3 mai dernier sur France Inter. Il y a six mois, dans Le Monde, elle déclarait : « L’addition de nos budgets représente 20 milliards d’euros. Investir ensemble une petite partie de cette manne permettra de faire naître un marché de la création européenne qui s’exporte au-delà de nos frontières ». Pas de quoi inquiéter pour l’instant les « Netflix » et les autres géants de la SVOD. @

Charles de Laubier

Production cinématographique et audiovisuelle : Netflix « accélère » en France avant l’obligation de financement

Les plateformes de SVOD telles que Netflix vont devoir financer des films, séries ou documentaires européens à hauteur de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires – dont 85 % en oeuvres françaises. Avec le binôme « Bernet- Pedron », le groupe de Reed Hastings s’est renforcé en France où il compte plus de 6,4 millions d’abonnés.

C’est le baptême du feu pour Damien Bernet et Jérôme Pedron, depuis leur recrutement par Netflix en France, respectivement en avril et mai derniers. Le premier a été directeur général d’Altice Média après avoir été directeur délégué de NextRadioTV (racheté par Altice en 2016) et le second fut un ancien de Telfrance et directeur délégué de la société de production audiovisuelle Newen (rachetée par TF1 en 2015). Ce binôme de « Director Business and Legal Affairs » à la tête de la filiale française de Netflix, aux côtés de Marie-Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles depuis près de deux ans, est placé sous l’autorité de Tom McFadden (photo), lui-même aussi « Director Business and Legal Affairs » mais pour l’ensemble de la vaste région EMEA – Europe, Moyen-Orient et Afrique. Originaire de Pennsylvanie (Etats-Unis), cet Américain est basé au QG européen de Netflix à Amsterdam (Pays-Bas) depuis le début de l’année, après avoir fait ses premières armes de négociateur – commercial et juridique – dans les contrats de production, de coproduction et de licences de séries et de films chez Netflix à Hollywood, la Mecque du cinéma américain. C’est lui aussi qui supervise juridiquement les relations des équipes locales avec les gouvernements et les politiques. Damien Bernet et Jérôme Pedron en réfèrent à lui justement dans les discussions en France autour du projet de décret dit SMAd – Services de médias audiovisuels à la demande – que le pays de « l’exception culturelle » s’apprête à promulguer.

La production française dans l’ombre d’Hollywood
A peine dix mois après avoir inauguré son siège à Paris, Netflix  se retrouve en pleine effervescence dans la dernière ligne droite avant A peine dix mois après avoir inauguré son siège à Paris, Netflix se retrouve en pleine effervescence dans la dernière ligne droite avant la publication de ce décret SMAd qui va imposer aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) – telles que Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+ de consacrer jusqu’à un quart de leur chiffre d’affaires réalisé en France – 20 % à 25 % – au (co)financement de la production de films, de séries, d’animations ou de documentaires européens. Et l’essentiel de ces dépenses obligatoires, à savoir « 85 % au moins » du total, est réservé par ce texte – tant attendu par le 7e Art français – à des « œuvres d’expression originale française », dont « deux tiers (…) consacrés au développement de la production indépendante ». Les conventions et les cahiers des charges sont signés par les plateformes auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce projet de décret SMAd d’une vingtaine de pages (2), qui a été mis en consultation publique jusqu’au 10 novembre dernier par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), au sein du ministère de la Culture, réforme de fond en comble un précédent décret SMAd pris il y a tout juste dix ans (3).

350 à 500 millions d’euros de la SVOD
« Nous sommes encore en cours de discussion et d’évaluation du décret », indique Damien Bernet, à Edition Multimédi@. Lors de sa toute première intervention publique depuis sa nomination, lors d’une conférence de Médias en Seine (4) le 19 novembre, il a évalué l’impact du futur décret SMAd : « C’est vrai qu’avec le projet du gouvernement, qui met des obligations (d’investissement dans un production française) à des niveaux très élevés par rapport à des pays comparables européens, il va y avoir une injection d’argent dans le secteur de la production française », a convenu Damien Bernet. Et celui qui se présente comme le directeur du développement de Netflix en France de préciser : « En France, 1,2 milliard d’euros par an sont investis aujourd’hui par les chaînes de télévision traditionnelles dans la production audiovisuelle et cinématographique. Les estimations d’investissement par les plateformes de SVOD sont de 350 à 500 millions d’euros par an, soit une augmentation globale de 30 à 50 % ». Conséquence, même si Netflix conteste avec une étude d’Analysis Group (selon La lettre A) l’indexation des 20 %-25 % sur ses revenus hexagonaux, il reconnaît que cet afflux d’argent dans la production audiovisuelle et cinématographique va provoquer une inflation sur les talents que les plateformes de SVOD et les chaînes de télévision vont s’arracher.
Damien Bernet en a profité au passage pour évoquer un sujet fiscal qui préoccupe Netflix en France et qui fait l’objet de discussions plus larges autour du prochain décret SMAd : « Nous avons une TVA de 20 % contre 10 % pour nos concurrents des chaînes payantes [Canal+, OCS, …, ndlr]. Nous considérons que ce n’est certainement pas équitable. Maintenant, nous n’allons pas forcer les choses. C’est un débat qui est sur la table et nous espérons que cela évoluera vers une forme de convergence (fiscale) comme sur les obligations d’investissement ». Mais le changement de régime fiscal demandé par Netflix en France n’avait rien à voir, selon lui, avec le test mené depuis le 5 novembre auprès de quelques abonnés sur l’Hexagone – et c’est une première mondiale pour la firme de Los Gatos fondée par Reed Hastings – de la fonction « Direct ». Celle-ci permet de « regarder uniquement via le navigateur web des programmes définis, à toute heure de la journée » (5) – comme une chaîne de télévision. Cette « Netflix TV » est en fait plus qu’une expérimentation puisque « la fonctionnalité Direct sera déployée progressivement en France, avant d’être accessible à tous nos membres français, dès le début du mois de décembre » (6). Le géant mondial de la SVOD voudrait attaquer frontalement la chaîne payante Canal+, pourvoyeur historique de fonds du cinéma français, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Lors des Rencontres cinématographiques de L’Arp (7), le président de Canal+, Maxime Saada, s’est plaint le 6 novembre que le projet de décret SMAd permette une avancée de la SVOD dans la chronologie des médias – à moins de treize mois après la sortie d’au moins un film en salles en France (au lieu de trente-six mois) – si la plateforme numérique de type Netflix porte à 25 % de son chiffre d’affaire annuel son investissement dans un production européenne (française d’abord). Etant situé entre six et huit mois dans la chronologie des médias, la chaîne cryptée de Vivendi se sent menacée par la SVOD.
En réalité, sur les films de cinéma, c’est toutes les chaînes de télévision hertziennes (TF1, M6, France TV, Canal+, …) qui se sentent bousculées par les géants de la SVOD – « des prédateurs », selon elles – dont la fenêtre de diffusion sera améliorée. Sans parler de l’éternel débat sur la propriété des droits audiovisuels en cas de coproduction, qui échappent aux chaînes. Pour autant, Netflix – par sa présence en France – veut se positionner aussi comme partenaire des chaînes, comme l’a assuré Damien Bernet : « Lorsque nous collaborons avec les chaînes hertziennes traditionnelles, ce que l’on produit fait évoluer par exemple TF1 (« Le Bazar de la Charité », « 13 Novembre : “Fluctuat Nec Mergitur” diffusé sur TMC), ou France Télévisions (« Dix pour Cent » et le projet de série d’animation, “Oggy Oggy” avec Xilam) ».

Netflix France va encore plus « accélérer »
Que de chemin parcouru depuis la première production française cofinancée dès 2015 par Netflix avec TF1 et Federation Entertainment, « Marseille ». « Depuis, nous avons beaucoup accéléré, a-t-il indiqué. En 2020, nous avons lancé plus de vingt projets – que ce soit de films, de séries, de documentaires ou d’animations – qui arriveront pour la plupart en 2021 et certains en 2022 ». Pour le directeur du développement de Netflix, il n’y aura cependant « pas d’eldorado pour les producteurs français », mais plutôt « un eldorado pour [ses] abonnés français », au nombre de 6,4 millions aujourd’hui. @

Charles de Laubier

La chronologie des médias prive les Français de Mulan

En fait. Le 25 août, Disney a confirmé que son film « Mulan » ne sera pas disponible en France sur sa plateforme Disney+ le 4 septembre, date à laquelle ce blockbuster sera pourtant proposé en ligne dans les autres pays. Les salles de cinéma sont victimes de la pandémie. Mais la France s’accroche à sa chronologie des médias.

En clair. La World Disney Company a cédé à la pression de l’exception cultuelle française et de sa sacro-sainte chronologie des médias. Celle-ci empêche qu’un nouveau film qui sort en salle de cinéma puisse être proposé en VOD avant quatre mois ou en SVOD avant dix-sept mois (1). Or la major d’Hollywood a annoncé le 4 août qu’elle se passera des salles obscures en raison du risque sanitaire et proposera sa superproduction « Mulan » (2) directement et en exclusivité en streaming sur Disney+ (60,5 millions d’abonnés dans le monde). Et ce, en mode VOD « accès premium » moyennant un prix variable selon les pays : 29,99 dollars aux Etats-Unis, 19,99 £ au Royaume-Uni, 21,99 euros en Italie ou encore en Espagne. «En même temps, nous sortirons le film en salle dans certains marchés où […] Disney+ [est absent] et où les salles sont ouvertes », a précisé Bob Chapek, le patron du groupe (3). Le lendemain, soit le 5 août, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) s’est insurgée contre la décision de Disney : « Les salles de cinéma regrettent profondément que certains films, notamment à potentiel mondial, ne puissent sortir en salle en France. (…) Le fait pour certains de privilégier d’autre modes de diffusion ne peut qu’accentuer la crise que connaissent les salles de cinéma, et plus largement notre secteur, (…) ». Et la FNCF présidée par Richard Patry de critiquer au passage le principe même de regarder des films en streaming : « (…) en optant pour des modes de diffusion bien moins créateurs de valeur que la sortie en salle et très éloignés du principe au cœur du spectacle cinématographique : rassembler un public ensemble pour partager des émotions et faire vivre la culture au cœur de la cité et des territoires » (4). Le long-métrage « Mulan » devait sortir en avril dernier dans les salles obscures, mais la pandémie a contraint Disney à repousser par trois fois la date, avant d’opter pour le streaming… sauf en France. Y aura-t-il une sortie «Mulan » dans des salles de l’Hexagone à l’instar du blockbuster « Tenet » de Warner Bros., par exemple à partir du mercredi 9 septembre, pour être proposée au bout de quatre mois, en janvier 2021, en mode VOD premium sur Disney+ ? Aux Etats-Unis, AMC (numéro un des cinémas américains) et la major Universal (Comcast) ont annoncé le 28 juillet un accord (5) ramenant à 17 jours le délai entre les sorties des films en salle et celles en VOD/DVD… @

Netflix déclare sa flamme au cinéma français, tout en espérant beaucoup de la future loi sur l’audiovisuel

« On aime profondément le cinéma ; on veut travailler avec vous ! », a lancé Marie-Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles de Netflix France, lors des 29es Rencontres cinématographiques de Dijon. La première plateforme mondiale de SVOD, aux 6 millions d’abonnés en France, fait « une lecture très positive » de la future loi audiovisuelle.

Il y a cinq ans, tout juste après le lancement de Netflix en France, intervenait Janneke Slöetjes aux 28es Rencontres cinéma-tographiques de Dijon (RCD). Mais la directrice des affaires publiques de Netflix Europe avait à l’époque botté en touche sur les intentions du géant mondial de la SVOD envers le cinéma français. Cette fois, lors des 29es RCD qui se sont déroulées du 6 au 8 novembre, c’est Marie-Laure Daridan (photo), directrice des relations institutionnelles de Netflix France depuis dix mois, qui a fait le déplacement à Dijon à l’invitation de L’ARP, société civile d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs (1), organisatrice de cet événement annuel. Pour la première fois, la firme de Reed Hastings – disposant à nouveau de bureau en France depuis un an (2) – s’est déclarée prête à coopérer avec le cinéma français dans la perspective de la future loi sur l’audiovisuel. « Nous faisons une lecture très positive de la loi (audiovisuelle) française, car elle va parfaitement dans le sens de nos objectifs et de la réalité de Netflix en France. La France occupe une place particulière pour Netflix, de par la diversité et la richesse de ses talents, de par sa créativité et son exception culturelle », a assuré Marie-Laure Daridan devant les professionnels du 7e Art français.

Une quinzaine d’œuvres françaises financées en 2019, autant en 2020
« Il y a dix ans, notre métier était la location de DVD par la poste : on évolue, on s’adapte, on apprend en marchant, et on veut travailler avec vous ! », a-t-elle lancé. Netflix dépasse aujourd’hui les 6 millions d’abonnés en France, conquis depuis son lancement en septembre 2014. « La raison d’être de Netflix en France est claire, a-t-elle expliqué. Il s’agit de développer des contenus locaux, avec des talents locaux, au plus près de notre audience locale, et d’offrir à ces contenus une fenêtre d’exposition assez inédite sur le monde auprès de nos 158 millions d’utilisateurs dans plus de 190 pays. Notre investissement en France est déjà significatif puisqu’en 2019 nous aurons commissionné une quinzaine de projets originaux ». Il y a bien sûr beaucoup de séries comme « Marianne » ou « Mortel » cette année et « La Révolution » ou « Arsène Lupin » l’an prochain, mais aussi des films tels que « Braqueurs », « Banlieusards » ou « Le Chant du loup ».

Final cut : Netflix dit respecter le droit moral
Netflix coproduit aussi, notamment la série « La Bazard de la charité » avec TF1, qui la diffuse en première exclusivité à partir du 18 novembre. La série « Mortel », en ligne à partir du 21 novembre, est écrite par un jeune diplômé de la Fémis et coproduite par Netflix associé à Mandarin Télévision. « Ce sont des investissements importants qui ont vocation à croître. Les contenus locaux sont immédiatement traduits en 30 langues et mis à disposition sur Netflix sur l’ensemble des territoires. Ce qui contribue de manière significative à les exporter et à les faire rayonner, tout en valorisant la création française dans le monde », a insisté Marie- Laure Daridan. Exemple : sept jours après sa mise en ligne le 12 octobre, le film « Banlieusards » été vu par plus de 2,6 millions de foyers à travers le monde. Et « Le Chant du loup » est l’un des films internationaux non anglais qui a le mieux marché dans le monde. « Notre ambition éditoriale est forte : nous voulons prendre des risques, explorer de nouveaux genres, de nouvelles formes d’écriture, travailler avec de nouveaux talents. Nous voulons aussi donner toute sa place à la diversité de la société, devant et derrière la caméra », a-t-elle poursuivie, en recitant la série « Mortel ». La directrice des relations institutionnelles de Netflix France a aussi voulu dissiper tout malentendu sur le droit moral des auteurs. Le réalisateur, scénariste et acteur français Pierre Jolivet, président de L’ARP, a amené le problème sous un angle polémique : « Netflix a fait beaucoup de productions en France sur des contrats où Netflix disposait du final cut, a-t-il reproché. Alors qu’en France, le droit moral prévoit – le cinéma étant à cheval entre l’industrie et l’art – que le film est terminé lorsque le producteur et le réalisateur se sont mis d’accord. Netflix n’a pas suivi cette disposition car vous aviez un rapport un peu léonin (3) avec les réalisateurs, jeunes pour la plupart, qui ne se voient pas faire un procès à Netflix parce qu’ils ont signé un contrat contre la loi française ». Marie-Laure Daridan a joué l’apaisement en laissant entendre que là aussi Netflix avait évolué en France : « Il n’y a pas de renonciation au droit moral dans nos contrats pour des productions de Netflix en France. C’est important de le souligner. Parce que les choses vont très vite et que Netflix – où je suis depuis dix mois – évolue ; la perception a un petit retard sur la réalité aujourd’hui ». Le projet de loi sur l’audiovisuel, qui sera présenté en conseil des ministres le 4 décembre puis débattu à l’Assemblée nationale à partir de février 2020, prévoit la protection de ce droit moral. Concernant cette fois les taux d’investissement dans la création, qui seront inscrits dans les conventions signées avec la future Arcom (4), un décret fixera les planchers. « On veut que ce taux ne soit pas endessous de 16 %, en souhaitant que cela soit largement au-dessus », avait indiqué le ministre de la Culture, Franck Riester, le 3 septembre dernier (5). « Nous avons choisi d’investir en France avant d’être obligé, car on croit à la création française, a déclaré Marie-Laure Daridan. La loi va dans le sens de l’intention qui est la nôtre en France. On paie par ailleurs la taxe de 2 % du CNC et on prend note de l’augmentation de cette taxe à partir du 1er janvier 2020 à 5,5 % ». Et de poursuivre : « Nous avons bien compris le sens de la loi qui nous invite à une négociation interprofessionnelle, et Netflix est prêt à engager cette négociation avec les professionnels du cinéma ». A défaut d’accord, la loi prendrait le relais.
Reste à savoir quelle part du chiffre d’affaires de Netflix France sera pris en compte pour calculer la quote-part destinée au financement du cinéma français, étant donné que la plateforme de SVOD propose un catalogue essentiellement composé de séries relevant de l’audiovisuel. « Nous [à L’ARP, ndlr], nous considérons que le visionnage n’est pas un bon point d’encrage pour dispatcher les obligations d’investissement dans la création. A partir du moment où une plateforme fait du cinéma, elle doit participer au financement du cinéma, même si elle dit que le visionnage n’est pas aussi fort sur les films que sur les séries », a estimé Pierre Jolivet. Le président de L’ARP fut rejoint par Aurore Bergé, députée (LREM) pressentie pour être rapporteure de la loi audiovisuelle : « Je ne suis convaincu que la question du visionnage soit la bonne porte d’entrée, a-t-elle abondé. C’est vrai que le cinéma est un produit d’appel extrêmement puissant, y compris pour Netflix. C’est plutôt le catalogue et sa profondeur qui doit déterminer ensuite la contribution des acteurs ».

Mesurer le catalogue plutôt que le visionnage
Pour la directrice des relations institutionnelles de Netflix France, « cela doit faire typiquement partie des discussions que l’on doit avoir dans les prochains mois ». Netflix espère aussi beaucoup de la loi pour amener le 7e Art français à réviser la chronologie des médias en faveur des plateformes de SVOD, lesquelles doivent encore attendre dix-sept mois après la sortie du film en salle. @

Charles de Laubier