La fibre pour tous ne devrait pas être réalité en 2025 : reporter la fin du cuivre serait logique

L’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) a estimé que « les statistiques de l’Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », tout en critiquant Orange de vouloir fermer le réseau de cuivre (ADSL) sans accélérer le déploiement de la fibre.

(Article publié dans EM@ n°307 du 2 octobre. A l’Université du très haut débit, les 12 et 13 octobre à Bourges, le ministre délégué aux télécoms Jean-Noël Barrot a pourtant réitéré l’objectif de « la fibre pour tous en 2025 »…)

« La volonté d’Orange de fermer le cuivre est proportionnellement inverse au rythme de complétude des déploiements FTTH (1). Aussi, vouloir pousser, comme le fait Orange, à la fermeture du réseau ADSL dans un nombre croissant de communes de la zone très dense, tout en y arrêtant les déploiements FTTH est, disons-le courtoisement, incompréhensible », avait dénoncé le 8 septembre l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), dont le délégué général est Ariel Turpin (photo). Alors que l’Arcep a organisé le 28 septembre sa conférence annuelle « Territoires connectés ». Ou « mal connectés », c’est selon…

« FTTH pour tous » en 2028, pas en 2025
« Les statistiques de Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », a regretté l’Avicca, qui représente 13 villes, 71 intercommunalités et syndicats de communes, 113 structures départementales et 21 régionales, soit 68 millions d’habitants. Cette échéance à 2025 du Plan France Très haut débit avait été fixée en 2017 par le gouvernement, au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. C’était un engagement de celui-ci lorsqu’il était candidat, promettant du très haut débit sur l’ensemble du territoire national d’ici fin 2022, en attendant « la fibre pour tous » pour 2025 – repoussant de trois ans l’objectif fixé par son prédécesseur François Hollande.
« Le rythme global des déploiements FTTH continue de ralentir au cours du deuxième trimestre 2023. Au 30 juin 2023, parmi les 43,8 millions de locaux recensés à date par les opérateurs sur le territoire national, 36,2 millions sont raccordables », relève l’Arcep dans son Observatoire des services fixes haut et très haut débit – publié le 7 septembre sur des chiffres arrêtés au 30 juin. « En toute logique, a ajouté l’Avicca, l’Etat devrait désormais annoncer une fin des déploiements FTTH au mieux en 2028 pour la zone [d’initiative] privée. A défaut d’être une annonce agréable à entendre, cela aurait au moins le mérite de la franchise… ». Ce n’est pas la première fois que le doute s’installe sur l’atteinte de l’objectif 2025 d’offrir à tous du FTTH. Déjà en 2020, alors que les mois de confinements dus au covid-19 avaient sérieusement ralenti la cadence des déploiements de la fibre optique sur les territoires, la question s’était déjà posée (2). Ces zones d’initiative privée – où interviennent les opérateurs télécoms privés (Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free, Altitude, …) – ont pris du retard dans le déploiement du réseau de fibre optique raccordable en France (3). Cela concerne, d’une part, les zones très denses situés dans les grandes villes et agglomérations et, d’autre part, les zones moins denses, ces dernières étant confiées à des opérateurs télécoms privés – en l’occurrence Orange et SFR depuis janvier 2011 – à la suite d’un appel à manifestation d’intention d’investissement (AMII) organisé par le gouvernement.
A noter que pour ces zones AMII, les engagements pris à l’époque par les opérateurs télécoms privés leur étaient non opposables juridiquement : si ces engagements n’étaient pas respectés, aucune sanction ne pouvait leur être infligée. Mais au printemps 2018, le gouvernement avait saisi l’Arcep afin de mettre en place un cadre juridique pour contrôler les engagements faits par les opérateurs. Ainsi, le code des postes et communications électroniques (4) prévoit depuis que si les opérateurs télécoms ne respectent pas leurs engagements en termes de déploiement FTTH, le gouvernement peut mener des actions en justice contre eux – ce qui a rarement été fait. Par exemple, une procédure lancée par l’Etat et le Syndicat mixte Nièvre Numérique à l’encontre de SFR/XP Fibre a permis d’améliorer les déploiements.
Pour les zones très denses, l’Arcep a relevé que « le rythme insuffisant constaté dans les zones très denses ces dernières années chute encore avec moins de 50.000 locaux rendus raccordables » au cours du second trimestre 2023, « soit une baisse de près de moitié par rapport au second trimestre 2022 ». C’est maintenant « très insuffisant ». L’Arcep constate même que « la couverture en fibre optique des zones très denses de certains départements est bien inférieure à la couverture moyenne nationale de ces zones qui s’établit à 93 % ». Le département le plus pénalisé est la Meurthe-et-Moselle avec seulement 77 % de couverture en FTTH, suivie des Bouches-du-Rhône avec 81 %.

Mise en demeure d’Orange validée en avril
 Pour les zones moins denses, dites AMII, Orange et SFR sont encore loin du compte. Toujours au 30 juin 2023, l’Arcep constate que pour l’opérateur télécoms historique « environ 89 % de ces locaux sont raccordables », et que pour la filiale télécoms d’Altice « environ 95% de ces locaux sont raccordables ». Le régulateur a tiré la sonnette d’alarme : « La chute du rythme de déploiement dans les zones moins denses d’initiative privée constatée au cours des trimestres précédents se confirme avec seulement 130 000 locaux rendus raccordables, soit une baisse de près de moitié par rapport à la même période de l’année précédente. Il faut remonter à 2014 pour observer une progression trimestrielle aussi faible dans ces zones ». L’Avicca, elle, fustige l’inertie : « La situation en zone AMII est désormais aussi caricaturale qu’en ZTD [zones très denses, ndlr] : les déploiements y avancent aussi lentement que la prise des décisions de l’Arcep, d’Orange et de l’Etat s’agissant de la décision du Conseil d’Etat du 21 avril dernier. 5 mois et toujours rien ! »

Zones publiques, plutôt bonnes élèves
Pour mémoire, l’Arcep avait le 17 mars 2022 mis Orange en demeure de respecter au plus tard le 30 septembre 2022 ses engagements auprès de l’Etat, c’est-à-dire de couvrir 100 % des locaux des zones AMII. Orange avait contesté cette mise en demeure devant le Conseil d’État, lequel a rejeté le 21 avril 2023 la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par Orange contre l’Arcep au sujet du déploiement de la fibre optique dans les villes moyennes (5), tout en valisant la mise en demeure de l’Arcep envers Orange (6). L’Avicca avait été admise à intervenir devant le Conseil d’Etat dans cette affaire pour défendre l’Arcep, dont Orange contestait le pouvoir de contrôle de ses engagements justement. La mise en demeure décidée à l’encontre d’Orange par la formation de l’Arcep pour les « règlement des différends, de poursuite et d’instruction » (RDPI) a été validée, d’autant le premier opérateur télécoms français n’a pas respecté ses engagements qui étaient d’avoir rendu raccordables 100 % des logements et locaux « au plus tard le 31 décembre 2020 »…
Pour les zones d’initiative publique, complémentaire des zones d’initiative privée et correspondant en général aux territoires plus ruraux, les déploiements sont réalisés par les collectivités territoriales dans le cadre de RIP (réseaux d’initiative publique) ou par des opérateurs privés dans le cadre d’AMEL (appels à manifestation d’engagements locaux). SFR, Altitude Infrastructure et Orange interviennent sur leurs fonds propres dans ces AMEL et leurs engagements sont, à l’instar des zones AMII, juridiquement contraignants et contrôlables par l’Arcep (7). Globalement, même si le ralentissement n’est en rien comparable à celui des zones d’initiative privée qui ont pris du retard, les déploiements de la fibre dans les zones RIP se passent plutôt à bon rythme. Pour l’Avicca, le déploiement de la fibre laisse là aussi à désirer : « Le retard en zone AMEL évolue de manière différenciée selon les territoires, grâce à une très modeste accélération au deuxième trimestre. Bien insuffisante pour tenir les engagements (…) de la plupart des [opérateurs d’infrastructure] qui portent ces AMEL, une première échéance pourrait cependant être tenue : celle de l’AMEL Saône-et-Loire (SFR/XP Fibre). Quant à la Nièvre, après un retard initial de plus d’un an, SFR/XP Fibre a réussi à réduire l’écart à six mois. La procédure L33-13 lancée par l’Etat et le Syndicat mixte Nièvre Numérique semble avoir porté ses fruits… ». Concernant le deuxième opérateur télécoms français, sa filiale SFR FTTH avait été intégrée en 2021 dans la société XpFibre détenue à 50,01 % par Altice. Tandis que l’opérateur d’infrastructure Covage avait été racheté en novembre 2020 par SFR FTTH, qui avait cédé la même année à Altitude une partie des réseaux de Covage.
« Les Français se fichent éperdument de savoir s’ils sont en zone très dense (ZTD), en zone AMII, en zone publique (RIP), en zone AMEL, en zone CPSD (Convention de suivi des déploiements) et autres zonages exotiques inventés par l’Etat au fil du temps… Ils n’ont qu’une seule demande, plus que légitime : pouvoir être raccordés à la fibre », rappelle l’Avicca (8). Le Plan France Très haut débit est donc un échec au regard de l’échéance 2025 pour le « 100 % fibre » en France. L’avenir dira si cet objectif restera une alésienne en 2028… Aujourd’hui (au 30 juin 2023), les 36,2 millions de locaux raccordables au FTTH représentent 82,6 % du total des 43,8 millions de locaux recensés. Il reste donc 17,3 % de locaux (domiciles ou bureaux) exclus du Plan France Très haut débit. Et encore, sur les 36,2 millions de locaux raccordables, 19,8 millions font l’objet d’un abonnement – soit un taux d’activation de 54,6 %. Si l’on regarde le verre à moitié plein, tant bien même que la barre des 20 millions d’abonnés FTTH a été franchie au cours du troisième trimestre (9) : c’est quand même 45,3 % des prises raccordables qui ne le sont pas.

Retarder la fin du cuivre, au-delà de 2030 ?
Pendant ce temps-là, et malgré les retards chroniques, le « décommissionnement » du réseau cuivre est engagé. Orange a déjà prévenu : la fermeture commerciale nationale de ces paires de cuivre téléphoniques sur lesquelles passent le haut débit ADSL et le très haut débit VDSL2, interviendra le 31 janvier 2026, avec l’extinction complète de ce réseau historique en 2030. Toutes les lignes de cuivre non remplacées par de la fibre optique ne seront plus actives ni les services triple play (téléphone-Internet-télévisions) associés. Sept communes sont déjà privées de réseau de cuivre. Des expérimentations d’extinction en zone très dense viennent d’être lancées à Vanves (dans les Hauts-de-Seine en région parisienne) et dans le centre-ville de Rennes (Ille-et-Vilaine en Bretagne). @

Charles de Laubier

Revenus en hausse mais investissements en baisse : les opérateurs télécoms en font-ils assez ?

Les revenus 2022 des opérateurs télécoms en France sont en hausse, à plus de 45,8 milliards d’euros HT (+1,6 %). En revanche, leurs investissements sont en baisse, à 14,6 milliards d’euros (-1,8 %). Ce qui semble paradoxal avant la prochaine fermeture du réseau de cuivre.

Saviez-vous que les opérateurs télécoms en France ont dépassé en 2022 la barre des 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires ? Soit une hausse globale annuelle de 1,6 %, à précisément plus de 45,8 milliards d’euros, selon les calculs de Edition Multimédi@. Ce montant comprend à la fois le marché auprès du client final (plus de 36,7 milliards d’euros) et le marché auprès des opérateurs (plus de 9 milliards d’euros). Tandis que, toujours l’an dernier, les investissements consentis par ces mêmes opérateurs télécoms en France ont reculé de 1,8 %, à 14,6 milliards d’euros (hors achats de fréquences).

Plan France THD et New Deal mobile
C’est à se demander si les « telcos » ne relâchent pas leurs efforts d’investissements dans les déploiements des réseaux très haut débit fixe (fibre) et mobile (4G/5G) qui sont pourtant indispensables à l’aménagement numérique des territoires et à la lutte contre la fracture numérique. D’autant que le plan France Très haut débit, qui aura coûté près de 35 milliards d’euros, dont 65 % pris en charge par le secteur privé, 25 % par les collectivités territoriales et 10 % par l’Etat (1), est dans la dernière ligne droite de son objectif gouvernemental qui est de « généraliser la fibre optique en 2025 » en termes de prises raccordables. Le temps presse d’autant plus que la fibre optique est censée remplacer le réseau de cuivre (les paires de cuivre téléphoniques sur lesquelles passent le haut débit ADSL et le très haut débit VDSL2). Car l’opérateur télécoms historique Orange a déjà annoncé à tous ses concurrents, Bouygues Telecom, Free et SFR en tête, que la fermeture commerciale nationale de ce réseau de cuivre interviendra le 31 janvier 2026, avec la fin du plan de fermeture prévue en 2030. Il y a déjà sept communes où le réseau de cuivre a été définitivement fermé. L’Arcep indique qu’une nouvelle expérimentation d’extinction en zone très dense vient d’être lancée à Vanves (dans les Hauts-de-Seine en région parisienne et dans le centre-ville de Rennes (Ille-et-Vilaine en Bretagne).
Le compte-à-rebours se poursuit. Or, d’après les relevés de l’Arcep au 31 décembre 2022, il restait encore sur tout le territoire 23,2 % des locaux – particuliers et entreprises confondus – à rendre raccordables à la fibre optique comme le sont les 76,8 % (voir tableau ci-dessous) – dont 53,8 % de ces prises FTTH ont trouvé « preneur » au 31 mars dernier, à savoir un peu plus de 19 millions d’abonnés à la fibre de bout en bout sur près de 35,3 millions de fibres optiques raccordables. Les opérateurs télécoms parviendront-ils au « 100 % fibre » avant l’échéance de dans un an et demi ? « Les déploiements vont vite et bien, et surtout en zones rurales. On a quand même des points d’attention dans certaines villes moyennes, comme Les Sablesd’Olonne, La Roche-sur-Yon et d’autres communes qui sont en-dessous de la moyenne nationale. J’invite les opérateurs – en particulier Orange – à poursuivre vraiment les déploiements dans ces zones-là. Puisque les opérateurs ont souscrit des engagements, vis-à-vis du gouvernement, à couvrir ces zones. (…) Orange a choisi à partir de l’année dernière de ralentir ses déploiements de fibre optique dans les zones les plus rurales. Nous l’avons mis en demeure de finir ses déploiements dans ces zones. L’instruction est en cours (2) », a indiqué le 25 mai la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière (photo), sur BFM Business. Le lendemain, l’ancienne députée a fait un déplacement à Marseille et à Septèmes-les-Vallons (Bouches-du-Rhône) pour y constater les retards et dysfonctionnement dans les raccordements à la fibre jusque dans les zones très denses. « Marseille a une couverture globale de 79 % du nombre de locaux, inférieure à la moyenne nationale (91 %). Les opérateurs privés ne déploient pas suffisamment », a-t-elle pointé dans son interview à La Provence parue le jour même. Laure de La Raudière (« LDLR »), qui a fait de la qualité des réseaux fibre une de ses premières priorités, rappelle d’ailleurs régulièrement, et à nouveau le 25 mai dernier, qu’« [elle a] du mal à dire que le plan France Très haut débit est une vraie réussite, étant donné ces problèmes de qualité de service sur les réseaux fibre » (3). Il y a aussi parallèlement la finalisation des engagements de Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR dans le « New Deal mobile » pour atteindre 100 % du territoire en 4G, y compris pour résorber les « zones blanches centres-bourgs » dont il reste encore plus de 4 % à couvrir (4). Sans parler du déploiement de la 5G dans les zones un peu plus denses pour désaturer les réseaux 4G.

Investissements : fixe en recul, mobile en hausse
A l’heure où des retards dans les déploiements des infrastructures numériques et des dysfonctionnements voire des malfaçons dans les raccordements à la fibre préoccupent les élus locaux et leurs administrés, le recul des investissements des opérateurs télécoms semble pour le moins malvenu. Et ce, au moment où la proposition de loi « Assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » (5) a été adoptée à l’unanimité au Sénat le 2 mai et va être débattue à l’Assemblée nationale. Même si ce reflux a été léger l’an dernier (- 1,8 %, à 14,6 milliards d’euros hors achats de fréquences, – 6,4 % avec), il s’avère plus prononcé (- 9,8 %) par rapport à 2020 (avec achats de fréquences), pourtant la première année impactée par la crise sanitaire. D’autant que si les investissements dans les réseaux mobiles (hors redevances pour fréquences mobiles) ont, eux, augmenté de 5,5 %, à 3,8milliards d’euros en 2022, il n’en va pas de même pour les réseaux fixe qui accusent pour leur part une baisse de 4,4 %, à 10,8 milliards d’euros, toujours l’an dernier (voir tableau ci-dessous). L’après-covid 19 n’a donc pas renversé la tendance baissière, bien que légère, les investissements restant « à un niveau élevé » ou « massifs » (dixit LDLR). Alors que dans le même temps, le chiffre d’affaires global des opérateurs télécoms a augmenté en 2022 de 1,6 %, à précisément plus de 45,8 milliards d’euros hors taxes.

Revenus mobiles : hausse de 4,6 % en un an
Le marché de détail (pour le client final) a contribué à ces revenus pour plus de 36,7 milliards d’euros, en hausse de 1,8 % sur un an. Tandis que le marché entre opérateurs (interconnexion, accès et itinérance) a contribué pour sa part à plus de 9 milliards d’euros, en hausse de 0,8 %. La plus grosse source de revenus l’an dernier pour les opérateurs télécoms réside dans les services mobiles aux clients finaux (marché de détail, y compris les recettes MtoM), à hauteur de 14,7 milliards d’euros (+ 4,5 % sur un an), auxquels s’ajoutent les revenus liés à la vente de terminaux mobiles, à hauteur de près de 3,5 milliards d’euros (+ 5,1 %).
Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, le chiffre d’affaires mobile des opérateurs télécoms en France dépasse les 18,2 milliards d’euros en 2022, en belle hausse de 4,6 % sur un an. Quant aux services fixes, cette fois, ils constituent toutes catégories confondues la toute première source de revenu des opérateurs télécoms, à hauteur de plus de 16,5 milliards d’euros en 2022, quasiment stables (- 0,3 %). Le FTTH et la 5G permettent d’ores et déjà aux « telcos » d’accroître leurs revenus fixe et mobile (6). Sans parler du projet des opérateurs de réseaux de faire payer les GAFAM une taxe – une « compensation directe » ou fair share (7) – pour pouvoir utiliser leurs réseaux. Mais là, c’est une tout autre histoire. @

Charles de Laubier

Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au coeur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne. Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain. Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (2). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis plus de cinq ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future« ]» présenté le 16 février par Christel Heydemann. Mais Continuer la lecture

Cuivre : garantir la qualité à 17 millions de foyers

En fait. Le 22 septembre, s’est tenue la conférence annuelle « Territoires connectés » de l’Arcep. Parmi les sujets de crispation : le maintien de la qualité du réseau de cuivre utilisé pour l’ADSL et le VDSL par plus de 17 millions d’abonnés en France – soit encore 53,7 % de toutes les connexions fixes à Internet.

En clair. Qui doit payer le maintien de la qualité de service du réseau de cuivre en France ? Selon les calculs de Edition Multimédi@, cela concerne encore plus de 17 millions de prises de cuivre encore opérationnelles en France, soit 53,7 % précisément de toutes les connexions fixes à Internet (1). La question à laquelle le régulateur et le gouvernement vont devoir répondre rapidement est de savoir comment garantir la qualité de service au plus de 11,1 millions d’abonnés ADSL dont la connexion haut débit passe par leur fameuse paire de cuivre. Et auxquels s’ajoutent plus de 5,9 millions d’abonnés VDSL bénéficiant d’un très haut débit par leur paire de cuivre éligible à cette technologie (VDSL2).
Selon le secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin, qui s’exprimait le 22 septembre lors de la conférence « Territoire connectés » de l’Arcep, l’opérateur historique supporte environ 500 millions d’euros de coût d’entretien par an pour que le réseau de cuivre fonctionne. Mais pas question pour lui financer seul le « surcoût » pour en garantir la « qualité de service ». Et ce, alors que les revenus d’Orange provenant de la location de cette « boucle locale » de cuivre aux opérateurs télécoms concurrents sont en recul en raison de la migration des abonnés vers la fibre optique (2). L’ex-France Télécom plaide donc pour une hausse des tarifs du « dégroupage » payés par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom, Free, …). Sinon, prévient Orange, la qualité de service va continuer à se dégrader jusqu’à l’extinction complète du réseau de cuivre en 2030. A moins que l’Arcep n’accorde à Orange une augmentation du prix du dégroupage supporté par les autres fournisseurs d’accès à Internet, lesquels ne veulent pas payer plus pour une technologie en déclin. Les 17 millions d’abonnés ADSL et VDSL sont pris en otage. Le plan de fermeture du cuivre qu’Orange a présenté à l’Arcep en janvier 2022 a été enclenché dès 2020 par un « arrêt de commercialisation » de prises de cuivre. D’après son rapport annuel publié en mai, Orange fait état de 15 millions de prises de cuivre déjà non-commercialisées à mars 2022. «A partir de 2026, Orange ne commercialisera plus de nouveaux abonnements ADSL et la fermeture du réseau cuivre débutera à grande échelle. A l’horizon 2030, [l’extinction du cuivre] concernera la totalité du réseau », précise le groupe dirigé depuis début avril dernier par Christel Heydemann (3). @

Guéguerre entre TF1 et Canal+ : la diffusion en ligne des chaînes gratuites devant la justice

C’est une manie de Maxime Saada, président du groupe Canal+ (Vivendi/Vincent Bolloré) : arrêter la distribution des chaînes du groupe TF1 lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial de diffusion avec ce dernier. C’était arrivé en 2018 ; c’est à nouveau le cas depuis début septembre.

Le groupe Canal+, non seulement éditeur de la chaîne cryptée éponyme mais aussi diffuseur de 150 autres chaînes en France via son service en ligne MyCanal (par ADSL, fibre, câble, …) ou via son TNT Sat (par satellite), n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial avec les éditeurs de chaînes qu’il distribue : il les coupe. En somme, ce sont les téléspectateurs de ces chaînes-là – TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI en l’occurrence – et qui plus est abonnés aux plateformes MyCanal et TNT Sat, qui sont pris en otage. C’est en tout cas un moyen de pression de Canal+ sur TF1 pour acculer à ce dernier à négocier un accord raisonnable.

« Les chaînes gratuites doivent le rester » (Saada)
Maxime Saada (photo de gauche), le président du directoire du groupe Canal+, a justifié dans le JDD du 3 septembre dernier la décision annoncée la veille de « renoncer à la diffusion » des chaînes du groupe TF1 en France. « En 2018, nous avions été contraints de trouver un accord et de rémunérer les chaînes gratuites et les services du groupe TF1. Ce n’est pas faute d’avoir alerté alors sur le risque de voir augmenter sensiblement les demandes à l’échéance suivante, une fois acté le principe de paiement de ces chaînes. C’est exactement ce qui se passe : TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50 % de sa rémunération. Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août [2022], nous n’avions d’autre choix que de couper », at- il expliqué. Ce que reproche aussi Maxime Saada à la filiale audiovisuelle de Bouygues dirigée par Gilles Pelisson (photo de droite), c’est d’exiger que les contenus de TF1 soient visualisés dans sa propre application et non pas dans celle de Canal+. « Or nos abonnés ne souhaitent pas être contraints de multiplier les applications pour visionner leurs contenus », assure Maxime Saada.
Le groupe TF1 ne l’entend pas de cette oreille et a annoncé vouloir porter plainte. « Nous réfléchissons sérieusement aux suites à donner compte tenu du préjudice subi », avait indiqué le 5 septembre à Edition Multimédi@ une porteparole du groupe TF1. Deux jours après, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues confirmait avoir assigné en référé Canal+ devant le tribunal de commerce de Paris. Dans cette procédure d’urgence, la « Une » demande que soit rétablie sans tarder la diffusion de ses chaînes sur le service satellitaire TNT Sat de Canal+. Tandis que de son côté, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, assure une médiation entre les deux parties pour que les chaînes de TF1 soient à nouveau disponibles auprès de millions d’abonnés de Canal+, dont ceux de MyCanal.
Qu’est-ce qui bloque ? Le 2 septembre, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues avait pris acte, tout en le « déplor[ant] fortement », de la décision du groupe Canal+ de « cesser la diffusion de ses chaînes et services ». Et de fustiger : « Canal + n’a pas souhaité conclure un nouvel accord de distribution des chaînes et services du groupe TF1 malgré des semaines de discussions et de négociations, faisant le choix de priver ses abonnés des chaînes et des services qu’ils payent dans leur abonnement » (1). Ce sont donc des millions de téléspectateurs qui reçoivent les chaînes du groupe TF1 via les plateformes de diffusion de Canal+. Cela représenterait pour la filiale télé de Bouygues jusqu’à 15% d’audience en moins. «Nos abonnés ont l’impression d’être pris en otage. Nous les comprenons », compatit Maxime Saada. Les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI sont cependant diffusées – en plus de la TNT (numérique hertzien) – sur les « box » par Bouygues Telecom (la société sœur de TF1 au sein de Bouygues), SFR (Altice), Free (Iliad), Orange, mais aussi par les plateformes Molotov et Salto. Elles sont également accessibles, avec leur service de télévision de rattrapage (replay), sur le site web MyTF1.fr et via l’application MyTF1 pour smartphones et tablettes. Autre argument utilisé par le patron du groupe Canal+ pour justifier le fait d’avoir coupé le signal des chaînes du groupe TF1 : le risque d’être attaqué devant la justice pour diffusion sans autorisation des chaînes de ce dernier. « Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août, nous n’avions d’autre choix que de couper. Nous avons vu ce qui s’est passé avec Molotov, attaqué en contrefaçon par TF1, et nous ne souhaitions pas nous retrouver dans cette situation », a expliqué Maxime Saada.

La jurisprudence « Molotov » (contrefaçon)
La plateforme numérique de télévision Molotov, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, avait en effet perdu deux procès contre respectivement TF1 et M6 pour avoir poursuivi la diffusion de leurs chaînes alors que les accords avec les deux éditeurs de télévision étaient arrivés à échéance – le 1er juillet 2019 pour TF1 et le 31 mars 2018 pour M6. Molotov n’avait conclu en 2015 que des contrats de distribution expérimentaux avec M6 et avec TF1. Faute d’accord pour renouveler ces accords, la plateforme de télévision avait continué à diffuser les chaînes en question, en estimant qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry » dont bénéficient déjà l’hertzien, le câble et satellite (2) – alors pourquoi pas Internet. TF1 et M6 avaient chacun saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Les juges ont rejeté l’argument de Molotov en rappelant qu’en dehors de la diffusion par voie hertzienne – via la TNT depuis 2011 –, il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou par Internet.

Play Media : pas de « must carry » en ligne
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (3) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (4), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 et du groupe TF1. De plus, la même société Molotov a été condamnée à payer à 7millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1 (5) (*) (**).
Auparavant, en 2014, ce fut la plateforme Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, qui avait essuyé les plâtres de la diffusion de chaînes gratuite sur Internet, en l’occurrence celles de France Télévisions qui avait porté l’affaire devant la justice. Le groupe public, qui offrait à l’époque ses chaînes sur son propre service en ligne, Pluzz, avait assigné en concurrence déloyale Play Media pour avoir proposé un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage de ses chaînes sur la plateforme Playtv.fr. Et ce, sans son autorisation. France Télévisions avait obtenu, dans un jugement du 9 octobre 2014, 1 million d’euros de réparation de la part de Play Media pour avoir repris ses chaînes sans son accord. Cette première affaire s’était soldée par le rejet du « must carry » en ligne, après cinq années de procédure et de nombreuses décisions – jusqu’en cassation en juillet 2019 (6). La plateforme Myskreen.com, pourtant épaulée le groupe Figaro et Habert Dassault Finance via la société The Skreenhouse Factory créée par Frédéric Sitterlé (7), avait aussi eu maille à partir avec les chaînes de télévision, qui l’on amené à cesser ses activités et à être liquidée en 2015.
C’est face à cette jurisprudence générée par les France Télévisions, TF1 et autres M6 que le groupe Canal+ n’a pas pris le risque de reprendre les chaînes de TF1 sans autorisation. Pas plus qu’il ne l’avait fait en 2018. Cette année-là, la filiale télé de Vivendi avait coupé le signal de TF1 et porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris sur le différend commercial qui les opposait sur la diffusion des chaînes sur MyCanal et sur CanalSat. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’époque, devenu l’Arcom, ndlr] car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous avait répondu une porte-parole de Canal+ (8). Pour compenser en partie la baisse de ses recettes publicitaires dans un contexte de concurrence grandissante des services de SVOD Comme Netflix, TF1 veut faire payer la diffusion de ses chaînes assorties de services associés, ou premium, tels que replay, vidéo à la demande (VOD) ou encore programmes en avant-première. En 2019, le groupe Altice s’était lui aussi engouffré dans la brèche en demandant à Free de le rémunérer pour la diffusion de ses chaînes. Ce que l’opérateur de la Freebox s’était refusé à faire. Le TGI de Paris a estimé le 26 juillet de la même année que « Free n’a[vait] pas le droit de diffuser sans autorisation BFMTV, RMC Découverte et RMC Story sur ses réseaux » et lui a ordonné « de cesser cette diffusion, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et par chaîne ». Ce jour-là, Free a cessé de diffuser les chaînes gratuites d’Altice, mais en prévoyant de les proposer en option payante. Saisi, le CSA avait considéré que Free n’avait aucune obligation de diffuser les chaînes pour lesquelles Altice est néanmoins en droit de se faire rémunérer (9) (*) (**).
Tout comme TF1 aujourd’hui. A condition que la filiale TV de Bouygues n’abuse pas de sa position dominante – qui serait renforcée si la fusion TF1-M6 en cours d’examen à l’ADLC obtenait un feu vert. « Le groupe TF1 a un sentiment de toute-puissance du fait de sa position dominante, et ce avant même une possible fusion », a dénoncé Maxime Saada dans le JDD. A défaut de pouvoir étendre le « must carry » des chaînes gratuites de la TNT à tous les moyens de diffusion – alors que l’on aurait pu penser le contraire au regard de la neutralité technologique –, TF1 et Canal+ sont condamnés à s’entendre. Soit dans le cadre d’une médiation organisée par l’Arcom, soit devant le tribunal de commerce. A moins que l’ADLC ne se saisisse de cette problématique des chaînes gratuite. N’étant ni la justice ni le régulateur, le gouvernement semble démuni face à ces bras de fer qui se font sur le dos des téléspectateurs.

Contrat privé versus pouvoir public
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak (RAM), a fait parvenir le 2 septembre un courrier au patron de Canal+ qu’elle exhorte : « J’en appelle à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l’intégralité des chaînes de la TNT ». De plus, ajoute RAM, « cette situation n’est pas conforme à l’intention du législateur qui était de garantir une couverture intégrale du territoire par la TNT en obligeant les chaînes de la TNT à mettre leur signal gratuitement à disposition d’un distributeur satellite qui en fait la demande ». La missive n’a pas produit l’effet escompté. @

Charles de Laubier