La fibre optique pour tous, initialement prévue à fin 2022, pourrait ne pas être réalité fin 2025

La fibre optique pour tous à domicile n’est pas pour demain. Initialement promis sur tout le territoire d’ici fin 2020, le fameux FTTH « à 100 % » aura du mal à tenir son nouvel objectif fixé à fin 2025. La crise sanitaire a freiné les déploiements de prises. De plus, les Français ne se précipitent pas pour s’abonner.

« Nous accélérerons en particulier tous les projets sur les réseaux qui permettent de structurer et de développer nos territoires [comme le] déploiement du très haut débit », a promis Jean Castex (photo), le nouveau Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale le 15 juillet dernier. Mais la France s’en donnera-t-elle les moyens financiers ? « Pour passer du Plan France Très haut débit 2022 à la généralisation du FTTH, 5,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour généraliser la fibre partout en France d’ici 2025, sans oublier de fournir du très haut débit d’ici là aux personnes connectées tardivement », a chiffré Etienne Dugas, président d’Infranum, lors des 14èmes Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates le 2 juillet dernier.

Le FTTH pèse la moitié des 11 Mds€ demandés
Fédération des entreprises partenaires des territoires connectés, Infranum fut créée fin 2012 sous le nom de Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique (Firip) pour accompagner le « Plan France THD ». Elle regroupe plus de 200 entreprises – bureaux d’études, opérateurs, intégrateurs, équipementiers, fournisseurs de services, etc. – représentatives de la filière des infrastructures numériques. Ensemble, avec un total de 13.000 entreprises actives en France, ces acteurs des réseaux représentent un poids économique de 52 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 280.000 emplois. « La crise actuelle, d’une ampleur sans précédent, a impacté toute la filière des infrastructures numériques, en particulier le déploiement de la fibre », a expliqué Etienne Dugas. Les 5,4 milliards d’euros nécessaires, selon Infranum, pour mener à bien le déploiement de la fibre optique partout sur le territoire français d’ici cinq ans représentent à eux seuls près de la moitié des 11,2 milliards d’euros estimés indispensables par la filière comme « plan de relance », dont 7 milliards à prendre en charge par les pouvoirs publics.
Et encore : sur ces 5,4 milliards d’euros pour la généralisation du FTTH, 150 millions d’euros seront tout de même alloués à des technologies alternatives pour atteindre les objectifs du très haut débit pour tous à fin 2022. D’après les chiffrages effectués par les cabinets EY (Ernst & Young) et Tactis pour Infranum, quelque 3 milliards d’euros devraient à la charge de la filière et les 2,4 milliards restants – soit plus de 60 % – financés par les pouvoirs publics que sont l’Etat, les collectivités et le financement européen dans le cadre du plan européen de relance (voir tableau ci-dessous ). Pour accélérer le mouvement et rattraper ainsi le retard accumulé durant les mois de confinement, la filière suggère de « mettre en place des actions “coup de poing” dès cet été pour reconstituer l’outil de production nécessaire à la poursuite du déploiement de la fibre et au raccordement ». Le FTTH a été rattrapé par le covid-19. Après « une activité fortement réduite durant le confinement », en particulier dans les territoires des réseaux d’initiative publique (« zones RIP »), mais sans qu’il n’y ait pas eu d’arrêt d’activité, les déploiements ont repris de façon « significative » depuis le 11 mai, premier jour de déconfinement progressif. Pour autant, prévient la fédération de la filière des infrastructures numériques, « un retour est prévu à seulement 90 % d’activité nominale dès septembre à cause du maintien des mesures de protection indispensables » – contre seulement 40 % à 50 % d’activité durant le confirment et 75 % lors de la reprise actuelle. Quoi qu’il en soit, selon Infranum, « le déploiement du très haut débit à fin 2022 pourrait ne pas être achevé à temps avec le mix technologique initialement prévu ». Et comme « le plan actuel laisserait environ 3 millions de foyers et entreprises qui ne disposeraient pas du FTTH, un plan de généralisation s’avère indispensable ».

Trop de fibres raccordables sans abonnés
L’étude EY-Tactis estime en outre que la production du déploiement d’une prise de fibre optique a accusé un surcoût de 17 % à 23 % en période confinement, de 11 % à 17 % dans la période en cours de reprise, et 4 % à 8 % à partir de septembre lors de la période de « postreprise » durant laquelle les mesures de distanciation sont maintenues. « Ces surcoûts sont des moyennes et peuvent présenter des variations locales importantes », est-il précisé. Où en est-on précisément dans les déploiements de la fibre optique ? Lors des 14èmes Assises du Très haut débit, Julien Denormandie, alors encore ministre de la Ville et du Logement, s’est voulu confiant : « Un chiffre m’interpelle beaucoup : à mi-2017, il y trois ans, 9 millions de Français étaient raccordables à la fibre. Selon les projections de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) à fin 2022, ce seront 31 millions de Français qui seront raccordables en FTTH. En cinq ans, on aura donc multiplié par trois ce nombre ». Pour l’heure, d’après les derniers chiffres disponibles de l’Arcep au 31 mars 2020, le nombre de prises FTTH « raccordables » s’élève à 19,5 millions en France. D’ici fin 2022, il reste donc encore 11,5 millions de prises de fibre raccordables à déployer en deux ans et demi (une trentaine de mois seulement). « L’année 2019 a été une année de tous les records, avec le déploiement de 4,8 millions de prises FTTH raccordables [contre 3,2 millions en 2018 et 2,6 millions en 2017, ndlr] », s’est félicité le ministre (voir tableau ci-dessous). Tout en assurant : « D’aucune manière que ce soit, les objectifs ne sont remis en cause : du bon débit pour tous fin 2020 [8 Mbits/s, ndlr] et du très haut débit pour tous fin 2022. Il s’agit de retrouver le rythme de la dynamique qui était le nôtre juste avant le covid-19, même si 2020 ne sera pas aussi bon que 2019 ».
Julien Denormandie n’a cependant pas mentionné l’ultime objectif fixé par Emmanuel Macron en juillet 2017, à savoir « la fibre pour tous à fin 2025 »… Quoi qu’il en soit, après fin 2022, il restera du pain sur la planche de la filière puisque le parc de logements et/ou locaux à raccorder en France ne cesse d’évoluer – zones très denses, zones dites AMII (à manifestation d’intention d’investissement) et zones dites RIP (réseaux d’initiative publique) confondues : de 39,7 millions de logements/locaux en 2019, ce parc total atteindra 41,1 millions de logements/locaux en 2022, puis 42,4 millions en 2025. Pour autant, la prise raccordable ne fait pas l’abonné. Au 31 mars 2020, l’Arcep compte 7,6 millions d’abonnés FTTH sur le total de 19,5 millions prises raccordables. Ce ne fait qu’un taux de 39 % de fibres raccordables vraiment utilisées. « On ne parle pas suffisamment du taux de pénétration, la différence entre le raccordable et le raccordé (…). Cela doit être un de nos chantiers dans les prochains mois », a prévenu le ministre. Généraliser la fibre en France aura coûté – investissements publics et privés conjugués – de 30 à 35 milliards d’euros. Il reste à convaincre tous les Français de son utilité. @

Charles de Laubier