La nouvelle super-régulation d’Internet se met en place en Europe, avec l’Arcom en soutien pour la France

Le Digital Services Act (DSA) entre entièrement en application le 17 février 2024 dans les Vingt-sept. L’Arcom devient pour la France le « Coordinateur pour les services numériques » (DSC) et l’un des vingt-sept membres du « Comité européen des services numériques » (EBDS) présidé par la Commission européenne.

Il n’y aura pas de super-régulateur européen d’Internet, mais c’est tout comme. Avec le règlement sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act), qui entre pleinement en application le 17 février, l’Union européenne (UE) devient la première région du monde à mettre en place une vaste « régulation systémique » de l’Internet. Elle va s’articuler autour du Comité européen des services numériques (EBDS), présidé par la Commission européenne et assisté – pour chacun des vingt-sept Etats membres – d’un Coordinateur pour les services numériques (DSC). Pour la France, c’est l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qui est désignée DSC par la loi « Sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) dont le vote définitif est attendu en mars. « Pour moi, europhile, je crois qu’on a la chance d’être sur un continent pionnier dans la régulation des grands acteurs du numérique. On peut espérer que ce règlement aura un effet de jurisprudence : ce que les plateformes feront sur le continent européen pour se conformer aux obligations du DSA, elles pourront le faire dans d’autres pays », a déclaré le 1er février Roch-Olivier Maistre (photo), président de l’Arcom.

Un Comité européen et 27 Coordinateurs nationaux
« Je suis heureux d’être sur un continent qui tente quelque chose, sans être ni le modèle chinois ni le modèle américain. C’est une tierce-voix qui est conforme à la protection de la liberté et du public », a-t-il ajouté devant l’Association des journalistes médias (AJM), dont il était l’invité. Pour assurer cette nouvelle « super-régulation » du Net dans les Vingt-sept, la Commission européenne et les régulateurs nationaux vont travailler main dans la main. Le Comité européen des services numériques (EBDS (1)), créé à cet effet, est chapeauté par la Commission européenne elle-même et composé de « hauts fonctionnaires » représentant, chacun, le Coordinateur national pour les services numériques (DSC (2)) d’un Etat membre – à savoir l’Arcom pour la France, en liaison avec la Cnil et l’Autorité de la concurrence. « Pour les très grandes plateformes, qui comptent chacunes au moins 45 millions d’utilisateurs par mois en moyenne dans l’UE et pour lesquelles le DSA est entré en vigueur le 25 août 2023, c’est la Commission européenne qui Continuer la lecture

Naissance d’un super-régulateur à partir du 1er janvier 2022 : l’Arcom, présidée par Roch-Olivier Maistre

Fini le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), place dès 2022 à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Avec 355 collaborateurs, elle sera dotée d’un budget 2022 de 46 millions d’euros.

Roch-Olivier Maistre (photo) préside le CSA depuis février 2019. Son mandat prenant fin en janvier 2025, c’est lui qui chapeautera les trois premières années de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Ce super-régulateur de l’audiovisuel et du numérique, issu de la fusion du CSA et de l’Hadopi, démarre ses activités à partir du 1er janvier 2022 et sera situé dans les locaux réaménagés du régulateur de l’audiovisuel Tour Mirabeau, sur les quais de Seine à Paris.
Normalement, d’après la loi du 25 octobre dernier sur « la régulation et la protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique » qui a créé l’Arcom (1), son président est nommé par le président de la République, après avis du Parlement. Mais il a été décidé à l’Elysée que Roch-Olivier Maistre (« ROM ») ira jusqu’au bout de son mandat, en cours au CSA, mais en élargissant son périmètre à l’Arcom à partir de l’an prochain. « La loi prévoit que je termine mon mandat ; il n’y a pas d’acte de prévu », confirme-t-il à Edition Multimédi@, en marge d’un déjeuner le 13 décembre de l’Association des journalistes médias (AJM). Quant à Monique Zerbib, l’actuelle présidente par intérim de l’Hadopi depuis fin janvier 2021, à la suite de la fin de mandat de Denis Rapone, elle verra le sien s’achever le 4 février prochain.

Deux nouveaux membres, contre le piratage
L’Arcom sera composée de neuf membres (2). Derniers membres désignés par un décret du président de la République, daté du 17 décembre et publié le lendemain : Denis Rapone, conseiller d’Etat qui fut président de l’Hadopi de 2018 à 2021, ancien directeur général du CSA de 2004 à 2007 et membre de l’Arcep de 2007 à 2013 ; Laurence Pécaut-Rivolier, docteur en droit et magistrate, conseillère référendaire à la chambre sociale de la Cour de cassation, qui fut présidente de l’Association nationale des juges d’instance de 2001 à 2006. « Ils seront membres à part entière du collège de l’Arcom qui délibérera dorénavant à neuf sur l’ensemble des dossiers, mais ils seront plus particulièrement fléchés sur les questions de piratage puisque l’un d’entre eux [Laurence Pécaut-Rivolier, ndlr] suivra la procédure de la réponse graduée qui reste en vigueur même si la nouvelle législation cible complètement les sites de streaming illégaux ».

La régulation d’Internet est en marche
Le futur président de l’Arcom a aussi indiqué qu’un responsable « déréférencement » fera son entrée d’ici juin 2022. Il s’agit d’« une nouvelle compétence qui est actuellement assurée par la Cnil sous le contrôle d’un magistrat [Alexandre Linden, ndlr] et en lien avec le service Pharos du ministère de l’Intérieur opéré par la gendarmerie, qui supervise les sites Internet et les réseaux sociaux véhiculant des contenus terroristes et pédocriminels ». A l’Arcom, cette nouvelle recrue sera notamment chargée du contrôle du blocage administratif des sites concernés et de s’assurer que les demandes de déréférence-ment de ces sites ne sont pas abusives (3). L’Arcom sera aussi en cheville avec la task force « PEReN » à Bercy, composée de data analysts et de développeurs, pour l’aider dans la régulation numérique. Le CSA et l’Hadopi sont en ordre de marche pour que l’Arcom soit opérationnelle au 1er janvier prochain. Ce nouveau superrégulateur de l’audiovisuel et du numérique reprendra à son compte la direction des plateformes en ligne – créée par le CSA en février dernier et dirigée par Lucile Petit – chargée de « la régulation “systémique” des plateformes ayant une activité d’intermédiation en ligne ». Cette direction des plateformes en ligne assure la régulation d’Internet (4) lorsqu’il s’agit notamment d’acteurs numériques dits « systémiques » tels que YouTube ou Dailymotion côté plateformes de partage vidéo, Facebook ou Twitter côté réseaux sociaux, Google ou Bing/Microsoft côté moteurs de recherche, ainsi que Google Play et App Store d’Apple côté agrégateurs et magasins d’applications. Si le CSA s’est appuyé sur la loi de 2018 sur la lutte contre les infox (5), sur celle de 2020 contre les contenus haineux sur Internet (6), celle de 2021 confortant le respect des principes de la République et auparavant appelée loi contre le « sépara-tisme » (7), l’Arcom, elle, verra l’an prochain ses compétences dans la régulation d’Internet encore étendue avec l’entrée en vigueur du règlement européen Digital Services Act (DSA), qui, une fois qu’il aura été adopté par les eurodéputés, instaurera un nouveau régime de responsabilité des plateformes numériques. « L’Arcom sera la cheville ouvrière du DSA au plan national, en France. Outre la direction des plateformes en ligne et compte tenu de notre fusion avec l’Hadopi, nous créons une nouvelle direction générale adjointe avec deux directeurs adjoints : Frédéric Bokobza [actuel directeur général adjoint du CSA et ancien de la DGMIC du ministère de la Culture, ndlr] et Pauline Blassel, l’actuelle secrétaire générale de l’Hadopi. Elle suivra notam-ment les questions de lutte contre le piratage qu’elle connaît parfaitement ». Concernant la direction des programmes du CSA, transversale, sera scindée au sein de l’Arcom en deux, avec : d’un côté, une direction de la création chargée de fixer et de suivre les obligations en matière de financement de la production cinématographiques et audiovisuelles, lesquelles incombent à la fois aux opérateurs historiques (les chaînes de télévision) et aux nouveaux acteurs (les plateformes vidéo) ; de l’autre, une direction de la protection des droits des auteurs avec le volet de la lutte contre le piratage. « Nous avons voulu mêler les compétences des deux autorités et non pas juxtaposer l’ex-Hadopi à côté de l’ex-CSA », précise ROM devant l’AJM. La nouvelle direction de la création aura affaire d’emblée à pas moins de neuf plateformes vidéo, dites SMAd (services de médias audiovisuels à la demande) et soumises depuis le 1er juillet dernier à des obligations de financement d’oeuvres françaises et européennes (films, séries, documentaires, etc.). En marge du déjeuner de l’AJM, le futur président de l’Arcom a indiqué à Edition Multimédi@ que le CSA désignera lors sa séance du 22 décembre cinq nouveaux SMAd qui se verront notifier leurs obligations de financement, à savoir : le service de VOD payant à l’acte d’Amazon Prime Video, deux services vidéo de Canal+ (Canal+Séries et Canal VOD), la VOD d’Orange, et enfin le service payant à l’acte de Google (Play Movies & TV/YouTube Movies & Shows).
Ces cinq acteurs rejoindront ainsi les quatre premiers acteurs étrangers – Netflix, Disney+, Amazon Prime Video (SVOD) et « Apple TV app-iTunes Store » (dont Apple TV+) – envers lesquels le CSA a annoncé le 9 décembre « a[voir] choisi la voie de la notification pour les obligations » d’investissements dans la production du cinéma français et européen (8). « Ce choix laisse ouverte la possibilité d’un conventionnement à l’avenir », a précisé le CSA (9). C’est sur ces neuf plateformes, dont celles de la SVOD (par abonnement) censées consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires en France, dont 80 % à la production audiovisuelle et 20 % à la production cinématographique, que le CSA a estimé « de 250 à 300 millions d’euros » la contribution totale de ces SMAd au cours de la première année d’application de ces obligations.

Concentration des médias et pluralisme
L’Arcom, qui comprendra 355 employés et sera dotée d’un budget 2022 de plus de 46 millions d’euros, aura aussi parmi les nombreux dossiers à traiter, ceux d’importantes opérations de concentration en cours au regard notamment du pluralisme du paysage audiovisuel : d’une part, le rapprochement des groupes de télévision privés TF1 et M6 (par la prise de contrôle de ce dernier par le groupe Bouygues, maison mère du premier), et, d’autre part, l’OPA de Vivendi sur Lagardère. Pour TF1-M6, l’Arcom devra rendre son avis à l’Autorité de la concurrence d’ici au 31 mars 2022 et aura à se prononcer par ailleurs sur la demande d’agréement du groupe M6 en raison du changement de propriétaire. @

Charles de Laubier

En bannissant sans limite Donald Trump, les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont dépassé les bornes

Persona non grata sur des réseaux sociaux, l’ex-45e président des Etats-Unis Donald Trump – décidé à briguer un nouveau mandat en 2024 – fait l’objet d’un débat sur la régulation mondiale de l’Internet. Facebook, Twitter ou encore YouTube, sociétés privées devenues censeurs sans juge, mettent à mal la liberté d’expression.

(Finalement, le 4 juin 2021, Facebook a décidé de suspendre pour deux ans Donald Trump)

Il n’a plus rien à perdre. Quarante-cinquième président des Etats-Unis (janvier 2017-janvier 2021), Donald J. Trump (photo) – qui aura 75 ans le 14 juin prochain – compte bien se représenter à la prochaine présidentielle américaine de 2024 afin de reprendre sa revanche et de tenter d’être le 47e locataire de la Maison-Blanche. Car dans le monde réel, le turbulent milliardaire n’a pas été banni ni même jugé devant les tribunaux pour les faits qui lui sont reprochés, à savoir d’avoir « encouragé » – sur Facebook – ses partisans à envahir le Capitole des Etats-Unis lors de l’émeute du 6 janvier dernier. En réalité, le mauvais perdant n’a pas explicitement incité – ni encore moins ordonné – l’invasion par la foule du Congrès américain, alors en plein débat sur la ratification de l’élection présidentielle ayant donné Joe Biden vainqueur, mais peut-être implicitement en clamant qu’il avait gagné l’élection présidentielle. Nuance. Ce jour-là, devenu historique, le président sortant était d’ailleurs introuvable, sauf sur Internet pour affirmer qu’on lui avait « volé » l’élection en organisant une « fraude massive ». Jugé coupable le 5 mai par Facebook d’avoir, selon le numéro un des réseaux sociaux, « créé un environnement où un risque sérieux de violence était possible », Donald Trump a été exclu pour encore six mois – mais pas indéfiniment – de Facebook (où il comptait 35 millions d’amis) et d’Instagram (24 millions d’abonnés).

Entreprises privées versus Premier amendement
Ses comptes avaient été supprimés le lendemain des événements du Capitole. Car dans ce monde virtuel, les entreprises privées telles que Facebook ou Twitter ne sont pas soumises au Premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique interdisant de limiter la liberté d’expression. Donald Trump a ainsi été condamné dès le 7 janvier dernier au bannissement par ces réseaux sociaux tout puissants. « Les entreprises privées ne sont pas tenues par le Premier amendement. Et donc, il [Donald Trump] n’a pas le droit au Premier amendement. C’est un client. Facebook n’est pas un gouvernement, et il [l’ex-président] n’est pas un citoyen de Facebook », a d’ailleurs bien expliqué le 9 mai dernier Michael McConnell, coprésident du « conseil de surveillance » de Facebook, dans un entretien accordé à la chaîne d’information en continu américaine Fox News.

« L’erreur » de Facebook et de Twitter
Et sur sa lancée, le spécialiste du droit constitutionnel et professeur à Stanford a expliqué comment ce jury « indépendant » – appelé en anglais Oversight Board, où il a été nommé il y a un an parmi les vingt membres – a obtenu de la firme de Mark Zuckerberg que Donald Trump soit suspendu provisoirement de Facebook et d’Instagram et non sur une durée indéfinie voire ad vitam aeternam : « Ce que nous avons dit, c’est qu’[il n’était] pas justifié de [le] supprimer indéfiniment [comme envisagé initialement par Facebook, ndlr], qu’ils [les dirigeants de Facebook et d’Instagram] n’ont fourni aucune raison pour cela, que ce n’est pas une disposition de leur règlement, que c’est une erreur. Et nous leur avons donné un certain temps pour (…) mettre de l’ordre dans leur maison ».
Dans un tweet du 5 mai, l’Oversight Board, cette sorte d’ombudsman mondial, a même lancé : « Facebook a enfreint ses propres règles en imposant une suspension “indéfinie” » (1). Autrement dit, le groupe aux réseaux sociaux planétaires doit faire le ménage dans ses « règles chaotiques », « non transparentes », « pas claires », « incohérentes en elles » (2). Le « conseil de surveillance », qui a estimé nécessaire de faire des recommandations à la firme de Menlo Park (Californie) sur la façon de mettre de l’ordre dans ses règles pour les rendre plus acceptables, a donc décidé de maintenir jusqu’à début novembre 2021 l’interdiction faite à l’ancien président des Etats-Unis et le temps pour Facebook durant cette période de clarifier sa politique interne en général et vis-à-vis du « puni » en particulier. C’est un peu comme renvoyer dos à dos Trump et Zuckerberg. « Le conseil de surveillance confirme la suspension de l’ancien président Trump mais estime que la sanction de Facebook n’était pas opportune », déclarait le 5 mai l’organe privé de régulation (3) au moment de rendre son verdict sur « le cas 2021-001-FB-FBR » (4).
L’instance « indépendante » aux allures de cour suprême, financée par Facebook, a été créée pour juger et dire « quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi ». C’est là que le bât blesse. Ecarté virtuellement « pour avoir encouragé les émeutiers » du Capitole (5), mais plus que jamais réellement présent dans la vraie vie pour se préparer à la campagne présiden-tielle de 2024, Donald Trump est devenu un cas d’école pour la régulation mondiale de l’Internet. D’autant que celui qui fut le 45e président des Etats-Unis a aussi été évincé de Twitter, de YouTube (plateforme vidéo de Google), de Snapchat (de la société Snap) et même de Twitch (filiale d’Amazon). Cette affaire montre les limites d’une régulation privée par des entreprises privées, à savoir une auto-régulation sans intervention du juge. Le verdict du tandem « Facebook- Oversight Board » crée un malaise bien au-delà du Nouveau Monde, tout comme son éviction à vie de Twitter (où le twittos @realDonaldTrump avait 89 millions d’abonnés) en début d’année et pour les mêmes raisons. Et ce, là aussi, sans que la firme de Jack Dorsey ne soit liée par le Premier amendement garantissant la liberté d’expression et sans qu’aucun juge n’ait eu à se prononcer sur cette sentence aux limites de l’arbitraire. Twitter a même enfoncé le clou en suspendant le 6 mai dernier plusieurs comptes qui relayaient des messages postés par l’ancien président des Etats-Unis sur sa nouvelle plateforme numérique lancée le 4 mai et baptisée « From the Desk of Donald J. Trump » (6) (*) (**). Celle-ci préfigure sous forme de blog ce que sera le futur réseau social en gestation du candidat à l’élection présidentielle de 2024. Le site web « Depuis le bureau de Donald J. Trump » renvoie aussi vers sa campagne « Save America » pour lever des fonds et où l’on peut lire « Le président Trump est toujours BANNI de Facebook ! Ridicule ! » (7). Tout le monde pourrait en rire, s’il n’était pas question dans cette affaire hors normes du sort de la liberté d’expression sur Internet et, partant, dans les démocraties dignes de ce nom. Que l’on soit partisan de Trump – passé quand même de 63 millions d’électeurs en 2016 à plus de 74 millions en 2020 – ou hostile à sa politique clivante et nationaliste, son cas est sans précédent en matière d’auto-régulation des réseaux sociaux.
La firme de « Zuck » a six mois pour trancher le dilemme que lui pose Donald Trump. Il y a fort à parier que le PDG cofondateur de Facebook réhabilitera l’impétrant dans sa décision finale attendue pour début novembre. Pendant que la pression monte aux Etats-Unis pour que soit réformée la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, qui accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs (8), l’Union européenne est plus que sceptique sur le bannissement de Trump.

Police privée : l’Europe très sceptique
« Qu’un PDG puisse débrancher le haut-parleur du président des Etats-Unis sans autre forme de contrôle et de contrepouvoir fait plus qu’interpeller », a estimé le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, dans une tribune publiée le 10 janvier (9). La chancelière allemande Angela Merkel a quant à elle jugé « problématique » cette éviction du président américain. De son côté, la Grande- Bretagne a présenté le 12 mai un projet de loi « Online Safety Bill » (10) en vue d’interdire aux plateformes numériques de discriminer les points de vue politique et de protéger la liberté d’expression avec possibilité de faire appel en cas de suppression de contenus. La police privée a des limites. @

Charles de Laubier

Joe Biden (78 ans), 46e président des Etats-Unis, pourrait être celui qui mettra au pas les GAFA

Donald Trump est mort, vive Joe Biden ! A 78 ans, l’ancien vice-président de Barack Obama (2009-2017) et ancien sénateur du Delaware (1973-2009) a été investi 46e président des Etats-Unis le 20 janvier. Membre du Parti démocrate depuis 1969, Joseph Robinette Biden Junior est attendu au tournant par les Big Tech et la Silicon Valley.

Joe Biden (photo) et Kamala Harris ont donc prêté serment le 20 janvier 2021 en tant que respectivement président et vice-présidente des Etats-Unis. Battu de justesse et ayant eu du mal à admettre sa défaite, Donald Trump a boudé la cérémonie. Maintenant, la fête est finie et le 46e président des Etats-Unis se retrouve avec une pile de dossiers à traiter dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, sa résidence officielle jusqu’en janvier 2025 – son mandat étant de quatre ans, sauf décès ou destitution, renouvelable une fois. Située plutôt en haut de la pile des urgences se trouve la régulation de l’Internet, tant les problèmes se sont accumulés sous l’administration Trump : les enquêtes antitrust lancées à l’encontre des GAFA menacés de démantèlement pour en finir avec les abus de positions dominantes dans l’économie numérique et le e-commerce ; la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par les réseaux sociaux ; l’explosion des contenus controversés voire illicites sur Internet tels que publicités politiques, cyberhaine, cyberviolence ou encore désinformation ; la liste noire d’une dizaine d’entreprises technologiques chinoises devenues indésirables aux yeux de son prédécesseur sur le sol américain ; l’augmentation envisagée des droits de douanes sur des produits provenant des pays, dont la France, instaurant des taxes « GAFA ».

Biden et Trump, bonnet blanc et blanc bonnet ?
Ainsi, Joe Biden hérite d’au moins une demi-douzaine de problématiques digitales qui marqueront son mandat présidentiel. Ce à quoi s’ajoutent d’autres préoccupations des Big Tech depuis l’administration Trump : les décrets limitant les visas américains pour les salariés étrangers diplômés qui souhaiteraient travailler aux Etats-Unis, Silicon Valley comprise ; la neutralité de l’Internet annulée en 2018 par la FCC (1), laquelle décision fut confortée par un jugement mais laissant le dernier mot aux Etats fédérés (2) (*) (**). Plus globalement, le président démocrate est réputé plus favorable au renforcement du pouvoir fédéral, voire à un renforcement des lois antitrust que l’ancien président républicain. Ce dernier aspirait à moins de réglementation. Biden rime avec « plus de concurrence ». Alors que Trump rimait plus avec « positions dominantes ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : Biden pourrait faire vis-à-vis des Big Tech dans le « Je t’aime… moi non plus » (3), et même nommer un « Monsieur antitrust » à la Maison-Blanche (4). De nombreuses Big Tech ont d’emblée misé sur le nouveau président en cofinançant ses cérémonies d’investiture, la plupart virtualisée en raison des risques de pandémie et d’émeutes. Le comité d’organisation mentionne comme donateurs : Google (Alphabet), Amazon, Microsoft, Verizon, Comcast (maison mère de NBC Universal), Qualcomm, Uber ou encore Yelp, ainsi que parmi les quelque 5.000 supporteurs Boeing. Mais qui trop embrasse mal étreint…

Antitrust, ePrivacy, data, fake news, …
La nouvelle administration « Biden » a maintenant les coudées franches pour légiférer autour d’Internet et du e-commerce dans la mesure où les démocrates américains ont la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Sur le front « antitrust », les GAFA ne s’attendent à aucun revirement politique à leur égard. Les enquêtes lancées l’an dernier par le pouvoir fédéral américain – notamment du ministère de la Justice, ou DoJ (5) – vont se poursuivre sous la houlette de son nouveau ministre, Merrick Garland, dans le but d’essayer de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique surnommés les « winner-take-all ». Google (Alphabet) répond déjà devant la justice américaine depuis octobre dernier à propos de son moteur de recherche monopolistique (6). Le DoJ pourrait demander aussi des comptes à Apple, contesté pour ses pratiques sur son écosystème App Store, ainsi qu’à Facebook. Le réseau social de Mark Zuckerberg est déjà dans le collimateur du gendarme américain de la concurrence, la FTC (7), laquelle se mord les doigts d’avoir laissé Facebook racheter en 2012 Instagram et en 2014 WhatsApp (8) Les auteurs parlementaires du rapport du groupe spécial antitrust de la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (9), a appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Depuis ce pavé dans la mare des GAFA, des Etats américains se sont coalisés pour poursuivre en justice Google et Facebook (10).
Sur le front « ePrivacy », les Etats-Unis ont pris conscience de l’importance de la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par Facebook avec l’affaire retentissante « Cambridge Analytica » qui a valu à la firme de « Zuck » 5milliards de dollars d’amende infligés en juillet 2019 par la FTC. Ce scandale avait porté sur l’utilisation illégale de 50 millions de comptes de Facebook aux Etats-Unis pour influencer en 2016 l’élection présidentielle américaine (11). Joe Biden pourrait s’inspirer du règlement européen sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis mai 2018, pour pousser une loi fédérale de même portée, alors que le « California Consumer Privacy Act » l’est depuis juin de la même année. La vice-présidente des Etats- Unis, Kamala Harris (première femme et première noire à occuper ce poste), pourrait accélérer dans cette voie, elle qui fut sénatrice et procureure de Californie, la Mecque des Big Tech et des start-up. Elle est même proche familialement du directeur juridique d’Uber. Mais Washington et Silicon Valley ne font pas bon ménage sur cette question.
Sur le front « fake news », la question de la régulation de l’Internet se pose d’autant plus que la cyberhaine déversée lors de la dernière campagne présidentielle, suivie des émeutes mortelles des partisans de Donald Trump le 6 janvier au Capitole, a laissé des traces profondes dans l’opinion américaine et internationale.
Les publicités politiques financées, puis interdites, sur les réseaux sociaux et la guerre de la désinformation (fake news) ont porté atteinte aux valeurs démocratiques. Joe Biden a déjà fait savoir qu’il allait réviser la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, lequel accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Mais ce bouclier (12) est aujourd’hui contesté car les médias sociaux ne sont plus seulement hébergeurs. Facebook, Twitter et autres Google ont joué tant bien que mal les « modérateurs », supprimant des contenus qui n’auraient pas dû l’être, ou inversement avec la cyberviolence ou des contenus d’extrême droite ou complotistes.

… Huawei, TikTok, Xiaomi, taxes GAFA
Sur le front « Chine », une dizaine d’entreprises technologiques chinoises – à commencer par Huwei, le numéro un mondial des réseaux 5G, mais aussi ZTE – ont été placées sur une liste noire, accusées sans preuve de cyberespionnage et d’atteinte à la sécurité nationale du pays, le tout sur fond de bras de fer commercial sinoétatsunien. L’été dernier, Donald Trump avait signé des « Executive Order » pour interdire TikTok et WeChat aux Etats-Unis, sauf à être cédées par leur maison mère respectives, ByteDance et Tencent. A six jours de la fin du mandat, l’ancien président Trump a rajouté Xiaomi, devenu troisième fabricant mondial de smartphones devant Apple, à sa liste des chinois indésirables. Joe Biden, lui, enterra-t-il la hache de guerre pour fumer le calumet de la paix avec la Chine ?
Sur le front « taxe GAFA », la taxe que Paris a appliquée en 2019 aux grandes plateformes numériques – d’où son surnom de « taxe GAFA » – avait amené les Etats-Unis à envisager des représailles via une hausse des droits de douanes sur certains produits français. Or le 8 janvier dernier, le gouvernement fédéral américain a suspendu ce projet, le temps d’examiner les taxes GAFA similaires dans une dizaine d’autres pays (Grande-Bretagne, Italie, Inde, …). La future secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, s’est dite le 19 janvier plutôt favorable à une telle taxe pour « percevoir une juste part » des géants du Net. Avec Joe Biden, les Etats-Unis changent de pied. @

Charles de Laubier