Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier

Plateforme vidéo : discret, Sony fourbit ses armes

En fait. Le 2 décembre dernier, l’analyste Simon Murray chez Digital TV Research a répondu à Edition Multimédi@ sur la raison de l’absence du groupe japonais Sony dans la course mondiale aux plateformes de SVOD, alors que les autres détenteurs de studios de cinéma ont lancé la leur (Disney+, Paramount+, Peacock, …).

En clair. « Ils [ni Sony Pictures Entertainment, ni Sony Pictures Television, ni Sony Interactive Entertainment, ndlr] n’ont rien déclaré publiquement, mais je pense qu’ils ont pris la décision qu’ils pourraient faire plus d’argent en restant agnostiques en termes de plateformes, plutôt que de lancer leur propre plateforme à partir de zéro (from scratch) », nous répond Simon Murray (photo), l’analyste et fondateur de Digital TV Research. Sony, maison mère d’une des grandes majors mondiales du cinéma avec Sony Pictures (studios Columbia Pictures), est le seul géant d’Hollywood à ne pas avoir sa propre plateforme de SVOD pour répliquer à Netflix, Amazon Prime Video ou encore à Apple TV+.

Des galops d’essai en Inde et en Europe
Ses rivaux du 7e Art américain sont, eux, descendus dans l’arène du streaming par abonnement : The Walt Disney Company a lancé Disney+ en novembre 2019 ; NBCUniversal, filiale de Comcast, a mis en ligne Peacock en avril 2020 ; WarnerMedia, propriété d’AT&T, a ouvert HBO Max en mai 2020 ; ViacomCBS opère Paramount+ depuis mars 2021, remplaçant CBS All Access qui existait depuis 2014. Quant à la plateforme Hulu, elle a été lancée en mars 2007 – la même année de la mise en ligne de Netflix – par, à l’époque, The Walt Disney Company, 21st Century Fox, Comcast (NBCUniversal) et WarnerMedia. Depuis avril 2019, Hulu est détenu à 66 % par Disney et à 33 % par Comcast, lequel reproche au premier d’avoir lancé en février dernier le service Star – un « Hulu » rattaché à Disney+ mais en dehors des Etats-Unis. Bref, pourquoi Sony n’a pas sa propre plateforme OTT (2) vidéo ? Il faut se méfier de l’eau qui dort ou des rivaux en embuscade : à y regarder de plus près, la firme tentaculaire de Tokyo fourbit ses armes. En Inde, Sony Pictures Networks India (SPNI) a lancé en juin 2015 la plateforme de SVOD SonyLiv (3), laquelle devrait ne faire qu’une avec sa concurrente indienne ZEE5 (4) du géant indien ZEE Entertainment. Les deux maisons mère (Sony et Essel) finalisent d’ici le 20 décembre la fusion de SPNI et de ZEE, y compris de leurs plateformes. Surtout, SonyLiv pointe son nez en Europe depuis cet été via YuppTV (5). En outre, en Espagne et au Portugal, Sony Pictures Entertainment opère AXN Now (6) depuis juin 2018. Plus récemment, depuis le printemps dernier, Sony Interactive teste en Pologne le cinéma à la demande avec un « PlayStation Plus Video Pass » pour regarder sur console PS des films de… Sony Pictures. @

Pas de front uni des groupes publics de télévision en Europe face aux Netflix, Disney+ et autres Amazon Video

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a-t-elle abandonné l’idée d’un « “Netflix public” européen » ? Car face aux grandes plateformes de SVOD, les télévisions publiques en Europe sont divisées. Il ne tient qu’à l’Union européenne de radio-télévision (UER), qu’elle préside en 2021 et 2022, d’y remédier.

« Un “Netflix public” européen est possible et peut naître dans les mois qui viennent. Un projet numérique d’ambition européenne au service de la création peut être le moyen de redonner de la fierté à l’audiovisuel public, et de prendre notre place dans la compétition mondiale », assurait Delphine Ernotte (photo) dans une tribune parue dans Le Monde le 14 novembre 2017.
Trois ans et demi après, alors que la patronne de France Télévisions préside aussi cette année et l’an prochain l’Union européenne de radio-télévision (UER) qui est composée de groupe public de l’audiovisuel : aucun « Netflix public » européen en vue. Les grandes plateformes privées américaines de SVOD (1), que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore AppleTV+, s’en donnent à cœur-joie sur le Vieux Continent où elles ne rencontrent aucun rival européen sérieux. Pourtant, c’était un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron, formulée noir sur blanc dans son programme électoral : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes ». Une fois élu président de la République, le locataire de l’Elysée avait aussitôt confié à la présidente de France Télévisions le soin de concrétiser sa promesse de plateforme commune au niveau européen.

Britbox, Salto, Viaplay, Now, Joyn, Discovery+, …
Mais c’était sans compter l’ADN nationale des services publics de chaque pays, et l’absence de coordination des Etats membres – propriétaires de ces chaînes publiques – susceptibles de mener à bien un tel projet, chacun y allant de son projet. On connaît la suite : la BBC, le groupe audiovisuel public britannique, a lancé en novembre 2019 avec l’entreprise privée de télévisions ITV, son compatriote, la plateforme Britbox au Royaume-Uni ; le groupe de chaînes publiques France Télévisions a de son côté lancé en octobre 2020 avec les groupes français privés de télévision TF1 et M6 la plateforme vidéo Salto. Avant que les services publics de l’audiovisuel ne partent en ordre dispersé, des initiatives 100 % privées ont aussi fleuri. C’est ainsi que le groupe suédois Modern Times Group (MTG) a été pionnier dans l’offre de streaming vidéo en lançant en février 2011 Viaplay, service qui est maintenant opéré par le groupe scandinave Nordic Entertainment Group (groupe Nent), un spin-off créé par MTG il y a près de trois ans.

L’émiettement SVOD en Europe
Dans le privé toujours, le groupe britannique de télévision payante Sky, filiale de l’américain Comcast, a lancé quant à lui Now TV en juillet 2012 au Royaume-Uni, devenu Now et disponible dans d’autres pays. Les groupes audiovisuels américain Discovery et allemand ProSiebenSat.1 Media ont lancé ensemble en mai 2017 la plateforme Joyn Plus+ en Allemagne. De son côté, Discovery a aussi lancé en juillet 2018 en Grande-Bretagne et en Irlande le service de vidéo à la demande QuestOD, lequel a changé de nom en octobre 2019 pour Dplay, avant d’être à nouveau rebaptisé en octobre 2020 Discovery+. A ces principales plateformes de SVOD et/ou de TVOD (4) dans l’Union européenne (UE) s’ajoutent bien d’autres initiatives telles que TIM Vision (Telecom Italia) et Mediaset Infinity en Italie, TV 2 Play au Danemark, Videoplay et Videoland aux Pays- Bas, Ruutu+ en Finlande, Streamz en Belgique, Voyo en Slovénie, ou encore C More en Scandinavie. Sans parler du japonais Rakuten TV et du français Molotov TV.
Cet émiettement des plateformes fait le jeu des géants américains de l’Internet. Même NBCUniversal, filiale audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms américain Comcast avait les coudées franches pour lancer en février dernier, sur l’Hexagone, Hayu, sa plateforme d’émissions de téléréalité à la demande désormais disponible dans une dizaine de pays européens. Et son compatriote ViacomCBS, qui a redu disponible il y a plus de deux ans Pluto TV en Europe, y déploie parallèlement Paramount+ (ex- CBS All Access). Le champ est d’autant plus libre que le projet de « Netflix latin » envisagé en avril 2016 par le français Vivendi et l’italien Mediaset avait aussitôt tournée court, les deux groupes de respectivement Vincent Bolloré et Sylvio Berlusconi ne trouvant pas mieux que d’aller ferrailler en justice l’un contre l’autre durant cinq ans pour des rivalités capitalistiques (5). Quant aux groupes publics de télévision, le plus souvent financés par des redevances audiovisuelles payées par les foyers européens (138 euros en France, 220 en Allemagne), ils n’ont pas su s’organiser – même au sein de l’UER – pour donner la réplique aux GAFAN. Ce fut surtout faute d’une véritable volonté politique de la part des différents Etats membres. A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Emmanuel Macron a échoué à faire émerger un « Netflix européen » public et, par ailleurs, a abandonné sa grande réforme de l’audiovisuel (6). Le marché européen de la SVOD est pourtant bien là, avec ses 9,7 milliards de chiffre d’affaires en 2020 selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) – auxquels s’ajoutent 1,87 milliard pour la TVOD, soit un total de 11,6 milliards d’euros généré l’an dernier (voir graphique). Delphine Ernotte, à la tête de France Télévisions depuis août 2015 et reconduite à ce poste en juillet 2020 pour un mandat de cinq ans, peut-elle relancer l’idée de « “Netflix public” européen » en tant que présidente de l’UER jusqu’au 31 décembre 2022 ? Le 28 mai, cette union de « médias de service public » – dépassant largement l’UE avec 115 organisations membres dans 56 pays – a annoncé la nomination d’un directeur du numérique, de la transformation et des plateformes (7). Le Belge Wouter Quartier prendra ses fonctions en août prochain. Il a été le « Monsieur digital » de la radiotélévision flamande VRT et de sa plateforme vidéo VRTNu. « Wouter Quartier travaillera en étroite collaboration avec un comité numérique nouvellement élu qui s’est engagé à soutenir l’UER à mesure que nous progressons dans ce domaine », a indiqué Jean Philip De Tender, directeur média de l’UER.
Reste à savoir si, au-delà de sa mission première d’aider les médias publics à développer leurs activités numériques et leurs propres plateformes, émergera une volonté d’une plateforme SVOD commune, du moins dans l’UE. Rien n’est moins sûr, les homologues de France Télévisions continuant à résonner « national » lorsque ce n’est pas « régional ». Et la stagnation des financements publics, voire leur recul, et la baisse des recettes publicitaires, dans un contexte de crise sanitaire, entraîne un « repli sur soi » des médias publics. A défaut de plateforme paneuropéenne publique, Delphine Ernotte et Emmanuel Macron se sont repliés sur la co-production.

Repli sur la coproduction européenne
« Je crois à la construction d’un audiovisuel européen, non pas à une seule chaîne européenne, mais à l’alliance, au soutien entre les médias publics. Très concrètement, je me suis attachée à des coproductions européennes entre la ZDF (Allemagne) et la Raï (Italie) et vous verrez prochainement sur nos antennes le produit de ces coproductions » (8), a indiqué Delphine Ernotte le 3 mai dernier sur France Inter. Il y a six mois, dans Le Monde, elle déclarait : « L’addition de nos budgets représente 20 milliards d’euros. Investir ensemble une petite partie de cette manne permettra de faire naître un marché de la création européenne qui s’exporte au-delà de nos frontières ». Pas de quoi inquiéter pour l’instant les « Netflix » et les autres géants de la SVOD. @

Charles de Laubier

Vivendi a encore déprécié sa filiale Dailymotion, de 68 millions d’euros dans ses résultats 2019

Dailymotion a 15 ans d’existence, la plateforme vidéo française ayant été créée le 15 mars 2005 par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. Mais le « YouTube » français, dévalorisé, continue encore de perdre de l’argent. Ses partenariats avec des éditeurs en Europe et aux Etats-Unis se multiplient.

(Après cet article paru dans EM@ n°234, Huawei et Dailymotion ont annoncé le 26 mai que le chinois intègre désormais la solution technologique vidéo du français)

« Vivendi a comptabilisé en 2019 une dotation pour dépréciation du compte courant de Dailymotion à hauteur de 68 millions d’euros », peut-on lire dans le document d’enregistrement universel 2019 de Vivendi, publié le 12 mars dernier. Ce n’est pas la première fois que le groupe multimédia de Vincent Bolloré procède à une dévalorisation de sa filiale Dailymotion. Dans son document de référence 2018 cette fois (1), Vivendi avait déjà dû comptabiliser une dépréciation de Dailymotion d’un montant de 73 millions d’euros, tout en consentant en plus à sa plateforme vidéo « un abandon de créance de 55 millions d’euros ».

Dailymotion a perdu la moitié de sa valeur
Autrement dit, financièrement, le « YouTube » français ne vaudrait plus que 130 millions d’euros au titre de l’année 2019. Soit moins de la moitié de sa valeur d’achat. Car si Dailymotion a 15 ans d’existence maintenant, son rachat par le groupe Vivendi date d’il y a 5 ans maintenant : c’est en juin 2015 qu’Orange lui vend dans un premier temps 90 % du capital de la plateforme vidéo pour 271,25 millions d’euros, avant de lui céder en juillet 2017 les 10 % restants pour 26 millions d’euros supplémentaires. Au total, Dailymotion aura coûté à l’achat à Vivendi près de 300 millions d’euros (2). Et encore, la valorisation de la plateforme française d’agrégation et de diffusion de contenus vidéo est peut-être bien moindre au regard de ses performances financières. Or Vivendi ne publie plus depuis deux ans le chiffre d’affaire de Dailymotion, ni ses pertes qui se sont creusées. Et ce, alors que Maxime Saada (photo), directeur général du groupe Canal+ depuis septembre 2015, est devenu aussi en mars 2017 président du conseil d’administration (3) de la plateforme vidéo qu’il a reprise en main. Les derniers résultats rendus publics de Dailymotion remontent à 2018 dans le document de référence de 2017 : Dailymotion affiche alors un chiffre d’affaires de seulement 43,2 millions d’euros, en chute de 26 % sur un an, avec une perte de 75,2 millions d’euros (contre 42,3 millions l’année précédente). La valeur comptable de Dailymotion dans les comptes de Vivendi était encore de 271,6 millions d’euros (grosso modo le prix d’achat), dont 80 millions d’euros pour la marque « Dailymotion » et 9 millions d’euros pour sa technologie. Depuis deux ans, Dailymotion se retrouve relégué dans les comptes de Vivendi dans les « Nouvelles Initiatives » aux plus de 700 salariés. Outre la plateforme d’agrégation de vidéo, l’on y trouve aussi Flab Prod (société de production vidéo rachetée en 2016 par Vivendi et également présidée par Maxime Saada), Flab Presse (agence de presse affiliée à Flab Prod), Vivendi Content (filiale de création de nouveaux formats, dont des vidéos pour mobile produites par Studio+ jusqu’à sa fermeture de ce dernier sur un échec (5)), ainsi que GVA (filiale du groupe, fournisseur d’accès à Internet en Afrique). Toutes ces entités « Nouvelles Initiatives » très disparates totalisent ensemble un chiffre d’affaires de 71 millions d’euros en 2019 – affichant une croissance assez faible de 7,5 % sur un an. Mais le résultat opérationnel de cet ensemble improbable accuse une perte de 65 millions d’euros, toujours l’an dernier, en amélioration tout de même par rapport à la perte de quelque 100 millions d’euros en 2018. Dailymotion pèse pour une bonne part dans cet agrégat fourre-tout.
Le « YouTube » français revendique à fin 2019 un total de plus de 350 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde, en hausse de 20 % en deux ans. Selon la mesure d’audience « Internet global » de Médiamétrie en France, Dailymotion se retrouve à la 39e place avec 16,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de mars, dont 63,7 % sur smartphone, 26,9% sur ordinateur et 23,6 sur tablette. Alors que YouTube, la filiale de Google, affiche 47,6 millions de visiteurs uniques sur le même mois – soit le double. Dailymotion entend « se distingu[er] des autres plateformes d’agrégation vidéo », notamment en se concentrant sur les 18-49 ans – « cible non-prioritaire pour les services vidéo en ligne existants mais stratégique pour les annonceurs » – et sur des contenus provenant d’éditeurs (actualités, divertissement, musique et sport).

Le pari des partenariats et de l’international
Vivendi espère sortir Dailymotion de l’ornière en multipliant les partenariats avec « des éditeurs mondiaux de contenus de premier plan » : en 2019, la plateforme vidéo en a noué plus de 280, dont 70 aux Etats-Unis. Parmi eux : Le Monde ou Konbini (6) en France, Gruner+Jahr en Allemagne, Hearst aux Etats-Unis, JPI Media en Grande-Bretagne, Meredith aux Etats-Unis, ou encore côté sports la MLB (baseball), la NHL (hockey) ou la Nascar (courses automobiles). Dailymotion essaie aussi de trouver de nouvelles audiences partout dans le monde, comme en Indonésie, à Taïwan ou encore au Mexique. @

Charles de Laubier

Festival de Cannes : Netflix divise le cinéma français

En fait. Le 24 avril, Edition Multimédi@ a rencontré Xavier Rigault et Frédéric Goldsmith, respectivement coprésident et délégué général de l’Union des producteurs de cinéma (UPC). A quelques jours du 70e Festival de Cannes,
ils réaffirment leur souhait pour une évolution de la chronologie des médias.

En clair. Le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) – dont est membre l’Union des producteurs de cinéma (UPC) coprésidée par Xavier Rigault (2.4.7. Films)
– n’est pas encore intervenu dans la polémique déclenchée à l’annonce le 13 avril de
la sélection officielle de deux films de Netflix (1) pour le Festival de Cannes, parmi les longs métrages en lice pour la Palme d’or. Pourtant, une partie du cinéma français a exprimé sa crainte de voir le numéro un mondial de la SVOD faire – pour ses deux films – l’impasse sur les salles de cinéma au profit d’Internet (e-cinéma), voire enfreindre la chronologie des médias en les diffusant simultanément en VOD et en salles. Or, pour
le coprésident de l’UPC et son délégué général, « on ne peut pas reprocher au Festival international du film de Cannes de sélectionner des longs métrages étrangers financés selon des règles d’autres pays ». Le Marché du film, où se rencontrent acheteurs et vendeurs de films du monde entier, n’a pas vocation à être au service du seul cinéma français. « Netflix fait partir du paysage mondial du cinéma et des nouveaux usages dans la consommation des films », ajoutent Xavier Rigault et Frédéric Goldsmith qui estiment que « les exploitants de salles de cinéma et les distributeurs de films n’ont
pas à dicter la programmation du Festival de Cannes ». L’UPC, qui s’étonne donc
des levées de boucliers de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et
du Bureau de liaisons des industries du cinéma (Blic) à l’encontre de Netflix, pose néanmoins une question : « Est-ce que Netflix entend jouer un rôle dans le financement du cinéma français et respecter la chronologie des médias en France ? ». Le 26 avril, Netflix a indiqué qu’il envisageait une sortie en salle « pour une durée limitée, en même temps [qu’une] sortie sur [son] service ».
La FNCF, qui représente les exploitants de salles de cinéma, a en effet dénoncé le
14 avril le risque de voir « des films du Festival de Cannes » ne pas sortir en salles.
Le 21 avril, c’était au tour du Blic – où l’on retrouve la FNCF aux côtés de la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF) – de demander au président du Festival de Cannes, Pierre Lescure, « une rapide clarification » (2) sur Netflix et la chronologie des médias. La dernière réunion sur les nouvelles propositions du CNC d’évolution des fenêtres de diffusion (3) s’est d’ailleurs tenue le 28 avril, avec… Netflix au centre des discussions. @