L’affaire « FranceSoir » tourne au bras de fer avec l’Etat, autour de son statut de « service de presse en ligne »

Relancé sans succès il y a dix ans sous forme de magazine en ligne, FranceSoir – successeur du célèbre quotidien France Soir liquidé en 2012 – est depuis 2014 dirigé par un entrepreneur, Xavier Azalbert. Il se bat aujourd’hui pour garder son statut de « service de presse en ligne » que la CPPAP voudrait lui retirer.

Qu’il est loin le temps où France Soir – fleuron de la presse française durant les Trente-Glorieuses – tirait chaque à plus de 1 million d’exemplaires imprimés (1). La chute du premier quotidien national de l’époque – créé par Pierre Lazareff après avoir repris le journal clandestin et résistant Défense de la France pour le rebaptiser en 1944 France Soir – n’est plus que de l’histoire ancienne. La crise de la presse sur fond de tsunami numérique est passée par là (2). C’est le 13 décembre 2011 que France Soir imprime sa dernière édition papier, pour basculer ensuite entièrement sur le Web et les mobiles. Ainsi en avait décidé son propriétaire d’alors, le Russe Alexandre Pougatchev. Le quotidien était passé sous la barre des 70.000 exemplaires. La liquidation judiciaire de France Soir sera prononcée le 23 juillet 2012 et ses actifs seront revendus à une société de e-paiement, Cards Off, qui lancera l’année suivante le site FranceSoir.fr mais sans succès.

Un site de presse en ligne controversé
C’est en 2014 que Xavier Azalbert (photo), ancien conseiller de McKinsey devenu entrepreneur financier, entre en scène en tant que président de Mutualize Corporation (ex-Cards Off), et, à partir de 2016, président et directeur de la publication FranceSoir. Le nombre de ses journalistes est réduit et le site web gratuit publie des dépêches AFP pour assurer tant bien que mal une information en continu. Lorsqu’une grève est déclenchée par la rédaction de FranceSoir à partir de fin août 2019, il ne reste plus que quatre journalistes titulaires. Dénonçant la dégradation de leurs conditions de travail, ils seront tous licenciés par Xavier Azalbert « pour motif économique » au mois d’octobre suivant. Durant la crise sanitaire due au coronavirus, le « journal sans journalistes » prend fait et cause pour l’hydroxychloroquine du professeur Didier Raoult, donne la parole au professeur spécialiste des épidémies Christian Perronne et fustige les décisions sanitaires du gouvernement. FranceSoir.fr fait en outre la part belle au Continuer la lecture

La directive européenne « E-commerce » a 20 ans

En fait. Ce 8 juin marque, jour pour jour, les 20 ans de la directive européenne « E-commerce » datée du 8 juin 2000. Le 2 juin dernier, la Commission européenne a lancé – jusqu’au 8 septembre prochain – deux consultations publiques en vue de notamment de remplacer cette directive par le « Digital Service Act ».

En clair. La directive européenne du 8 juin 2000 sur « certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique » – la fameuse directive « E-commerce » (1) – va bientôt être modifiée, voire remplacée, par le futur « Digital Services Act » (DSA). La Commission européenne, qui a lancé le 2 juin deux consultations jusqu’au 8 septembre, proposera un « paquet législatif » d’ici la fin de l’année. Et ce, en tenant comptes des contributions : à la première consultation « publique » (citoyens compris) via un questionnaire de 59 pages (2), et à la seconde consultation des « parties concernées » par « un nouvel instrument de concurrence » via un autre questionnaire de 47 pages (3).
Mais d’ici là, débats, lobbyings et même polémiques ne manqueront pas de surgir au cours des prochains mois, tant cette réforme législative du marché unique numérique comporte des points sensibles. Il en va ainsi, par exemple, des exemptions de responsabilité dont bénéficient depuis deux décennies les plateformes numériques – GAFAM en tête. La directive « E-commerce » du 8 juin 2000, transposée depuis le 17 janvier 2002 par chacun des Vingt-huit, prévoit en effet dans son article 15 – intitulé « Absence d’obligation générale en matière de surveillance » (CQFD) – que « les Etats membres ne doivent pas imposer aux [plateformes d’Internet] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Cette responsabilité limitée des GAFAM, que leur octroie ce « statut d’hébergeur », a été confortée par la jurisprudence européenne malgré les coups de boutoir des industries culturelles et de leurs organisations d’ayants droits.
Ces dernières n’ont eu de cesse depuis des années d’exiger plus de responsabilité des plateformes numériques dans la lutte contre le piratage des œuvres qui sont protégées par le droit de propriété intellectuelle (4) (*) (**) (***) (****) (*****). Depuis des années, les acteurs du Net sont, eux, vent debout contre toute remise en cause de leur statut protecteur (5), en mettant en avant leur rôle d’intermédiaire technique. Ils ne manqueront pas de défendre becs et ongles leurs intérêts – via notamment leur lobby bruxellois Edima, dont sont membres les GAFAM et d’autres comme Twitter, Snap, eBay ou Verizon Media. @

Deux réformes en vue : e-commerce et droits d’auteur

En fait. Le 5 avril, l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont Google/YouTube ou Dailymotion sont membres, a organisé un débat sur
le statut des « intermédiaires techniques » du Web, ainsi que sur leur obligations de « retirer promptement » des contenus considérés comme « illicites ».

En clair. Malgré l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 17 février dernier, qui confirme
le statut juridique d’hébergeur de Dailymotion, les « intermédiaires techniques » du Web s’inquiètent toujours des obligations qui leur incombent depuis la loi du 21 juin 2004 pour la « confiance dans l’économie numérique » (LCEN). Pourtant, ce statut leur confère une responsabilité limitée et non pénale. Mais ils craignent que ce devoir de vigilance – et d’obligation à « retirer promptement » des contenus illégaux (illicites ou piratés) qui leur seraient signalés – pourrait être renforcé par la Commission européenne qui prépare pour juin prochain une réforme de la directive «Commerce électronique ». Parallèlement la direction Marché intérieur du commissaire Michel Barnier prépare, pour juin également, un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle (1). Pour les ayants droits (cinéma, musique, …), c’est l’occasion unique de faire évoluer le statut des Dailymotion, YouTube et autres Facebook pour accroître leurs obligations de lutter contre le piratage des œuvres sur Internet. « Le statut d’irresponsabilité des hébergeurs a été défini en 2000. Mais aujourd’hui, peut-on parler d’hébergeur lorsque l’on diffuse des œuvres avec des accords de droits ? Je pense que non. Ce statut se rapproche de celui de diffuseur. Le “tsunami“ (2) de la TV connectée va amplifier le phénomène. Il faut donc une adaptation réglementaire. D’autant que hébergeurs et diffuseurs n’ont pas les mêmes obligations, ce qui pose des problèmes de concurrence », a expliqué le 5 avril Pascal Rogard, DG de la SACD (3). Mais les plateformes Web, elles, mettent en garde contre une « obligation de surveillance générale » qui serait contraire à l’actuelle directive européenne «Commerce électronique » et qui porterait atteinte à la liberté d’expression sur Internet. Des tribunaux imposent même aux intermédiaires du Web des obligations dites de « take down stay down », lesquelles leur imposent d’empêcher toute remise en ligne de contenus illégaux dès leur première notification. Pour faire face, Dailymotion a
constitué une base d’empreintes des œuvres (4) plus importante que celle de l’INA. Est-ce légal ?
Une chose est sûre : Jean Bergevin, représentant de la direction Marché intérieur,
a affirmé que « la Commission européenne va clarifier d’ici juin la directive “Commerce électronique“ sur notamment ce qu’est “agir promptement“ et sur la notification ». Cela se fera soit sous forme d’une communication interprétative, soit par une recommandation. @

L’hébergeur Dailymotion joue aussi un rôle d’éditeur

En fait. Le 17 février, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des ayants droit du film « Joyeux Noël » (Nord-Ouest Production et UGC Images), confirmant un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 mai 2009 qui reconnaît à Dailymotion le statut d’hébergeur. Mais le site de vidéos a une autre « casquette ».

En clair. Dailymotion n’est officiellement pas un éditeur de service qui procède à « une sélection des contenus mis en ligne », échappant ainsi à la lourde responsabilité lié à
ce statut. Selon la Cour de cassation, la plateforme de partage vidéo française est un
« simple » hébergeur, qui peut « revendiquer le statut d’intermédiaire technique au sens
de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 » – loi dite LCEN sur la confiance dans l’économie numérique. A ce titre, Dailymotion bénéficie d’un régime de responsabilité dérogatoire qui ne le rend coupable que si – saisi par une autorité judiciaire – il n’a pas agi « promptement pour retirer le contenu illicite ou à en interdire l’accès ». S’il avait le statut d’éditeur, il aurait été responsable de plein droit et lourdement condamné pour contrefaçon avec versement de dommages et intérêts pour des contenus illégaux mis en ligne. Or, non seulement l’arrêt de la Cour d’appel – confirmé en cassation – a reconnu le statut d’hébergeur à Dailymotion, mais il l’a aussi disculpé en raison d’informations insuffisantes pour lui permettre de retirer plus rapidement le film
« Joyeux Noël » en 2007. Pour le concurrent de YouTube qui est depuis janvier dernier en négociation exclusives avec France Télécom (1), c’est une bonne nouvelle. « Cette décision permet de mettre de côté définitivement de stériles débats juridiques pour nous concentrer sur notre travail quotidien: faire d’Internet un relais de croissance efficace pour les industries culturelles », s’est félicité Giuseppe de Martino, directeur juridique et réglementaire de Dailymotion. Pourtant, l’hébergeur est-il en train d’élargir son métier à celui d’éditeur ! « Nous avons toujours revendiqué une double casquette et nous avons un “rédac chef“ depuis quatre ans », précise Martin Rogard, le DG France de Dailymotion, à Edition Multimédi@. Une équipe “éditorialise” les vidéos. C’est ce que les Anglo-saxons appelle « curation », qui consisteà les sélectionner et à les classer par thèmes pour en faciliter l’accès. Sont ainsi proposé aux internautes des « hubs » thématiques tels que « Bandes-annonces », « Célébrités », « Jeux » ou encore
« Musique ». Des événements comme le Salon de l’agriculture sont aussi “éditorialisés”. Dailymotion, déjà présent sur les téléviseurs connectés de LG, Samsung, Sony ou encore Panasonic, prévoit en outre cette année de lancer un service de VOD payante et de proposer aussi des films de long métrage (2). La frontière entre hébergeur et éditeur s’estompe. @