Musique : la vidéo pèse 65 % du streaming en France

En fait. Le 8 mars, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a dressé le bilan du marché français de la musique enregistrée : 426 millions d’euros, en recul de – 7 %, dont 152,3 millions pour les revenus du numérique,
en hausse de + 14,7 %. Le streaming musical est dominé par la vidéo qui
rapporte peu.

En clair. Le nombre de titres consommés en streaming au cours de l’année 2015 en France a atteint la barre des 50 milliards de titres, dont 65 % sont de la musique en vidéo et les 35 % restants de l’audio. C’est ce qu’a révélé le Snep – qui regroupe notamment les majors de la musique (Universal Music, Sony Music et Warner Music) – lors de la présentation de son bilan 2015, en s’appuyant sur les chiffres des plateformes numériques et du cabinet d’étude GfK. Or le Snep constate que si près des deux tiers des titres musicaux streamés sont de la vidéo, celle-ci ne génère que 10 % des 104,2 millions d’euros de revenus totalisés par le streaming dans son ensemble l’an dernier. Autrement dit, le streaming audio représente à peine plus d’un tiers des titres musicaux streamés mais rapporte 90 % des revenus totaux du streaming. « En France, un streamer YouTube rapporte 54 fois moins qu’un abonné à un service audio et 3 fois moins qu’un utilisateur de service audio gratuit », a déploré le directeur général du Snep, Guillaume Leblanc, qui en appelle à une « nécessaire correction du transfert de valeur ». En monnaie sonnante et trébuchante, cela veut dire que le revenu annuel du producteur par utilisateur en 2015 a été de 27 euros par abonnement streaming audio (1), mais seulement de 1,5 euros pour le streaming financé par la publicité, et seulement de 0,5 euro pour le streaming vidéo gratuit.
Assistant à la présentation, Denis Thébaud, PDG de Xandrie et acquéreur fin décembre de Qobuz (2), la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, a interrogé le Snep sur ce constat : « Sur Qobuz, cela pourrait nous intéresser d’avoir une offre vidéo. Mais j’ai été frappé par la divergence des revenus. Car 54 fois plus, c’est énorme pour le même service (que le streaming audio) mais avec la vidéo en plus. Avec l’image, on se dit que cela devrait être plus cher… ».
Ce à quoi Stéphane Le Tavernier, le président du Snep et directeur général de Sony Music France, lui a répondu : « Pour l’instant, il n’existe pas d’offres vidéo sur les principales plateformes à part YouTube. Mais nous sommes tout à fait ouverts à tout nouveau modèle qui permettrait de continuer à développer l’usage. Si vous avez un bon modèle et techniquement les possibilités d’attirer de la clientèle sur un modèle de vidéo payant, la totalité des producteurs seront ravis d’y participer ». A bon entendeur… @

Nouveau PDG de TF1, Gilles Pélisson passera-t-il sous la barre des 20 % de part d’audience ?

La hantise de la chaîne TF1 est de passer sous la barre des 20 % de part d’audience nationale, après avoir caracolé à plus de 30 % il y a dix ans encore. Gilles Pélisson, qui n’est pourtant pas un homme de télévision, va devoir relever le plus grand défi d’un PAF chamboulé par le numérique et la fragmentation de l’audience.

Et si Gilles Pélisson (photo), le nouveau PDG du groupe TF1, devenait celui qui verra la première chaîne passer sous la barre des 20 % de part d’audience ? On n’en est pas loin. Au rythme où va l’érosion, ce plancher pourrait être enfoncé dès cette année. Ce serait sans précédent pour la chaîne historique, dont la part d’audience est descendue à seulement 20,6 % en janvier, heureusement suivi d’un léger rebond à 21,6 % en février (voir tableau p.10). Les premiers mois de l’ère « Pélisson » seront décisifs. Le successeur de Nonce Paolini, véritablement en fonction depuis le 19 février dernier, hérite d’une tendance baissière de TF1 constatée depuis maintenant dix ans. En effet, la doyenne des chaînes de télévision généralistes françaises a déjà perdu de sa superbe et a vu l’aura de son antenne chuter de 30,7 % de part d’audience nationale moyenne en 2007 à 21,4 % en 2015, soit une perte de près de dix points. Le déclin de TF1 semble inéluctable, bien que la chaîne du groupe Bouygues reste pour l’instant encore la plus regardée de l’Hexagone, surtout en prime time où elle a réalisé 98 des 100 meilleures audiences de l’année. La concurrence des nombreuses autres chaînes de la TNT (y compris TMC, NT1, HD1, LCI appartenant toutes au groupe TFI) et des plateformes de vidéo sur Internet (YouTube, Facebook, Dailymotion, Netflix, …) est à l’oeuvre pour contester la suprématie de la première chaîne et lui grignoter inlassablement des parts d’audience.

Au-dessus des 20 % grâce au replay et au différé
Cependant, l’institut de mesure d’audience Médiamétrie a progressivement rajouté dans ses mesures d’audience cumulée des chaînes les usages numériques. Et ce, depuis cinq ans (voir encadré page suivante). Toutes les chaînes sont bien sûr logées
à la même enseigne : cela permet à chacune de rajouter quelques minutes de durée d’écoute par individu devant la télévision – voire de comptabiliser des utilisateurs
« délinéarisés » supplémentaires (différé ou rattrapage) par rapport aux téléspectateurs « linéarisés » (diffusion à l’antenne). Ce qui aboutit in fine à « gonfler » plus ou moins l’audience globale d’une chaîne. Or, comme la part d’audience en pourcentage représente la durée d’écoute d’une chaîne sur la durée d’écoute totale du média télévision, gagner sur Internet ou les mobiles quelques minutes de plus est déterminant. Prime au leader oblige, TF1 est donc la première chaîne à profiter de cet effet de levier « numérique » et, partant, se maintenir au-dessus de la ligne de flottaison des 20 % de part d’audience. L’apport d’audience du digital pour elle atteint 2,2 % sur l’année 2015.

MyTF1, Xtra, MyTF1VOD, One LCI, …
D’où l’importance de la stratégie digitale que va accentuer le nouveau patron de la filiale audiovisuel du groupe Bouygues, Gilles Pélisson, qui veut faire de la première chaîne « le référent du marché dans le digital » (1) dans un PAF (2) chamboulé par la fragmentation de l’audience. Le téléviseur n’a plus le monopole de la télévision, chaque foyer comptant jusqu’à 6,4 écrans en moyenne. Encore faudra- t-il que la refonte engagée en juin 2015 du portail Internet MyTF1, lequel n’est pas considéré en interne
à la hauteur des ambitions digitales du groupe privé, porte ses fruits : e-TF1 y a rajouté des contenus exclusifs, en complément de l’offre replay des quatre chaînes en clair TF1, TMC, NT1 et HD1. « Porté par une dynamique programmes forte tant dans le domaine de la fiction française (Le Secret d’Elise, Section de Recherches) que du divertissement (The Voice, Koh Lanta), le replay de la chaîne TF1 réalise une progression spectaculaire pour atteindre 10,3 millions d’individus en février (3) », s’est félicité le groupe le 7 mars dernier, soit un bond de 40 % en un mois. Il y a eu aussi en 2015 le lancement sur MyTF1 de Xtra, dédié aux contenus sans lien avec les chaînes (productions exclusives, contenus vintage ou encore webséries). « Sur MyTF1 Xtra, des acteurs du digital peuvent aussi venir présenter ce qu’ils font. Cela nous permet d’ouvrir MyTF1 à un cercle un peu plus large, notamment à des jeunes », nous avait confié Nonce Paolini en novembre dernier (4). Egalement en dehors de la marque TF1, le groupe a un partenariat avec Finder Studios, un MCN (5) français présent sur différentes thématiques (6) et disponible sur YouTube, Facebook, Twitter, Snapchat et bien sûr MyTF1. Par ailleurs, des chaînes sont diffusées sur YouTube mais pas sous
la marque de TF1 (7). Quant à l’offre MyTF1VOD, elle va s’enrichir de nouvelles fonctionnalités telles que la recommandation pour mieux rivaliser avec Netflix. Des acquisitions dans le numérique ne sont en outre pas exclues.
Fort de son contrat de travail identique à celui de Nonce Paolini – signé avec Bouygues SA mais pas directement avec TF1 SA, avec la même rémunération fixe de 920.000 euros par an et le même plafond de la part variable (8) –, Gilles Pélisson (60 ans l’an prochain) a aussitôt mis en place une garde rapprochée autour de trois métiers : contenus/acquisition des droits, information/ magazines, publicité/diversification. Le projet « One LCI », lui, englobera MyTF1News et Metronews dont la version papier du quotidien gratuit avait été arrêtée l’an dernier. Il marque une accélération digitale du groupe TF1 mais aussi un renforcement sur la TNT avec l’obtention du passage en clair et gratuit de la chaîne d’information LCI à partir du 5 avril prochain (canal 26). Il s’agit aussi de se préparer à l’arrivée en septembre de la chaîne publique d’information en continu du couple France Télévision-Radio France, sur un segment de marché déjà occupé par BFM TV (Altice Media/NextRadioTV) et iTélé (Vivendi/Canal+).

« Gilles Pélisson n’est pas un homme de télévision », a-ton pu entendre dire dès qu’il
a été désigné l’an dernier par son mentor Martin Bouygues qui l’a préféré à Rodolphe Belmer (ex-patron de Canal+). Mais le fait que le neveu de Gérard Pélisson (cofondateur du groupe Accor) ait été PDG d’Eurodisney dans les années 1990, puis PDG dans les télécoms avec, en 2000, le consortium mobile (Suez-Telefonica ST3G) puis le câblo-opérateur Noos, avant de devenir PDG de Bouygues Télécom où il a travaillé de 2001 à 2005, cela a constitué un atout à l’heure de la convergence numérique. Si Bouygues Télécom devait rester dans le giron du groupe de BTP et communication en cas d’échec des négociations avec Orange, Gilles Pélisson serait le mieux à même de créer des synergies entre TF1 et Bouygues Télécom (9). Gilles Pélisson apporte un regard neuf, de la sympathie et un peu de modestie au groupe TF1 qui avait tendance à avoir les travers d’un ancien monopole. Créée il y a maintenant plus de 40 ans à la suite de la dissolution de l’ORTF, TF1 fut partiellement privatisée en 1986, puis complètement en avril 1987. TF1 devient alors une société anonyme, dont l’actionnaire principal est – encore aujourd’hui – le groupe Bouygues. « Je souhaite que TF1 assume son rôle de leader mais sans arrogance », a prévenu Gilles Pélisson. Il a par ailleurs renoncé à sa domiciliation fiscale en Belgique – dont il bénéficiait depuis 2012 – pour la rapatrier en France… @

Charles de Laubier

ZOOM

L’audience TV dopée hors antenne
Médiamétrie a cumulé à partir de janvier 2011 la mesure de l’antenne et le différé du jour-même (timeshifting) et des 7 jours suivants sur les enregistrements personnels (magnéto, DVD ou disque dur). A partir d’octobre 2014, l’audience a aussi pris en compte la télévision de rattrapage (replay ou Catch up TV).
Résultat, en 2015, le différé et replay ont permis aux chaînes d’ajouter en moyenne 8 minutes d’écoute par individu. Et, depuis le 4 janvier dernier, les résultats des chaînes comprennent les audiences des programmes visionnés en live (à l’antenne), en différé et en replay sur un jour donné « quelle que soit la date de diffusion live initiale des programmes rattrapés ». @

A l’ère numérique, peut-on encore invoquer le droit à la vie privée – dont la définition reste floue ?

La notion de « vie privée » est très relative en raison de sa nature protéiforme
et évolutive. Le dispositif légal doit, quant à lui, s’adapter en permanence aux nouvelles pratiques sur Internet. Dans ce contexte, quelles mesures prendre
pour préserver le droit à la vie privée, ou du moins ce qu’il en reste ?

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

S’agit-il d’un débat dépassé comme le suggère le titre d’un livre au titre provocateur : « La vie privée, un problème de vieux cons ? »
(1) ? Certains n’hésitent pas à prôner une nouvelle « norme so-
ciale », à l’instar de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook,
lequel considère que « les gens sont désormais à l’aise avec l’idée de partager plus d’informations différentes, de manière plus ouverte
et avec plus d’internautes ».

Toujours pas de définition légale
La notion de vie privée ne connaît aucune définition légale. Au XXIe siècle, elle n’a
rien à voir avec celle du siècle précédent ou encore moins celle du XVIIe siècle. Comme le concept de « vie privée » n’était guère consacré, sa protection ne pouvait être envisagée. Le Code civil de 1804 ne contenait aucune disposition protectrice de
la vie privée – si ce n’est les articles 675 à 679 réglementant les ouvertures sur la propriété du voisin, contribuant à préserver une intimité souhaitable dans les relations du voisinage. Mais ces dispositions relevaient du droit des biens et n’étaient pas conçues comme des droits relatifs à la personne. Au cours du XXe siècle, avec l’apparition de moyens techniques de plus en plus performants (notamment les appareils photo et les caméras), la doctrine a commencé à s’intéresser à la protection de la vie privée. Néanmoins, il a fallu attendre 1970 pour voir consacrer en France le droit à la vie privée, au sein de l’article 9 du Code civil, toujours en vigueur : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Si la loi du 17 juillet 1970 a également créé diverses incriminations en matière d’atteinte à la vie privée qui ont été reprises dans le Code pénal de 1992 (aux articles 226-1 et suivants), aucune définition légale ne permet de cerner la notion de vie privée. Ce droit n’est pas non plus défini dans les textes internationaux qui se contentent de protéger la vie privée dans son principe, au même niveau que la famille, le domicile, les correspondances, l’honneur et la réputation. Il s’agit en quelque sorte du « noyau dur » international de la vie privée. Pour autant, la vie privée est protégée par de nombreux textes à portée internationale (2). En l’absence de définition légale et doctrinale plus précise, c’est la jurisprudence qui a tenté de discerner ce qui relevait ou non de la vie privée. Les juges déterminent, au fur et à mesure, les éléments qui entrent dans le champ de la vie privée. Ils sanctionnent depuis longtemps la diffusion de photographies prises à l’insu de l’intéressé (3). Ces actions sont le plus souvent fondées, outre l’article 9 du Code civil, sur l’article 226-1 du Code pénal qui incrimine le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé – sans le consentement de celle-ci. L’article 226- 2 sanctionne des peines d’un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 ». Des peines complémentaires sont prévues à l’article 226-3, telles que l’interdiction de droits civiques, civils et de famille
ou encore l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée. Une personne morale encourt, quant à elle, une amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques, ainsi que l’interdiction (4) d’exercer, directement ou indirectement, l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion
de laquelle l’infraction a été commise et l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.
Mais l’article 226-1 précité pose deux conditions : les images doivent être captées
« dans un lieu privé » et l’intéressé n’a pas consenti à la prise de vue. Comment
dans ces conditions sanctionner les préjudices consécutifs à la pratique des selfies (autoportraits) – surtout celle des selfies en groupe, à l’aide de perches à selfie ? Ils provoquent des incidents, des personnes se trouvant dans l’entourage immédiat sont prises en photo à leur insu et découvrent leur photo sur Internet, parfois dans des postures qui portent atteinte à leur image, leur réputation et leur dignité ?

Continuer à adapter le dispositif répressif
Comment sanctionner le revenge porn, une pratique odieuse qui consiste pour des ex-conjoints à régler leurs comptes sur la Toile, en publiant notamment sur les réseaux sociaux, des photos et vidéos compromettantes de leur ex avec pour objectif de nuire
à leur réputation. Le projet de loi « Economie numérique » prévoit d’élargir l’infraction visée par l’article 226-1 aux photos prises dans des lieux publics et l’auteur n’échappera aux poursuites qu’en cas de consentement exprès de la personne photographiée à la diffusion de son image ou de sa voix. Les peines devraient être renforcées en les portant de un an à deux ans de prison et de 45.000 euros à 60.000 euros d’amende.
Un amendement propose également de rajouter l’image ou la voix d’une personne, quand l’enregistrement, l’image ou la vidéo sont sexuellement explicites. En attendant, certains optent pour des mesures préventives, à l’exemple du Festival de Cannes,
du Château de Versailles ou encore du Musée MoMA (5) à New York qui interdisent l’utilisation des perches à selfies, ou encore militent pour des clauses d’inspiration américaine prévoyant expressément qu’en cas de divorce les futurs exconjoints s’engagent à « ne pas poster, tweeter ou d’aucune manière partager sur les réseaux sociaux des images ou tout contenu positif, négatif, insultant, embarrassant ou flatteur sur l’autre » !

Selfies, revenge porn, happy slapping, …
Quant à la pratique du happy slapping ou vidéo-lynchage – filmer à l’aide d’un téléphone portable des actes de violence et de les diffuser sur Internet –, elle a pu être sanctionnée au titre d’une infraction de violences volontaires pour condamner l’auteur de l’agression, et de non-assistance à personne en danger et d’atteinte à la vie privée pour poursuivre l’auteur de la vidéo. C’est sur ces fondements qu’un lycéen a pu être condamné : il avait filmé, au moyen de son téléphone portable, l’agression dont son professeur avait été victime et avait fait circuler la vidéo (6). Depuis la loi « Prévention de la délinquance » de 2007 (7), l’infraction est sanctionnée sur le fondement de l’article 222-33-3 du Code pénal qui établit une triple distinction entre l’auteur de l’atteinte volontaire à l’intégrité d’autrui, le complice de l’auteur des violences, qui filme l’agression et qui s’expose ainsi aux mêmes peines que son auteur, et la personne qui diffuse la vidéo ainsi enregistrée, acte constituant une infraction autonome passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Une exception à l’application de l’article 222-33-3 du Code pénal est cependant prévue au dernier alinéa, lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou encore lorsqu’il est réalisé afin de servir d’élément de preuve en justice. C’est en application de ce texte qu’ont été condamnés deux prévenus : le premier pour violences volontaires, pour avoir ligoté sa victime avec du film alimentaire et enfermé dans une chambre froide ; le second pour complicité de violences volontaires, ce dernier ayant sciemment enregistré la scène avec son téléphone portable, sans pour autant l’avoir diffusée sur Internet (8). Mais la liste des atteintes à l’intégrité d’un individu est limitative (9). Ainsi, seul le fait de filmer des actes de tortures et de barbarie, des actes de violence d’une plus ou moins grande gravité,
un viol ou toute agression sexuelle, commis sur autrui, est susceptible d’être sanctionné par cet article. Il faudra donc continuer à adapter le dispositif répressif aux pratiques de cybervengeance et cyberharcèlement qui fleurissent sur le Net (lire encadré ci-dessous). La notion de vie privée est indissociable de celle de donnée à caractère personnel. Les données personnelles sont devenues l’une des composantes à part entière de l’identité et de la personnalité des individus. À ce titre, il faut « augmenter
les pouvoirs de sanction de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ». Mais cela ne suffit pas. Il est en effet urgent d’intensifier l’« éducation » à la protection des données pour que chacun apprenne à fixer les frontières de sa vie privée. Le règlement européen sur la protection des données à caractère personnel a opéré un virage historique en fixant un cadre, dans le respect des valeurs humanistes européennes, avec une plus grande responsabilisation des individus. Mais si le principe est séduisant, encore faut-il constater que la plupart des individus attacheraient une valeur faible à la protection de leurs données personnelles. Selon certaines études, près d’un tiers des internautes interrogés donnerait un large accès à leurs données
« moyennant des contreparties financières » (10). C’est dire que le consentement ne suffit pas à protéger l’individu puisque ce dernier fait prévaloir l’avantage immédiat, démontrant s’il en est besoin qu’il n’a pas conscience de la gravité des risques ultérieurs d’atteinte à sa vie privée. Ne serait-il pas temps également d’« inscrire explicitement dans la Constitution le droit au respect de la vie privée et l’exigence de protection des données à caractère personnel afin de réévaluer l’importance accordée à ces libertés fondamentales en droit interne ? » Cette consécration rapprocherait la France de plusieurs autres pays européens, notamment de l’Allemagne et la Grèce, rappelant combien protection de la vie privée doit rester une liberté fondamentale au XXIe siècle. @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris.

ZOOM

Trois grandes séries de mesures pourraient être prises
• Renforcer les pouvoirs de sanction de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
• Mettre en place des instruments pour « renforcer la protection des droits fondamentaux face à l’utilisation (des données à caractère personnel) à des fins industrielles et commerciales et la maîtrise par les individus de leurs informations personnelles ». Dans cet objectif, les garanties technologiques (11) constituent certainement des mesures préventives protectrices. Il convient donc d’encourager
les démarches de type « privacy by design » (prise en compte de la vie privée dès la conception du dispositif technique) et de « privacy by default » (protection de la vie privée « par défaut » dans les paramètres).
• Intensifier l’« éducation » à la protection des données, inculquer avec force une
« hygiène informatique », selon l’expression consacrée par l’Anssi (12), pour permettre
à la personne concernée de fixer elle-même les frontières de sa vie privée. Il faut donc agir avant tout sur le terrain de « la culture », compter « sur la persuasion et la prise de conscience des internautes et des professionnels quant aux enjeux cruciaux du respect de la vie privée sur le Web ». Il faut convaincre les internautes dès leur plus jeune âge (13). @

Presse écrite : l’abandon du papier par certains éditeurs se poursuit au profit du tout-numérique

Il y a ceux qui disparaissent corps et biens ; il y en a d’autres qui résistent en se délestant du papier. Les journaux – quotidiens en tête – ont tendance à tourner la page du papier, dont les ventes déclinent, pour miser sur le numérique. Et ce, afin d’alléger leurs coûts – mais aussi leur revenus…

Bien que la presse magazine résiste le mieux à la baisse continue des ventes
« papier », les quotidiens, eux, accuse le coup. En France, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ex-OJD/Audipresse), la presse quotidienne a vu ses ventes baisser de -1,4 % en 2015 par rapport à l’année précédente. A elles seules, les ventes en kiosque ont même chuté de – 8,6 %. Les abonnements « papier » sont eux aussi en baisse. Ce déclin de la presse quotidienne papier touche tous les titres
(Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, …).

Quotidien : chute des ventes en kiosque
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi une désaffection des annonceurs pour le journal imprimé : les investissement publicitaires dans les quotidiens papier ont chuté de – 12,4 %, selon l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep). Résultat : de plus en plus de kiosques physiques ferment, dont rien qu’un millier l’an dernier pour tomber à 24.877 points de vente, selon le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). D’autres signes ne trompent pas : Le Monde a fermé en septembre son imprimerie historique d’Ivry-sur-Seine ; le groupe Amaury a fait de même pour la sienne à Saint-Ouen, avant de céder Le Parisien à LVMH (Les Echos) pour ne garder que L’Equipe. Quant aux prix des quotidiens, ils ont encore augmenté : Le Monde est devenu depuis janvier le quotidien papier le plus cher, à 2,40 euros l’exemplaire, au risque pour la presse imprimée de devenir un produit de luxe de moins en moins diffusée (1).
En cinq ans, trois quotidiens papier ont disparu en France : France Soir n’est plus imprimé depuis fin 2011 et n’existe plus que sur Internet ; La Tribune a fait de même début 2012 mais en gardant une édition hebdomadaire imprimée (2) ; Metronews a déclaré forfait en mai 2015 et son propriétaire TF1 n’a gardé que le site web. L’abandon du papier par la presse est une tendance mondiale, même si l’on voit de nouvelles initiatives « imprimées » comme The New Day lancé fin février (3). Le quotidien britannique The Independent, fondé en 1986, va imprimer sa dernière édition papier
le 26 mars prochain, soit quelques jours après son édition dominicale The Independent on Sunday. Au Canada, les quotidiens La Presse et Guelph Mercury ont cessé aussi le papier pour se rabattre à leur tour sur le tout-numérique. La Presse a tout de même gardé une édition imprimée le samedi. Aux Etats-Unis, le quotidien centenaire The Christian Science Monitor – une sorte de La Croix américain – a été parmi les premiers quotidien à abandonner le papier. The Onion, né comme hebdomadaire parodique en 1988, est devenu entièrement numérique fin 2013. National Journal a, lui, franchi le pas du tout-digital début 2016. Sans parler de nombreux magazines américains dont la version papier a été sacrifiée sur l’autel de la rentabilité. L’érosion des ventes papier
et les arrêts de journaux imprimés ne datent pas d’hier et ces deux phénomènes liés
ne sont pas prêts de s’arrêter. Selon les chiffres de la Newspaper Association of America (NAA), le nombre de quotidiens a chuté de – 13 % aux Etats-Unis en vingt
ans. The Rocky Mountain News, un quotidien de Denver (Colorado), fondé en 1859,
a complètement disparu des radars en octobre 2009, tandis que The Seattle Post-Intelligencer (surnommé P-I) né en 1863 est devenu uniquement online en mars
2009. La troisième voie consiste à ne plus imprimer qu’une à trois fois par semaine, comme The Times-Picayune, journal de La Nouvelle-Orléans fondé en 1837, qui
paraît seulement trois jours dans la semaine. D’autres tablent sur l’édition dominicale. Qu’adviendra-t-il des rescapés de la presse papier dans trois à cinq ans ? The New York Times, The Wall Street Journal ou encore The Washington Post – ce dernier ayant été racheté en août 2013 par Jeff Bezos, patron d’Amazon, pour 250 millions de dollars – vont-ils eux aussi à terme tourner la page du journal papier ? Question de rentabilité : selon le Pew Research Center, la presse imprimée rapporte encore en moyenne cinq fois plus que le site web du même journal.

Papier subventionné par le numérique ?
Pour que le numérique devienne plus rapidement leur relais de croissance (4), certains éditeurs se diversifient en ligne. Le Figaro, dont les ventes papier ont reculé de – 0,8 % l’an dernier et surtout de -11,4 % en kiosque pour accuser une perte opérationnelle, a poursuivi sa diversification sur Internet en rachetant CCM Benchmark (Linternaute.com, Commentcamarche.net, Journaldesfemmes.com, …). Le quotidien du groupe Dassault s’est déjà développé dans les services en ligne (Explorimmo.com, Cadremploi.fr, Bazarchic.com, …). C’est à se demander si, à l’avenir, le numérique ne subventionnera pas le papier des journaux et le e-commerce leurs rédactions. @

Charles de Laubier

Numérique : pourquoi la France se situe en dessous seulement de la moyenne européenne

Le constat est sans appel : la France fait moins bien que la moyenne de l’Union européenne en matière d’économie et de société numériques, selon la Commission européenne. L’Hexagone recule même de deux places en un an,
à la 16e sur les 28 pays membres. Comment en est-on arrivé là ?

Avec une note globale de 0,51 d’indice « Desi » (1), qui mesure la performance d’un pays en matière d’économie
et de société numériques, la France fait pâle figure en Europe. C’est du moins ce qui ressort de l’étude publiée
le 25 février dernier par la Commission européenne.
« La France a perdu sa place en termes de connectivité,
de capital humain et de services publics numériques », souligne-t-elle. Face à ce constat général peu reluisant, la France est reléguée deux places en arrière en 2016 dans ce classement « Desi » pour se retrouver en 16e position sur les 28 pays européens.

Plus de 30 Mbits/s : peu mieux faire
En se situant en dessous de la moyenne européenne, l’Hexagone rejoint les pays de l’Union qui accusent un retard : la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, la Grèce,
la Hongrie, la Pologne ou encore la Slovaquie. Mis en place par la Commission européenne au niveau de sa DG Connect (2), dont le directeur général est Roberto Viola (photo), l’indice « Desi » est composite : il intègre cinq indicateurs que sont
« connectivité », « capital humain », « utilisation de l’Internet », « intégration des technologies numériques » et « services publics numériques ». Les notes vont de 0
à 1 et augmentent selon le niveau de performance. Pour ce qui est de la connectivité, tous les ménages français bénéficient d’une couverture en haut débit fixe et 71 % des ménages y sont abonnés. En revanche, moins de la moitié des Français (45 %) ont accès à du très haut débit d’au moins 30 Mbits/s que peuvent offrir des réseaux de nouvelle génération (3). De plus, seulement 15 % des foyers français disposant d’un abonnement haut débit fixe ont opté pour des connexions très haut débit. Ce qui place la France bien en dessous de la moyenne européenne qui est de 30 %, soit à la 24e position sur 28. « La capacité de la France à exploiter les bénéfices de l’économie numérique est limitée. La France doit progresser dans le très haut débit (supérieur à 30 Mbits/s) », analyse l’étude. Les chiffres relevés par la Commission européenne datent de juin 2015. Selon les chiffres de l’Arcep au 30 décembre 2015 (publiés le 3 mars dernier, voir p. 10), la France compte plus de 5,6 millions de foyers éligibles au FTTH (4) (*) (**), mais seulement à peine plus de 1,4 million ont contracté un abonnement.
« Le gouvernement français a adopté le “Plan Très haut débit” et mis en place une “Mission France Très haut débit” en vue de couvrir l’intégralité du territoire national d’ici 2022, essentiellement avec de la fibre optique », est-il rappelé (5). Sur le plan du capital humain, la France compte 81 % d’internautes dans sa population et 57 % des habitants disposent au moins de « compétences de base » au regard du numérique. Elle fait mieux que le reste de l’Europe (respectivement 76 % et 55 %, soit au 10e et 12e rangs). Néanmoins, seuls 3,5 % des personnes ayant un emploi travaillent en tant que spécialistes des TIC (6) – contre 3,7 % pour la moyenne européenne – et ce ratio n’a pas augmenté en un an. Pourtant, l’Hexagone arrive en seconde position en nombre de diplômés dans les sciences, technologies, ingénierie et les mathématiques. La France se distingue même par la formation scientifique de haut niveau, bien mieux que la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou encore l’Italie. Si l’on regarde les usages d’Internet
de plus près, l’Hexagone se place en 17e position : les Français rechignent à utiliser Internet lorsqu’ils ont besoin de communiquer, notamment les appels vidéo ou les réseaux sociaux. « Alors que les Français sont enclins à utiliser la vidéo à la demande [VOD, SVOD ou Catch up TV, ndlr], grâce à laquelle la France se place au premier rang en Europe, ils sont plus réticents à s’engager dans des activités sociales en ligne. La part des Français qui utilisent les réseaux sociaux – 45% comparés à la moyenne européenne de 63 % – est la plus faible de tous les pays de l’Union. De même, les Français sont parmi les internautes les plus faibles en termes de consultation de l’actualité (50 %, 27e rang) et d’utilisation pour la musique, la vidéo et les jeux (47 %, 20e rang) », relève la Commission européenne. Les Français n’hésitent pas néanmoins à effectuer des transactions en ligne et des achats (pour 74 % d’entre eux), la France étant bien placée dans la banque et le commerce en ligne.

TIC et PME : un autre point faible
Quant à l’intégration des technologies numériques par les entreprises, elle est le domaine dans lequel les résultats de la France sont les moins bons. « Les entreprises en France, en particulier les petites et moyennes entreprises, ont besoin d’exploiter
les possibilités offertes par les ventes en ligne et les ventes transfrontalières », estime l’étude. Toutefois, ses services publics en ligne se portent plutôt bien. @

Charles de Laubier