FTTH : deux propositions de loi « coercitives » envers les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants

Juillet fut dense sur le front du déploiement de la fibre en France, entaché de malfaçons, dégradations, négligences, déconnexions, mises en danger et/ou imprévoyances. Les Assises du Très haut débit et deux propositions de loi mettent les opérateurs télécoms devant leurs responsabilités.

« J’ai du mal, et je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises, à affirmer qu’il [le déploiement de la fibre sur tout le territoire] soit une vraie réussite. Parce que tous ces efforts sont entachés par des problèmes de qualité de réseau fibre, liés d’une part à un manque de contrôle des opérateurs (télécoms) sur les processus de raccordement, et à un déficit de formation et d’équipements des agents intervenant sur le terrain en sous-traitance des opérateurs, et d’autre part – sur certains réseaux bien spécifiques et maintenant bien identifiés – à des dégradations, des malfaçons des équipements rendant les raccordements très délicats », a déclaré le 7 juillet la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière (photo), lors des 16èmes Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates.

Depuis le scandale des « plats de nouilles »
Laure de La Raudière (LDLR) a assuré que le gendarme des télécoms « travaille activement pour mettre les opérateurs devant leurs responsabilités afin qu’ils conduisent les évolutions nécessaires ». Et de mettre en garde Orange, SFR (Altice), Bouygues Telecom, Free (Iliad), Altitude, Axione et les autres opérateurs télécoms intervenant dans le déploiement en France du FTTH (Fiber-To-The-Home) : « Mon attention sur ce sujet ne faiblira pas tant que la situation ne s’améliorera pas. C’est important d’avoir un réseau FTTH partout et de qualité, dans la perspective notamment de la fermeture du réseau cuivre – dont le plan d’Orange nous a été notifié fin janvier de cette année pour se dérouler progressivement jusqu’en 2030 » (1).
En marge de ces 16èmes Assises du Très haut débit, à la Maison de la Chimie à Paris, Edition Multimédi@ a demandé à LDLR pourquoi l’Arcep n’avait toujours pas mis en demeure les opérateurs télécoms dont les manquements sont avérés et connus depuis au moins 2020 – notamment depuis le scandale des « plats de nouilles » (comprenez des sacs de nœuds dans le raccordement des fibres optiques et leurs branchements anarchiques dans les locaux techniques ou les armoires de mutualisation du réseau). La présidente du régulateur des télécoms nous a répondu que « le pouvoir de l’Arcep de mise en demeure et de sanction prévu par la loi vis-à-vis des opérateurs télécoms ne couvre que leurs obligations inscrites à leur cahier des charge respectif », à savoir la qualité des réseaux seulement mais pas la qualité de couverture. Les problèmes de déploiement des réseaux par des sous-traitant n’entrent donc pas dans son champ de compétence. « Il faut faire évoluer la loi pour que l’Arcep puisse intervenir », a ajouté Laure de La Raudière, en présence de Luc Lamirault, député d’Eure-et-Loir, qui l’a remplacée depuis le 22 janvier 2021, quand cette dernière a été officiellement nommée présidente de l’Arcep. A Edition Multimédi@, Luc Lamirault a indiqué que la députée de l’Essonne Marie-Pierre Rixain déposait à l’Assemblée nationale le 8 juillet – soit le lendemain des Assises du Très haut débit – une proposition de loi « visant à responsabiliser les opérateurs en charge du déploiement de la fibre optique » (2). Il fait écho à la même proposition de loi qui avait déjà été déposée à la virgule près par la même Marie- Pierre Rixain le 5 avril dernier (3). Son premier article vise à mieux contrôler l’activité des intervenants dans le déploiement et le raccordement de la fibre optique, en « encadr[ant] leur formation par l’établissement d’une certification obligatoire pour toute personne intervenant sur les réseaux à même de garantir leurs compétences, notamment de raccordement ». Il vise aussi à éviter la sous-traitance en cascade, qui peut atteindre actuellement jusqu’à huit niveaux de sous-traitance, en définissant « des modalités par décret » et en limitant « les rangs de sous-traitance des opérateurs à un niveau défini par décret ».
Son deuxième article ajoute des indicateurs sur la qualité des réseaux déployés au sein du relevé géographique établi par l’Arcep « afin que soit connue la couverture du territoire comme la qualité de la couverture ». En clair, il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’Arcep envers les opérateurs télécoms et de leurs sous-traitants dans de tels affaires de dysfonctionnements dans les déploiements et les raccordements. En cause en effet : les opérateurs télécoms qui ne veillent suffisamment pas à ce que leurs sous-traitants respectent leurs obligations dans le déploiement de la fibre et le raccordement des abonnés.

Les opérateurs « devant leurs responsabilités »
« Malfaçons », « dégradations », « négligence », « déconnexions », «mises en danger d’autrui », « imprévoyances », … La pléthore de griefs envers les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants – digne d’un véritable fibre-gate (4) – perdurent malgré un nouveau contrat national dits « Stoc » (sous-traitance opérateur commercial) qui a été signé par les opérateurs début 2021 dans l’objectif de mieux encadrer ces pratiques. Depuis, la situation ne s’est pas vraiment améliorée sur le front de la fibre optique. « Les opérations techniques sont intégralement sous-traitées sans contrôle, mal rémunérées et, pour certaines, réalisées en dépit des règles de l’art et de la sécurité des personnes », avaient dénoncé dès le 4 avril dernier une trentaine de collectivités locales – membres de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), en lançant un avertissement aux opérateurs télécoms et à leurs sous-traitants. Cette fois, cette organisation présidée par le sénateur (de l’Ain) Patrick Chaize – et fédérant 15 villes, 72 intercommunalités et syndicats de communes, 112 structures départementales et 22 régionales, représentant 67.000.000 d’habitants – est remonté au créneau et y va aussi de sa proposition législative, déposée, celle-ci, au Sénat par Patrick Chaize le 19 juillet dernier (5).

Contestation : l’Avicca aux avant-postes
« Alerte sur les raccordements des Français à la fibre via les réseaux publics », a lancé l’Avicca lors d’une « conférence de presse exceptionnelle » organisée le 7 juillet dans ses locaux à Paris trois heures après la clôture des 16èmes Assises du Très haut débit et à l’issue de son conseil d’administration. « Avec l’Etat, l’Arcep et les collectivités, a déploré Patrick Chaize,nous faisons le triste constat que la situation nationale des réseaux publics fibre optique ne s’améliore pas, malgré nos alertes et demandes réitérées. Pire encore, elle s’est dégradée dans certains territoires qui, régulièrement, appellent à l’aide l’Avicca. Il est intolérable de constater que les investissements réalisés avec de l’argent public se dégradent au fil du temps ». Le plan de bataille de l’Avicca présenté comme « inédit » et « à double détente » consiste en une proposition de loi « visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » et en une enquête parlementaire « éventuelle ». La proposition de loi « à visée coercitive » entend « obliger la filière à changer radicalement ses pratiques ».
Il s’agit de contraindre les opérateurs et leurs sous-traitants à « réaliser les raccordements à la fibre optique dans les règles de l’art et de sécurité, et garantir aux consommateurs leur droit à une connexion Internet de qualité ». Cela consiste aussi à entretenir les équipements nécessaires (armoires techniques, câbles, poteaux, …) pour que les abonnés ne subissent plus de pannes ni de connexions intempestives. « En cas de manquement de leurs obligations de qualité, des sanctions seront prises à leur encontre », prévient le président de l’Avicca. La proposition de loi du sénateur Patrick Chaize (Les Républicains), vice-président de la commission des affaires économiques du Sénat, est ainsi distincte de celle déposée par la députée Marie-Pierre Rixain (Renaissance) et le député Luc Lamirault (Horizons), ces derniers étant membres de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Le but de ces deux textes législatifs est de sanctionner les acteurs de la filière (les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants) en cas de « manquement à leurs obligations de qualité ».
La proposition de loi initiée par l’Avicca et déposée au Sénat prévoit que :
L’opérateur d’infrastructures FTTH peut confier la réalisation du raccordement permettant de desservir l’utilisateur final à un opérateur qui en demande l’accès dans des conditions non discriminatoires. Seront précisés le nombre maximum de rangs de sous-traitance, les règles de prévenance pour les interventions, les exigences relatives à la qualification des intervenants et aux comptes rendus d’intervention, etc (article 1er).
Le titulaire d’un contrat de la commande publique s’assure de la bonne réalisation des raccordements au réseau en fibre optique qui lui est confiée et propose à cet effet qu’au titre de l’exécution d’un marché public, d’une concession et d’un marché ou contrat de partenariat, le versement du prix ou d’une subvention pour compensation d’obligation de service public relatif à la réalisation d’un tel raccordement soit conditionné à la vérification par l’acheteur public ou le concédant, du certificat de conformité (article 2).
Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep – sur tous les opérateurs intervenant sur le réseau – sont renforcés, par plusieurs moyens : pouvoir de police spéciale des communications électroniques, pouvoirs de contrôle technique, pouvoirs d’astreinte, pouvoirs spécifiques sur la qualité des raccordements des utilisateurs finals aux réseaux en fibre optique (article 4).
Reste que pour la première fois en France, le nombre d’abonnés à la fibre jusqu’au domicile ou au local correspond à plus de la moitié (50,2 %) des prises FTTH « raccordables ». Car si les prises FTTH ont été déployées en France à coup de milliards d’investissement pour atteindre au 31 mars 2022 (dernier chiffre en date de l’Arcep) les 30,8 millions de prises, moins de la moitié d’entre elles faisaient jusqu’alors l’objet d’un abonnement (6).

Le FTTH peut devenir un cauchemar
A la fin du premier trimestre 2022, plus de 15,4 millions de prises de fibre optique jusqu’à domicile ont trouvé preneur. Pour autant, le scénario catastrophe peut faire de la fibre optique un cauchemar. Alors que l’extinction progressive du réseau de cuivre « à partir de 2023 » va forcer les 11,6 millions d’abonnés ADSL/VDSL2, à ce jour, à basculer vers la fibre optique. Et c’est depuis fin 2021 que pour la première fois en France le nombre d’abonnements à la fibre optique de bout en bout (FTTH/FTTx) dépasse (7) le nombre d’accès Internet à haut débit et très haut débit sur réseaux cuivre (ADSL/xDSL). @

Charles de Laubier

La Commission européenne 2019-2024 part en quête d’un « leadership numérique » face aux GAFA et aux BATX

Entre le marteau des géants américains de l’Internet et l’enclume de leurs homologues chinois, la nouvelle Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen et installée depuis le 1er décembre, va tenter de s’imposer dans le monde numérique. Pas moins de quatre commissaires ont le digital au coeur de leurs attributions.

C’est d’abord sur les épaules de la Danoise Margrethe Vestager (photo) que repose la charge de faire « une Europe préparée à l’ère numérique ». Cet objectif est justement le libellé de ses attributions au sein de la nouvelle Commission européenne, dont elle a été nommée vice-présidente exécutive. Très redoutée des GAFA qu’elle a mis pour certains à l’amende lorsqu’elle était commissaire européenne en charge de la concurrence (2014-2019), la voici en haut de l’affiche dans cette Commission « Leyen » qui remplace la Commission « Juncker » et qui a pris ses quartiers à Bruxelles depuis le 1er décembre pour un mandat de cinq ans (2019-2024). Margrethe Vestager devra composer avec trois autres commissaires européens qui auront eux aussi affaire avec la stratégie digitale du Vieux Continent : la Bulgare Mariya Gabriel qui se retrouve avec le portefeuille « Innovation et Jeunesse » (après avoir été auparavant en charge de l’Economie et de la Société numériques), le Français Thierry Breton qui fait son entrée à Bruxelles avec la responsabilité du Marché intérieur, et le Belge Didier Reynders qui est aussi un nouveau venu pour prendre en charge la Justice. La réussite ou pas de « l’Europe digitale » dépend donc de ce « quadriumvirat » où chacun a de près ou de loin le numérique dans son portefeuille.

Vers une nouvelle « loi sur les services numériques »
« La transition numérique aura des répercussions sur tous les aspects de notre économie et de notre société. Votre tâche consistera à faire en sorte que l’Europe saisisse pleinement le potentiel de l’ère numérique et renforce sa capacité industrielle et d’innovation. Ce sera un élément-clé du renforcement de notre leadership technologique et de notre autonomie stratégique », a écrit la présidente de la nouvelle Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans la lettre de mission qu’elle a adressée à Margrethe Vestager (1). Cela passera par une nouvelle stratégie à long terme pour l’avenir industriel de l’Europe, une maximisation de l’investissement dans la recherche et l’innovation, et une nouvelle stratégie pour les PME et les start-up, « notamment en réduisant la charge réglementaire et en leur permettant de tirer le meilleur parti de la numérisation ». Pour les cent premiers jours du mandat de Margrethe Vestager, la présidente de la Commission européenne lui demande de « coordonner les travaux sur une approche européenne de l’intelligence artificielle (IA), y compris ses implications humaines et éthiques », ainsi que d’« examiner comment utiliser et partager des mégadonnées (big data) non personnalisées pour développer de nouvelles technologies et de nouveaux modèles économiques créateurs de richesse pour nos sociétés et nos entreprises ».

Creative Europe 2021-2027 : 1,8 Md €
La nouvelle vice-présidente exécutive « pour une Europe préparée à l’ère numérique » devra en outre coordonner la mise à niveau des règles de responsabilité et de sécurité des plateformes, des services et des produits numériques dans le cadre d’une nouvelle « loi sur les services numériques » – Digital Services Act. Ce cadre concernera aussi les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques. Il s’agit là d’un projet législatif européen majeur pour le marché unique numérique que devra proposer en 2020 la Commission européenne pour adapter, voire remplacer à terme, la fameuse directive « E-commerce » de 2000. Celle-ci (2) garantit depuis vingt ans aux hébergeurs du Net, notamment aux plateformes de partage et aux réseaux sociaux une responsabilité limité vis-à-vis des contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. La loi française pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004 a sanctuarisé dans le droit national ce régime de responsabilité partielle de l’hébergeur, ce qu’ont sans cesse voulu remettre en cause les industries culturelles dans leur lutte contre le piratage en ligne. Par ailleurs, Margrethe Vestager aura aussi à coordonner les travaux sur la taxe numérique (digital taxation) afin de trouver « un consensus au niveau international d’ici à la fin de 2020 » ou pour proposer « une fiscalité européenne équitable ». A l’instar de Margrethe Vestager, Mariya Gabriel passe de la Commission « Juncker » à la Commission « UVDL » (3) en changeant aussi de portefeuille. La Bulgare, francophone (4), devient commissaire européenne à l’Innovation et à la Jeunesse – après avoir été plus de deux ans à l’Economie et à la Société numériques (2017-2019). « Je veux, lui a écrit la présidente de la Commission européenne dans sa lettre de mission (5), que vous mettiez l’accent sur la culture et l’éducation numériques afin de combler l’écart en matière de compétences numériques. Vous devriez diriger la mise à jour du Plan d’action pour l’éducation numérique et examiner comment nous pouvons augmenter le nombre de cours ouverts en ligne. Vous devriez également vous pencher sur la façon d’accroître la sensibilisation dès le plus jeune âge à la désinformation et aux autres menaces en ligne ». Le Plan d’action en matière d’éducation numérique – Digital Education Action Plan (6) – a été lancé en janvier 2018 et sera mis en oeuvre par la Commission européenne d’ici la fin de 2020. Mariya Gabriel sera aussi coresponsable du Nouvel agenda pour la culture – New European Agenda for Culture (7) – adopté en mai 2018 avec un premier programme de travail 2019- 2022 fixé par le Conseil de l’Union européenne et publié au JOUE il y a un an (8). Parmi les cinq priorités culturelles à mettre en oeuvre : « un écosystème soutenant les artistes, les professionnels de la culture et de la création et les contenus européens » (mobilité des artistes, conditions salariales et de travail décentes, accès au financement et coopération transfrontière). Plus généralement, la nouvelle commissaire à l’Innovation et la Jeunesse devra « promouvoir les industries créatives comme catalyseur de l’innovation, de l’emploi et de la croissance et maximiser le potentiel de l’ambitieux programme “Creative Europe” ». Ce programme-cadre « Europe créative » – divisé en deux sous-programmes, Culture et Media – voit sa période 2014-2020 s’achever l’an prochain. Pour 2021-2027, le budget est prévu à un peu plus de 1,8 milliard d’euros, dont 58,4% pour le volet Media, 33 % pour le volet Culture et 8,6 % pour le volet trans-sectoriel (9). Mais l’examen du futur règlement se poursuivent au sein du Conseil de l’UE. Thierry Breton, lui, embrasse aussi le numérique dans son portefeuille « Marché intérieur », malgré les risques de conflits d’intérêts : il est dans l’histoire de l’UE le premier grand patron (Atos, France Télécom, Thomson, Bull) à devenir commissaire européen. Le 14 novembre, il a confirmé aux eurodéputés qu’il avait déjà vendu la totalité de ses actions (pour 45 millions d’euros, selon l’AMF) et démissionné de tout conseil d’administration. Son poste englobe l’économie et la société numériques, l’industrie et le marché unique, la Défense et l’espace (dont le « GPS » européen Galileo). « Je veux, lui a demandé UVDL dans sa lettre de mission (10), que vous participiez au travail de renforcement de la souveraineté technologique de l’Europe. Cela signifie qu’il faut investir dans la prochaine frontière des technologies, comme la chaîne de blocs (blockchain), l’informatique de haute performance, les algorithmes et les outils de partage et d’utilisation des données. Cela signifie également de définir conjointement des normes pour les réseaux 5G et les technologies de nouvelle génération ». Thierry Breton devra aussi coordonner l’Europe sur l’IA et la cybersécurité. Il contribuera en outre aux prochains Digital Services Act et Digital Education Action Plan.

A la recherche d’une IA éthique et humaine
Quant à Didier Reynders, à la Justice, il n’est pas en reste sur le digital. « Je veux, peut-on lire dans sa lettre de mission (11), que vous dirigiez le travail sur la protection des consommateurs, notamment pour les transactions transfrontalières et en ligne ». Il s’assurera que le RGPD sera complètement appliqué. Il contribuera à « la législation sur une approche coordonnée des implications humaines et éthiques de l’IA, en veillant à ce que les droits fondamentaux soient pleinement protégés à l’ère numérique ». Reste à savoir si la vice-présidente Margrethe Vestager réussira à faire de l’Europe une « championne numérique ». @

Charles de Laubier

Contenus toxiques : la régulation des réseaux sociaux devra être a minima européenne, voire mondiale

La commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale s’est réunie le
21 mai pour examiner la proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet. Le texte sera débattu à partir du 19 juin à l’Assemblée nationale. Mais la rencontre entre Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg, le 17 mai, avait des allures de négociation.

La pression monte autour de la députée Laetitia Avia (photo), la rapporteure de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet, mais aussi sur les réseaux sociaux eux-mêmes.
Le texte, qui fut déposé le 20 mars à l’Assemblée nationale à l’initiative du gouvernement et du président de la République, doit être débattu à partir du 19 juin prochain au Parlement. Il s’inspire de la loi allemande de 2017, appelée « NetzDG« , en imposant aux Facebook, YouTube, Twitter et autres Snapchat, de retirer ou de rendre inaccessible dans un délai maximal de 24 heures après notification tout contenu haineux.

Vers des pouvoirs du CSA encore accrus
Sont visés les contenus comportant une incitation à la haine en général et toutes injures discriminatoires en raison de la race, de la religion, de l’ethnie, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Le Conseil d’Etat, dans son avis du 16 mai, a demandé plus de « clarté » sur les contenus listés au regard de ceux « odieux » déjà visés dans l’article
6 de la loi dite LCEN sur la confiance dans l’économie numérique. Le manquement à cette obligation de retrait sous 24 heures sera passible d’une sanction pécuniaire
fixée et infligée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – aux pouvoirs encore renforcés (4) – et pouvant atteindre 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial (sur l’exercice précédent) de la société opérant ce réseau incriminé. Ainsi, dans le cas de Facebook qui a fait l’objet d’un rapport de mission d’experts en France remis le 10 mai au secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, l’amende pourrait atteindre 2 milliards d’euros (5) en cas d’infraction à cette future loi française. La France marche donc dans les pas de l’Allemagne, les deux pays de l’axe cherchant à convaincre leurs partenaires européens à adopter le même arsenal pour lutter contre ces contenus toxiques. Il s’agit pour le tandem Merkel-Macron de mettre le curseur au bon milieu, entre la censure généralisée de la Chine de Xi Jinping et le laisser-faire des Etats-Unis de Donald Trump. Alors que la France assure du 1er janvier 2019 au 1er janvier 2020 la présidence du G7, lequel accueillera à Biarritz du 24 au 26 août prochains les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et le Canada (avec l’Union européenne), une réunion informelle des ministres du Numérique s’est tenue le 15
mai dernier à Paris (avec en plus l’Australie, le Chili, l’Inde, la Jordanie, le Sénégal, l’Indonésie, l’Irlande, la Norvège et la Nouvelle-Zélande). Parmi les trois thèmes principaux qui ont été à ordre du jour des discussions, est arrivée en premier la lutte contre les contenus haineux sur Internet (6). « Les pays du G7 doivent être en mesure d’assurer à leurs citoyens le respect de leurs droits et de leurs libertés en ligne.
La difficulté à lutter contre la haine en ligne témoigne de la nécessité de bâtir collectivement un cadre d’action plus efficace avec les plateformes en ligne », explique l’Elysée. Se prépare donc, sous l’impulsion de l’axe franco-allemand, une régulation mondiale des réseaux sociaux – pour ne pas dire de l’Internet. Cela se traduit par l’élaboration par les pays du G7 d’une charte contre les contenus de haine en ligne ainsi que la cosignature – prévue en août – par les Etats et les plateformes numériques d’un texte de lutte contre le cyberterrorisme et le cyberextrémisme. Les Etats-Unis ne sont pas signataires à ce stade.
C’est le 15 mai, dans le cadre de la 2e édition du sommet Tech for Good (7) créé à l’initiative du Président de la République (8), que ces engagements ont été pris.
Ils ont pris la forme d’un « appel de Christchurch », en mémoire du massacre de 51 musulmans dans une mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande), le 15 mars 2019, par un suprémaciste australien qui a diffusé son acte en direct durant 17 minutes sur Facebook Live. L’appel a été signé par huit entreprises du Net : Amazon, Dailymotion, Facebook, Google, Microsoft, Qwant, Twitter et YouTube. La Fondation Wikimédia (Wikipedia) aurait également adopté ce texte, mais elle n’est pas mentionnée dans l’appel mis en ligne (9). Des réseaux sociaux chinois tels que Wechat, TikTok ou encore Weibo manquent à l’« appel de Christchurch » – pour l’instant (soutenir : ChristchurchCall@mfat.govt.nz).

La durée de 24 heures ne plaît pas à « Zuck »
Invité à l’Elysée le 17 mai, le PDG du numéro un mondial des réseaux sociaux s’est
vu remettre le rapport « Régulation des réseaux sociaux Expérimentation Facebook » élaboré durant un an en coopération avec son entreprise multinationale qui avait accepté cette « collaboration volontaire et hors de tout cadre juridique ». Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg, qui s’était déjà rencontrés lors du 1er sommet Tech for Good l’an dernier, s’en étaient mis d’accord lors du Forum sur la gouvernance de l’Internet en novembre 2018. « Je suis encouragé et optimiste sur le cadre de régulation qui sera mis en place. Ce sera difficile pour nous et nous serons en désaccord sur certaines choses, c’est normal », a tout de même confié le patron de Facebook à sa sortie de l’Elysée, faisant notamment allusion à certaines dispositions de la proposition de loi française portée par Laetitia Avia comme la durée de 24 heures au-delà de laquelle il y aura sanction de 4 % du chiffre d’affaires. Il a demandé à Emmanuel Macron de remplacer cette durée par une « limitation de la viralité du contenu indésirable ».

Un régulation ex ante européenne ?
« Zuck » a pourtant appelé fin mars à « réguler Internet » dans une tribune publiée dans des journaux aux Etats-Unis et en Europe, dont Le JDD en France (10). Le « F » de GAFA et le « F » de France sont en tout cas d’accord sur le fait que, seule, cette future législation française serait un coup d’épée dans l’eau face aux réseaux sociaux sans frontières si elle n’était pas reprise au niveau européen.
La régulation des médias sociaux devra être a minima européenne, voire mondiale,
si elle veut être sérieusement efficace. Le rapport d’experts d’une trentaine de pages (11) estime à cet égard que l’Europe doit passer du pays d’installation au pays de destination. « Compte tenu de l’unicité et de l’ubiquité des réseaux sociaux, qui dépassent les frontières des Etats membres – un service unique accessible sur plusieurs géographies – cette régulation ex ante doit s’inscrire dans une dynamique
et un cadre européens. Néanmoins, la règle actuelle dite du pays d’installation, selon laquelle seul le pays qui accueille le siège du réseau social peut intervenir pour réguler ce réseau, s’avère inefficace ». Et de prévenir : « Toute initiative française devra donc avoir pour ambition d’inverser la logique européenne actuelle au profit d’une logique du pays de destination, selon laquelle la plateforme est responsable devant l’Etat membre où le dommage se produit, pour renforcer la capacité de chacun des Etats membres à maîtriser les conséquences de la globalisation ».
Le rapport « Facebook » et la proposition de loi « Antihaine » interviennent alors que
le cofondateur de Facebook, Chris Hughes, a appelé le 9 mai dernier à « démanteler Facebook » pour dissocier le réseau social des applications Instagram et WhatsApp. Outre un voyage d’étude à Berlin, pour étudier loi allemande NetzDG, et un séjour à Londres, les huit membres de la mission coauteurs du rapport « Facebook » – sous la direction de Benoît Loutrel, ex-directeur général de l’Arcep devenu quelques mois en 2017 directeur des relations publiques de Google – se sont entretenus avec : le ministère de l’Intérieur pour sa Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) qui pourrait permettre le signalement et
la détection des contenus (12) ; le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) de la Gendarmerie nationale au sein du Service central du renseignement criminel (SCRC) ; le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) auprès du Premier ministre ; ainsi que la Direction générale des entreprises (DGE) et la Direction générale du Trésor (DGT) au ministère français de l’Economie et des Finances.
La mission s’est en outre appuyée sur un précédent rapport remis en septembre 2018
au Premier ministre par la députée Laetitia Avia, l’écrivain Karim Amellal et le vice-président du Crif, Gil Taieb, visant à renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet. En dehors de l’Etat français, la mission a aussi auditionné le Conseil national du numérique (CNNum) dont les membres sont nommés par le secrétaire d’Etat chargé du Numérique, l’Institut national de la recherche en informatique et automatique (Inria), ainsi que des acteurs privés ou associatifs, à savoir : Reporters sans frontières (RSF), le Centre on Regulation in Europe (Cerre), qui est
un think tank basé à Bruxelles (son directeur général, Bruno Liebhaberg étant aussi président de la chaire « EU Observatory on Online Platform Economy »), Google, Twitter, Snap, Webedia, Netino et la Quadrature du Net. Cette dernière, association française de défense des droits et libertés numériques, craint la mise en place d’une police privée. « Le but est purement et simplement de remplacer la justice publique par Facebook, Google et Twitter, en les laissant seuls maîtres de ce qui peut ou non être dit sur le Web », s’est-elle inquiétée.

« Police privée » versus juge des référés
Tandis que le ministère de la Justice, marginalisé dans ce projet « Anti-haine », a rappelé dans sa circulaire du 4 avril qu’il était préférable de recourir au juge des référés (13) pour éviter « un usage abusif (…) des dispositions permettant d’engager la responsabilité des acteurs d’Internet et de celles susceptibles de restreindre l’accès
à ces services de communication ». La proposition de loi « Macron-Avia » prévoit en outre de créer un « parquet spécialisé numérique » (14) ainsi que l’interdiction temporaire pour un individu condamné d’utiliser un réseau social. @

Charles de Laubier

Dans le Far-West numérique, le juge commence à se faire entendre. On attend plus que le shérif !

La révolution numérique a fait exploser notre système juridique. Que ce soit avec la dématérialisation ou l’abolition des frontières, le droit national de l’ancien monde est devenu ineffectif. Progressivement, la législation et la jurisprudence s’adaptent, en attendant le gendarme…

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Les acteurs de l’Internet, par philosophie ou par appât du gain, se sont opposés à toute régulation au nom de la liberté. Avec la révolution numérique, il s’est de nouveau posé l’éternelle question : peut-il y avoir de liberté sans contrainte ? Dans tous les cas, ce cyberespace est rapidement devenu un Far-West. Sur Internet, au nom de la liberté
(de la culture, du savoir, des échanges), certains ont partagé, ou même vendu des créations originales, au mépris des droits d’auteur. Sur les réseaux sociaux, la liberté d’expression est parfois comprise comme permettant l’outrance, l’invective, l’insulte, voire la haine et le harcèlement.

Escrocs, mules, sites web et victimes
Force est de constater que les tribunaux, notamment français, ont pris la dimension de certains comportements néfastes et des peines de plus en plus lourdes commencent à sanctionner les abus. On doit noter les décisions suivantes :

• Une mesure répressive contre des escrocs aux numéros de cartes bancaires (1) : de la prison ferme. Courant 2010, le FBI a mené une enquête concernant la cybercriminalité et notamment un forum baptisé « Cardshop » sur lequel s’échangeaient ou se vendaient des logiciels permettant la compromission de systèmes informatiques. Parmi les membres du forum ont été identifiés plusieurs ressortissants français apparaissant impliqués dans du « carding » – comprenez du commerce illicite de numéros de cartes bancaires sur Internet. Informé par le FBI, l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) (2) a entrepris des investigations et a fait mettre hors ligne ce forum le 26 juin 2012. Ce type d’escroquerie se déroulait en trois temps. D’abord, commander des marchandises, et pour ce faire : obtenir des numéros de cartes bancaires frauduleux notamment sur des forums comme « Carderprofit » ; utiliser des systèmes d’anonymisation (3) ; accéder à des comptes clients existants et piratés ou créés à partir d’identités fictives ou réelles sur des sites de e-commerce ; modifier les données (notamment les adresses e-mail de réception des commandes) et utiliser les données bancaires usurpées ; passer des commandes et ainsi tromper les sites web de ecommerce pour les déterminer à remettre des biens. Ensuite, aller chercher les marchandises dans des relais colis directement ou par des « mules » (drops) recrutées à cet effet, à l’aide de faux documents d’identité et fausses procurations. Enfin, revendre tout ou partie des marchandises frauduleusement obtenues sur des sites web tels que PriceMinister ou LeBonCoin. Le tribunal a jugé que les faits commis par les quatorze prévenus sont d’une très grande gravité. Il y a les préjudices financiers (évalués à 141.142 euros) causés aux sociétés de e-commerce, mais également l’atteinte à la sécurité des transactions effectuées sur Internet et à la confiance des utilisateurs. Ces derniers, lorsqu’ils sont victimes de l’utilisation indue de leurs données bancaires et de leurs comptes clients, peuvent rencontrer des difficultés importantes vis-à-vis des sociétés de e-commerce et/ou de leur établissement bancaire. Les six organisateurs ont été condamnés à des peines de prison ferme de quinze, dix-huit mois et deux ans, notamment pour escroquerie réalisée en bande organisée, participation
à une association de malfaiteurs en vue de préparer un délit (puni d’au moins cinq ans de prison), accès, maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données et modification frauduleuse de données. Les autres participants ont été condamnés à des peines de prison avec sursis de six, neuf, douze et dix-huit mois.

Topsite : organisation très hiérarchisée
• Une mesure répressive contre des pirates diffusant des oeuvres protégées contre rémunération (4) : 22 millions d’euros d’indemnisation. En 2007-2008, le
« topsite » Bulltrack (5) proposait des fichiers contrefaisants de musique, œuvres audiovisuelles et jeux vidéogrammes à des utilisateurs en contrepartie du paiement d’un droit d’accès. Ces contrefaçons étaient réalisées grâce à la location de serveurs de stockage puissants et à la mise à disposition par un groupe de « racers » (6) de fichiers. Une organisation hiérarchisée, avec quatre niveaux différents, permettait de faire fonctionner le topsite et chaque protagoniste avait un rôle déterminé. Au premier niveau, l’administrateur principal décidait de son orientation, de son utilisation, du lieu de location et du type de serveur. Au deuxième niveau, deux autres personnes assuraient la location des serveurs (financée par les utilisateurs), mis à la disposition du topsite, et leur maintenance. Au troisième niveau, des « racers » étaient chargés d’une part de fabriquer des nouvelles copies d’oeuvres contrefaites, appelées « release » ou d’autre part de diffuser les fichiers.

Contrefaçon en bande organisée
Enfin au dernier niveau, les derniers membres du réseau recrutaient les utilisateurs (entre 150 et 300) appelés les « supplies », à qui ils accordaient l’accès au site web contre paiement sur les comptes PayPal des administrateurs d’un droit d’accès (entre 20 et 80 euros selon le nombre de giga-octets qu’ils pouvaient télécharger). Le topiste avait passé un accord avec le « tracker » Snowtigers.net (un tracker étant un serveur qui aide à la communication entre pairs et au partage de fichiers) qui fournissait un système de partage haute vitesse dit « powerseed » et qui permettaient de télécharger rapidement les fichiers contrefaisants mis à disposition.
Le tribunal correctionnel avait déjà jugé que cette activité constituait une contrefaçon d’œuvres de l’esprit en bande organisée (7). L’affaire revenait devant la cour d’appel essentiellement sur les intérêts civils (8), dont le montant avait été contesté par les auteurs du délit. La Cour a infirmé la décision des premiers juges et aggravé les sanctions. Elle a fixé l’indemnisation du préjudice à 5 euros (au lieu de 0,20 euros) pour les films catalogue et à 8 euros (au lieu de 1 euro) pour les films en exclusivité. C’est donc plus de 22 millions d’euros qui ont été alloués aux victimes de la plateforme illégale de téléchargement.

• Une mesure préventive de mise hors ligne contre des pirates diffusant des œuvres protégées gratuitement (9). Le groupe Elsevier est une maison d’édition de publications scientifiques qui met à disposition des professionnels de santé et des sciences, des publications et analyses de données. Il commercialise ses articles de revues scientifiques et chapitres d’ouvrages (plus de 15 millions de publications) via
sa plateforme propriétaire et base de données ScienceDirect.com. Le groupe Springer Nature édite des publications (environ 300.000 par an) qui s’adressent aux chercheurs, étudiants, professeurs et professionnels. Ses publications sont notamment commercialisées via la plateforme Nature.com. Ces deux éditeurs reprochent aux sites web accessibles via les noms de domaine « Sci-Hub » et « LibGen » de mettre à disposition des internautes gratuitement les publications scientifiques en violation des droits d’Elsevier, Springer Nature et d’autres éditeurs. Les plateformes Sci-Hub et LibGen se revendiquent clairement comme des plateformes « pirates » rejetant le principe du droit d’auteur et contournant les portails d’accès par abonnement des éditeurs. Ainsi la fondatrice de la plateforme (10) se décrit comme une « fervente
pirate » pour laquelle « le droit d’auteur doit être aboli », et la page Facebook de
« Libgen.in » invite ses utilisateurs à mettre en ligne des ouvrages protégés en violation des droits d’auteur. Le tribunal a donc ordonné aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) (11) de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès aux plateformes Sci-Hub et LibGen, à partir du territoire français par leurs abonnés par le blocage des 57 noms de domaine, dans les quinze jours de la décision à intervenir – et ce, pendant une durée de douze mois. Il est notable que le tribunal ait jugé qu’en dépit du système d’irresponsabilité de principe des fournisseurs d’accès tel qu’organisé par la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les fournisseurs d’accès et d’hébergement sont tenus de contribuer à la lutte contre les contenus illicites et, plus particulièrement, contre la contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins, dès lors qu’ils sont les mieux à même de mettre fin à
ces atteintes. Aucun texte ne s’oppose à ce que le coût des mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause, ordonnées sur le fondement de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, soit supporté par les intermédiaires techniques, quand bien même ces mesures sont susceptibles de représenter pour eux un coût important.

Rapprochement « Arcep-CSA-Hadopi » ?
En conclusion, le monde numérique commence à ne plus être un Far-West où la liberté est le prétexte d’abus. Des lois commencent à protéger concrètement l’industrie créative (12). Des décisions judiciaires sanctionnent de manière de plus en plus lourde les atteintes portées à l’économie numérique et aux auteurs. On ne peut que se féliciter de cette évolution, même s’il nous semble nécessaire de compléter le dispositif en créant « un shérif du numérique ». On doit se demander si le rapprochement « Arcep-CSA-Hadopi » ne servirait pas à mieux lutter contre le piratage en général et ce type d’atteinte en particulier. @

* Auteur du livre « Numérique : de la révolution au
naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Éditions.

La « taxe GAFA » – chère au président Macron et à son ministre Le Maire – cherche son véhicule législatif

Absente de la loi de finances pour 2019 et de la loi « Gilets jaunes » promulguées en décembre, la taxe GAFA – que Bruno Le Maire présentera d’ici fin février en conseil des ministres – cherche encore son véhicule législatif. Projet de loi Pacte ? Projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2019 ? Ou projet de
loi spécifique à part ?

Edition Multimédi@ s’est rendu le 14 janvier dernier à Bercy
aux vœux à la presse de Bruno Le Maire (photo) et, en marge
de la cérémonie, a pu demander directement au ministre de l’Economie et des Finances à quel stade en est précisément la décision de taxer en France les GAFA – les Google, Amazon, Facebook, Apple et autres Microsoft – rétroactivement à partir
du 1er janvier 2019. « Pour la taxation nationale des géants du numériques, je suis en train avec mes équipes de préparer un projet de loi spécifique qui nous soumettrons au Parlement dans les prochaines semaines », nous a-t-il répondu, sans préciser quel véhicule législatif sera utilisé pour porter cette « taxe GAFA » qui est l’un des chevaux de bataille du président de la République, Emmanuel Macron. Six jours après ses vœux à la presse, Bruno Le Maire n’a pas non plus évoqué – dans une interview au Journal du Dimanche parue le 20 janvier – le cadre législatif retenu pour ce projet de loi « taxe GAFA » du gouvernement. « Nous présenterons un projet de loi spécifique en conseil des ministres d’ici à fin février, qui sera rapidement soumis au vote du Parlement », a-t-il néanmoins indiqué, en ajoutant que « [cette] taxe touchera toutes les entreprises qui proposent des services numériques représentant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France (…) et son taux sera modulé en fonction du chiffre d’affaires avec un maximum de 5 % ». Le gouvernement en attend quelque 500 millions d’euros de recettes fiscales dès cette année.

La « taxe GAFA » devant le Parlement au printemps
Sur le véhicule législatif, le ministre de l’Economie et des Finances avait pourtant dit le 18 décembre dernier que cette mesure fiscale – qui portera sur les revenus publicitaires des plateformes numériques et la vente des données des utilisateurs à des fins de publicité – « pourrait être introduite dans la loi Pacte » (1), dont le projet va être examiné en première lecture au Sénat (2) à partir du 29 janvier et jusqu’au 12 février (3). Or non seulement Bruno Le Maire n’a plus fait référence à la loi Pacte lors de ses vœux à la presse, ni lors de notre échange, ni dans le JDD, mais il n’en est pas question non plus dans les 80 pages du dossier « Pacte » daté de janvier 2019 remis aux journalistes présents à Bercy le 14 janvier.

Honorer la promesse de Macron
Il est encore moins question de « taxe GAFA » dans la loi de finances 2019 qui a été promulguée le 30 décembre 2018 au Journal Officiel, pas plus que dans la loi « Gilets jaunes » – comprenez la loi portant « mesures d’urgence économiques et sociales » – promulguée, dans l’urgence justement, le 26 décembre (4), à la suite des décisions à 10 milliards d’euros prises par le président de la République sous la pression de ce mouvement historique. Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, avait d’ailleurs confirmé dès le 17 décembre à l’Assemblée nationale que la taxe GAFA n’allait pas figurer dans le projet de loi « Gilets jaunes » examiné et adopté les 19 et 21 janvier par une majorité de, respectivement, députés et sénateurs. Pourtant, les cahiers de doléances que les maires de France transmettent au Parlement, lequel les remettra au gouvernement, montrent bien que la taxation des géants du Net fait partie des revendications fortes de bon nombre de Français, au même titre que la ré-instauration de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – au nom de l’équité fiscale, du partage de
la valeur et d’une meilleure répartition des richesses (5). Alors que reste-t-il comme véhicule législatif ? Bruno Le Maire avait évoqué devant le Sénat en décembre la probabilité que la taxe GAFA atterrisse avant l’été dans un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2019, appelé aussi « collectif budgétaire », où il sera aussi question de fiscalité locale et… de baisse d’impôt pour les sociétés.
Quel que soit le véhicule législatif retenu, Bruno Le Maire a appelé – non seulement lors de ses vœux à la presse le 14 janvier, mais également lors des Rendez-vous de Bercy le 22 janvier et lors du Forum de Davos le 24 janvier – à « la réinvention du capitalisme », en enfonçant le clou concernant les GAFA : « Le capitalisme auquel nous croyons taxe la valeur là où elle se crée. Il n’accepte pas que des PME qui ont des taux de marges très faibles payent 14 points d’impôts de plus que les géants du numérique. Et nous continuerons à livrer cette bataille pour la juste taxation des géants du numérique, tout simplement parce qu’il est juste de taxer la valeur là où elle se trouve ». Taxer les GAFA est une des promesses du candidat Emmanuel Macron depuis la campagne présidentielle. Son programme de 2017 prévoit de « rétablir une concurrence équitable avec les grands acteurs numériques pour qu’ils payent leurs impôts comme tous les autres acteurs économiques et qu’ils soient soumis aux mêmes obligations, dans les pays où les œuvres sont diffusées » (6). Toujours en marge de ses vœux à Bercy, Bruno Le Maire a répondu à Edition Multimédi@ qu’au-delà de la taxe nationale, « la France compte bien convaincre jusqu’à fin mars tous ses partenaires européens pour que soit instaurer une taxe européenne sur les géants du numérique, alors qu’à ce stade vingt-trois pays y sont favorables et quatre bloquent ». L’Espagne est depuis le 18 janvier le premier pays européen à avoir adopté une telle taxe (3 %). L’Irlande, la Suède et le Danemark sont hostiles à une telle « taxe GAFA » européenne, tandis que l’Allemagne – pourtant le premier partenaire historique de la France – hésite sérieusement car elle craint des mesures de rétorsion de la part des Etats-Unis à l’encontre de son industrie automobile. Si le partenaire de l’axe francoallemand disait non à une telle taxe, ce serait un revers pour Bruno Le Maire qui espère depuis longtemps trouver une proposition commune (7) – d’abord en 2017 avec son ancien homologue allemand Sigmar Gabriel et depuis mars 2018 avec l’actuel Olaf Scholz (vicechancelier et ministre fédéral des Finances). Parallèlement, le locataire de Bercy nous a assuré « [œuvrer] au niveau européen pour que la règle du vote à l’unanimité
en matière fiscale soit remplacée par la règle de la majorité qualifiée ».
Cette contrainte de l’unanimité avait justement empêché que le projet de directive européenne – présenté en 2018 par le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici – n’aboutisse. En vue de lever le verrou, ce dernier
a présenté le 15 janvier à Strasbourg une communication sur le passage progressif à une majorité qualifiée dans les domaines de la fiscalité qui relèvent de la compétence européenne. « Il sera difficile d’approuver à l’unanimité d’ici mars la taxe sur les géants du numérique », a-t-il prévenu lors de ses vœux à la presse à Paris le même jour que Bruno Le Maire.

G7 : lutter contre l’évasion fiscale
La France, qui préside d’ailleurs pour cette année 2019 le G7, groupe des sept grandes puissances économiques du monde (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada, mais sans la Russie exclue depuis 2014), entend aussi peser de tout son poids pour pousser à une réforme de la fiscalité tenant compte des géants
du Net. « Avec la même détermination, croyez-moi, durant ce G7, nous lutterons aussi pour mettre en place une imposition minimale pour mettre fin à l’évasion fiscale qui scandalise – à juste titre – nos compatriotes et nos concitoyens européens », a encore promis Bruno Le Maire lors de ses vœux. @

Charles de Laubier