La Commission européenne veillera à ce qu’Android de Google et iOS d’Apple respectent l’Internet ouvert

Après une occasion manquée en 2010 de légiférer en Europe en faveur de la
« neutralité des terminaux », l’Arcep remonte au créneau – via le Berec – pour que la neutralité du Net ne se limite pas à l’accès aux réseaux. Il y a urgence à
ce que la Commission européenne s’empare du problème.

« Le cadre protégeant l’ouverture d’Internet étant aujourd’hui européen, il conviendrait que le législateur européen s’empare de ce sujet [de savoir si les terminaux numériques, smartphones en tête, respectent la neutralité de Internet, ndlr]. La dimension éminemment internationale des fabricants de terminaux et des éditeurs de systèmes d’exploitation conduit également à penser qu’à terme, l’échelle pertinente pour agir devrait être européenne », a conclu l’Arcep dans son rapport publié mi-février et intitulé « Smartphones, tablettes, assistants vocaux, … : les terminaux, maillon faible
de l’Internet ouvert » (1).

La balle est dans le camp de Bruxelles
Mais afin que Bruxelles fasse des propositions de mesures pour que les fabricants de terminaux – tels que Apple sous iOS ou Samsung sous Android (Google) – respectent le règlement « Internet ouvert » du 25 novembre 2015, l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Berec) va l’y aider. Selon les informations obtenues auprès de Jennifer Siroteau (photo), responsable de l’analyse économique et de l’intelligence numérique à l’Arcep, « le Berec va publier à l’issue
de sa plénière des 8 et 9 mars son propre rapport sur les terminaux, intitulé “Report
on the impact of premium content on ECS (2) markets and effect of devices on the Openness of the Internet use” » (3). Si l’Arcep a bien l’intention de « mettre en oeuvre dès maintenant à l’échelle nationale » les pistes d’action qu’elle a formulées dans son rapport, c’est, dit-elle, « avec l’ambition de stimuler des démarches européennes ». D’ailleurs, le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) et une demie douzaine de responsables européens d’entreprises font partie des personnes auditionnées, ayant participé aux ateliers ou répondu à la consultation publique de l’Arcep. Mais l’on peut regretter et s’étonner que celle-ci n’ait pas eu affaire à au moins un représentant de la Commission européenne. Qu’à cela ne tienne. Depuis le fameux règlement du 25 novembre 2015 « établissant des mesures relatives à l’accès à un Internet ouvert » (4) et les lignes directrices du 30 août 2016 édictées par le Berec
« pour la mise en oeuvre de ces nouvelles règles par les autorités de régulation nationales » (5) depuis avril 2016, la protection de la neutralité de l’Internet – que
ces textes ont préféré appeler « Internet ouvert » – est un engagement à l’échelle de l’Europe. Et les terminaux n’échappent pas à ce cadre protecteur pour les consommateurs. A preuve : le règlement européen mentionne une quinzaine de fois le terme « terminaux » ! De plus et surtout, le premier paragraphe de son article 3 lève toute ambiguïté : « Les utilisateurs finals ont le droit d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’Internet ». Les eurodéputés ont ainsi voulu dissocier le terminal –
les smartphone en tête, mais aussi les tablettes, les ordinateurs ou encore les assistants vocaux – de l’offre d’accès des, justement, fournisseurs d’accès à Internet (FAI).
Surtout que ce même article 3 du règlement « Internet ouvert » prévoit que l’exercice par les internautes et les mobinautes des droits énoncés dans ce premier paragraphe ne peut pas être limité par « des accords (…) sur les conditions commerciales et techniques et les caractéristiques des services d’accès à l’internet, telles que les prix, les volumes de données ou le débit, et toutes pratiques commerciales mises en oeuvre par les [FAI] ». Bref, pour l’Union européenne, la neutralité du Net ne s’arrête pas aux réseaux d’accès des opérateurs télécoms : les fabricants de terminaux et éditeurs de systèmes d’exploitation – comme iOS pour Apple et Android pour Google – sont eux aussi concernés. D’autant que les mobiles évoluent dans des écosystèmes
« propriétaires » capables de limiter leurs utilisateurs dans l’accès à certains contenus et services sur Internet, et, partant, d’en restreindre les usages en violation de l’Internet ouvert.

Une occasion manquée entre 2010 et 2014
Pour autant, souligne l’Arcep dans son rapport, « si le règlement européen sur l’Internet ouvert consacre la liberté de choix et d’usage du terminal, il n’impose pas d’obligation spécifique aux équipementiers et constructeurs de terminaux, ni aux autres maillons logiciels de la chaîne technique [entre l’utilisateur final et les contenus, voir schéma
ci-dessous, ndlr] ». Le régulateur français a eu le mérite de suggérer dès 2010 « un renforcement de la surveillance de la neutralité au niveau des terminaux et de leur couche logicielle ». Car la neutralité des réseaux suppose aussi une neutralité des terminaux. L’Arcep appelait alors dans un rapport sur la neutralité de l’Internet (6) à
un « renforcement de la neutralité des terminaux » en incitant déjà la Commission européenne à prendre des mesures dans ce sens. A l’époque, l’Arcep suggérait d’inscrire les dispositions en faveur de la neutralité des terminaux dans le cadre de
la révision de la directive européenne RTTE de 1999 sur les équipements de radio et terminaux de télécommunications (7). Sans succès : ce texte communautaire, abrogé en 2016, fut bien remplacé par la nouvelle directive RED de 2014 sur les équipements radioélectriques (8), mais celle-ci a in fine fait l’impasse sur la neutralité des terminaux. Et ce n’est pas faute pour l’Arcep d’avoir pointé il y a près de huit ans maintenant « la généralisation d’environnements propriétaires fermés limitant la liste et le type des applications pouvant être installées, des navigateurs utilisables, ou des sites accessibles – ceci de manière relativement indépendante des opérateurs ».

Applis préinstallées : choix imposés
Aujourd’hui, l’absence de neutralité des terminaux s’est doublée d’un risque d’abus de position dominante au détriment de la neutralité du Net. « Outre les barrières à l’entrée résultant des effets de club qui caractérisent les marchés de plateformes en général, le succès de systèmes d’exploitation mobiles concurrents à Android et iOS paraît donc compliqué. Faute de l’aiguillon d’une concurrence intense, les éditeurs de systèmes d’exploitation en place pourraient adopter des comportements susceptibles de remettre en cause l’ouverture d’Internet », met en garde le gendarme des télécoms. Pour autant, comme le souligne Jennifer Siroteau, « l’Arcep constate qu’il n’y a pas lieu, à ce jour, de considérer que les fabricants de terminaux ne respectent pas le règlement de 2015 : en effet, ces derniers ne sont pas visés par ce règlement ». Sans préjuger de ce que fera la Commission européenne, interpellée par la France et par le Berec au niveau européen, l’on constate qu’elle n’est pas insensible à la question des terminaux – en particulier des mobiles où sont préinstallées, outre le système d’exploitation (vente liée), des applications telles que moteur de recherche, service de messagerie, espace de cloud, service de vidéo, cartographie ou encore navigateur. Sauf exception, les mobinautes téléchargent rarement des applications aux mêmes fonctionnalités que
des « applis » préinstallées dont les choix sont imposés au client. En avril 2015, la Commission européenne a ouvert une enquête antitrust sur l’écosystème d’Android de Google sur lequel fonctionnent la très grande majorité des smartphones en Europe (Samsung en tête). En avril 2016, la procédure a été notifiée à sa maison mère Alphabet accusée d’abus de position dominante sur son système d’exploitation Android, son magasin d’applications Google Play Store et son moteur de recherche sur mobile Google Search. Le verdict était attendu pour… décembre 2017.
Bruxelles pointe notamment l’obligation faite aux fabricants de smartphones sous Android de préinstaller des applis Google s’ils souhaitent fournir l’accès à Google Play Store. Concernant cette fois la transparence des critères de référencement et de classement utilisés par les App Stores (mais aussi de politiques éditoriales, de règles
et délais de validation, de suppression des contenus, de documentation ouverte, …), la Commission européenne a prévu pour le printemps 2018 l’élaboration d’un « règlement sur la transparence des relations contractuelles entre entreprises et plateformes ». @

Charles de Laubier

Apple (iOS) et Google (Android) sont pointés du doigt par l’Arcep pour défaut de neutralité

Le quasi duopole que constituent les systèmes d’exploitation pour smartphones iOS d’Apple et Android de Google soulève un problème au regard de la neutralité du Net. C’est en substance ce que dit l’Arcep qui appelle les acteurs du Net à lui faire part de « leur vision prospective sur le sujet ».

Terminaux@arcep.fr : c’est l’adresse e-mail que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a mise en place pour inciter les acteurs
du Net et les fabricants de terminaux « à réagir » à ses premières conclusions concernant « les limites à l’ouverture de l’Internet provenant des terminaux », et « à partager » avec elle « leur vision prospective sur le sujet ». Et ce, afin d’aboutir à un rapport plus complet début 2018 et l’organisation d’un événement. Cette « démarche ouverte » est coordonnée par la cheffe de projet « terminaux » de l’Arcep, Jennifer Siroteau (photo).

Apple et Google ont été auditionnés
« Alors que les terminaux jouent un rôle essentiel dans l’accès à Internet, que ce soit comme maillon matériel ou logiciel, des acteurs comme Apple et Google ont acquis une position cruciale », constate l’Arcep dans son « premier diagnostic de l’influence des terminaux sur l’ouverture de l’Internet » publié le 29 mai dernier à l’occasion de la sortie de son rapport annuel sur l’état de l’Internet. Si dans son pré-rapport sur les terminaux concerne smartphones, box Internet, box TV, ordinateurs, consoles de jeux vidéo, TV connectées ou encore objets connectés, il s’attarde plus longuement sur les mobiles et leurs deux principaux systèmes d’exploitation iOS et Android. Selon le cabinet d’étude Gartner, la quasi-totalité des smartphones vendus au niveau mondial fonctionnent avec Android (81,7 %, dérivés « forks » compris) ou iOS (17,9 %). Ont été auditionnés par
le régulateur français, pour Apple France, Marie-Laure Daridan et Sylvain Schnerb, respectivement directrice des affaires institutionnelles et responsable juridique, et pour Google France, Olivier Esper et Benoît Tabaka, respectivement responsable des relations institutionnelles France et chargé des politiques économiques liées au mobile au niveau Europe, Moyen-Orient et Afrique. « Apple a fait le choix d’une approche “intégrée” (…) afin de garantir à ses clients une fluidité maximale dans leurs usages. Son modèle économique repose sur la vente de terminaux et la mise en avant de ses services. (…) En pratique, cela se traduit par la maîtrise exclusive de ses terminaux par Apple, autant sur la couche physique, avec les iPhone et les iPad, que sur la couche logicielle avec l’unicité du système d’exploitation, iOS, et du magasin d’applications, l’App Store », explique l’Arcep à propos de la marque à la pomme, que d’aucuns dénoncent comme monde verrouillé et non-interopérable. En effet, l’Internet Society (Isoc), association qui est à l’origine de la plupart des standards ouverts du Net, ne cesse de dénoncer le verrouillage des plateformes mobiles d’Apple, de Google mais aussi de Microsoft : « Les utilisateurs sont prisonniers d’une plateforme et cela limite
au final les choix d’une manière inédite pour l’Internet » (1). Cette « iPrison dorée », comme nous l’avions qualifiée (2), se caractérise par le manque d’interopérabilité des applis et de leur écosystème que la Commission européenne a fustigé sur la base d’un rapport commandité à Gigaom. Publié en février 2014, il assimilait les verrouillages de ces walled gardens à des « goulets d’étranglement technique » provoquant un
« morcellement » du marché unique numérique (3). En France, le 10 décembre 2014, Tim Berners-Lee – l’inventeur du World Wide Web il y a 27 ans – avait lui aussi dénoncé ces environnements fermés (4).
Aujourd’hui, le constat est toujours le même : « Apple contrôle l’accès à son terminal pour les fournisseurs de contenus et de services en imposant aux développeurs l’utilisation de son kit de développement (Xcode, disponible sur Macintosh uniquement), une politique éditoriale stricte, et a fait le choix de ne maintenir qu’un nombre réduit de versions d’iOS. Néanmoins, les langages de développement pour des applications sur l’iOS, Objective-C et Swift, sont tous deux open source », souligne l’Arcep.
Open source est justement la marque de fabrique d’Android de la firme de Mountain View qui se veut plus ouvert que l’iOS de sa concurrente de Cupertino, afin d’être compatible avec un maximum de terminaux. « En proposant gratuitement son système d’exploitation aux fabricants de terminaux, Google vise (…) la disponibilité de l’ensemble de ses applications et services [Google Search, YouTube, Chrome, Gmail, Picasa, Google Docs, Google Maps, etc, ndlr], notamment son magasin d’applications Play Store ».

Incompatibilités et clients captifs
Autrement dit, les utilisateurs se retrouvent malgré eux captifs d’un écosystème. De plus, 20 % des Android vendus dans le monde sont des « forks » – ces OS dérivés de celui de Google et parfois incompatibles. Le géant du Net tente de les interdire (accord d’anti-fragmentation), ce qui lui vaut les réprimandes depuis 2015 de la Commission européenne pour abus de position dominante. @

Charles de Laubier

Les applis mobiles ne sont plus la chasse gardée des jeux, mais leur monétisation reste encore aléatoire

Le chiffre d’affaires mondial des « appli mobiles » va croître de 22 % en moyenne par an, de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020, selon la société de conseil App Annie. Mais derrière cet eldorado des apps, concurrentes du Web, très peu d’éditeurs tirent leur épingle du jeu.

Si vous n’êtes pas un éditeur de jeu vidéo, vous avez peu de chance aujourd’hui de faire du chiffre d’affaires avec votre application mobile. Il ressort en effet de l’étude d’App Annie, que les jeux représentent encore la majeure partie du chiffre d’affaires généré par les « applis » dans le monde : 66 % des 69,7 milliards de dollars de revenus en 2015, soit 46 milliards de dollars (1). Difficile donc dans le monde impitoyable des applis mobiles de tirer son épingle du… jeu. C’est une question de « monétisation ».

Les jeux fremium en tête
La principale porte d’entrée des « apps » se trouve dans le fremium qui, comme son nom l’indique (free pour gratuit et premium pour prime), consiste à attirer les mobinautes vers la version gratuite de l’application avant de lui proposer de payer une version moins limitée (en niveaux, en bande passante, en durée d’utilisation, en espace de stockage, …) ou bien des options à régler dans l’application elle-même (in-app).

Le succès planétaire de Pokémon Go illustre bien la stratégie du fremium, qui, dans
le jeu vidéo, s’est commué en free-to-play. D’après la société d’analyses AppsFlyer, environ 5 % des utilisateurs de ces jeux freeto- play font des achats dans l’appli (in-app) pour une dépense de près de 10 dollars par mois en moyenne. Les détenteurs de terminaux sous iOS d’Apple sont même plus dépensiers avec plus de 15 dollars par mois en moyenne, tandis que ceux sous Android de Google sont plus économes avec
à peine plus de 7 dollars par mois. Bien que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières, ces petites dépenses in-app ne suffiront pas seules à Niantic, l’éditeur de Pokémon Go, pour franchir cette année la barre du 1 milliard de dollars de recettes. Pour y parvenir, l’entreprise de John Hanke table aussi sur les lieux sponsorisés que des annonceurs et/ou des commerçants proposent aux chasseurs de Pokémon avec l’espoir que ces derniers deviennent clients (2). S’inscrivent en tête de cette stratégie payante du freemium : l’éditeur japonais Mixi, dont le studio XFlag a développé
« Monster Strike », l’éditeur finlandais Supercell qui a développé « Clash of Clans » (Softbank a revendu en juin dernier sa participation de 73,2 % à Tencent), et l’éditeur américain Machine Zone (MZ) qui édite « Game of War – Fire Age ». Les bonus tels que les speed-ups (gagner du temps ou des niveaux), les objets virtuels (outils, armes, ou atouts) et les upgrades (versions améliorées) mettent du beurre dans les épinards des jeux mobiles.
Si la publicité intégrée dans les applis constitue la première source de revenu en 2015 (40 milliards de dollars environ) et devrait le rester d’ici à 2020 (110 milliards), les prévisions d’App Annie montrent que le freemium va renforcer sa seconde position entre 2015 (20 milliards de dollars) et 2020 (60 milliards). En revanche, les modèles d’applications payantes – téléchargeables moyennant paiement mais sans achats intégrés (comme « Grand Theft Auto: San Andreas », « Facetune » et « Terraria »)
–  ou « paidmium » – comprenez téléchargeables moyennant aussi paiement mais cette fois avec achats intégrés (comme « Minecraft Pocket Edition », « Minecraft: Story Mode » et « Ghost Blows Out the Light 3D ») – resteront très minoritaires sur le marché mondial des apps. Ensemble, le téléchargement payant et le paidmium progresseront moins vite que la publicité et le freemium : leur total de chiffre d’affaires qui était d’à peine 5 milliards de dollars en 2015 ne dépassera pas les 10 milliards en 2020. Bien que ce montant ne soit pas négligeable, cela reste très peu.

Montée des abonnements
Pour les achats intégrés (in-app) , les formules d’abonnements font de plus en plus recette et représentent aujourd’hui environ 15 % du chiffre d’affaires généré sur les app stores. « Différentes catégories sont concernées, notamment le streaming musical (Spotify et Pandora Radio), le streaming vidéo (Netflix et HBO Now) et la rencontre (Tinder). Apple et Google ont opéré des changements en juin 2016 qui devraient stimuler davantage les abonnements. L’App Store Apple et Google Play ont augmenté la part de chiffre d’affaires reversée aux éditeurs pour les abonnements, qui sont désormais ouverts à toutes les catégories d’apps sur iOS, y compris les jeux »,
précise l’étude, en constatant que le succès rapide des abonnements tient en partie à leur adéquation avec certaines catégories et approches freemium (NYTimes, Netflix, Spotify, …).
De son côté, le cabinet d’étude Gartner a constaté que les transactions in-app généraient 24 % de dépenses en plus par rapport aux applications au téléchargement payant.

iOS dépense plus qu’Android
Selon cette enquête publiée en mai dernier, il ressort que les mobinautes déboursent en moyenne 9,20 dollars par trimestre dans des transactions in-app, contre 7,40 dollars dans le « paid-for apps ». « Cela confirme qu’une fois les utilisateurs ont confiance en l’application mobile pour leur apporter de la valeur ajoutée sans avoir à payer préalablement, alors ils trouvent plus facile de dépenser in-app », commente Stéphanie Baghdassarian, directrice de recherche de Gartner en France. En revanche, la publicité intégrée dans les applis n’a pas prouvé qu’elle apportait de la valeur ajouté à l’utilisateur : seulement 20 % des personnes interrogées par Gartner déclarent cliquer souvent sur des publicités contenues dans les apps ; elles sont surtout près de 66 %
à dire qu’elles ne cliquent pas sur ces publicités.
Les applications mobiles étaient jusqu’à récemment la chasse gardée des éditeurs
de jeux vidéo, lorsque ce n’était pas des médias et des industries du divertissement. Les autres acteurs, notamment les entreprises de différents secteurs professionnels (banques, services, administrations, …), ont encore du mal à se convertir au mobile. Selon App Annie, la part des éditeurs d’apps « hors-jeux » devrait augmenter significativement dans le chiffre d’affaires total des applis mobiles dans le monde,
pour passer de 34 % en 2015 (24 milliards de dollars) à 45% en 2020 (85 milliards
de dollars).
Au total, App Annie prévoit une croissance de 270 % du chiffre d’affaires net généré par les applications mobiles dans le monde en cinq ans. Avec un rythme moyen annuel de 22 %, ce marché passera de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020. « Cette croissance est due à deux facteurs : d’une part, la forte hausse du temps passé dans les apps, les utilisateurs ayant doublé leur temps d’utilisation au cours des deux dernières années, et, d’autre part, le doublement du nombre d’utilisateurs de smartphones et de tablettes dans le monde, qui devrait s’élever à 6,2 milliards en
2020 », explique l’étude d’App Annie. Les applis devraient en outre profiter du fait que le Web est, depuis octobre dernier selon StatCounter, désormais plus consulté à partir de terminaux mobiles que des ordinateurs. C’est une première mondiale.
En termes de durée d’utilisation des applis, la croissance est exponentielle : les mobinautes passent plus de temps sur les apps de communication, suivies des
réseaux sociaux, des jeux, et des médias/vidéo. Les catégories médias et vidéo sont même en passe de surpasser les jeux en temps passé. Mais d’autres secteurs d’activité s’approprient à leur tour les applis, comme le transport et le commerce, dont le temps passé explose (bien que partant de très bas). « Les marchés matures comme les Etats-Unis et le Japon sont en pleine transition, passant d’une phase de croissance des téléchargements à une phase d’utilisation accrue et de développement du chiffre d’affaires des apps », indique App Annie. Sans surprise, l’écosystème d’Apple (iOS) génère le plus de chiffre d’affaires en 2015 (41 milliards de dollars) et devrait conserver cette première place d’ici à 2020 (99,3 milliards). Cette prédominance de la marque à la pomme s’explique non seulement pas le fait que iOS est reste bien positionné sur les marchés matures, notamment aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi parce que sa clientèle est plus « aisée » financièrement. Quant à Android (Google Play et app stores Android tierces), il arrive en seconde position des écosystèmes mais croît plus vite que iOS grâce à une présence sur les marchés matures et émergents.
Et encore, l’« app économie » est sous-estimée dans la mesure où beaucoup de transactions financières se font en dehors de l’appli. C’est le cas par exemple du m-commerce initié par une appli mais finalisé à l’extérieur. Exemples : eBay ou Uber. Les apps peuvent aussi apporter de la valeur ajoutée à un service existant en dehors de l’app économie, contribuer à accroître la notoriété des marques, fidéliser les clients, réduire les coûts ou encore améliorer le parcours client. L’impact économique des apps dépasse largement leurs frontières numériques, et les wearables (vêtements et montres connectés) ainsi que les objets connectés (dans tous les domaines) sont en passe d’étendre le domaine des applis.La rançon de la gloire des applis est l’hyper-compétitivité de ce marché très privé qui rivalise avec le Web ouvert. « The Web is dead » (3), lançait déjà le magazine Wired en 2010. Six ans plus tard, le World Wide Web vit toujours mais la vague des applis propriétaires et la désormais prédominance des terminaux mobiles sont en passe de le reléguer au second plan.

Jusqu’à l’« app-surdité »
Cet engouement pour les applis peut parfois tourner à l’« app-surdité », comme a cherché à l’illustrer l’organisme norvégien de protection des consommateurs en dénonçant les 32 heures qu’il lui a fallu pour lire sans discontinuité les conditions générales d’utilisation (les fameuses CGU) de seulement 33 applications mobile (4). Résultat : 31 heures 49 minutes et 11 secondes ont été nécessaires ! Si le nombre des applis dépasse 1,5 million dans le monde, l’institut de mesure d’audience ComScore avait démontré que les mobinautes n’en privilégient que quelques-unes et le taux d’abandon reste très élevé. @

Charles de Laubier

Il y a 10 ans, Google s’emparait de YouTube – prochaine cible de la Commission européenne ?

Le numéro un mondial des plateformes vidéo YouTube – quasi monopole, malgré Dailymotion – fera-t- il l’objet d’un quatrième front de la Commission européenne contre Google ? Comme le moteur de recherche, l’écosystème Android et la publicité en ligne, la vidéo est aussi en position dominante.

Sur le premier front, Google est accusé – depuis avril 2015
et dans le cadre d’une enquête ouverte par la Commission européenne en 2010 – d’abus de position dominante sur son moteur de recherche qui favoriserait dans les résultats des requêtes ses propres services. Griefs que Kent Walker (photo), vice-président et directeur juridique de Google, a rejetés le 3 novembre dernier (1).

Un quatrième front anti-trust ?
Sur le deuxième front, Google est accusé – depuis avril 2016 et dans le cadre d’une enquête ouverte par la même Commission européenne en 2015 – d’abus de position dominante sur son système d’exploitation Android qui serait anti-concurrentiel vis à vis des applications tierces. Grief que là aussi Kent Walker a rejetés la semaine suivante, le 10 novembre (2). Sur ces deux premiers fronts, l’exécutif européen a confirmé avoir reçu à ces deux dates les réponses respectives de Google. Dans le Search (moteur de recherche), la firme de Mountain View s’accapare plus de 90 % des requêtes. Avec Android (système d’exploitation), elle s’arroge plus de 80 % de parts de marché des smartphones. Si les deux premières infractions étaient avérées, la filiale de la holding Alphabet – créée il y a un an (en octobre 2015) – risque de se voir infliger une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires du groupe, soit près de 7,5 milliards de dollars (plus de 6,5 milliards d’euros). A ce stade, la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, pense qu’il y a violation des règles anti-trust au détriment des consommateurs et de l’innovation. Quant au directeur juridique de Google, Kent Walker, il réfute ces deux accusations.
Et en juillet dernier, la Commission européenne a ouvert un troisième front. Cette fois, c’est la publicité en ligne de Google qui est dans le collimateur – en particulier sa régie publicitaire AdSense qui est accusée de restreindre, via sa plateforme d’intermédiation entre éditeurs, annonceurs, médias et opérateurs télécoms (3), la possibilité de sites web tiers d’afficher les publicités contextuelles des concurrents du géant du Net. Son autre régie publicitaire, AdWords, fait elle aussi de plaintes de la part des concurrents de Google. Ensemble, AdSense et AdWords fournissent l’essentiel de ses revenus.
Sur le marché de l’intermédiation publicitaire liée aux recherches, Google est en position dominante avec une part de marché d’environ 80 %. Cette fois, Kent Walker n’a pas encore répondu mais cela ne saurait tarder car en juillet le géant du Net avait promis de répondre en « quelques semaines ». Mais ces trois enquêtes menées de front contre la multinationale dirigée par Larry Page, Sergey Brin, Eric Schmidt (à la tête d’Alphabet) et Sundar Pichai (PDG de Google), les trois communications de griefs étant formellement adressées à la maison mère et à sa filiale, ne concernent pas – pour l’instant ? – une autre très importante filiale de cet empire américain du Net : YouTube. Est-ce à dire que la première plateforme mondiale de partage vidéo, rachetée à prix d’or il y a dix ans maintenant par Google (4) et devenue un quasi monopole dans son domaine, n’a rien à se reprocher vis à vis de la concurrence ? Rien n’est moins sûr.
Si la Commission européenne se focalise sur le moteur de recherche, le système d’exploitation et la publicité en ligne, rien ne l’empêcherait s’élargir ses enquêtes à la plateforme vidéo.
D’autant que YouTube bénéficie largement des retombées des requêtes de recherches sur Google, de sa mise en avant sur le système d’exploitation Android et des retombées publicitaire de AdSense. En juillet, la Commission européenne a notamment formulé des griefs à propos « AdSense for Search » qui est la plateforme d’intermédiation publicitaire liée aux recherches (5). Or, cette plateforme existe aussi pour YouTube (AdSense for Search sur YouTube) qui permet d’afficher des liens sponsorisés en surimpression d’une vidéo produite par un internaute ou par un éditeur (6). De même, s’il y a « AdSense for Content » qui est la plateforme d’intermédiation pour afficher des bannières sur le site web d’un éditeur tiers, la déclinaison AdSense
for Content sur YouTube existe aussi avec les fameuses publicités vidée en pre-roll (7).

5 milliards de dollars en 2016
« La recherche mobile et la vidéo propulsent notre activité centrale de publicité. Les revenus de YouTube continuent d’augmenter à une vitesse très importante, soutenus principalement par la publicité vidéo », s’est enthousiasmée Ruth Porat, directrice financière d’Alphabet et de Google, lors de la présentation des résultats du troisième trimestre, le 28 octobre. Selon eMarketer, YouTube (dont Google ne dévoile jamais les revenus) devrait franchir cette année la barre des 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires (8). @

Charles de Laubier

Président de Google Europe, Matt Brittin est en première ligne dans l’attente du verdict de Bruxelles en juin

Président de Google pour la région EMEA depuis décembre 2014, Matt Brittin défend bec et ongles – voire avec arrogance – les intérêts du géant du Net. Lui et la directrice des affaires publiques internationales de la firme de Mountain View, Caroline Atkinson, ont été entendus en mai à Bruxelles. Verdict imminent.

Matt Brittin 2La Polonaise Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne
en charge du Marché intérieur et de l’Industrie, a reçu le 3mai dernier à Bruxelles le Britannique Matt Brittin (photo), président de Google Europe. Quelques jours après cet entretien d’où rien n’a filtré, ce fut au tour de l’Américaine Caroline Atkinson, directrice de la politique internationale de Google depuis janvier (après avoir été conseillère économique de Barack Obama), d’être convoquée pour rencontrer le 19 mai l’Estonien Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, chargé
du Marché numérique unique. Ces échanges au sommet annoncent un dénouement prochain de l’enquête au long cours menée depuis 2010 sur Google, accusé d’abus de position dominante en Europe avec son moteur de recherche. Il en va dans cette affaire de la crédibilité de l’exécutif européen qui a pris son temps pour l’instruire (1) (*) (**).

Bruxelles ? « De braves gens mal informés » (Matt Brittin)
Selon le Sunday Telegraph du 15 mai dernier, la firme de Mountain View (Californie) dont le siège européen est à Dublin (Irlande) pourrait écoper début juin d’une amende d’environ 3 milliards d’euros pour avoir manipulé les résultats de son moteur de recherche afin de favoriser ses propres services au détriment de ceux équivalents de la concurrence.
Si cette sanction financière se confirmait, ce serait un record – bien que la Commission européenne soit en droit de pouvoir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires global de Google, soit quelque 7,5 milliards de dollars !
Le dernier record qui pourrait être ainsi largement battu est détenu par le numéro un mondial des microprocesseurs Intel épinglé en 2013 à hauteur de 1,06 milliard d’euros pour entrave à la concurrence. L’exécutif européen n’est-il pourtant pas constitué que
« de braves gens qui essaient de s’informer sur le monde, et peut-être pourraient-ils être mieux informés qu’ils ne le sont », comme l’affirmait avec une pointe d’arrogance Matt Brittin dans une interview au Financial Times le 17 avril dernier ? « Il y a des endroits et des intérêts en Europe où le premier réflexe est de otéger le passé du futur. Il y a un travail de formation à faire ici. Nous et d’autres avons beaucoup à faire », avait-il même ajouté quelque peu méprisant.

Moteur, Android, Bermudes, …
Président de Google pour la région EMEA (2) depuis décembre 2014, cet ancien directeur de la stratégie et du numérique du groupe de presse britannique Trinity Mirror sera en première ligne lorsque le verdict de la Commission européenne va tomber. Il n’a d’ailleurs pas échappé à la Danoise Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la Concurrence, que Google a – en pleine enquête anti-trust – modifié ses algorithmes pour encore plus prospérer face à ses concurrents désavantagés. A cette tactique s’est ajouté un comportement jugé dilatoire par Bruxelles pour retarder l’issue de l’enquête. Sans parler d’une réorganisation de sa gouvernance en Europe effectuée il y a plus d’un an maintenant : c’est à ce moment-là que Matt Brittin, jusqu’alors vice-président du Nord et du centre de l’Europe, a vu ses responsabilités étendues à tout le Vieux Continent. Son alter ego chez Google pour le Sud et l’Est de l’Europe, Carlo d’Asaro Biondo, bien plus connu en France, est devenu, lui, président EMEA des relations avec les partenaires commerciaux.
Et encore, cette sanction financière record qui pend au nez du numéro un des moteur de recherche – avec 95 % de parts de marché des requêtes sur l’Internet européen – pourrait être suivie ultérieurement par une autre amende portant cette fois sur le système d’exploitation Android pour smartphones. Ce deuxième front a été ouvert en avril dernier par la Commission européenne (3). « On verra où tout cela mènera. Il est normal, vu l’importance d’Android dans le panorama européen que la Commission européenne fasse des contrôles », a estimé à Paris Carlo d’Asaro Biondo, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 22 avril. Et comme « Jamais deux sans trois », un troisième front est en outre ouvert à l’encontre de Google : la fiscalité. Matt Brittin, qui est basé à Londres, a été convoqué en février par Parlement britannique pour s’expliquer sur le peu d’arriérés d’impôts que Google s’est engagé à payer au Royaume-Uni sur dix ans (2005-2015) – seulement 167 millions d’euros (4). S’il a assuré aux députés que son groupe payait au fisc britannique 20 % d’impôt sur les sociétés, il n’a en revanche pas su dire quel salaire il touchait – provoquant l’ire de la présidente commission des comptes publics à la Chambre des communes. Google fait l’objet de redressements fiscaux dans d’autres pays européens tels qu’en France où il serait question de 1,6 milliard d’euros d’arriérés à payer – sur fond d’« enquête préliminaire pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée » (dixit le Parquet financier le 24 mai). Matt Brittin s’est fait connaître publiquement il y a quatre ans en défendant les pratiques d’« optimisation fiscale » de Google en Europe via une filiale aux Bermudes. Il n’a eu de cesse depuis d’expliquer que les employés britanniques de la firme de Mountain View ne s’occupent que de
« promotion », bien qu’il reconnaît le paiement à ces derniers de commissions sur les ventes conclues par la filiale irlandaise.

Quant à Caroline Atkinson, elle est directrice des affaires politiques internationales
de Google depuis le mois de mars. Basée à Washington après avoir été à la Maison Blanche, en tant que conseillère de Barack Obama pour les affaires économiques et
la sécurité nationale, cette diplomate américaine n’a sans doute pas été étrangère
aux propos lapidaires que le président des Etats-Unis avait tenus en février 2015 à l’adresse du Vieux Continent : « Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, développé et amélioré de telle manière que l’Europe ne puisse pas lutter », avait-il lancé dans une interview au site web Re/code. Et à propos de l’enquête de Bruxelles sur Google : « La réponse européenne est parfois plus dictée par des intérêts commerciaux qu’autre chose ».
Pourtant, l’Europe n’est pas la seule à s’intéresser aux agissements de Google. L’autorité de la concurrence américaine, la Federal Trade Commission (FTC), se penche elle aussi sur les risques d’abus de position dominante du numéro un des moteurs de recherche. Selon le site web Politico du 11 mai, une enquête pourrait
être déclenchée à la suite d’une plainte d’une entreprise américaine. Ce n’est pas
la première fois que la FTC a des soupçons sur Google.com : en 2013, elle avait finalement renoncé à poursuivre le géant de Net faute de preuve. Le 26 avril dernier, le Wall Street Journal révélait que la FTC cherchait à savoir – à l’instar de la Commission européenne – si Google abusait de sa position dominante avec Android.

Après l’Europe, les Etats-Unis ?
« Google se livre aux mêmes pratiques anti-concurrentielles, injustes et abusives aux Etats-Unis. Nos autorités de la concurrence doivent aller de l’avant et faire leur travail, au lieu de laisser les Européens le faire pour eux », a déclaré en avril John Simpson, ancien journaliste devenu défenseur des consommateurs au sein de l’organisation américaine Consumer Watchdog. Cela n’empêche pas que l’offensive européenne contre la firme de Mountain View soit perçue aux Etats-Unis, notamment par l’influente CCIA (Computer & Communications Industry Association) dont est membre Google aux côtés de d’Amazon, eBay, Facebook, Microsoft, Yahoo ou encore Samsung, comme une attaque contre l’innovation. @

Charles de Laubier