Les majors de la musique déplorent la « trop lente » croissance du streaming par abonnement

Est-ce une « anomalie » du marché français de la musique en ligne, comme le dit le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) qui représente entre autres les majors ? Le streaming financé par la publicité, porté par TikTok, est moins rémunérateur pour les producteurs.

« La croissance du streaming par abonnement en France reste trop lente, comparée à l’adoption massive du modèle payant dans les autres grands marchés historiques de la musique enregistrée », regrette le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), dont sont notamment membres les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music. « Avec 11 millions d’abonnements payants, soit 1 million de plus que l’an passé, l’usage réunit désormais 16 millions d’utilisateurs premium, grâce aux offres famille et duo », indique à Edition Multimédi@ son directeur général, Alexandre Lasch (photo).

TikTok participerait à l’« anomalie »
Rien que sur le premier semestre 2023, le streaming musical par abonnement génère près de 232 millions d’euros, plus que jamais première source de revenu des producteurs (58,3 % du total, numérique et physique confondus). Pour autant, d’après le Snep, le compte n’y est pas. La croissance des abonnements reste bien en deçà de celle du streaming gratuit financé par la publicité, même si celui-ci est loin derrière en termes de chiffre d’affaires. Ainsi, pour les six premiers mois de 2023, la hausse des revenus des abonnements est de 10 % sur un an (35,8 millions d’euros), alors que celle du streaming financé par la publicité est de 28,1 % (35,4 millions d’euros). « L’anomalie vient du fait que le streaming audio freemium et vidéo, qui réalise désormais près de 20 % du marché, contribue davantage à la progression des revenus du streaming que les offres payantes », explique Alexandre Lasch.

Le Digital Services Act (DSA) présente un vrai risque pour la liberté d’expression des Européens

Les 19 très grandes plateformes Internet en Europe avaient quatre mois, après avoir été désignées comme telles le 25 avril 2023 par la Commission européenne, pour se mettre en règle avec la législation sur les services numériques (DSA). La liberté d’expression sera-t-elle la victime collatérale ?

La liberté d’expression risque gros en Europe depuis le 25 août 2023, date à laquelle les 19 très grandes plateformes numériques – Alibaba, AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing, et Google Search – doivent appliquer à la lettre le Digital Services Act (DSA), sous peine d’être sanctionnées financièrement jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.

« Définition large » des « contenus illicites »
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ces 19 géants du Net, dépassant chacun plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois (soit l’équivalent de 10 % de la population de l’Union européenne), pourrait les pousser à faire de l’excès de zèle. Et ce, pour ne pas prendre le risque d’être hors des clous du DSA et de se voir infliger une sanction pécuniaire. Entre leur désignation le 25 avril 2023 comme « Very large Online Platforms » (VLOP) par la Commission « von der Leyen » (photo) et leur mise en conformité avec la législation sur les services numériques, les dix-sept très grandes plateformes et les deux grands moteurs de recherche avaient un délai de quatre mois pour se préparer.
Depuis le 25 août 2023, soit moins d’un an après la publication du règlement au Journal officiel de l’Union européenne (1), le « Big 19 » est censé agir comme un seul homme pour réguler en Europe une grande partie de l’Internet relevant de leurs activités (2). Le DSA les oblige désormais à lutter contre « la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire ». Vaste et flou à la fois.

Elon Musk reste déterminé à faire de X (ex-Twitter) une appli tout-en-un en s’inspirant de WeChat

Cela fera un an en octobre que l’homme le plus riche du monde (1) a racheté Twitter 44 milliards de dollars. Et il y a près de quatre mois, il a recruté Linda Yaccarino comme patronne de X pour transformer avec elle l’ex-Twitter en « everything app ». Elon Musk prend modèle sur le chinois WeChat.

Souvenez-vous. Elon Musk avait annoncé la couleur en mai dernier avec la nomination de Linda Yaccarino (photo) à la tête de X Corp (ex- Twitter) : « Je suis ravi d’accueillir Linda Yaccarino en tant que nouvelle PDG de Twitter ! @LindaYacc [son ancien compte devenu depuis @lindayaX, ndlr] se concentrera principalement sur les opérations commerciales, et moi sur la conception de produits et les nouvelles technologies. Au plaisir de travailler avec Linda pour transformer cette plateforme en X, l’application universelle » (2).

Bientôt sur X : appels vidéo et e-paiement
Dans une interview accordée le 10 août dernier à la chaîne américaine CNBC, Linda Yaccarino a rappelé cet objectif assigné par l’hyperactif multimilliardaire : « Elon parle depuis très longtemps de X, l’application de tout [everything app]. J’ai rejoint l’entreprise pour m’associer à Elon afin de transformer Twitter en X, l’application complète ». Cette stratégie de transformation de Twitter en une appli tout-enun baptisée X est en marche depuis l’acquisition du site de microblogging en octobre 2022. « Pensez à ce qui s’est passé depuis l’acquisition, a-t-elle rappelé. Les expériences et l’évolution des vidéos en long format et des articles, s’abonner à ses créateurs préférés, qui gagnent maintenant leur vie sur la plateforme (3) ». Et de lever le voile sur la suite : « Bientôt, vous serez en mesure de faire des appels de chat vidéo sans avoir à donner votre numéro de téléphone à quiconque sur la plateforme ».
Autre service en vue : permettre les paiements entre les utilisateurs et les amis et les créateurs. Plus que jamais l’ex-Twitter veut devenir une plateforme « all-in-one ». « Le changement de nom représentait vraiment une libération de Twitter, une libération qui nous a permis d’évoluer au-delà d’un état d’esprit et d’une pensée hérités, s’est-elle félicitée. […] Cela va changer notre façon de nous rassembler, de nous divertir, de faire des transactions sur une seule plateforme ». Elon Musk et Linda Yaccarino se sont partagé les rôles au sein de X Corp : conception des produits et nouvelles technologies pour le premier, gestion d’entreprise, partenariats, services juridiques et ventes pour la seconde.

Le « fédivers », une promesse d’interopérabilité ?

En fait. Le 9 août, La Quadrature du Net (défenseuse des libertés fondamentales) estime que l’interopérabilité proposée par Meta avec Threads (concurrent de Twitter/X) – via un protocole « fédivers » pour communiquer avec d’autres réseaux décentralisés – n’est « pas une bonne nouvelle ».

En clair. « Le fédivers (de l’anglais fediverse, mot-valise de “fédération” et “univers”) est un ensemble de médias sociaux composé d’une multitude de plateformes et de logiciels, où les uns communiquent avec les autres grâce à un protocole commun », explique La Quadrature du Net (LQDN). Le terme « fédivers » – à ne pas confondre avec « métavers » – est utilisé depuis moins de dix ans pour désigner les réseaux sociaux décentralisés, mais fédérés entre eux, afin d’assurer une interopérabilité entre leurs utilisateurs. Et ce, grâce un protocole commun ouvert et décentralisé comme plus répandu : ActivityPub, reconnu par le World Wide Web Consortium (W3C). Plusieurs médias sociaux sont interopérables comme Mastodon (partage de messages), PeerTube (partage de vidéos), Pixelfed (images et photos), Funkwhale (musiques) ou encore GNU social (l’un des plus anciens microbloggages né il y a plus de dix ans sous le nom de StatusNet).

L’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas, seule est pratiquée la pseudonymisation

A part pour certains geeks utilisant Tor, l’anonymat sur Internet n’existe quasiment pas – contrairement à une idée répandue. L’identification d’un internaute utilisant un pseudonyme se fait par son adresse IP et peut être ordonnée par un juge sur « réquisition judiciaire ». « L’anonymat sur les réseaux sociaux n’est plus une protection face à la justice », a lancé le procureur de la République de Créteil, Stéphane Hardouin, le 6 juillet dernier sur son compte professionnel LinkedIn, en montrant son communiqué expédié le même jour (1). Il annonce qu’un jeune homme âgé de 19 ans, ayant relayé de façon anonyme sur Twitter – après la mort de Nahel tué à bout portant par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre et ayant suscité une forte émotion – un appel à attaquer le centre commercial « Créteil Soleil » et le tribunal judiciaire de Créteil, a été identifié avec l’aide de Twitter. Twitter, Snapchat, Instagram, TikTok, … Présumé innocent, il encourt en cas de culpabilité jusqu’à cinq ans de prison d’emprisonnement et 45.000 euros d’amendes. Son anonymat a été levé par Twitter sur réquisition judiciaire adressée le 1er juillet au réseau social à l’oiseau bleu. Accusé de « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit et complicité de dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui », le garçon majeur – domicilié dans le Val-de-Marne – a été interpellé le 6 juillet et placé en garde à vue au commissariat de Créteil. Après son tweet, il se trouve que le centre commercial « Créteil Soleil » était pris d’assaut le 30 juin (21 individus interpelés), puis dans la nuit du 2 au 3 juillet des barricades faites de poubelles était incendiées et des mortiers était tirés aux abords du tribunal judiciaire de Créteil. Son message a été repéré par Pharos, la « plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements » de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire. Pour la réquisition judiciaire adressée à Twitter, le procureur de Créteil, Stéphane Hardouin, fait référence dans son communiqué à la circulaire du garde des sceaux datée du 30 juin et signée par Eric Dupond-Moretti (photo), qui appelle notamment à « une réponse pénale ferme ». Le ministre de la Justice pointe notamment l’anonymat sur les réseaux sociaux qui peut être levé par un juge : « Il apparaît que de nombreuses exactions sont commises après avoir été coordonnées via les systèmes de diffusion de messages sur certains réseaux sociaux dits OTT pour “opérateurs de contournement” (Snapchat notamment). Il doit être rappelé que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2021-650 du 25 mai 2021, les OTT sont considérés comme des opérateurs de communication électronique (…), au sens de l’article L.32 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Dès lors, ils sont tenus de répondre aux réquisitions judiciaires, car relevant des mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques. Ils peuvent ainsi être requis au visa de l’urgence pour assurer une réponse rapide sur les éléments de nature à permettre d’identifier les auteurs de ces messages ». Dans la circulaire « Traitement judiciaire des violences urbaines » de quatre pages (2), émise par la Direction des affaires criminelles et des grâces à l’attention des procureurs et des présidents des tribunaux, le garde des sceaux leur demande de « veiller à retenir la qualification pénale adaptée aux faits perpétrés dans ce contexte et à procéder à une évaluation rapide et globale de la situation de manière à pouvoir apporter une réponse pénale ferme, systématique et rapide aux faits le justifiant ». Et d’ajouter : « Pour les mis en cause majeurs, la voie du défèrement aux fins de comparution immédiate ou à délai différé, ou le cas échéant, de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, sera privilégiée pour répondre aux faits les plus graves ». Eric Dupond- Moretti a rappelé en outre que « les infractions commises par les mineurs engagent, en principe, la responsabilité civile de leurs parents ». Que cela soit dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux, nul n’est censé échapper aux sanctions pénales si la justice juge coupable l’individu ou l’internaute interpellé. Pseudonymisation et démocratie vont de pair Dans son rapport annuel 2022 – publié le 27 septembre – sur « les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique » (3), le Conseil d’Etat a estimé que « les réseaux sociaux engendrent une désinhibition, souvent aggravée par l’anonymat, qui ouvre la voie à de nombreux actes malveillants ». Faut-il pour autant interdire l’utilisation de pseudonymes sur les réseaux sociaux ? Les sages du Palais-Royal se sont dits très réservés sur la suppression de l’anonymat qui n’est autre que de la pseudonymisation : « La possibilité de s’exprimer sous un autre nom que le sien, qui a toujours été admise dans la vie réelle, est, comme l’a d’ailleurs rappelé par exemple la Cnil (4), “une condition essentielle du fonctionnement des sociétés démocratiques” qui permet “l’exercice de plusieurs libertés fondamentales essentielles, en particulier la liberté d’information et le droit à la vie privée”. Elle peut faciliter la prise de parole de personnes qui craignent la discrimination ou souhaitent contester les positions acquises ». L’anonymat du Net est toute relative Le Conseil d’Etat estime en outre que « la suppression de l’anonymat, qui n’a été adoptée par aucune démocratie occidentale et n’est pas envisagée au sein de l’Union européenne, ne paraît pas constituer une solution raisonnable conforme à notre cadre juridique le plus fondamental ». Et contrairement aux détracteurs d’Internet et des réseaux sociaux, l’anonymat sur Internet n’existe pas en général. « Cette forme d’anonymat n’est que relative. Il est en effet relativement facile, en cas de nécessité, d’identifier une personne compte tenu des nombreuses traces numériques qu’elle laisse (adresse IP, données de géolocalisation, etc.). La LCEN [loi de 2004 pour la confiance dans l’écono-mie numérique, ndlr] prévoit l’obligation de fournir à la justice les adresses IP authentifiantes des auteurs de message haineux et plusieurs dispositifs normatifs, dont la directive dite “Police-Justice”, obligent les opérateurs à conserver de telles données : en pra-tique, les opérateurs répondent généralement sans difficulté aux réquisitions judiciaires pour communiquer l’adresse IP. Les obstacles rencontrés existent mais apparaissent finalement assez limités : la possibilité de s’exprimer sur Internet sans laisser aucune trace paraît donc à ce jour réservée aux “geeks” les plus aguerris [utilisant notamment le navigateur Tor garantissant l’anonymat de ses utilisateurs, ndlr] ». La pseudonymisation, comme le définit d’ailleurs l’article 4 paragraphe 5 du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), est un traitement de données personnelles réalisé de manière à ce que l’on ne puisse plus attribuer les données à une personne physique identifiée sans information supplémentaire. « En pratique, rappellent les sages du Palais-Royal, la pseudonymisation consiste à remplacer les données directement identifiantes (nom, prénoms, etc.) d’un jeu de données par des données indirectement identifiantes (alias, numéro séquentiel, etc.). La pseudonymisation permet ainsi de traiter les données d’individus sans pouvoir identifier ceux-ci de façon directe. Contrairement à l’anonymisation, la pseudonymisation est une opération réversible : il est possible de retrouver l’identité d’une personne si l’on dispose d’informations supplémentaires ». Sans remettre en cause l’anonymat de l’expression, le Conseil d’Etat propose notamment la généralisation du recours aux solutions d’identité numérique et aux tiers de confiance. Et ce, notamment pour mieux protéger les mineurs, vérifier la majorité numérique – laquelle vient d’être fixée en France à 15 ans (5) – et de garantir la fiabilité des échanges sur les réseaux sociaux. La Cnil, présidée par Marie-Laure Denis (photo ci-contre), veut préserver l’anonymat. Y compris lorsque les sites pornographiques vérifient l’âge de leurs utilisateurs, sous le contrôle de l’Arcom. Pour cela, la Cnil préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (6) préféré à la carte d’identité. Ce mécanisme empêche, d’une part, le tiers de confiance d’identifier le site ou l’application de contenus pornographiques à l’origine d’une demande de vérification et, d’autre part, l’éditeur du site ou de l’application en question d’avoir accès aux données susceptibles d’identifier l’utilisateur (7). Quant au contrôle parental, il sera activé par défaut en France sur tous les terminaux à partir du 13 juillet 2024, selon le décret « Renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet » du 11 juillet paru 13 juillet (8). « Couper les réseaux sociaux » (Macron) « Quand les choses s’emballent pour un moment, [on peut] se dire : on se met peut-être en situation de les réguler ou de les couper », a lancé Emmanuel Macron de l’Elysée, le 4 juillet dernier, devant un parterre de 300 maires de communes touchées par les émeutes déclenchées par le meurtre du jeune Nahel. Face au tollé provoqué par ce propos digne d’un régime autoritaire à la Corée du Nord, à l’Iran ou à la Chine, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a dû rétropédaler en ne parlant plus que de « suspensions de fonctionnalités » comme la géolocalisation. Si couper les réseaux sociaux est faisable techniquement, avec l’aide des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), la décision de le faire risque d’être illégale au regard des libertés fondamentales qui fondent une démocratie. @

Charles de Laubier