Avec Access Industries (Warner Music), le français Deezer trouve son « Yahoo » pour conquérir l’Amérique

C’est dans la torpeur de l’été que l’Autorité de la concurrence a publié début août sa décision – prise en toute discrétion le 24 juin dernier – autorisant « la prise de contrôle exclusif de la société Deezer » par le groupe Access Industries qu’a fondé l’Américain (né en Ukraine) Leonard Blavatnik il y a trente ans.

Créée en 1986, Access Industries, la holding diversifiée de l’Américain d’origine russo-ukrainienne Leonard Blavatnik (photo), déjà propriétaire de Warner Music depuis 2011, s’offre Deezer pour ses trente ans. Access Industries, qui s’était par ailleurs emparé en 2014 du groupe Perform en Grande-Bretagne spécialisé dans les médias sportifs en ligne, fait avec Deezer
un pas de plus en Europe dans les industries culturelles. La plateforme française de musique en ligne, qui fêtera quant à
elle ses dix ans l’an prochain, passe ainsi officiellement sous
le contrôle d’une entreprise américaine. L’augmentation de capital réalisée en début d’année – correspondant à une levée de fonds de 100 millions d’euros et aboutissant à la prise de contrôle de Deezer par Access Industries – a été discrètement autorisée par l’Autorité de la concurrence au début de l’été et la décision publiée seulement le 3 août. Le pionnier français des services de musique en ligne, concurrent de Spotify et d’Appel Music, tombe ainsi dans l’escarcelle d’une entreprise étrangère sans que personne en France ne s’en émeuve. Pourtant, l’on se souvient de l’affaire « Dailymotion » au printemps 2013 lorsque le ministre du Redressement productif à l’époque, Arnaud Montebourg, s’était opposé publiquement à ce qu’Orange – alors détenteur de la totalité du capital de la plateforme de partage vidéo française – en vende 75 % à l’américain Yahoo pressé de concurrencer frontalement YouTube.

De l’affaire d’Etat « Dailymotion » à la vente discrète de Deezer
Cette intervention de l’Etat fit capoter le projet, à la grande consternation des dirigeants de Dailymotion et de Stéphane Richard, le PDG d’Orange (1). Dans le cas de la vente de Deezer, rien de tout cela. Il faut dire qu’Orange n’est cette fois que minoritaire de l’entreprise via sa holding Orange Participations (2), laquelle a augmenté sa part jusqu’alors de 11,7 %, pendant qu’Access Industries a pris le contrôle en passant de 29,7 % à plus de 50 %. Et puis le successeur d’Arnaud Montebourg à Bercy, Emmanuel Macron, avait sans doute d’autres chats à fouetter que de se préoccuper d’une pépite de la hightech française : le ministre de l’Economie, de l’Industrie et…
du Numérique lançait en avril son propre mouvement politique « En marche ! » et démissionnait du gouvernement fin août !

Blavatnik, à défaut de Bourse
Aussi étonnant soit-il, comme le souligne d’ailleurs l’Autorité de la concurrence, aucun des actionnaires de Deezer ne détenait jusqu’à maintenant de participation majoritaire ni le contrôle de la société. La quinzaine d’actionnaires de la plateforme musicale exerçaient donc sur Deezer « un contrôle fluctuant ». Derrière les deux premiers actionnaires Access Industries et Orange, il y avait – du moins avant l’augmentation
de capital du début d’année – DC Music (fonds des frères Rosenblum, fondateurs de Pixmania) et Idinvest Partners (avec Lagardère comme investisseur) à hauteur de plus de 10 % chacun, suivis de Daniel Marhely (cofondateur de Deezer avec Jonathan Benassaya), mais aussi des majors de la musique enregistrée que sont Universal Music (6,4 %), Sony Music (4,1 %), Warner Music (4,1 %) et EMI (2,1 %), ainsi que notamment… Xavier Niel, le patron fondateur de Free, à hauteur de 4 %.
Pour la holding new-yorkaise du milliardaire Leonard Blavatnik (3), la prise de contrôle est l’aboutissement d’une stratégie d’investissement qui l’avait amené à devenir en 2012 actionnaire de la start-up française (ex-Blogmusik). Après avoir renoncé à son introduction à la Bourse de Paris, laquelle était prévue fin 2015 (4) mais fut annulée en raison du peu d’enthousiasme des investisseurs perplexes au moment du lancement d’Apple Music, Deezer se devait de trouver de l’argent frais pour financer son expansion internationale.
Le plus Américain de ses investisseurs sera finalement sa tête de pont pour conquérir les Etats-Unis, où la plateforme musicale française n’a jusqu’ici que très peu percé : moins de 1 % de son chiffre d’affaire, lequel a dépassé les 190 millions d’euros en 2015 (contre près de 142 millions l’année précédente). Avec des pertes annuelles récurrentes (27 millions d’euros en 2014) et un nombre d’abonnés payants qui dépasse à peine les 6 millions (contre 40 millions pour Spotify), Deezer n’avait pas les moyens de ses ambitions mondiales malgré une offre de streaming audio étoffée disponible dans plus de 180 pays : catalogue de plus de 35 millions de titres musicaux et 40.000 podcasts d’information, de divertissement et de sport, les utilisateurs pouvant écouter des playlists personnalisées et des webradios à partir de tout appareil connecté à Internet. En Europe, d’après l’Autorité de la concurrence, sa part de marché en valeur
– téléchargement et streaming confondus – ne dépasse pas les 5 % en 2015 pendant que celle de chacun de ses principaux concurrents Spotify et iTunes/Apple Music est au-delà des 40 %. Finalement, c’est bien sur l’Hexagone que le français Deezer s’est imposé avec – toujours incluant téléchargement et streaming – entre 20 % et 30 % de part de marché l’an dernier face à ses principaux rivaux : iTunes/Apple Music (30-40 %), Spotify (10-20 %), Napster (5-10 %), YouTube (5-10 %) et Qobuz (0-5 %).
Si l’on considère cette fois le seul segment du streaming musical, Deezer s’en tire encore mieux en France face à ses multiples concurrents grâce à un accord noué à partir d’août 2010 avec son actionnaire Orange pour proposer des bundles « forfait-musique », avec cette fois une part de marché située entre 40 % et 50 %. Ce qui en fait la première plateforme de musique sur son marché domestique. En effet, toujours sur l’Hexagone, Spotify s’arroge près de 30 % ; YouTube et Naptser se situent entre 10 % et 20 % ; Qobuz ne fait pas plus de 5 % ; tous les autres (Apple Music, Tidal, Google, Fnac, …) totalisent ensemble jusqu’à 20 % au grand maximum des revenus du streaming.
Selon le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représente les intérêts des majors de la musique dont fait partie Warner Music d’Access Industries,
le marché français de la musique numérique a atteint 152,3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015 (tarifs de gros hors taxes), dont 104,2 millions pour le streaming (par abonnement ou gratuit financé par la publicité) et 42,7 millions pour le téléchargement. L’Autorité de la concurrence s’est intéressée à l’intégration verticale du nouvel ensemble Access-Deezer « dans la mesure où Access intervient, via Warner Music,
sur le marché de la distribution en gros de licences de musique enregistrée numérique, en amont des activités de streaming de Deezer sur le marché de la vente au détail de musique enregistrée numérique ». Le risque de cette concentration verticale était de voir Access-Deezer restreindre la concurrence sur le marché ainsi verrouillé par des pratiques déloyales (éviction, tarifs, coûts, …) en amont et en aval.

Intégration verticale anti-concurrentielle ?
Par exemple, Warner Music pourrait avoir des pratiques discriminatoires au bénéfice de Deezer en octroyant à ce dernier de licences exclusives sur certains titres ou artistes. Inversement, Deezer pourrait favoriser Warner Music en refusant de donner accès à sa plateforme aux maisons de disque concurrentes, ou à des conditions dégradées. Mais pour le gendarme de la concurrence, « l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’un verrouillage de l’accès ». @

Charles de Laubier

 

Musique : la vidéo pèse 65 % du streaming en France

En fait. Le 8 mars, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a dressé le bilan du marché français de la musique enregistrée : 426 millions d’euros, en recul de – 7 %, dont 152,3 millions pour les revenus du numérique,
en hausse de + 14,7 %. Le streaming musical est dominé par la vidéo qui
rapporte peu.

En clair. Le nombre de titres consommés en streaming au cours de l’année 2015 en France a atteint la barre des 50 milliards de titres, dont 65 % sont de la musique en vidéo et les 35 % restants de l’audio. C’est ce qu’a révélé le Snep – qui regroupe notamment les majors de la musique (Universal Music, Sony Music et Warner Music) – lors de la présentation de son bilan 2015, en s’appuyant sur les chiffres des plateformes numériques et du cabinet d’étude GfK. Or le Snep constate que si près des deux tiers des titres musicaux streamés sont de la vidéo, celle-ci ne génère que 10 % des 104,2 millions d’euros de revenus totalisés par le streaming dans son ensemble l’an dernier. Autrement dit, le streaming audio représente à peine plus d’un tiers des titres musicaux streamés mais rapporte 90 % des revenus totaux du streaming. « En France, un streamer YouTube rapporte 54 fois moins qu’un abonné à un service audio et 3 fois moins qu’un utilisateur de service audio gratuit », a déploré le directeur général du Snep, Guillaume Leblanc, qui en appelle à une « nécessaire correction du transfert de valeur ». En monnaie sonnante et trébuchante, cela veut dire que le revenu annuel du producteur par utilisateur en 2015 a été de 27 euros par abonnement streaming audio (1), mais seulement de 1,5 euros pour le streaming financé par la publicité, et seulement de 0,5 euro pour le streaming vidéo gratuit.
Assistant à la présentation, Denis Thébaud, PDG de Xandrie et acquéreur fin décembre de Qobuz (2), la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, a interrogé le Snep sur ce constat : « Sur Qobuz, cela pourrait nous intéresser d’avoir une offre vidéo. Mais j’ai été frappé par la divergence des revenus. Car 54 fois plus, c’est énorme pour le même service (que le streaming audio) mais avec la vidéo en plus. Avec l’image, on se dit que cela devrait être plus cher… ».
Ce à quoi Stéphane Le Tavernier, le président du Snep et directeur général de Sony Music France, lui a répondu : « Pour l’instant, il n’existe pas d’offres vidéo sur les principales plateformes à part YouTube. Mais nous sommes tout à fait ouverts à tout nouveau modèle qui permettrait de continuer à développer l’usage. Si vous avez un bon modèle et techniquement les possibilités d’attirer de la clientèle sur un modèle de vidéo payant, la totalité des producteurs seront ravis d’y participer ». A bon entendeur… @

Mis au pilori par Adele et d’autres musiciens, le streaming est plus que jamais controversé

Adele a refusé que son nouvel album « 25 » soit sur les plateformes de streaming musical (Spotify, Deezer, Tidal, Apple Music, …). Cela ne l’a pas empêché de battre un record de ventes, tant physique (CD) que numérique (téléchargement). Un événement que l’industrie de la musique devrait méditer…

L’album « 25 » de la chanteuse britannique Adele (photo) a battu l’an dernier le record de ventes aux Etats- Unis : 7,44 millions d’exemplaires, détrônant l’album « Confessions » du chanteur américain Usher vendu il y a plus de dix ans à 7,98 millions d’exemplaires (1). Mes l’engouement pour le dernier opus d’Adele, publié en novembre 2015 avec le titrephare « Hello », devrait se poursuivre sur sa lancée
en 2016 – avec une tournée passant par Paris les 9 et 10 juin prochains – et conforter ainsi sa place de numéro un.

Streaming = «musique jetable »
Les plateformes de streaming – Spotify, Deezer, Tidal, Apple Music, … – n’y sont pour rien dans ce succès. Et pour cause : la « chanteuse soul qui fait de la pop » (comme elle se définit elle-même) a refusé catégoriquement de proposer son nouvel album en streaming ! Dans une interview publiée le 16 novembre dernier dans l’hebdomadaire américain Time, elle a tenu à justifier sa décision : « Le streaming c’est un peu comme de la musique jetable. Je sais que le streaming c’est l’avenir, mais ce n’est pas la seule façon d’écouter de la musique. (…) Pour moi la musique devrait être un véritable événement ». En évitant de mettre son album en streaming, cela a incité son public
à acheter l’album, physique ou numérique. Résultat, Adele est devenue la première artiste à vendre plus d’un million d’albums par semaine pendant deux semaines d’affilée depuis 1991 aux Etats-Unis, selon le décompte de l’institut Nielsen Music.
« 25 » a aussi battu un record au Royaume-Uni, où il s’est vendu à plus de 1 million d’exemplaires en dix jours, ainsi qu’au Canada. En France (voir encadré page suivante), le distributeur Beggars Group enregistre aussi ses meilleures ventes…
Ces records de ventes de « 25 » démontre de façon magistrale que le streaming – proposant en flux et sans téléchargement de la musique à la demande de manière illimitée – n’est pas un passage obligé, même s’il devient le premier mode d’écoute
(en flux) de la musique en ligne, au détriment du téléchargement et bien sûr de la
vente physique de CD. Cela prouve que le concept d’album garde encore de forts potentiels de ventes, face au rouleau compresseur de la vente à la découpe du streaming et du téléchargement titre par titre. L’industrie musicale, que Nielsen Music qualifie de « jeuniste », n’avait pas prévu ce succès historique obtenu grâce aux fans d’Adele, dont beaucoup sont dans la tranche d’âge des 50 à plus de 60 ans, avec un fort pouvoir d’achat – ceux qui ne sont plus dans le coeur de cible des maisons de disques. En outre, Adele est en quelque sorte la cerise sur le gâteau de la contestation contre le streaming musical et de son faible niveau de rémunération des artistes.
Le quotidien suédois Expressen a calculé que la diva londonienne touchait 7 dollars pour chaque album vendu, soit bien mieux que le 1 centime de dollar perçu pour chaque écoute d’un des morceaux de l’album si elle l’avait mis sur Spotify. « Nous adorons et respectons Adele, tous comme ses 24 millions de fans sur Spotify. Nous espérons qu’elle leur donnera l’opportunité d’apprécier ‘25’ très prochainement, comme ils le font pour ‘19’ et ‘21’ [ces deux précédents albums, ndlr] », avait réagit la plateforme suédoise lors de la sortie de ce dernier album. En juin 2015, son fondateur Daniel Ek s’était défendu de spolier les artistes en expliquant avoir déboursé plus de 3 milliards de dollars en droits d’auteur depuis son lancement en ligne en 2008. Ni Apple, ni Deezer, ni Tidal n’ont, quant à eux, commenté ce boycottage de la part d’Adele.

Ce n’est pas la première fois qu’un artiste met à l’index le streaming musical. Il y a plus d’un an, s’estimant financièrement lésée, la chanteuse américaine Taylor Swift avait décider de retirer tout son catalogue de Spotify lors de la sortie de l’album « 1989 ».
Ce qui ne l’avait pas empêcher de faire un carton, puis, d’annoncer en juin dernier
sa disponibilité sur Apple Music qui diffusera aussi en exclusive le film de sa tournée musicale.

Class action contre Spotify
Tout récemment, le 8 janvier dernier, la chanteuse et enseignante Melissa Ferrick (2) a déposé plainte à Los Angeles contre Spotify à qui elle réclame 200 millions de dollars pour diffusion non autorisée par l’artiste. Quelques jours plus tôt, le 28 décembre 2015, le musicien américain David Lowery (3) avait aussi demandé à un juge de Los Angeles d’accepter un recours collectif (class action) au nom de centaines de milliers de plaignants potentiels contre Spotify accusé, là aussi, d’avoir reproduit leurs musiques sans l’autorisation des auteurs. Il réclame, lui, 150 millions de dollars de dommages
et intérêts à la plateforme suédoise, tout en l’accusant de « pratiques commerciales déloyales » et de « faire baisser la valeur des droits auteur ».
La plateforme aux 75 millions d’utilisateurs, dont plus de 20 millions d’abonnés payants le service sans publicité, s’inscrit comme à son habitude en faux contre ces griefs, précisant seulement qu’il a provisionner suffisamment d’argent pour payer à l’avenir
les royalties des auteurs lorsqu’ils auront été identifiés avec l’aide des organisations d’ayants droits.

Les musiciens se rebiffent
D’autres artistes ont préféré prendre les choses en main. Madonna, Beyoncé, Daft Punk, Rihanna, Jack White, Chris Martin, Nicky Minaj, ou encore Kanye West, parmi une quinzaine de stars de la musique, sont devenus actionnaires de la plateforme de streaming Tidal lancée en novembre 2014 aux Etats-Unis et en mars 2015 en France par le rappeur et homme d’affaires américain Jay-Z (alias Shawn Corey Carter, mari de Beyoncé), qui détient aussi le label Roc Nation. Tidal, qui mise sur le son haute fidélité comme la plateforme français Qobuz tout juste racheté par la société Xandrie (lire en Une), est une façon pour les artistes de s’émanciper un peu des plateformes iTunes ou Spotify avec l’objectif de reprendre le contrôle sur leurs productions. Cela a même séduit la star américaine Prince qui avait lancé en 2010 : « Internet est complètement fini ! ». Dans une interview dans le quotidien britannique The Guardian en novembre 2015, il avait confirmé sa déclaration : « Ce que je voulais dire c’est qu’Internet était fini pour quiconque veut être payé, et j’avais raison. Donnez-moi un nom d’artiste devenu riche grâce aux ventes numériques. Mais Apple se porte plutôt bien non ? ». Prince s’est résolu a vendre ses derniers albums, « HITnRUN phase one » et « HITnRUN phase two », en streaming sur Tidal dont il fait depuis l’éloge… Même les ayants droits des Beatles (Fab Four, Universal Music/EMI) se sont convertis au streaming – les musiques de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr sont
sur Spotify, Apple Music, Slacker, Tidal, Groove, Rhapsody, Deezer, Google Play et Amazon Prime depuis fin décembre – après avoir boycotté ce mode d’écoute en ligne. « Come Together », du célèbre album « Abbey Road », a été le plus écouté sur Spotify… Les groupes Led Zeppeling et AC/DC ont, eux aussi, boudé le streaming avant de se résoudre à y aller. Toujours résistants, les chanteurs Neil Young et Thom Yorke (Radiohead) n’ont pour leur part pas encore céder aux sirènes du streaming.

Le streaming reste un moyen de diffusion musicale non seulement très controversé mais aussi très fragmenté et hétérogène. YouTube Music a été lancé en novembre dernier, aux Etats-Unis pour l’instant (et parallèlement à Google Play Music), soit cinq mois après la mise en service d’Apple Music qui a remplacé Beats Music (4). Facebook Music pourrait faire son apparition sur le numéro un des réseaux sociaux qui ronge son frein avec un nouvel outil de partage de musiques, baptisé « Music Stories », en lien avec Spotify et Apple.
Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI (5)), les ventes mondiales de musique numérique ont égalé – pour la première fois en 2014 – les ventes physiques. Le bilan de l’année 2015 devrait marquer le dépassement, une première historique. @

Charles de Laubier

ZOOM

France : 18,7 millions de « streamers », dont seulement 3 millions d’abonnés
Selon Médiamétrie, ils sont en France 18,4 millions d’internautes, de mobinautes, de tablonautes, voire de télénautes, à écouter au moins une fois en un mois de la musique en streaming (flux sans téléchargement préalable), qu’elle soit gratuite ou payante. Autrement dit, plus de 4 personnes sur 10 (42 %) sont des « streamers ».
Parmi eux, 16,7 millions utilisent au moins une plateforme gratuite (YouTube, Dailymotion, Tune In Radio, …), contre 7,5 millions pour les payantes (Sony Music, Napster, Fnac Jukebox, …). Mais 5,6 millions de ces streamers adoptent une consommation mixte partagée entre les deux types de plateformes ou celles qualifiées de freemium (Deezer, Spotify, SoundCloud, …).
Mais selon le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) et sa société de perception des droits SCPP, ils ne sont que 3 millions à être abonnés à une offre de streaming. « L’ordinateur et le téléphone mobile sont les écrans de prédilection pour y accéder et sont plébiscités, avec respectivement 70 % et 50 % des streamers qui les utilisent. Ces deux écrans devancent largement la tablette (20 %) et le téléviseur
(9 %) », indique l’institut de mesure d’audience . @

Médiamétrie précise cependant que « les streamers
gratuits et payants ne privilégient pas les mêmes
écrans : si les streamers gratuits ont des niveaux
d’utilisation des écrans assez similaires à ceux de
l’ensemble des streamers, en revanche, du côté des
payants, le mobile (56 %) passe d’une courte tête
devant l’ordinateur (54 %) ».

Musique : face au streaming, le téléchargement mise sur la qualité sonore, mais avec des tarifs peu lisibles

L’année 2014 aura été celle du « délitement du téléchargement » dans la musique en ligne. Mais la meilleure qualité sonore des fichiers est devenu un nouvel enjeu pour les plateformes. Mais pour l’Observatoire de la musique, cela s’accompagne d’une stratégie commerciale et tarifaire « peu lisible ».

« Le second semestre 2014 confirme le changement de paradigme définitif de l’économie musicale. En effet, semestre après semestre, nous assistons à un délitement du téléchargement. Constaté dès septembre 2013, le recul du téléchargement s’est aggravé au cours de l’année 2014 qui n’a connu en termes de chiffre d’affaires aucune période mensuelle de croissance », constate le rapport semestriel (1) de l’Observatoire de la musique, réalisé avec la collaboration de Xavier Filliol (photo), expert indépendant et par ailleurs trésorier du Syndicat des éditeurs
de services de musique en ligne (ESML), lequel est membre du Geste dont il est coprésident de la commission Musique & Radio.

Nouveau paradigme musical
Après la fermeture en toute discrétion du service de téléchargement chez le suédois Spotify début 2013, ce fut au tour d’Orange d’y mettre un terme – entraînant dans la foulée la fin du téléchargement chez le français Deezer (2). D’autres services ont aussi arrêté le téléchargement de musiques : Rhapsody, Nokia, Rdio ou encore Mog. Lorsque ce ne fut pas la fermeture du service lui-même : We7, VirginMega ou encore Beatport.
« Face à ce délitement, on voit poindre une stratégie commerciale – de nouveau – peu lisible, où l’on joue la qualité sonore, vertu du confort d’écoute, comme la variable d’une politique tarifaire qui n’est pas sans poser problème. Ainsi, le focus prix met en évidence des écarts très significatifs sur un même album, ce qui n’est pas sans rappeler les abus mortifères pour l’économie du disque que nous avons connus il y a
15 ans dans le physique », déplore l’Observatoire de la musique, lui-même créé il y a maintenant 15 ans au sein de la Cité de la musique (3). Le second semestre de l’an dernier est marqué par l’amélioration de la qualité sonore, qui devient un nouvel enjeu pour les plateformes de téléchargement de musique. C’est ainsi que sont apparues de nouvelles offres telles que celles de l’allemand HighResAudio, dont les albums peuvent être téléchargés en très haute résolution sonore (24 bits à des taux d’échantillonnage de 88,2 Khz à 384 Khz), et du label britannique Warp Records et son service Bleep proposant des titres ou des albums au format MP3 encodé à 320 Kbit/s, des versions Flac (4) pour certains téléchargements, ainsi que des versions Wav non compressées.

Il y a aussi la plateforme du label allemand Deutsche Grammophon de musique classique qui intègre iTunes pour le téléchargement. Ils rejoignent ainsi le français Qobuz qui, créé en 2008, a abandonné le format MP3 dès 2012 pour miser exclusivement sur la qualité audio HD. Les hauts niveaux de qualité sonore permettent aux plateformes de téléchargement de proposer des tarifs plus élevés, limitant tant bien que mal la chute des revenus face à la montée en charge du streaming. Les prix pratiqués par Qobuz sont présentés selon le format de fichier proposé au téléchargement : si la qualité CD a remplacé le MP3, l’offre Studio Masters disparaît au bénéfice de l’offre dite Hi-Res (pour haute résolution) qui propose des fichiers encodés 24 bits/44.10 Khz et jusqu’à 192 Khz sans perte. Une autre plateforme, 7Digital, a aussi fait le choix depuis fin 2013 d’améliorer la qualité de ses fichiers audio et d’adopter une nouvelle politique tarifaire avec des prix différents au téléchargement en fonction de la qualité des fichiers (5).
Mais la tendance à la hausse des tarifs justifiés par une meilleure qualité sonore aboutit à « quelques errements » (dixit le rapport), notamment avec un écart maximal de plus de 42 euros sur un album jazz entre sa version normale sur Google Play (à 9,99 euros) et sa version en son HD sur 7Digital (à 52,64 euros). Mais le téléchargement n’a pas le monopole de la meilleure qualité sonore. Le streaming HD, aux tarifs plus lisibles (avec un abonnement de 9,99 euros par mois), se développe lui aussi. Après Spotify, Deezer vient à son tour de lancer la qualité CD au format Flac.

Le retour de la hi-fi hd
Des partenariats se multiplient en outre autour des fabricants de ces appareils hi-fi numériques sans fil tels que l’américain Sonos qui intègre par exemple les plateformes Fnac Jukebox, Soundcloud, Tidal (récemment acquis par l’artiste américain Jay-Z) ou encore Spotify. « Si l’amélioration de la qualité sonore est le nouvel enjeu de bon nombre de plateformes, leur intégration au sein des systèmes audioconnectés n’en est pas moins essentielle, tant l’équipement ou le rééquipement du foyer (de l’écran 4K au système multi-room) est susceptible de constituer l’un des loisirs domestiques des plus prisés », souligne l’Observatoire de la musique. Et la TV connectée devrait accroître la visibilité de ces plateformes musicales dans les foyers. @

Charles de Laubier