AI Act, DSA, MiCA, … Superposition réglementaire : le casse-tête européen pour les projets innovants

L’ambition européenne pour un « marché unique numérique » a généré un véritable labyrinthe de textes réglementaires que nul n’est censé ignorer, pas même les start-up et les fintech, sauf à devenir hors-la-loi. Mais à ce patchwork s’ajoute le manque de coordination entre autorités compétentes.

Par Arnaud Touati, avocat associé, et Mathilde Enouf, juriste, Hashtag Avocats

L’Union européenne a une ambition manifeste : réguler de manière exemplaire la transition numérique. Du règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act) aux directives concernant les services numériques (DSA/DMA), en passant par la régulation des actifs numériques (MiCA) et la résilience opérationnelle du secteur financier (DORA), le législateur européen ne cesse d’introduire des normes structurantes. Chacun de ces textes, pris séparément, a pour objectif de pallier une carence. Ensemble, ils constituent un écosystème réglementaire complexe, parfois dépourvu de cohérence, souvent difficile à appliquer.

Accumulation de textes sans réelle coordination
Pour les initiatives novatrices, en particulier les start-up et les fintech, cette accumulation de normes peut rapidement devenir complexe. Cela est d’autant plus vrai que les normes et directives techniques ne cessent de croître, changeant constamment le champ de la conformité sans perspective de stabilité à moyen terme ni durabilité juridique. Actuellement, le cadre réglementaire en Europe se fonde sur plusieurs éléments-clés. L’AI Act (1) met en place une catégorisation des systèmes d’intelligence artificielle basée sur leur niveau de risque, imposant des exigences rigoureuses aux systèmes considérés comme étant « à haut risque ». Le DSA (2) et le DMA (3) ont pour objectif de réguler les grandes plateformes numériques tout en offrant une protection accrue aux utilisateurs. MiCA (4) régule la création de jetons et l’offre de services liés aux crypto-actifs. DORA (5) impose des normes rigoureuses de cybersécurité dans le domaine financier. De nombreux intervenants de l’écosystème sont également soumis aux règles (suite)

« Résumé suffisamment détaillé » : 2025 sera l’année de vérité dans la mise en œuvre de l’AI Act

Le rapport du CSPLA sur la mise en œuvre du règlement européen établissant des règles harmonisées sur l’IA fournit les ingrédients mais… pas la recette ! Le Bureau européen de l’IA, créé par l’AI Act, doit publier prochainement un « modèle européen » à suivre par les Vingt-sept.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Le rapport « IA et Transparence des données d’entraînement » (1), publié le 11 décembre 2024 par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), s’inscrit dans la préparation de la mise en œuvre du règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) et a pour objectif de clarifier l’interprétation et la portée des dispositions imposant un modèle de « résumé suffisamment détaillé » (2). Ce modèle sera présenté au nom de la France dans le cadre du processus d’adoption d’un modèle européen par le Bureau européen de l’IA (AI Office), autorité créée par l’AI Act et chargée d’accompagner les fournisseurs d’IA dans leur mise en conformité. La publication du modèle européen est attendue pour janvier 2025.

Transparence des données d’entraînement
La collecte de données de qualité, notamment de données culturelles, est d’une importance stratégique pour les fournisseurs d’IA, puisque les systèmes d’IA ont besoin d’ingurgiter de grandes quantités de données, leur servant de modèles dans leurs productions. Or, des données contenant des créations protégées par un droit de propriété intellectuelle peuvent avoir été obtenues sans autorisation ou sans tenir compte d’un « opt-out », et avoir été effectivement exploitées. Il en va de même concernant des données personnelles (posts Facebook, Instagram, …) potentiellement utilisées pour l’entraînement de modèles d’IA. L’enjeu est alors d’avoir accès à l’information sur les données d’entraînement utilisées par une IA, pour bien des raisons et notamment ouvrir une visibilité aux ayants droits dont des données et/ou créations auraient été mobilisées, quelles qu’en soient les modalités.
Pour ce faire, les fournisseurs d’IA sont désormais soumis à une obligation de transparence qui se concrétise par la mise en place d’une politique de conformité, ainsi que par la mise à disposition au public d’un « résumé suffisamment détaillé » (sufficiently detailed summary) des contenus utilisés pour l’entraînement du modèle d’IA. Ce résumé permet le développement d’une IA de confiance souhaitée au niveau européen (3), en remédiant aux difficultés rencontrées par les titulaires de droits, confrontés à une charge de la preuve disproportionnée concernant l’utilisation de leurs contenus. Pour autant, le résumé doit répondre aux enjeux de la création d’un marché dynamique et équitable de l’IA. Ce qui impose un compromis pour restreindre la quantité d’informations mise à disposition afin de protéger le secret des affaires, moteur d’innovation pour les fournisseurs d’intelligence artificielle. (suite)

Data Transfer Initiative, cofondée par Google, Apple et Meta, accélère

Depuis que le DMA et le Data Act, sur fond de RGPD, sont entrés en vigueur dans l’Union européenne, les grandes plateformes numériques s’organisent pour mettre en pratique la portabilité des données. Google, Apple et Meta accélèrent dans ce domaine via la Data Transfer Initiative (DTI).

Permettre aux utilisateurs de réaliser des transferts de données simples, rapides et sécurisés, directement entre les services. Telle est la promesse de l’organisation Data Transfer Initiative (DTI), basée à Washington et cofondée en 2018 par trois des GAFAM : Google, Meta et Apple. Ces travaux se sont accélérés avec l’entrée en vigueur le 1er janvier 2024 du Data Act (DA), le règlement européen sur « l’équité de l’accès aux données et de l’utilisation des données » (1), et le 7 mars 2024 du Digital Markets Act (DMA), le règlement sur les marchés numériques (2).

Transférabilité des photos, vidéos et musiques
Que dit le DMA au juste ? « Le contrôleur d’accès [gatekeepers] assure aux utilisateurs finaux et aux tiers autorisés par un utilisateur final, à leur demande et gratuitement, la portabilité effective des données fournies par l’utilisateur final ou générées par l’activité de l’utilisateur final dans le cadre de l’utilisation du service de plateforme essentiel concerné, y compris en fournissant gratuitement des outils facilitant l’exercice effectif de cette portabilité des données, et notamment en octroyant un accès continu et en temps réel à ces données ». Tandis que le DA, lui, consacre le « droit à la portabilité des données » vis-à-vis non seulement des GAFAM (et tout gatekeepers) mais aussi des fournisseurs de services de cloud. La portabilité des données est également prévue par le règlement général sur la protection des données (RGPD), applicable depuis le 25 mai 2018 (3).
Aussi, sous la pression de l’Union européenne, les travaux de la DTI s’intensifient, comme l’explique Chris Riley (photo), le directeur de cette organisation américaine : « Longtemps considérée comme une question de niche – qualifiée étiquetée comme “un droit obscur des personnes concernées” –, la portabilité des données a pris beaucoup plus d’importance ces dernières années, notamment dans le règlement sur les marchés numériques et celui sur les données. Son impact va au-delà même des contextes de la protection des données et de la concurrence, allant jusqu’à la sécurité en ligne et la gouvernance de l’IA ». Car, toujours dans les Vingt-sept, le règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act) est à son tour entré en vigueur, depuis le 1er août 2024 (4). La DTI a donc engagé des travaux sur la portabilité de l’IA personnelle, avec la collaboration de la start-up californienne Inflection (5) qui crée une IA personnelle pour tout le monde, baptisée Pi. Le 18 juin dernier, la DTI a partagé – à l’attention du nouveau Parlement européen – sa vison sur la politique de l’UE pour « responsabiliser les gens par la portabilité des données » et à travers cinq priorités : « Mettre en œuvre les lois existantes de manière efficace ; établir la confiance entre les fournisseurs ; promouvoir la neutralité technologique ; investir dans la sensibilisation et l’engagement ; évaluer la transférabilité dans la pratique, et non sur le papier » (6).

Entraînement de modèles d’IA grâce aux données collectées par web scraping : les règles à suivre

Les plaintes à l’encontre de fournisseurs de systèmes d’IA se multiplient, que ce soit pour violation des droits de propriété intellectuelle ou pour manquements en matière de données à caractère personnel, notamment en lien avec leurs pratiques de collecte de données en ligne (web scraping).

Par Sandra Tubert et Laura Ziegler avocates associées, Algo Avocats

Afin de développer un système d’intelligence artificielle (IA) performant, il est nécessaire d’entraîner en amont les modèles qui le composent au moyen de vastes ensemble de données. Constituer ces ensembles de données d’entraînement représente donc un enjeu majeur pour les fournisseurs de systèmes d’IA. Plusieurs alternatives s’offrent à eux : utiliser les bases de données dont ils disposent en interne ; obtenir des licences auprès de titulaires de droits de propriété intellectuelle sur des contenus pertinents ; ou recourir au web scraping pour récupérer des données accessibles en ligne sur différents sites Internet.

Exception de Text and Data Mining
Cette troisième option, le web scraping (« moissonnage des données »), a connu un essor important ces dernières années. Pour autant, bon nombre d’acteurs récupèrent des données en ligne pour entraîner leurs modèles sans appréhender tous les enjeux et problématiques qui y sont attachés. Alors que plusieurs plaintes ou enquêtes d’autorités visent des fournisseurs de modèles d’IA à usage général pour des allégations de violation des droits de propriété intellectuelle ou de manquements au règlement général sur la protection des données (RGPD), l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur l’intelligence artificielle – l’AI Act dont le texte final (1) a été signé le 13 juin 2024 – pourrait mettre en évidence les problématiques entourant les sources de données utilisées pour entraîner les modèles.

Droit de la consommation, propriété intellectuelle et droit pénal : les enjeux juridiques du métavers

Les défis juridiques posés par les métavers ne sont pas inédits. Mais la clé pour instaurer un climat de confiance dans le monde virtuel réside dans une adaptation proactive du cadre réglementaire actuel pour faciliter l’intégration harmonieuse et sécurisée du métavers dans notre société.

Par Arnaud Touati, avocat associé, et Dany Sawaya, juriste, Hashtag Avocats.

Le métavers est un environnement fictif en 3D, interactif et immersif, qui combine le monde réel avec des mondes virtuels. A l’intérieur, les individus peuvent incarner des avatars et interagir avec d’autres personnes ou avec des objets numériques. Imaginons un immense jeu vidéo multijoueur en ligne, regroupant divers univers de jeu où il est possible de naviguer librement. Une illustration saisissante de cette vision a été présentée dans le film « Ready Player One » de Steven Spielberg, sorti en 2018.

L’avatar, sujet de droit indépendant ?
Le métavers suit une trajectoire similaire aux enjeux soulevés par le Web, et plus récemment par la blockchain (chaîne de blocs, en français). Il est indéniable que, même dans un monde virtuel, la règle de droit continue à s’appliquer. Le métavers, tout comme la blockchain et Internet de manière générale, revêt une dimension intrinsèquement internationale. Le métavers est également un terrain de jeu fertile pour l’innovation et le développement. La France, consciente de cette opportunité, cherche à faire du métavers une priorité et envisage d’utiliser les Jeux Olympiques de 2024 à Paris (du 26 juillet au 11 août 2024) comme catalyseur pour rassembler les acteurs français des métavers. Toutefois, le développement du métavers soulève des questions juridiques complexes dans divers domaines tels que le droit de la consommation, la propriété intellectuelle, et le droit pénal. L’anticipation et l’encadrement juridique du métavers sont indispensables pour instaurer un climat de confiance et garantir une utilisation responsable et sécurisée de cette nouvelle frontière numérique.

Défis et considérations juridiques du métavers en matière de consommation. Le métavers pose des défis inédits en matière de droit de la consommation. Par exemple, comment qualifier les contrats conclus entre avatars ? La capacité juridique de l’avatar repose-t-elle dans celle de l’utilisateur qui se trouve « derrière » ou l’avatar peut-il être reconnu comme un sujet de droit indépendant ? Dans ce monde virtuel, les règles de vente et de prestation de services ne sont pas encore clairement définies. Bien que le code de la consommation reconnaisse l’absence de présence physique simultanée des parties contractantes et l’utilisation de « techniques de communication à distance » pour qualifier un contrat à distance (1), la question se pose de savoir si