La dévalorisation de la presse papier s’accélère face à un numérique tardant à prendre le relais

Valorisé plus de 1 milliard de dollars il y a quelques années, le Washington Post
est cédé à Jeff Bezos – patron d’Amazon – 250 millions de dollars. Ce rachat, annoncé le 5 août, illustre une nouvelle fois la chute interminable de la presse
que le numérique ne réussit pas à revaloriser.

Dans la torpeur de l’été, ce fut une annonce choc : la vente de l’emblématique Washington Post à Jeffrey P. Bezos, le milliardaire fondateur et patron d’Amazon, pour seulement quelques dizaines de millions de dollars. Deux jours auparavant, ce fut à un autre quotidien, le Boston Globe, né lui aussi il y a environ 150 ans aux Etats-Unis,
de passer dans les mains d’un autre milliardaire, John Henry, pour une bouchée de pain (70 millions de dollars).

Le papier continue de chuter
Comme les Américains ont souvent un coup d’avance sur les Européens, il y a fort à parier que cette grande braderie de la presse écrite ne s’exporte outre-Atlantique. La baisse du lectorat papier assortie de l’érosion de la diffusion et la chute continue des recettes publicitaires font plus que jamais de la presse écrite un secteur sinistré que
peine à redresser le numérique. Selon l’Audit Bureau of Circulation (ABC), au 31 mars 2013, la diffusion des 593 quotidiens américains a chuté de 0,7 % par rapport à la même date de l’année précédente et celle des 519 journaux du dimanche de 1,4 %.
En Europe, la situation n’est guère plus reluisante. D’après l’OJD, la diffusion de sept quotidiens nationaux français – Le Monde, Le Figaro, Libération, Aujourd’hui en France, La Croix,
Les Echos et L’Equipe – était en baisse de 6,14 % au premier trimestre 2013. Plus globalement, le 23e Observatoire de la presse (1) de l’OJD montre une baisse de la presse française, tous titres confondus, de 3,76 % en 2012.
Cette lente descente aux enfers explique pourquoi de plus en plus de quotidiens – historiquement dévoreurs de capitaux et aujourd’hui de plus en plus déficitaires – sont bradés à des investisseurs, parfois milliardaires, aux allures de philanthropes. Vendre
à tout prix tant qu’il en est encore temps : tel semble être le mot d’ordre des éditeurs
de journaux.
Car il y a en fait urgence si l’on croit les Cassandre : la fameuse prédiction du futuriste Ross Dawson qui, il y a trois ans, a tablé sur la disparition des journaux papier d’ici 2017 aux Etats-Unis et 2029 en France, se vérifiera-t-elle ? Il y a aussi celle du professeur Vin Crosbie, qui affirme que plus de 50 % des 1.400 quotidiens américains auront disparu dans les dix prochaines années. Ou encore Bernard Poulet qui est l’auteur en 2009 de
« La fin des journaux et l’avenir de l’information » aux éditions Le Débat chez Gallimard. Le rachat du Washington Post par Jeff Bezos, est aussi révélateur du rapprochement entre la presse écrite et le e-commerce. Au risque de sacrifier leur indépendance et leur déontologie, les éditeurs de journaux n’hésitent plus à vendre en plus d’informer. Comme la publicité en ligne reste encore un relais de croissance incertain et la monétisation accrue des articles en ligne une manne encore insuffisante, la diversification de la presse vers le e-commerce s’accélère. Un mois avant de tomber dans l’escarcelle du patron d’Amazon, le Washington Post – dont les ventes avaient chuté de 7,2 % en 2012, à 457.100 exemplaires par jour – avait annoncé qu’il rendait payant son édition numérique au-delà de vingt articles consultés gratuitement en ligne par mois (2). Jeff Bezos, lui, incarne deux planches de salut pour la presse : la tablette synonyme de retour au payant et le e-commerce comme nouvelle source de revenu. En France, le spécialiste du ecommerce Cards Off n’a-t-il pas racheté France Soir en 2012 pour marier contenu éditorial et e-commerce ? La mission de Reworld Media, qui a racheté Marie Claire
pour 1 euro symbolique n’a-t-il pas comme mission de « donner aux consommateurs [comprenez leurs lecteurs, ndlr] la meilleure information pour mieux acheter » ?
D’autres éditeurs vont par eux-mêmes vers le e-commerce comme Le Figaro ou Lagardère. « Nous allons continuer à nous diversifier dans le e-commerce », a expliqué Denis Olivennes, président du directoire de Lagardère Active, devant l’Association des journalistes médias (AJM) en décembre dernier (3). Après les sites web féminins Elle.fr, Ellepassions.fr ou Be.com, cette stratégie – que d’aucuns pourraient considérer comme mercantile et antinomique avec le journalisme – va être généralisée à d’autres titres de Lagardère Active afin de «monétiser l’audience Internet ».

Diversification dans le e-commerce
Avant de diriger Les Echos, Francis Morel avait, lui, diversifié Le Figaro (groupe Dassault) dans des sites web commerciaux : petites annonces, billetterie, assurance, santé-bien être, immobilier, locations de vacances, construction de maisons, golf, … Décidément,
« la presse s’acoquine avec le e-commerce » (4). @

Charles de Laubier