L’auto-édition en pleine croissance redynamise une industrie du livre qui en a bien besoin

Le livre se démocratise grâce à l’auto-édition – selon une enquête de Books on Demand (BoD). De plus en plus d’auteurs indépendants publient eux-mêmes leur livre, broché et/ou ebook. Pour Marie-Pierre Sangouard, passé d’Amazon à Editis, c’est un gage de « dynamisme de l’édition ».

« Paradoxalement, la croissance de l’auto-édition en nombre de titres et la multiplication des services éditoriaux autour de cette activité sont deux sujets d’optimisme quant au dynamisme de l’édition au sens large, et à la prise de conscience des auteurs, même indépendants, de la nécessité de travailler leurs textes tant sur le fond que sur la forme pour rencontrer leurs publics », nous confie Marie-Pierre Sangouard (photo), directrice de la stratégie digitale et marketing d’Editis depuis septembre 2015 (lire page précédente). Et elle sait de quoi elle parle.

Les libraires soutiennent l’auto-édition
Marie-Pierre Sangouard était auparavant, et depuis 2011, directrice des contenus Kindle d’Amazon France, dont elle était chargée notamment de développer le service en ligne d’auto-édition Kindle Direct Publishing (KDP) dans les pays francophones.
« Les auteurs indépendants développent des compétences marketing très particulières et adaptées au monde du numérique : ils testent leur politique de prix, ils constituent
et animent leurs communautés de fans et développent un savoir-faire marketing particulièrement pointu », poursuit-elle. Autrement dit, les maisons d’édition traditionnelles n’ont pas à avoir peur de l’auto-édition. Les auteures de « Publier son livre à l’ère numérique », Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton, prônent même un modèle hybride comme elles l’ont pratiqué pour leur propre livre : il est en effet paru en début d’année en version papier aux éditions Eyrolles et en auto-publication pour l’ebook. Inversement, la holding Aparis – qui possède les plateformes d’auto-édition Edilivre et Publibook – a lancé l’an dernier une maison d’édition traditionnelle, Maison E. Bien qu’il n’y ait pas encore de chiffres sur le marché de l’auto-édition, le phénomène prend de l’ampleur auprès des auteurs comme le démontre une enquête dévoilée le 14 mars dernier par la société d’origine allemande Books on Demand (BoD (1)), une plateforme européenne d’autoédition (2). « L’auto-édition permet aujourd’hui à tout un chacun de publier son ouvrage, indépendamment d’une maison d’édition traditionnelle et de le proposer à la vente via le canal de distribution et le format de son choix. Nous assistons depuis plusieurs années à une démocratisation du marché du livre en France et dans le monde entier », explique Noémie Machner, responsable de BoD France, dont l’enquête (3) a été menée auprès de près d’un millier d’auteurs sur l’Hexagone afin de connaître leurs motivations. « La liberté reste pour tous l’un des principaux moteurs dans le choix de ce mode d’édition alternatif, les auteurs cherchant avant tout à pouvoir contrôler le contenu (95 %), les droits d’auteur (85 %) ou encore la promotion (73 %) », analyse BoD. Quant au lecteur, il est « au coeur du processus de création » dont il reste « une pierre angulaire » : un auteur indépendant sur deux (46 %) déclarent intégrer les lecteurs dans la création de leurs livres (développement du contenu, choix de la couverture, du titre). En tout cas, l’auto-édition relève d’une économie low cost : toujours selon BoD, seul un auteur sur cinq y consacre plus de 200 euros, et moins de 30 % ne réalisent aucun frais. « Concernant les formats, le combo papier-numérique l’emporte pour 66 % des auteurs indépendants, devant le papier seul (29 %) ou le numérique seul (5 %) », détaille l’enquête (4).

Du livre auto-édité à la page lue
L’auto-édition est en outre très bien accueillie par les lecteurs dont l’acte d’achat est motivé d’abord par le contenu, ensuite par le résumé du livre, loin devant son prix
de vente, les critiques diverses ou encore l’auteur du livre. Contre toute attente, les librairies – que l’on croyait inconditionnels des maisons d’édition traditionnelles – deviennent de plus en plus des alliés de l’auto-édition. « L’auteur indépendant a tout intérêt à lier des liens solides avec les lecteurs et doit continuer à démarcher les libraires, bien plus ouverts à ce mode d’édition alternatif qu’on ne pouvait le croire », explique Noémie Machner. En effet, les livres auto-édités ont de plus en plus leur
place dans leurs rayons : 74 % des libraires interrogés affirmant proposer ou avoir
déjà proposé des titres auto-édités à la vente, tandis que près de la moitié d’entre
eux ont déjà organisé ou prévoient d’organiser une séance de dédicace avec un auteur indépendant. Par ailleurs, des plateformes de livres numériques par abonnement telles que Kindle Ulimited d’Amazon ou Youboox, fonctionnent en partie avec l’auto-édition. Depuis juillet 2015, le géant du e-commerce rémunère des milliers d’auteurs auto-édités en fonction du nombre de pages lues. @

Charles de Laubier

Le Syndicat national de l’édition (SNE) ne désarme pas contre Amazon, et craint l’auto-édition

Alors que, selon nos informations, Vincent Montagne n’exclut pas de se représenter pour un troisième mandat à la présidence du SNE, il a créé le poste de directeur général qu’il confie à Pierre Dutilleul (ex-Editis) – lequel a fait sa première apparition publique à l’occasion des Assises du livre numérique,
à l’ombre de… « l’Amazonie ».

Changement de direction à la tête du Syndicat national
de l’édition (SNE) : Christine de Mazières, qui en était déléguée générale depuis dix ans, réintègre la Cour des comptes. Elle est remplacée à partir du 1er avril par, cette fois, un directeur général. Il s’agit de Pierre Dutilleul (photo), ancien directeur délégué du groupe Editis (1) et, jusqu’en juin prochain, président de la Fédération des éditeurs européens (FEE). Il a été désigné dès janvier pour prendre la direction générale de ce syndicat qui représente 650 membres actifs en France – dont les grandes maisons d’édition : Hachette Livre/Lagardère Publishing (Grasset, Fayard, Stock, JC Lattès, Calmann-Lévy, Le Livre de Poche …), Editis (Nathan, Robert Laffont, Plon, Belfond, Julliard, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus, …). Depuis trois mois, il travaille en binôme avec Christine de Mazières qui quitte ses fonctions le 31 mars. Sa première apparition publique en tant que DG du SNE a été pour assister le 16 mars dernier aux 16e Assises du livre numérique dans l’enceinte du Salon du livre de Paris (2). Avec 40 ans de service dans l’industrie du livre, Pierre Dutilleul – qui a par ailleurs été nommé en novembre dernier chevalier de l’ordre national du Mérite par décret du président de la République – va devoir se mettre… à la page dans le domaine du digital.

Christine de Mazières retourne à la Cour des comptes
Selon nos informations, Vincent Montagne, dont le mandat de président du SNE (depuis juin 2012) s’achève en juin prochain, n’exclut pas, lui, de se représenter pour un troisième mandat. PDG du quatrième groupe d’édition français, Media Participations, il a déjà remercié la déléguée générale du SNE pour ses bons et loyaux services :
« Christine de Mazières a profondément restructuré le syndicat, professionnalisé ses équipes et lui a permis de prendre collectivement les virages nécessaires liés aux profondes mutations que l’édition a connues avec notamment le développement du numérique. Elle a tout particulièrement œuvré pour l’obtention du prix unique du livre numérique, d’une TVA du livre harmonisée ou encore pour l’adaptation du contrat d’édition au numérique ».

L’auto-édition d’Amazon agace le SNE
L’ère « Dutilleul », elle, commence sur les chapeaux de roue : le premier communiqué du SNE depuis cette désignation surprise a été une véritable flèche lancée en direction de… Amazon. Il est daté du 15 mars dernier et s’en prend directement à « l’Amazonie » (sic) accusée de « promouvoir l’auto-édition ». Les maisons d’édition du syndicat reprochent au géant du Net d’organiser des ateliers sur Kindle Direct Publishing (KDP) – son service d’auto-édition – en partenariat avec le réseau Canopé qui est un établissement public à caractère administratif sous tutelle du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour Amazon, ces ateliers – programmés de mars à octobre 2016 dans différentes villes françaises (3) – « permettront à la communauté éducative, qu’il s’agisse des enseignants, élèves, étudiants, ou parents d’élèves, de réaliser et publier des projets éditoriaux à caractère éducatif via l’utilisation de KDP ». Ces ateliers de formations dédiées à l’auto-édition sont proposés gratuitement et à tous. Afin d’évoquer ce partenariat, une table-ronde s’est même tenue le 17 mars dernier en plein cœur du Salon du livre, lequel est organisé par… le SNE, sur le stand KDP d’Amazon et en présence de Jean-Merriaux, directeur général de Canopé et de Eric Bergaglia, directeur de Kindle Direct Publishing France.
Le syndicat des éditeurs, pour qui s’en était trop, a interpellé explicitement Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Education nationale, tout en tirant à boulet rouge sur Amazon. « L’auto-édition serait-elle devenue la solution pour s’affranchir de l’édition (…). ? La priorité des enseignants (…) serait-elle de se former à l’auto-publication (…) ? », lui demande le SNE, qui dénonce courroucé « cette caution que semble apporter le ministère (…) à un acteur américain hégémonique dans le numérique » et « la promotion d’une auto-édition utilisant le format propriétaire d’un acteur hégémonique américain ». D’un ton accusateur, le syndicat fustige « l’alliance d’un opérateur d’Etat avec un acteur américain assez peu soucieux de la protection du droit d’auteur et au cœur de conflits avec l’édition ». Et ce, au moment où, selon lui, « le droit d’auteur est attaqué à Bruxelles notamment sous l’influence du lobby puissant des grands acteurs américains que sont les GAFA ». Cette salve en direction d’Amazon en dit long sur le degré de nervosité de la filière traditionnelle du livre en France, qui se sent
« amazonisée » – pour ne pas dire « ubérisée » – par les innovations numériques et les nouveaux usages liés non seulement aux ebooks mais aussi à l’auto-édition (lire page suivante). Le géant du e-commerce n’y va pas par quatre chemins pour attirer au Salon du livre les auteurs en mal d’édition, avec force ateliers, témoignages et conseils.
« Auteurs, venez tout découvrir l’auto-édition sur le stand KDP ». Comme l’an dernier, un « speed-dating de l’auto-édition » a été organisé pour permettre aux auteurs intéressés de présenter en 5 minutes son livre à un jury Les trois heureux gagnants vont maintenant voir leur livre auto-publié mis en avant sur Amazon.fr et dans l’espace « ebook indés » de KDP.
L’ironie de l’histoire est que le nouveau directeur général du SNE vient du groupe Editis, lequel a débauché en septembre dernier celle qui était depuis 2011… directrice des contenus Kindle d’Amazon France : Marie-Pierre Sangouard. Depuis six mois, elle est directrice de la stratégie digitale et marketing d’Editis. Or c’est justement elle qui a été en charge de développer l’auto-édition KDP dans les pays francophones, de mettre
en place le service par abonnement Kindle Unlimited – qui, il y a un an, avait posé un problème juridique aux éditeurs (4) – et de contribuer au lancement sur l’Hexagone de la maison d’édition Amazon Publishing. Comme quoi, les grands éditeurs ont beau regarder de travers la firme de Jeff Bezos, cela ne les empêchent pas d’y débaucher certains de ses meilleurs éléments !
Dans une de ses rares prises de parole, Marie-Pierre Sangouard avait accordé une interview exclusive à Edition Multimédi@ lorsqu’elle était encore chez Amazon (5).
« L’émergence de l’auto-édition en ligne, qui permet la découverte de nouveaux talents littéraires, est une des révolutions majeures de ces dernières années. Il s’agit d’un tremplin unique qui a permis à de nombreux talents d’émerger », nous avait dit celle qui fut directrice marketing d’Hachette Livre (1995-1998), puis de Flammarion (2001-2005), avant de devenir DG des Editions J’ai lu chez Flammarion (2001-2005) (6).

Marie-Pierre Sangouard, d’Amazon à Editis
Recontactée par nos soins sur l’auto-édition, elle nous répond aujourd’hui que « les maisons d’édition françaises comme Editis voient dans l’auto-édition à la fois une nouvelle concurrence et à la fois une source de réflexion quant aux possibles nouveaux développement de leur métier d’éditeur ». Concernant l’affaire Amazon-Canopé, Marie-Pierre Sangouard estime que « sur ce sujet, la réaction des éditeurs que nous sommes paraît légitime : il s’agit surtout de clarifier les positions des instances éducatives quant à la concurrence public/privé et aux ressources et moyens alloués aux différents acteurs de l’éducation ». Les frictions entre l’ancien monde et le nouveau ne sont pas prêtes de s’arrêter. @

Charles de Laubier

Minimum garanti pour le streaming musical : c’est pas gagné !

En fait. Le 23 mars, le projet de loi « Création » a été voté en seconde lecture à l’Assemblée nationale. L’une des mesures-phare du texte est l’instauration d’une garantie de rémunération minimale pour le streaming de musique en ligne. Mais la filière a un an pour se mettre d’accord sur les modalités. Sinon…

Maylis RoquesEn clair. Les négociations sur la mise en place et le niveau de la garantie de rémunération minimum que devront verser les producteurs aux artistes-interprètes pour la diffusion de musique en flux sans téléchargement – autrement dit le streaming (1) – ne font que commencer !
C’est Maylis Roques (photo), par le passé secrétaire générale du CNC (2) (2010-2014), qui a été désignée pour présider – en tant que représentante de l’Etat – une commission pour aboutir à un accord collectif – conformément à ce qui est prévu par l’accord Schwartz de septembre 2015.

Sinon la commission « Roques » statuera
L’ « accord collectif de travail » (3), sur ce que devra être la rémunération minimale garantie des artistes-interprètes sur le streaming de leurs oeuvres musicales enregistrées, est exigé par la loi dans les douze prochains mois et s’inscrira dans la convention collective nationale de l’édition phonographique du 30 juin 2008.
A défaut d’accord entre les organisations des artistes-interprètes (Adami, Spedidam, …) et les celles des producteurs de musique (Snep, UPFI, …) d’ici le printemps 2017, la commission « Roques » – où les deux parties seront représentées à parts égales – statuera (4). En France, la Spedidam et l’Adami, sociétés de gestion collective des droits des artistes-interprètes, fustigent de longue date le peu de rémunération des artistes provenant du streaming et exigent une gestion collective obligatoire de ces droits. @

Vers un «guichet unique» pour protéger les œuvres – films en tête – sur les plateformes numériques

Un an après la présentation, le 11 mars 2015, du plan gouvernemental de lutte contre le piratage sur Internet, les ayants droit se mobilisent face aux acteurs du Net. Le CNC a lancé une mission pour recenser les techniques de protection des œuvres et prévoir un « guichet unique » pour les producteurs.

La ministre de la Culture et de la Communication, qui était encore Fleur Pellerin avant d’être remplacée au pied levé par Audrey Azoulay, avait chargé le Centre national du cinéma
et de l’image animée (CNC) de mener des actions en vue d’enrichir l’offre légale et de lutter contre les sites Internet d’œuvres piratées.

 

Empreintes, watermarking, fingerprinting, …
C’est dans ce cadre que la présidente du CNC, Frédérique Bredin (photo), a confié à Emmanuel Gabla (ancien membre du CSA, actuellement membre du CGEIET (1)), Olivier Japiot (ancien directeur général du CSA) et Marc Tessier (ancien président
de France Télévisions et actuel président de Videofutur) la mission de mobiliser les auteurs, les producteurs et les plateformes numériques pour faciliter l’utilisation des technologies de protection des œuvres (films, séries, clips vidéo, etc.).
Cette mission « Gabla-Japiot-Tessier » a pour objectif, d’une part, de recenser les
outils et les bonnes pratiques « qui existent déjà chez les ayants droit et chez les intermédiaires de diffusion », et, d’autre part, de préfigurer « un guichet unique qui permettrait à la profession d’avoir accès au meilleur service possible à coûts maîtri-
sés ». Mais cette mission n’aboutira pas à un rapport comme nous l’a indiqué le CNC
à Edition Multimédi@ : « Il s’agit d’une mission avant tout opérationnelle. Il n’y a pas de date ferme fixée, par extension. La mission porte en effet sur la mise à plat des outils d’ores et déjà existants et d’examiner leur faisabilité. Le guichet unique est toujours actuellement à l’état de projet ».
Quoi qu’il en soit, il est toujours difficile aujourd’hui d’y voir clair entre les solutions d’empreintes numériques, de tatouages numériques, de watermarking, de fingerprinting, de filigranes, de DRM (Digital Rights Management), ainsi que parmi les offres techniques Content ID (YouTube/Google), Signature (INA), Audible Magic, Hologram Industries (ex-Advestigo), Trident Media Guard (TMG), Civolution, Attributor, Blue Efficience, … « A l’heure où la diffusion numérique prend une place toujours plus importante dans l’accès aux œuvres, notamment avec le développement de grandes plateformes web de diffusion de contenus devenues incontournables (YouTube, Dailymotion ou Facebook), il est indispensable que les technologies de protection
des œuvres, existantes ou à venir, soient mieux appréhendées et répertoriées par
les professionnels, afin d’être intégrées le plus en amont possible dans les nouveaux modèles de production des œuvres », explique le CNC (2). C’est pour avoir une approche coordonnée dans ce domaine que la mission « Gabla-Japiot-Tessier » a été lancée, en vue d’accompagner les auteurs et les producteurs. Dans un premier temps, cette démarche se fera avec les intermédiaires du Net existants. Et à plus long terme, elle portera sur les outils qui pourront être développés à l’avenir.
La direction de l’innovation, de la vidéo et des industries techniques (Divit) du CNC
sera notamment mise à contribution. Depuis début janvier, c’est Raphaël Keller qui
a été nommé à sa tête. Il fut conseiller « industries culturelles » de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, avant d’assurer pour elle le suivi de la concertation en ligne à l’automne 2015 sur le projet de loi « République numérique ». C’est un ancien rapporteur de la mission « Acte 2 de l’exception culturelle » (2012-2013) de Pierre Lescure, dont le rapport a été publié en mai 2013. Il y est notamment question de
« détection automatique de contenus » qui suppose des prestataires « fouille » ou
« e-monitoring ». « Ces outils reposent sur la comparaison automatisée (matching) entre les contenus téléchargés par les utilisateurs du site et une base de données d’empreintes (fingerprints) fournies par les ayants droit », explique le rapport Lescure.

Une approche « notice and stay down »
Cela nécessite une coopération volontaire entre hébergeurs et ayants droit, ces derniers fournissant les empreintes pendant que la plateforme compare ces empreintes aux contenus mis en ligne. L’ayant droit est alors alerté lorsqu’une correspondance est établie entre l’oeuvre qui circule sur Internet et son identification numérique. L’avantage est que la plateforme vidéo ou musicale n’a pas à opérer une surveillance généralisée du Net (ce qu’elle se refuse d’ailleurs à faire et qui est surtout interdit). C’est l’ayant droit, et non pas l’hébergeur lui-même, qui rend la décision de bloquer le contenu litigieux sur un mode similaire au « notice and stay down ». « Ces outils présentent
un autre intérêt : sur certaines plateformes, l’ayant droit, informé de la présence d’un contenu sur lequel il détient un droit exclusif, peut choisir entre le retrait de ce contenu et sa “monétisation” (c’est-à-dire le partage des recettes publicitaires générées par ce contenu) », relève encore le rapport.

Lescure en 2013 : pour une base mutualisée
Mais la mission Lescure avait déjà identifié des insuffisances : ils ne sont pas assez utilisés par les ayants droit ; ils ne fonctionnent pas si l’oeuvre est cryptée ; toutes les plateformes numérique ne les utilisent pas ; les plateformes développent chacune leur propre technologie. D’où la recommandation faite à l’époque par la mission « Acte 2 » : « Les pouvoirs publics pourraient accompagner et soutenir une initiative mutualisée visant à créer, pour chaque type d’œuvres, une base d’empreintes unique, couplée
à un dispositif de reconnaissance automatique ». Ce qui faciliterait la détection des contenus protégés. De plus « une telle mutualisation serait particulièrement bénéfique aux plus petits ayants droit qui n’ont pas les moyens de recourir aux services d’opérateurs privés spécialisés dans le e-monitoring ». Le rapport Lescure proposait même que les bases d’empreintes soient hébergées par les responsables du dépôt légal, à savoir l’INA (3), le CNC et la BnF (4), et, à terme, « adossées aux registres publics de métadonnées » à mettre en place. Constituer des bases d’empreintes d’œuvres nécessite d’appliquer des algorithmes de calcul et de stocker les résultats dans une base de données.
En octobre 2007, de grands groupes de télévision et cinéma (Disney, Fox, Viacom, Sony Pictures, CBS, …) ont mis en oeuvre – en partenariat avec des plateformes de partage de vidéo et de musique – une sorte de « réponse graduée privée » à travers l’accord « UGC principles » (5). Dailymotion fait partie des signataires. Ce code de bonne conduite prévoit le recours à des techniques d’identification des œuvres afin
de supprimer ces dernières en cas de piratage. Mais une telle démarche il y a près de dix ans n’a pas fait assez d’émules parmi les ayants droit, particulièrement en France. D’autant que les industries culturelles françaises sont assez réticentes à utiliser des outils de protection développées par des acteurs du Net dont elles se méfient. Le groupe TF1 n’a-t-il pas préféré la solution de reconnaissance d’empreintes numériques de la start-up française Blue Efficience plutôt que l’offre équivalente Content ID de YouTube/Google ? « Le robot Content ID ne permet en effet pas d’identifier les contenus qui ont été habilement déformés par les pirates afin de passer entre les mailles du filet. Ainsi, YouTube héberge actuellement des milliers de films dont la mise en ligne n’a été aucunement approuvée par leurs auteurs », dénigre même son fournisseur (6). Il faut dire que la chaîne du groupe Bouygues avait préféré ferrailler
dès 2008 en justice contre la filiale vidéo de Google qu’il accusait de contrefaçon, alors que YouTube lui proposait d’utiliser Content ID. Ce que TF1 s’est résolu à faire fin 2011 avant de mettre un terme au procès en 2014. De son côté, M6 a préféré en 2012 la solution concurrente Signature de l’INA, tout comme EuropaCorp en 2008, Dailymotion et Canal+ en 2007. En revanche, en France, les ayants droit sont plus prompts à s’attaquer aux sites web pirates qu’à prendre des précautions numériques pour se protéger. Une charte « des bonnes pratiques » a été signée il y a près d’un an, le 23 mars, par les professionnels de la publicité en ligne « pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins ». Et ce, en présence de Fleur Pellerin : « Nous allons lancer une réflexion avec les trois principales plateformes pour nous doter d’outils technologiques efficaces et simples pour le signalement et le retrait des œuvres », avaitelle indiqué.
Ce que l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication avait redit le 10 septembre dernier : « Il s’agit désormais de progresser sur le chemin du signalement
et du retrait des œuvres exploitées illégalement, par l’intermédiaire d’outils technologiques efficaces et performants. Il en existe et je travaille aujourd’hui avec le CNC pour que les producteurs s’en saisissent plus massivement », avait-elle insistée
à l’occasion du lancement du « Comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins » (7).

Bientôt une « liste noire » à l‘Hadopi ?
En attendant une charte « paiement en ligne », Fleur Pellerin avait demandé à Thierry Wahl, inspecteur général des Finances, et à Julien Neutre, nommé l’été dernier directeur de la création, des territoires et des publics au CNC, de poursuivre leurs travaux pour aboutir à une charte d’engagements signée. Quant à l’Hadopi, elle avait confirmé à Edition Multimédi@ qu’elle était déjà prête à gérer la « liste noire » (8) des sites web coupables de piraterie d’œuvres que le gouvernement souhaite mettre en place. @

Charles de Laubier

LeGuide.com plombe le digital de Lagardère Active

En fait. Le 8 mars, Lagardère a présenté ses résultats 2015 : bénéfice net de 74 millions d’euros (+80 %), pour un chiffre d’affaires stable (+ 0,3 %) à 7,1 milliards d’euros. Lagardère Active, branche médias du groupe, cherche à améliorer coûte que coûte sa rentabilité. LeGuide.com, lui, a plombé le numérique.

En clair. Lagardère Active, l’une des quatre branches du groupe Lagardère, dédiée celle-ci aux médias, poursuit non sans mal sa stratégie de « rééquilibrage » ou de
« recentrage » (c’est selon) de son portefeuille d’activités vers l’audiovisuel – principalement grâce aux acquisitions de Gulli en novembre 2014 et de Boomerang TV en mai 2015. Ce qui permet à cette branche – où l’on retrouve Europe 1 engagé dans un rapprochement avec Le JDD (1) pour 2017 – d’afficher un chiffre d’affaires stable de 962 millions d’euros. Mais sa rentabilité reste insuffisante (2) et sa croissance n’est pas au rendez-vous : à périmètre constant, les revenus « médias » sont en recul de – 5,8 %. Les acquisitions permettent donc de faire bonne figure (+ 0,5 %). « La contraction de l’activité provient principalement de la baisse de la presse magazine (- 3,9 %) et d’un effet de comparaison défavorable pour les activités TV (- 8,9 %) avec de moindres livraisons de productions internationales chez Lagardère Studios », avait expliqué en février le groupe d’Arnaud Lagardère. La diffusion des magazines enregistre un recul de – 5,3 % : un plan de départs volontaires est lancé (220 postes en 2016), tandis que Télé 7 Jours, Ici Paris, France Dimanche et Public sont à vendre depuis l’an dernier – seuls Elle, Paris Match et Le JDD étant « sanctuarisés ».
Quant aux revenus des activités numériques, ils sont en chute (libre ?) de – 19,5 %. C’est LeGuide.com, le comparateur de prix acquis mi-2012 (3), qui plombe la croissance numérique, laquelle serait sans lui de + 4,9 % ! pour expliquer cette déconvenue, le groupe a déjà déploré l’an dernier que les changements d’algorithme
de Google – lui-même éditeur de Google Shopping – avait fait reculer la place de tous les comparateurs d’achats dans les résultats de recherche du numéro un des moteurs. LeGuide.com a même été radié de la Bourse en septembre dernier, le groupe Lagardère détenant maintenant la quasi-totalité du capital de cette filiale qui a été dépréciée l’an dernier à 35 millions d’euros. Lagardère, membre cofondateur de la coalition Open Internet Project (OIP) contre Google, était même prêt à demander à ce dernier des dommages et intérêts conséquents avant d’y renoncer, préférant signer avec lui en octobre dernier un « partenariat stratégique de long terme » (4)… Créé en 1998, LeGuide.com n’en reste pas moins un boulet pour Lagardère. @