A défaut de grande réforme du quinquennat, le paysage audiovisuel français (PAF) entame sa mue

Alors que plus de soixante sénateurs ont saisi le 30 septembre 2021 le Conseil constitutionnel sur le projet de loi « Anti-piratage », adopté définitivement la veille par l’Assemblée nationale, la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat n’a pas eu lieu. Mais le gouvernement y est allé par touches.

Par Charles Bouffier, avocat counsel, et Cen Zhang, avocat, August Debouzy*

Verizon et AT&T se délestent chacun de leurs médias

En fait. Le 16 mai, l’agence Bloomberg a révélé qu’AT&T discute de la fusion de sa filiale WarnerMedia avec Discovery pour créer un nouveau géant des médias. Ce qui a été confirmé le lendemain. Le 3 mai, c’était Verizon qui annonçait la vente de ses médias Yahoo et AOL à une société d’investissement.

En clair. Deux géants américains des télécoms – Verizon le 3 mai et AT&T le 17 mai – ont annoncé se délester de leurs activités médias respectives, le premier pour les céder à un fonds d’investissement, Apollo Global Management, contre 5 milliards de dollars, le second pour fusionner sa filiale WarnerMedia avec le groupe de télévision payante Discovery. Verizon cède ainsi notamment Yahoo et AOL, qui formeront un nouveau groupe baptisé Yahoo. AT&T procède à une scission (spin off) de ses activités de contenus Warner Bros, CNN ou encore HBO pour former un nouvel ensemble – dont le nom n’est pas encore précisé – avec les entités TLC, HGTV ou encore Eurosport de Discovery. Alors que Verizon cède le contrôle de l’ex-Verizon Media pour ne garder que 10 % du futur nouveau Yahoo, AT&T s’empare au contraire de 71 % du capital du futur «WarnerMedia-Discovery ».
Ces grandes manœuvres semblent sonner le glas de la convergence des télécoms, laquelle avait motivé le rachat de Time Warner en 2018 par AT&T moyennant 85 milliards de dollars. Cette méga-fusion fut validée en février 2019 par la justice américaine (1). De son côté, Verizon avait fait les acquisitions d’AOL et de Yahoo respectivement en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars et en juillet 2016 pour 4,8 milliards de dollars. Est-ce la fin de la convergence télécoms-médias, chère encore au pionnier du genre et principal actionnaire de la galaxie « Liberty », John Malone (2), lequel détient à ce jour 21 % du capital de Discovery, et à son « disciple » Patrick Drahi, le patron fondateur d’Altice (Europe et USA) ? Un troisième géant des télécoms aux Etats-Unis, le câblo-opérateur Comcast, suivra-t-il le mouvement de la « désintégration verticale » avec sa filiale NBC Universal ? Ce groupe avait été acquis entre juillet 2010 (51 % du capital) et février 2013 (100 %) pour un total de 12,3 milliards de dollars. Une chose est sûre : la convergence « cable TV », initiée par John Malone avec TCI dans les années 1980-1990, a perduré à coup de mégafusions dans les années 2000.
Mais c’était sans compter le cord-cutting : les Américains sont de plus en plus nombreux à dissocier leurs abonnements pour profiter de l’audiovisuel sur Internet – Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, HBO Max, Hulu, Peacock, Pluto TV, Discovery+, … Le 18 mai, The Information a révélé qu’Amazon négocie le rachat des studios MGM (3) pour 9 milliards de dollars. @

Licence légale applicable aux webradios : tensions avec la SCPP et la SPPF, discussions avec la Sacem

Les webradios veulent bénéficier au plus vite de la licence légale, plus avantageuse. Mais les producteurs de musique (SCPP et SPPF) refusent
ce mode de rémunération pourtant prévu par la loi « Création ». La commission
« rémunération équitable » doit fixer le barème.

Selon nos informations, les groupes NRJ (NRJ/Chérie FM/Rire & Chansons/Nostalgie) et Lagardère Active (Europe1/Europe 2/ RFM/Virgin Radio) ainsi que La Grosse Radio sont parmi les radios qui ont refusé de
signer avec la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) un accord de droit pour leurs webradios. Et pour cause : depuis la promulgation de la loi « Création » le 8 juillet 2016 (1), ces radios sur Internet bénéficient désormais de la licence légale jusqu’alors réservée aux radios de la FM.

Walt Disney sous pression face à AT&T-Time Warner

En fait. Le 10 novembre, le géant américain Disney a présenté ses résultats annuels (clos le 1er octobre). Mais derrière ce nouvel exercice record (bénéfice net en hausse de 12 % à 9,39 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires en progression de 6 % à 55,63 milliards), l’opération AT&T-Time Warner inquiète.

En clair. Le 22 octobre, le groupe Disney a appelé à « un examen réglementaire
serré » de l’opération – annoncée ce même jour – de rachat de son concurrent Time Warner par l’opérateur télécoms AT&T pour plus de 85 milliards de dollars (108 milliards avec la dette). Ce que ne manquera sans doute pas d’exiger à son tour le président des Etats-Unis nouvellement élu, Donald Trump, lequel avait déclaré durant sa campagne : « C’est trop de pouvoir concentré dans les mains de trop peu de gens ». Cette mégafusion pourrait échouer si l’administration Trump décidait d’empêcher cette intégration verticale, que d’aucuns voient comme une véritable menace pour la concurrence (1) et la neutralité du Net (2).
Avec la perspective d’un nouvel ensemble AT&T-Time Warner, The Walt Disney Company voit monter la pression sur un marché où l’entreprise presque centenaire devra accélérer l’adaptation de son offre aux nouveaux usages du numérique. Face à des plateformes de diffusion sur Internet, les offres de chaînes payantes traditionnelles par câble ou par satellite au Etats-Unis perdent des abonnés au profit des acteurs Over- The-Top (OTT). Selon la société d’étude américaine Leichtman Research Group, 665.000 personnes ont résilié au deuxième trimestre de cette année leur abonnement aux premières pour se rallier aux seconds. Depuis le début de l’année, l’action « DIS » cotée à la Bourse de New York a perdu plus de 15 % depuis le début de l’année. Début octobre à Boston, Robert Iger, le directeur général de Disney a implicitement reconnu que son groupe était mal préparé au numérique : « Notre principale tâche est de comprendre le rôle nouveau de la technologie dans la distribution des grands contenus que nous avons ». Mais le péril n’est-il pas plus grand pour la firme de Burbank (Californie) où elle a son siège social, à proximité d’Hollywood ? Ne sera-t-elle pas la prochaine cible dans ce mouvement de concentration sur fond de convergence tuyaux-contenus ? Contrairement à des géants contrôlés et protégés par des actionnaires familiaux tels que Twenty-First Century Fox (les Murdoch) ou Viacom/CBS (les Redstone), The Walt Disney Company semble plus vulnérable à une OPA. Son seul bouclier réside dans sa capitalisation boursière de plus de 155 milliards de dollars qui pourraient être indigeste pour les prétendants à son rachat. @

Rejet du projet d’accord Canal+/BeIn Sportspar l’Autorité de la concurrence : rendez-vous dans… cinq ans

L’Autorité de la concurrence a rejeté la demande du groupe Canal Plus de lever l’injonction imposée en 2012 qui l’empêche de distribuer en exclusivité des chaînes sportives premium. Imposer des mesures sur cinq ans à l’heure d’une économie numérique à l’évolution fulgurante est-elle pertinente ?

Rémy Fekete (photo), associé Jones Day, avec la collaboration de Christophe Chadaillac

Première devinette : quel groupe a présenté cinq films au dernier festival de Cannes ? (1) Deuxième devinette : quel groupe a passé la barre des 3 millions d’abonnés à l’occasion de la retransmission des matches de l’Euro 2016 ? (2) Et pour finir, question piège : le secteur de l’audiovisuel a-t-il considérablement évolué selon l’Autorité de la concurrence ?
(3) Quatre ans après avoir obtenu l’accord de l’Autorité de
la concurrence pour le rachat de TPS et CanalSatellite (4)
et les chaînes groupe Direct, le groupe Canal Plus est en perte de vitesse.