Le système d’exploitation Linux fête ses 30 ans : un « cancer » qui fait désormais du bien à Microsoft

« Linux est un cancer qui s’attache, en termes de propriété intellectuelle, à tout ce qu’il touche. C’est ainsi que fonctionne la licence », fustigeait il y a 20 ans Microsoft par la voix de son PDG d’alors, Steve Ballmer. Son successeur, Satya Nadella, a adopté cet OS open source créé il y a 30 ans.

C’est à un journaliste du Chicago Sun-Times, lors d’un déjeuner de presse le 31 mai 2001, que Steve Ballmer avait tiré à boulets rouges sur le système d’exploitation libre de droit lancé dans sa première version le 17 septembre 1991 par son créateur le Finlandais Linus Torvalds (photo). « Linux est un cancer », avait osé affirmer le PDG de Microsoft à l’époque – et successeur du fondateur Bill Gates – dans sa réponse à la question « Considérez-vous Linux et le mouvement opensource comme une menace pour Microsoft ? » (1).

Du « cancer » à la greffe ouverte
L’ancien patron de l’éditeur de Windows avait aussi assuré que Linux n’était pas une menace pour son système d’exploitation pour PC : « Oui. C’est une bonne concurrence. Cela nous forcera à innover. Cela nous forcera à justifier les prix et la valeur que nous offrons. Et ce n’est que sain ». Ce qu’il considérait comme une tumeur maligne a finalement été adopté par son successeur et actuel PDG depuis février 2014, Satya Nadella. Microsoft adhère en novembre 2016 à la fondation Linux (2) qui standardise les développements open source autour du noyau (kernel) de Linus Torvalds. La firme de Redmond en est même devenue membre platinum aux côtés de Facebook, Huawei, IBM/Red Hat, Oracle, Samsung, Tencent, AT&T, Nec, Ericsson ou encore Intel. Les dénigrements envers Linux de la part de Microsoft, alors soupçonné d’abus de position dominante avec Windows (3), ont laissé place à une lune de miel qui perdure : depuis 2015, Linux fonctionne sur Azure, le cloud devenu core business de Microsoft ; depuis 2017, le célèbre logiciel libre peut faire tourner une base de données SQL Server de Microsoft. Satya Nadella entend ainsi rendre le groupe moins dépendant de l’OS (4) historique Windows, lequel est de plus en plus concurrencé par Android de Google et dans une moindre mesure par l’iOS d’Apple.
Le patron indo-américain a ainsi élargi le champs d’action de Microsoft, en adoptant un écosystème (Linux) bien plus vaste que le sien et en augmentant sa communauté de développeurs informatiques (logiciels, applis mobiles, sites web, objets connectés, …). En 2018, Microsoft a en outre racheté la plateforme de développement de logiciels libres GitHub pour 7,5milliards de dollars. Comptant à ce jour plus de 65 millions de développeurs et 3 millions d’organisations, la désormais filiale de Microsoft est considérée comme le plus grand hébergeur au monde de « code source », avec plus de 200 millions de dépôts de projets logiciel. Puis c’est en 2019 que la firme de Redmond met un noyau de Linux dans Windows 10, en lieu et place d’un simple émulateur, afin de satisfaire un peu plus les Linuxiens. La même année, cette « politique d’ouverture » pousse Microsoft à rendre disponible 20.000 lignes de code pour permettre à Linux d’être utilisé sous Windows Server. En 30 ans d’existence, Linux a ainsi su s’imposer partout et souvent à l’insu des utilisateurs eux-mêmes. Conçu à l’origine pour les ordinateurs personnels basés sur le micro-processeur Intel x86, Linux est devenu de fait le système d’exploitation le plus répandu au monde. Basé sur Linux, Android de Google pour smartphones – 72,2 % des OS mobiles dans le monde, selon StatCounter (5) à juillet 2021 – lui assure en effet une emprise indirecte sans précédent et à faire pâlir l’éditeur de Windows qui a subi un cuisant échec avec son Windows Phone (0,02% de parts de marché mobile…).
Pour autant, directement sur les ordinateurs de bureau cette fois, Linux n’est présent que sur près de 2,4 % du parc mondial – là où Windows s’arroge encore 73 % de parts de marché, et loin devant les 15,4 % de l’OS X d’Apple (6). Mais là aussi, Google s’appuie sur Linux pour son Chrome OS qui occupe 1,2 % du parc des ordinateurs de bureau via les Chromebook. C’est sur les serveurs web que Linux est plébiscité par 40 % d’entre eux dans le monde, d’après W3Techs : à fin août, Linux est en effet utilisé par 51.9 % des serveurs web utilisant une catégorie d’Unix, lequel fait fonctionner 77,3 % des serveurs web – contre 22,9 % pour Windows (7). Enfin, sur dans la catégorie des superordinateurs, Top500.org a indiqué en juin dernier que Linux fait tourner pas moins de 52,8 % d’entre eux (8).

Gaming, Smart TV et objets connectés
« J’utilise Linux pour le contrôle intégral de la station de travail sur laquelle j’opère, justifie Sornin, un des nombreux aficionados de l’OS de Linus Torvalds. Le côté open source est très bénéfique en termes de sécurité et de perfectionnement du système d’exploitation. En revanche, le gaming sur Linux est un peu moyen ». Les jeux sur mobile, eux, performent sur Android alias Linux. Avec par ailleurs l’explosion des appareils intelligents – Smart TV par exemple – et objets connectés (IoT), le meilleur rival et partenaire de Microsoft est encore voué à un bel avenir. Linus Torvalds, lui, a lancé le 29 août (9) un appel à tester la version 5.14 du kernel. @

Charles de Laubier

Le discret marché des Smart TV étoffe ses bouquets de services à l’ombre des chaînes de télévision

Les téléviseurs connectés continuent de faire recette sur l’Hexagone. L’an dernier, selon l’institut GfK, il s’en est vendu plus de 3,2 millions d’unités. Samsung continue de se tailler la part du lion, suivi de loin par LG et TCL. Leurs bouquets de services s’étoffent discrètement à l’ombre des chaînes.

Le fabricant sud-coréen Samsung a conservé et même renforcé en 2020 sa position de numéro un des Smart TV en France, avec une part de marché de 30,4 % en volume et 37,3 % en valeur, selon l’institut GfK. La firme de Séoul garde à distance son compatriote LG, lequel réussit à tirer son épingle du jeu sur l’Hexagone avec 14,7 % de part de marché en volume et 18,3 % en valeur. Le chinois TCL arrive en troisième position avec 8,6 % en volume (devançant Philips et Sony) mais 6,2 % en valeur (devancé par Sony et Philips).

De TikTok à Salto, les nouveaux de la télé
Selon les chiffres de GfK que nous nous sommes procurés (voir schémas ci-dessous), il s’est vendu en France au cours de l’année 2020 plus de 3,2 millions de téléviseurs connectés. Cela correspond à une forte de hausse en volume de 28,5% sur un an. En valeur, le marché français des Smart TV a généré plus de 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires : soit une progression de 21,8 % sur un an. D’après le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), plus de 80 % des foyers français équipés d’un téléviseur disposent d’une Smart TV connectée à Internet. Soit le téléviseur connecté l’est directement en tant que Smart TV pour plus d’un tiers d’entre eux, soit il l’est indirectement via la « box » du fournisseur d’accès à Internet (FAI) pour 78 % d’entre eux, lorsque ce n’est pas par la console de jeux ou un boitier dit OTT (1).
En tête de ce marché français de la télévision intelligente, la filiale Samsung Electronics France, basée à Saint-Ouen (région parisienne), a écoulé près de 1 million de ses téléviseurs intelligents sur le marché français pour un total de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Alors que 95% des possesseurs de nos Smart TV utilisent des applications qui y sont installées (2), nous enrichissons continuellement notre offre afin de proposer la meilleure expérience Smart TV possible », a assuré Jérôme Peyrot des Gachons (photo), directeur marketing contenus chez Samsung Electronics France, à l’occasion de l’annonce le 11 février dernier de l’application Salto sur les Smart TV du fabricant sud-coréen. La plateforme commune de télévision en streaming et de SVOD, créée par France Télévisions, M6 et TF1 pour favoriser « la création audiovisuelle françaises et européenne » (3) à partir de 6,99 par mois, devient ainsi accessible « sur le plus grand parc de téléviseurs connectés en France » (dixit Thomas Follin, DG de Salto). Six jours plus tôt, c’était l’application TikTok – éditée par le chinois ByteDance et gratuite celle-ci – qui faisait son entrée dans le magasin d’application de la gamme Smart TV de Samsung (4), dont les téléviseurs 4K et 8K (ultra-haute définition), mais aussi les vidéoprojecteurs. Les vidéos au format court très prisées de la jeune génération se substitueront ainsi à l’écran, dans une taille adaptée, aux traditionnels flux de télévision de chaînes classiques. « Les utilisateurs auront la possibilité de visualiser et aimer (like) les commentaires affichés sous les vidéos directement depuis l’écran de leur TV », expliquent TikTok, dont le patron pour l’Europe est Rich Waterworth. En décembre dernier, les Smart TV de Samsung accueillaient Benshi, une plateforme de SVOD pour enfants créée en janvier 2016 par les frères Desanges et opérée par VOD Factory. Samsung enrichie ainsi son bouquet de services (5), y compris via son propre « Samsung TV Plus » comprenant films, séries, sports, divertissements et une trentaine de chaînes thématiques, dont Qwest TV, Euronews ou encore Luxe.tv. LG, qui a ouvert son écosystème (webOS) à d’autres fabricants de Smart TV, n’est pas en reste dans cette course aux contenus télévisés face aux chaînes de plus en plus concurrencées (6) (*) (**) sur le petit écran. @

Charles de Laubier

Services interactifs et publicités ciblées sur la TNT et en OTT : Amazon adhère à l’association HbbTV

Selon les informations de Edition Multimédi@, la firme de Jeff Bezos vient de devenir membre de l’association HbbTV qui promeut la norme des services interactifs et de la publicité ciblée pour, notamment, la télévision numérique terrestre (TNT). Cette adhésion surprise révèle l’intérêt d’Amazon pour cette technologie audiovisuelle hybride.

Le géant du e-commerce Amazon – également champion mondial de la diffusion audiovisuelle en OTT (Over-the-Top), c’est-à-dire en streaming sur Internet, avec Amazon Prime Video, Prime Video Channels, Fire TV et , aux Etats-Unis, IMDb TV – s’intéresse à la TNT, aux services interactifs associés et à l’arrivée de la publicité TV ciblée. Selon nos informations, son adhésion surprise à l’association HbbTV basée à Genève a été signée le 6 novembre dernier par Amazon à Seattle, où se situe le siège social mondial de la firme américaine (1) fondée par Jeff Bezos (photo). La HbbTV Association, d’origine franco-allemande, fixe et promeut depuis plus de dix ans maintenant les spécifications techniques du standard industriel ouvert : Hybrid Broadcast Broadband Television. Objectif : faciliter la création de services TV innovants associant la diffusion de la télévision sur la TNT (linéaire par voie hertzienne) et la réception de flux Internet (délinéarisés). Et ce, afin que les utilisateurs puissent avoir accès à des services interactifs, à la télévision de rattrapage (replay), à la vidéo à la demande (VOD), ou encore au contrôle du direct (timeshifting), sans oublier la publicité ciblées (targeted advertising) qu’ils peuvent recevoir. Mais, jusqu’à maintenant, le HbbTV n’a pas rencontré le succès espéré auprès des téléspectateurs – du moins en France faute de communication suffisante sur cette norme, les Italiens, les Allemands et les Espagnols y étant, eux, plus réceptifs.

De quoi redonner au HbbTV un second souffle
Sur l’Hexagone, d’après le dernier chiffre connu du CSA, le parc de téléviseurs compatibles HbbTV était l’an dernier d’environ 5 millions – mais deux à trois fois plus selon une source industrielle. L’intérêt porté au HbbTV par un géant mondial de poids comme Amazon pourrait redonner un second souffle à ce standard et, par là même, à la TNT que certains verraient bien disparaître au profit de la fibre optique et de la 5G. La consultation du CSA menée cette année sur « la modernisation de la plateforme TNT » (2) a, au contraire, démontré un regain d’intérêt pour la télévision hertzienne – surtout lorsqu’elle est a, au contraire, démontré un regain d’intérêt pour la télévision hertzienne – surtout lorsqu’elle est couplée aux réseaux IP. En France, d’après Médiamétrie (3), 53,5 % des foyers équipés en téléviseur(s) utilisent la TNT, laquelle est même l’unique mode de réception de la télévision pour près de 22 % d’entre eux. Contacté par Edition Multimédi@, le président de la HbbTV Association, Vincent Grivet (ancien dirigeant de TDF), n’a pas souhaité faire de commentaire sur l’adhésion d’Amazon. A la fois présent dans la diffusion et dans la production audiovisuelles, le géant du e-commerce – et premier rival de Netflix – donne encore plus de crédit au HbbTV.

Fire TV, Fire OS et Prime Video Channels, compatibles ?
Amazon montre qu’il veut maîtriser cette technologie pour accompagner son entrée dans la télévision – même s’il est peu probable que ses chaînes Prime Video – les Prime Video Channels (4) – puissent être un jour diffusées aussi par voie hertzienne. Le standard HbbTV n’étant pas réservé qu’à la TNT, il aurait une utilité pour les services de TV et de SVOD d’Amazon recherchant l’interactivité et la publicité ciblée. Actuellement, les abonnés « Prime » peuvent ajouter des abonnements individuels à des chaînes telles que, en France par exemple, OCS (Orange), Tfou Max (TF1), Filmo TV, StarzPlay, MGM ou encore Action Max. Le géant du Net pourrait rendre compatible HbbTV son décodeur multimédia Fire TV (concurrent d’Apple TV) et son Fire OS (système d’exploitation de téléviseurs).
Les éditeurs de télévision affectionnent tout particulièrement HbbTV car cette technologie leur permet de garder le contrôle de leur signal télévisuel, du petit écran et de la gestion de la publicité ciblée (adressée ou personnalisée) par rapport aux spots publicitaires classiques (hertziens et généralistes). Faire entrer Amazon dans l’association HbbTV, c’est un peu comme faire entrer le loup dans la bergerie. Les enjeux sont non seulement technologiques (services interactifs, multi-écrans, …) mais aussi publicitaires (avec exploitation des données). Publiées en début d’année, les spécifications de HbbTV-TA pour la publicité ciblée télévisuelle – TA pour targeted advertising (5) – ont été définies en collaboration avec le DVB (Digital Video Broadcasting), lequel fixe les normes de la télévision numérique. L’association genevoise, qui est hébergée à l’instar du consortium DVB par l’Union européenne de radiotélévision (UER), compte parmi ses membres des éditeurs de télévision tels que la BBC, ITV, ProSiebenSat.1, la RAI, RTI (Mediaset), RTL Group, Sky ou encore le français TDF qui diffuse la plupart des chaînes françaises. Salto, la plateforme de TV et de SVOD lancée le 20 octobre (6) par France Télévision, TF1 et M6, en est aussi membre. En France, les groupes de télévision de la TNT – TF1, M6, France Télévisions, Canal+, Altice Média, NRJ Group, Arte et l’Equipe – ont créé début avril l’Association technique des éditeurs de la TNT (ATET) qui accorde « la plus grande importance » au déploiement de la norme HbbTV, garante d’une interopérabilité des services interactifs et de la publicité adressée (7). Ce n’est pas la première fois qu’un GAFA rejoint la HbbTV Association, composée de près de quatre-vingts membres (8), lesquels s’acquittent de 8.000 euros par an : Google en est adhérent depuis deux ans (9), étant éditeur d’Android TV qu’utilisent certaines « box » comme la BBox Miami de Bouygues Telecom (10) ou plusieurs Smart TV chez Sony, TCL, Philipps ou encore Sharp. La filiale d’Alphabet est, toujours selon nos informations, très active dans le développement en cours de tests de publicités adressées en mode HbbTV sur les écrans. Les chaînes françaises fondaient de grands espoirs sur le projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel pour obliger les fabricants de téléviseurs à les rendre compatibles HbbTV. Lors de l’examen du texte en février à l’Assemblée nationale, un amendement (11) avait été déposé par le député (LR) Jean-Jacques Gaultier pour imposer le HbbTV (et son extension publicitaire TA) en même temps que l’ultra haute définition (UHD). Mais, à la demande la rapporteure Aurore Bergé craignant «un risque de renchérissement du prix de ces appareils », l’amendement « UHD-HbbTV » a dû être retiré début mars (12). Quelques jours après, c’était tout le projet de loi sur « la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle à l’ère numérique », voulu par Emmanuel Macron, qui fut abandonné par le gouvernement en raison de l’état d’urgence sanitaire et du plan de relance économique devenu prioritaire. Selon un bon connaisseur de cette industrie, les chaînes de télévision françaises, via l’ATET, cherche encore « le bon véhicule législatif » pour obtenir cette obligation « HbbTV-TA ». L’Espagne a montré la voie en juin 2019 avec l’obligation de vendre les téléviseurs d’au moins 60cm (13) avec la norme HbbTV (à partir de la version 2.0.1). La Pologne a suivi au mois de novembre suivant (14). Le Royaume-Uni et l’Allemagne offrent un « player » unique d’accès à la TNT, respectivement Freeview Play et Freenet TV Connect, qui sont compatibles HbbTV. L’Italie en a fait son standard dès 2016.
Les fabricants de téléviseurs, eux, sont défavorables à une obligation et l’ont fait savoir par leur Alliance française des industries du numérique (Afnum). « Plus la TV sur IP se développe moins HbbTV a d’intérêt », a fait aussi remarquer cette organisation. Les partisans de ce standard arguent au contraire du fait qu’il s’agit un système d’exploitation ouvert et disponible pour les fabricants de téléviseurs qui, comme Panasonic, LG, TP Vision ou Hisense, n’auraient pas forcément les moyens de développer leur propre OS de Smart TV. Samsung s’y intéresse, sans le dire…

En plus de la TNT, le HbbTV vise l’OTT et le satellite
L’association genevoise espère aussi que HbbTV deviennent un standard structurant au-delà de la TNT, avec les spécifications « OpApp » pour les plateformes OTT et satellitaires : HD+ (SES) en Allemagne, M7 (Canal+) au Luxembourg et SVT Play (Sveriges Television) en Suède l’ont adopté. Quant aux opérateurs télécoms, ils voient aussi d’un mauvais oeil cette volonté d’imposer cette norme sur les téléviseurs, craignant que leurs « box » soient les prochaines à être obligées de l’implémenter. « Les réseaux IPTV, construits bien avant que la spécification HbbTV n’existe, utilisent d’autres normes pour fournir ces services interactifs », rappelle Orange qui édite sa plateforme « TV d’Orange ». Reste à savoir si la Commission européenne, dans un souci d’harmonisation, jouera les arbitres. @

Charles de Laubier

Télévision : vous aimez les services interactifs HbbTV ; adorerez-vous la publicité ciblée HbbTV-TA ?

Dix ans après le lancement de la norme HbbTV par des éditeurs de télévision soucieux de garder le contrôle de leur signal audiovisuel et du petit écran, convoité par les fabricants de Smart TV et les acteurs de l’Internet, l’association HbbTV lance cette fois la norme de publicité ciblée HbbTV-TA.

Son président, Vincent Grivet (photo), a annoncé le 24 février la publication des spécifications techniques de cette nouvelle norme destinée à devenir un standard de l’audiovisuel. «HbbTV-TA marque un nouveau chapitre dans la transformation numérique des radiodiffuseurs. Tout en conservant leur atout unique de s’adresser à un grand marché de masse, ils peuvent maintenant également s’adresser à des publics très différenciés, ouvrant de nouvelles perspectives de croissance pour les entreprises », s’est félicité Vincent Grivet, ancien dirigeant de TDF où il fut notamment chargé du développement audiovisuel.

Normes DVB-TA et HbbTV-TA, complémentaires
Il présente HbbTV-TA (1) comme la première norme ouverte dédiée à la publicité ciblée en direct à la télévision. L’objectif est d’en faire un standard en Europe, où le marché est actuellement fragmenté avec plusieurs solutions propriétaires. « Les spécifications HbbTV-TA permettent aux radiodiffuseurs d’offrir à des groupes d’auditeurs spécifiques de la publicité personnalisée pendant les pauses publicitaires, lorsque la publicité “normale” sur le signal audiovisuel conventionnel de la chaîne de télévision est remplacé, sur la base d’un écran-par écran, par une publicité ciblée spécifique », explique encore Vincent Grivet.
Cette nouvelle norme de publicité adressée va aussi permettre de personnaliser et de localiser les fonctions, ce qui permettra d’améliorer les options d’accessibilité pour les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive. Les spécifications de HbbTV-TA pour la publicité ciblée télévisuelle ont été définies en collaboration avec le consortium européen DVB (Digital Video Broadcasting), qui fixe les normes de la télévision numérique, du multiplex, des chaînes au décodeur des téléspectateurs. Parallèlement à la norme HbbTV-TA, une norme DVB-TA a aussi été divulguée pour se compléter entre elles (2). Contacté par Edition Multimédi@, Vincent Grivet nous éclaircie : « HbbTV-TA spécifie des capacités techniques du récepteur, ce qui est le plus critique et important pour une chaîne de télévision. DVB-TA spécifie le dialogue entre l’Ad-Server et l’application de la télévision qui fait la substitution » (3). C’est une avancée historique pour les chaînes et les publicitaires qui vont pouvoir générer de nouvelles sources de revenus « en utilisant des occasions de publicité ciblées, lesquelles, jusqu’à présent, ont été largement limitées au marché de la publicité sur Internet ou des services OTT en streaming », ajoute le président de l’association hébergée comme le consortium DVB à Genève par l’Union européenne de radiotélévision (UER). Les éditeurs de télévision membres de HbbTV Association – BBC, ITV, ProSiebenSat.1, la RAI, RTI (Mediaset), RTL Group, Sky ou encore TDF qui diffuse entre autres les chaînes de France Télévisions – sont demandeurs d’un tel standard, notamment en France où la réforme audiovisuelle va ouvrir la télévision à la « publicité adressée », appelée aussi « publicité segmentée ». Le ministre de la Culture, Franck Riester, porteur du projet de loi, prévoit d’assouplir par décret – transmis au CSA pour avis (4) – la réglementation sur la publicité télévisée, en permettant notamment la publicité ciblée. Mais, pour ne pas déstabiliser les marchés publicitaires de la presse et radios locales, des garde-fous que regrettent déjà les chaînes sont prévus : les annonceurs ne pourront pas indiquer à l’écran l’adresse de leurs distributeurs, commerçants ou magasins ayant pignon sur rue localement, malgré le ciblage géographique ; la publicité adressée et géolocalisée sera limitée à 2 minutes toutes les heures en moyenne. « En outre, la Cnil propose – dans son projet de recommandation sur les cookies et les traceurs – de considérer la télécommande d’un téléviseur comme un clavier d’ordinateur, rendant particulièrement compliqué le consentement légitime du téléspectateur », s’inquiète le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV). Ce dernier craint pour le développement de la publicité segmentée à la télévision, dont le potentiel est estimé en France à 200 millions d’euros de recettes (5). Les chaînes rongent leurs freins.

Coup d’envoi à l’automne à Paris ?
En attendant un lancement de la publicité segmentée, espéré d’ici l’été prochain, certains éditeurs de télévision testent depuis l’an dernier et négocient avec les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) un partage de la valeur équitable. « Il y a eu de nombreux tests de pub adressée HbbTV, mais pas encore HbbTV-TA qui est trop récent, comme ceux de TDF avec France Télévisions », nous précise Vincent Grivet. Le vrai coup d’envoi du HbbTV-TA pourrait être donné à l’automne lors du 9e HbbTV Symposium and Awards 2020, organisé cette année à Paris par la HbbTV Association qui fête ses dix ans, avec Salto (6) comme coorganisateur. @

Charles de Laubier

Multiplication des plateformes vidéo : la pratique du binge-watching explose à l’ère du streaming

Vous aimez Netflix, Amazon Prime Video et YouTube ; vous adorerez Disney+, Apple TV+, HBO Max et Peacock. Sans parler des plateformes de formats courts : Brut, Loopsider, Quibi, … Avec le streaming vidéo, le visionnage boulimique – binge-watching – devient un phénomène de société.

Le visionnage boulimique dans le monde est en plein boom. C’est même une tendance lourde de la société connectée. Dans tous les pays, le temps consacré au bingewatching – cette façon d’enfiler les épisodes d’une même série, ou de plusieurs – est en forte hausse.

France : sessions de 2h22 en moyenne
Quel que soit l’écran de visualisation (téléviseur, smartphone, tablette, …), cet engouement irrépressible d’enchaîner les épisodes, les films ou les programmes est la conséquence directe de la multiplication des plateformes vidéo et de leurs catalogues en ligne. « Le nombre de personnes déclarant s’adonner à cette pratique de binge-watching est en augmentation de 18 % par rapport à l’année précédente, et la durée moyenne des sessions de binge-watching est désormais de 2 heures et 40 minutes », constate Limelight Networks, un des pionniers mondiaux du Content Delivery Network (CDN) – chargé de faciliter la diffusion de contenus numérique – dans son rapport « State of Online Video » dévoilé fin octobre. « Ce sont les Américains qui sont les plus adeptes de cette pratique, avec des sessions moyennes de plus de trois heures, tandis que le temps moyen consacré en France au binge-watching est passé de 1h50 en 2018 à 2h37 en 2019 », montre cette étude issue d’un sondage mené en France, en Allemagne, en Inde, en Italie, au Japon, à Singapore, en Corée du Sud, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, auprès d’un total de 5.000 répondants interrogés l’été dernier. C’est même en France que le visionnage boulimique a progressé le plus en 2019 par rapport à l’an dernier. En passant de 1h50 à 2h37, la France rattrape ainsi son retard dans cette pratique sans pour autant dépasser la moyenne globale de 2h48 des neuf pays observés, laquelle a donc augmenté de manière significative de 18 % sur un an. La deuxième plus forte progression du binge-watching se trouve en Grande-Bretagne, qui passe de 2h04 à 2h69, du coup bien au-delà de cette même moyenne globale. Les Etats-Unis restent en tête de cette pratique, en franchissant la barre symbolique des 3 heures en moyenne, à 3h11 (contre 2h93 un an plus tôt). Le Japon, la Grande-Bretagne et Singapore suivent (voir tableau ci-dessous).
Si l’on regarde de plus près les résultats de la France, ils sont tout de même 17,4 % des personnes interrogées à regarder des épisodes durant trois à cinq heures d’affilées ! Et 5 % d’entre eux peuvent tenir jusqu’à sept heures devant leur écran, 3 % jusqu’à dix heures et même 0,8 % plus de dix heures (voir tableau page suivante). Dans cette dernière catégorie d’accros (plus de dix heures), c’est d’abord au Japon qu’ils se trouvent (4,8 %), devant les Etats-Unis (4,2 %). Sans surprise, les jeunes de 18-25 ans sont dans tous les pays les plus nombreux à pratiquer le visionnage boulimique au-delà de dix heures (3,5 %), suivis des 26- 35 ans (3 %), des 46-60 ans (2,1 %), des 36-45 ans (2 %), puis des plus de 60 ans (1,2 %).

La bataille des contenus originaux
Cette visualisation frénétique est loin de se terminer ou de stagner. D’autant que les plateformes vidéo se multiplient : Apple TV+ a été lancé le 1er novembre, Disney+ le 12 novembre, en attendant HBO Max (WarnerMedia) et Peacock (NBCUniversal) pour le printemps 2020. Les séries au format court et les vidéos pour smartphone sont aussi au programme des plateformes Brut, Loopsider et, à partir d’avril 2020, Quibi. Le binge-watching se propage aussi sur les plateformes des réseaux sociaux – Watch (Facebook), YouTube (Google) ou Snapchat (Snap) –, décidés eux-aussi à produire leurs propres contenus originaux. Que la plateforme vidéo soit gratuite ou payante, le boulimique du streaming ne sait plus où donner de la tête pour assouvir sa passion vidéo. « En plus du temps consacré, les consommateurs investissent également davantage d’argent dans les services de vidéos en ligne. Le rapport révèle que 70 % des consommateurs sont abonnés à au moins un service de streaming (contre 59 % en 2018) et près de trois consommateurs sur quatre (72 %) utilisent désormais des appareils de streaming (contre 67 % en 2018) », relève l’enquête de Limelight Networks. En effet, près des trois quarts des consommateurs qui regardent des vidéos en ligne utilisent des appareils de diffusion en continu (streaming) et cette proportion est en augmentation sur un an.

Multi-équipement « streaming » en hausse
Globalement, les téléspectateurs et vidéonautes choisissent les téléviseurs intelligents – Smart TV avec applications vidéo (31,1 %) – plus souvent que tout autre appareil. Viennent ensuite, la clé Amazon Fire TV (20,5 %), Google Chromecast (17,6 %), consoles de jeux vidéo (16,7 %), Apple TV (12,6 %), set-top box ou lecteur DVD (17,1 %), et Roku (5,7 %). Les données de l’étude sur trois ans montrent que les « box » (set-top-box) et les lecteurs de DVD avec des capacités de streaming sont en déclin, au profit notamment d’Amazon Fire TV, de Google Chromecast, des consoles de jeux vidéo, d’Apple TV ou encore de Roku (voir tableau ci-contre). La préférence pour les appa-reils de streaming varie selon le pays, avec les Smart TV ayant la plus forte utilisation à Singapour (48,5 %), set-top-box et lecteurs DVD en Corée du Sud (25,6 %), Google Chromecast et Amazon Fire TV en Inde (respectivement 26,6 % et 34,4 %, Apple TV en Corée du Sud (18,2 %, et Roku aux États- Unis (26 %). Pour la France, la console de jeux vidéo connectée s’avère être le premier moyen d’accès aux services de streaming vidéo (23,6 %), ce qui est le plus forte taux d’utilisation des neuf pays étudiés (devant les Etats-Unis), suivie de la Smart TV (22,8 %), Google Chromecast (19,6 %), de la « box » ou du lecteur de DVD connecté (15,8 %), d’Amazon Fire TV (12,2 %), d’Apple TV (11,8 %) et de Roku (2 %). Le potentiel de croissance de ces appareils de streaming est important puisque 35 % des répondants déclarent ne pas avoir ce type d’équipement. Les smartphones et les Smart TV sont les appareils privilégiés pour le streaming. « Pour la première fois, les smartphones ont dépassé les ordinateurs comme appareil préféré pour le visionnage de vidéos en ligne », souligne le rapport « State of Online Video ». Le bingewatching ne rime plus forcément avec le salon, mais de plus en plus avec la mobilité et les transports. Une passion dévoreuse et chronophage. @

Charles de Laubier