Différence entre les blocages de TeamAlexandriz (2021) et de Z-Library (2022) : le rôle de l’Arcom

Prise le 25 août 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, la décision de blocage des adresses Internet de Z-Library – vaste bibliothèque en ligne – est applaudie par les maisons d’édition en France. Mais le piratage d’ebooks, avec ses sites miroirs désormais listés par l’Arcom, est sans frontières.

Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free sont obligés rendre inaccessible sur l’Hexagone la bibliothèque en ligne Z-Library, condamnée pour contrefaçon de livres numériques. Edition Multimédi@ a constaté que le blocage sur les « box » de ces fournisseurs d’accès à Internet (FAI) était effectif : « Désolé, impossible d’accéder à cette page », nous a confirmé le navigateur en voulant par exemple aller sur « fr.z-lib.org » ou sur « http://z-lib.org ». Le jugement du 25 août 2022, que nous nous sommes procurés (1), liste 209 noms de domaine de Z-Library à rendre inaccessibles « pendant une durée de 18 mois ». Sont ainsi neutralisés autant de sites dits « miroirs » permettant jusqu’alors d’entrer dans cette bibliothèque parallèle géante, qui est une des multiples déclinaisons de Library Genesis d’origine russe.

Listes noires des sites et des miroirs
Le Syndicat national de l’édition (SNE) et une douzaine de maisons d’édition (Actes Sud, Albin Michel, Cairn, Editis, Hachette Livre, Humensis, Lefebvre-Sarrut, LexisNexis, Madrigall, Maison des Langues, Odile Jacob, et les Presses de Science Po) avaient attaqué le 29 juin 2022 le site web Zlibrary devant le tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. Vingt-cinq jours après le rendu de la décision de blocage (le temps que la signification du jugement aux FAI soit faite aux interressés), le SNE s’est notamment félicité des « nouvelles prérogatives confiées à l’Arcom en matière d’extension du blocage à tout lien redirigeant vers une réplique de site bloqué ».
Et pour cause, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (née de la fusion entre le CSA et l’Hadopi) se retrouve aux avant-postes de la lutte contre le piratage en ligne. Et ce, depuis la promulgation il y a presqu’un an de la loi du 25 octobre 2021 « relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » (2). C’est cette loi « Anti-piratage » qui a porté sur les fonts baptismaux législatifs l’Arcom – présidée par Roch-Olivier Maistre (photo) jusqu’en janvier 2025 – en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de régulation, notamment en la chargeant de constituer « une liste » – surnommée, hors texte de loi, « liste noire » – des « services porta[n]t atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ». En outre, l’Arcom a le pouvoir supplémentaire de « lutte contre les sites miroirs ». Ainsi, la loi « anti-piratage » a rajouté une disposition « sites miroirs » dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) qui permet à « un titulaire de droits partie à la décision judiciaire » – par exemple l’un des douze maisons d’édition dans l’affaire « ZLibrary » – de saisir l’Arcom pour lui demander de mettre à jour la décision de blocage avec les nouvelles adresses Internet des sites miroirs. En l’occurrence, le blocage à effectuer par les FAI devra suivre l’évolution de la liste noire qui dépassera sûrement les 209 noms de domaine initialement identifiées. Pour l’heure, dans l’affaire « Z-Library », la décision de justice a été rendue le 25 août 2022 : il ne reste plus qu’à un ayant droit concerné de saisir l’Arcom en s’appuyant sur l’article L. 331-27 du CPI. Que dit-il ? « Lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application de l’article L. 336-2 [du CPI, nous y reviendrons, ndlr], l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [Arcom], saisie par un titulaire de droits partie à la décision judiciaire, peut demander à toute personne visée par cette décision (…) d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision ». Bref, toute nouvelle apparition d’un site miroir lié de près ou de loin à la plateforme pirate condamnée devra faire aussi l’objet d’un blocage de la part non seulement des quatre principaux opérateurs télécoms français mais aussi des moteurs de recherche ou des annuaires de référencement (si le juge le décide).
Pour ce faire, c’est l’Arcom qui communiquera « précisément » à tous ces acteurs « les données d’identification du service en cause » à bloquer et à déréférencer. La loi « anti-piratage » prévoit même que l’Arcom passe des accords avec« les ayants droit et toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes aux droits d’auteur et droits voisins en ligne » pour déterminer notamment les conditions d’« information réciproque » sur l’existence de tout site miroir.

Saisines « L. 336-2 » et « L. 331-27 »
L’Arcom peut en outre – « en cas de difficulté » – demander aux services de communication au public en ligne de se justifier. En lisant la fin de l’article L. 331-27 du CPI, l’on comprend implicitement que l’Arcom peut saisir, « en référé ou sur requête », l’autorité judiciaire pour « ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès à ces services ». Cette saisine-là peut se faire « sans préjudice de la saisine prévue à l’article L. 336-2. ». Il y a donc deux types de saisine des tribunaux pour faire bloquer et déréférencer des sites web pirates d’œuvres ou d’objets protégés par le droit d’auteur : la saisine « L. 336-2 » par des titulaires de droits, leurs ayants droit, des organismes de gestion collective, des organismes de défense professionnelle, ou même par le CNC – le Centre national du cinéma et de l’image animée (3) ; la saisine « L. 331-27 » par l’Arcom (bien que cela ne soit pas clairement spécifié dans le texte de loi) lorsqu’elle-même est saisie par un titulaire de droits concerné par la décision judiciaire rendue à l’issue de la première saisine. Cette justice à deux détentes (liste noire initiale des sites web à neutraliser, liste noire mise à jour avec les sites miroirs) tend vers le black-out – total ? – de la plateforme incriminée. Prochains : Pirate Library Mirror, Bookys, … « Ce succès collectif vient conclure l’expérimentation inédite de cette procédure pour le livre, et ouvre la voie à de nouvelles actions – des éditeurs et du SNE – de blocage et de déréférencement, rapides et systématiques, contre des sites web proposant des contenus illicites violant le droit d’auteur », a prévenu le syndicat présidé par Vincent Montagne (PDG du groupe franco-belge Média-Participations).
Autant lors de la précédente affaire « Team Alexandriz », dont les responsables ont été condamnés au pénal en mai 2021 au bout de dix ans de procédure judiciaire (4), les sites miroirs passaient sous les radars, autant depuis la loi « Anti-piratage » d’octobre 2021 permet aux ayants droit et à l’Arcom d’agir devant la justice contre la résurgence de sites miroir dans une même affaire de type « Z-Library ». « Se présentant “comme une bibliothèque gratuite depuis 2009”, mais proposant un modèle payant d’accès aux œuvres contrefaites, le site Z-Library accessible via de multiples adresses, proposait un accès à plus de 8 millions de livres – tous secteurs éditoriaux confondus – et 80 millions d’articles piratés », précise le SNE qui compte 700 éditeurs français adhérents. Le site Z-Library (ex-BookFinder ou BookFi, alias B.ok.cc), affichait, lui, avant d’être blacklisté, un catalogue de 11,1 millions de livres et plus de 84,8 millions d’articles. Quelques jours avant d’être bloqué par Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, cette « plus grandes bibliothèques en ligne dans le monde » lançait une « campagne de collecte » jusqu’au 1er octobre 2022 en guise d’« appel de fonds à tous ceux qui veulent contribuer encore plus au soutien et au développement de notre projet » (5). Certains internautes avisés peuvent contourner le blocage-filtrage par nom de domaine mis en place par les FAI (les DNS étant retirés de leurs répertoires d’adresses IP) et les principaux moteurs de recherche (déréférencement).
La précédente affaire « Team Alexandriz » avait été enclenchée il y a dix ans, avec là aussi la plainte du SNE, déposée en novembre 2012 avec six grands éditeurs français – Hachette, Editis, Gallimard, Albin Michel, La Martinière et Actes Sud. Le site qui se revendiquait comme le « n°1 sur les ebooks FR » avait cessé de fonctionner dès fin août 2013 mais la procédure judiciaire a continué pour s’éterniser près de dix ans (6), jusqu’à la condamnation pour contrefaçon de neuf des douze prévenus avec « circonstance aggravante de bande organisée ». Entre mai 2010 et juin 2013, était-il précisé, ce fut plus de 23.942 livres qui avaient été piratés, qu’il s’agisse de livres numériques sur lesquels les mesures de protection avaient été retirées ou de livres imprimés illégalement numérisés et corrigés (7). Certains responsables de Team Alexandriz ont écopé de peines d’emprisonnement avec sursis et le tribunal a condamné les neuf à « 10.000 euros de dommages et intérêts pour chaque éditeur et pour le SNE, en réparation du préjudice subi ». C’est relativement peu au regard de la peine maximale qu’ils encouraient : trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, selon l’article L335-4 du CPI (8).
Avec la loi « Anti-piratage » et le renfort de l’Arcom dans les actions judiciaires en « procédure accélérée », le SNE et les maisons d’éditions disposent désormais d’un double-levier procédural à leur disposition. A qui le tour : à Pirate Library Mirror ? Ce site web déclare : « Nous violons délibérément la loi sur le droit d’auteur dans la plupart des pays. (…) Miroir – Nous sommes strictement un miroir des bibliothèques existantes. (…) La première bibliothèque que nous avons reflétée est Z-Library. C’est une bibliothèque populaire (et illégale). Ils ont pris la collection Library Genesis et l’ont rendue facilement consultable » (9). Ou bien à Bookys ? Ce site web le reconnaît : « En rendant le téléchargement gratuit, Bookys enfreint les règles de protection des droits d’auteurs » (10).
Reste que la portée de ces condamnations au pénal pour contrefaçon a ses limites puisque celles-ci ne s’appliquent qu’en France. Alors que les sites et de leurs sites miroirs présumés pirates sont sans frontières. Le règlement européen sur les services numériques – le DSA (Digital Services Act) – est sur le point d’entrer en vigueur. Il prévoit lui aussi le blocage mais sur décision d’un juge. Ce ne seront ni les FAI, ni les plateformes numériques, ni les régulateurs qui peuvent bloquer d’eux-mêmes les contenus piratés.

Frontières : vers un blocage européen
L’affaire « Z-Library » apparaît comme un marqueur dans l’histoire de la lutte contre le piratage de contenus protégés. Du moins en France, en attendant des actions au niveau européen lorsque le DSA sera pleinement applicable. Si les livres numériques sont concernés par cette décision de blocage du 25 août 2022, à laquelle l’Arcom contribue devant la justice avec la mise à jour de sa liste des sites miroirs et d’éventuels nouveaux recours, le nouvel arsenal judicaire est à la disposition de toutes les industries culturelles : livre mais aussi musique, cinéma, retransmissions sportifs, ou encore jeux vidéo. @

Charles de Laubier

Union européenne, Etats-Unis, Chine : la grande bataille pour le « Bigcoin » est bien engagée

Le 16 septembre, la Maison-Blanche a livré les premières réflexions de l’administration Biden sur la future monnaie numérique américaine – un « dollar digital ». Le même jour, la Banque centrale européenne a fait le point sur le projet d’« euro numérique ». La Chine devance avec son « e-yuan ».

« Le développement responsable des actifs numériques est vital pour les intérêts américains, du bien-être des consommateurs et des investisseurs pour la sécurité et la stabilité de notre système financier, et pour notre leadership financier et technologique dans le monde », a déclaré Brian Deese (photo de gauche), conseiller économique de la Maison-Blanche, lors d’une conférence téléphonique le 15 septembre. En ajoutant : « Plus que jamais, une réglementation prudente des cryptomonnaies est nécessaire si les actifs numériques sont amenés à jouer un rôle que nous croyons dans la promotion de l’innovation et le soutien de notre compétitivité économique et technologique ».

Esquisse d’une loi « CBDC » pour le 10 octobre
Depuis le 14mars 2022, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait des actifs numériques « une priorité ». Dans un décret – Executive Order (EO) – signé ce jour-là de sa main et intitulé « Assurer le développement responsable des actifs numériques », le locataire de la Maison-Blanche avait demandé à différentes autorités administratives – « le secrétaire du Trésor, en consultation avec le secrétaire d’État, le procureur général, le secrétaire au Commerce, le secrétaire à la Sécurité intérieure, le directeur du Bureau de la gestion et du budget, le Directeur du Renseignement national et les responsables des autres agences concernées » – de lui remettre dans les 180 jours, soit le 10 septembre 2022, « une évaluation de la nécessité de modifications législatives pour instaurer une CBDC des Etats-Unis, si elle est jugée appropriée et dans l’intérêt national ». CBDC (Central Bank Digital Currencies) désigne les monnaies numériques de Banque centrale, c’està- dire émanant des Etats. Ce premier rapport a été présenté par la Maison-Blanche le 16 septembre, précédé la veille du briefing téléphonique de Brian Deese. « Une monnaie numérique de banque centrale des Etats-Unis (CBDC) serait une forme numérique du dollar américain. Bien que les Etats- Unis n’aient pas encore décidé s’ils allaient ou non adopter une CBDC, ils ont examiné de près les répercussions et les options de l’émission d’une telle monnaie numérique de banque centrale », a-t-il indiqué en présentant le rapport de Alondra Nelson, la directrice de l’OSTP (Office of Science and Technology Policy), bureau rattaché au cabinet de Joe Biden. Ce premier rapport de 58 pages (1) procède à une évaluation technologique d’une monnaie en faisant des recommandations mais sans dire si les Etats-Unis vont ou pas se lancer dans cette aventure (2). Prochaine étape : dans les 210 jours suivant le décret, soit le 10 octobre prochain, le président américain recevra cette fois « une proposition législative correspondante fondée sur l’examen du rapport présenté par le secrétaire du Trésor (…) et de tout document élaboré par le président de la Réserve fédérale [la Fed, ndlr]». Sans attendre, l’OSTP et la National Science Foundation (NSF), une agence indépendante du gouvernement américain et supervisée par la Chambre des représentants des Etats-Unis, ont commencé à élaborer « un programme national de recherche et développement (R&D) sur les actifs numériques », portant notamment sur la cryptographie, sur la protection des consommateurs (y compris l’inclusion financière et l’équité dans l’écosystème des actifs numériques). L’objectif est d’être en phase avec la priorité budgétaire de l’exercice 2024 fixée par Joe Biden, qui demande aux ministères et organismes fédéraux de collaborer sur les technologies essentielles et émergentes, y compris les technologies financières.
Selon l’EO n°14067, les différents rapports demandés doivent se pencher sur l’avenir des systèmes de paiement et de monnaie, « y compris les conditions qui conduisent à une large adoption des actifs numériques ». Le but est de mesurer l’influence de l’innovation technologique et les répercussions sur le système financier des Etats-Unis, ainsi que les répercussions sur la modernisation et les changements des systèmes de paiement, la croissance économique, l’inclusion financière et la sécurité nationale. Mais surtout, les rapports demandés doivent explorer la mise en place aux Etats-Unis de monnaies numériques de la Banque centrale (CBDC), en l’occurrence la Fed (Federal Reserve). Et ce, en garantissant le principe de la « monnaie souveraine » du pays, comprenez le e-dollar, tout en évaluant les avantages et les risques possibles pour les consommateurs, les investisseurs et les entreprises, ainsi que la stabilité financière et le risque systémique pour les systèmes de paiement et la sécurité nationale.

Maintenir le dollar au centre du monde
Il s’agit aussi pour Joe Biden de « mettre en valeur le leadership et la participation des Etats-Unis » dans les instances internationales concernées par les CBDC et dans les projets pilotes multinationaux de monnaies numériques auxquels participent les autres banques centrales. Dans son décret présidentiel, le président des Etats-Unis esquisse ce futur e-dollar : « Une CBDC des Etats-Unis pourrait soutenir des transactions efficaces et peu coûteuses, en particulier pour les transferts de fonds et les paiements transfrontaliers, et favoriser un meilleur accès au système financier, avec moins de risques posés par les actifs numériques administrés par le secteur privé ». Cette future CBDC américaine devrait être, selon Joe Biden, « interopérable avec les CBDC émises par d’autres autorités » et pourraient « potentiellement stimuler la croissance économique, soutenir le maintien de la centralité des Etats-Unis au sein du système financier international et aider à protéger le rôle unique que joue le dollar dans la finance mondiale ». E-euro : conclusions de la BCE début 2023 L’une des priorités de l’administration Biden est donc de maintenir le dollar américains au centre du système monétaire international. En creux, Washington veut éviter à tout prix que le dollar ne soit court-circuité par des cryptomonnaies nonétatiques telles que le Bitcoin, l’Ether ou encore le Ripple (3). En outre, Joe Biden encourage Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine, à savoir la Fed, à lui remettre un rapport pour savoir comment les CBDC pourraient « améliorer l’efficacité et réduire les coûts des systèmes de paiement actuels et futurs » et pour continuer à « évaluer la forme optimale d’une CBDC des Etats-Unis et élaborer un plan stratégique pour la Réserve fédérale et l’action plus large du gouvernement des Etats-Unis (dans la perspective de) la mise en œuvre et du lancement possible d’une CBDC des Etats-Unis » (4). La remise de ces deux rapports – le premier sur l’évaluation de la nécessité de légiférer (remis miseptembre) et le second sur une proposition législative correspondante (à remettre le 10 octobre) –, se fait par l’entremise de l’adjoint du président américain pour les affaires de sécurité nationale (APNSA) et de son autre adjoint pour la politique économique (APEP). La commission fédérale du commerce, la FTC, ou encore l’autorité des marchés financiers – la SEC – sont, elles aussi, mises à contribution pour préparer le terrain à la création de monnaies numériques de la Banque centrale des Etats-Unis – dollar digital en tête.
Hasard du calendrier (quoique), de l’autre côté de l’Atlantique, la Banque centrale européenne (BCE) – dirigée depuis près de trois ans par Christine Lagarde (photo de droite) – a communiqué ce même 17 septembre sur le futur euro digital. Au nom de l’Union européenne, qui s’apprête à adopter un règlement dit « MiCA » sur les marchés de crypto-actifs (5), l’institution monétaire basée à Francfort a fait part de la sélection de cinq entreprises « pour développer des interfaces utilisateur potentielles pour l’euro numérique ». Le but est de tester dans quelle mesure la technologie de l’euro numérique s’intègre aux prototypes déjà développés par ces entreprises, à savoir : le géant mondial du e-commerce Amazon pour les paiements en ligne, la société italienne spécialisée dans le e-paiements Nexi pour les paiements au point de vente effectués par le bénéficiaire, l’initiative européen EPI pour les paiements au point de vente effectués par le payeur, la société française leader dans la « paytech » Worldline pour les paiements hors ligne entre pairs (peerto- peer offline payments), et l’établissement financier espagnol CaixaBank pour les paiements en ligne entre pairs (peer-topeer online payments).
La présence d’Amazon parmi ces cinq entreprises, choisies par la BCE au sein d’un pool de 54 fournisseurs de services, n’a pas manqué de soulever des interrogations sur la « souveraineté européenne » de la démarche. « Leur sélection fait suite à l’appel à manifestations d’intérêt lancé en avril 2022 pour participer à l’exercice de prototypage, a expliqué la BCE. Les 54 entreprises remplissent un certain nombre de “capacités essentielles” décrites dans l’appel, tandis que les cinq fournisseurs choisis correspondaient le mieux aux “capacités particulières” » (6). Ces cinq sociétés développeront leur prototype respectifs, dont les transactions seront simulées et traitées par l’interface et l’infrastructure dorsale d’Eurosystème, l’organe de l’Union européenne qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales des Etats membres. Sous la houlette de Christine Lagarde, l’institution francfortoise publiera au premier semestre 2023 ses conclusions sur ses deux ans d’étude sur le projet d’euro numérique. Selon le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau qui s’est exprimé le 27 septembre, l’Eurosystème prendra une décision d’ici fin 2023, en vue d’un lancement éventuel en 2026 ou 2027. Quant à la Chine, elle a un coup d’avance sur l’Occident. Le président chinois Xi Jinping veut faire un « Grand bond en avant » numérique en voulant généraliser l’e-yuan, qui est testé depuis 2020 après des développements commencés dès 2014. Le renminbi digital – appelé officiellement Digital Currency Electronic Payment (DCEP) – a commencé à être utilisé à grande échelle dans l’Empire du Milieu à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver qui se sont déroulés à Pékin en février 2022. Mais aucun bilan n’a été donné depuis.

Chine : l’e-yuan, futur « Bigcoin » ?
Selon Sharnie Wong, une analyste de Bloomberg Intelligence (BI), l’e-yuan ou e-CNY pourrait d’ici 2025 représenter 9% des paiements numériques en Chine (7). D’autant que Pékin a interdit le bitcoin, car trop « spéculatif ». Plus de 4,5 millions de commerçants en Chine acceptent les paiements en e-CNY grâce à l’application mobile éponyme téléchargées par millions. WeChat (Tencent) et AliPay (Alibaba) sont tenus eux aussi de faire la promotion de la crypto nationale. Pour autant, ni les Etats-Unis, ni l’Europe, ni la Chine ne veulent perdre leur pouvoir régalien étatique historique de « frapper monnaie », chahuté par le paiement mobile et les cryptomonnaies. Et chacun rêve en plus d’imposer au monde son propre « Bigcoin » somme. @

Charles de Laubier

Des éditeurs de médias redoutent l’indépendance

En fait. Le 12 septembre, les associations européennes respectivement des quotidiens (ENPA) et des magazines (EMMA) ont tiré à boulets rouges sur le projet de règlement sur la liberté des médias – le European Media Freedom Act (EMFA) – qu’a examiné le 13 la Commission européenne. Quid du cas de la France ?

En clair. « Nous appelons la Commission européenne à ne pas adopter la proposition de l’European Media Freedom Act (EMFA) lors de sa prochaine réunion [qui s’est tenue le lendemain 13 septembre, ndlr], car (…) le projet est un “Media Unfreedom Act”, un affront aux valeurs fondamentales de l’Union européenne et de la démocratie », ont dénoncé le 12 septembre les associations européennes respectivement des journaux ENPA (1) et des magazines EMMA (2).
Elles s’inquiètent du « contrôle plus étroit » envisagé par les régulateurs nationaux ou par le futur « Conseil européen des services des médias » – European Board for Media Services (EBMS) qui transformera l’actuel Erga (3), groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, dont fait partie en France l’Arcom (ex-CSA). Le « super-Erga » aux compétences élargies, y compris à la presse, aura son secrétariat assuré par la Commission européenne dont il dépend. « Il n’est pas acceptable et très problématique que, dans une proposition visant à protéger la liberté des médias, la Commission européenne révèle des projets visant à de factopasser outre le principe de la liberté éditoriale des éditeurs », s’insurgent l’ENPA et l’EMMA. C’est l’article 6 du projet de règlement qui constitue un point de blocage pour leurs éditeurs membres : ils devront notamment rendre public « le nom de leurs propriétaires directs ou indirects détenant des actions leur permettant d’exercer une influence sur l’exploitation et la prise de décisions stratégiques », tout en garantissant l’indépendance de leurs journalistes et en divulguant tout conflit d’intérêt entre la rédaction et le propriétaire du journal.
Si la Hongrie, la Pologne ou encore la Slovénie sont souvent citées comme les premiers pays visés par ce règlement, la France, elle, a la particularité unique en Europe et au monde d’avoir de nombreux groupes de presse détenus par des industriels et milliardaires : Les Echos-Le Parisien par Bernard Arnault, Canal+-CNews-Prisma Media par Vincent Bolloré, Europe 1-le JDD-Paris Match par Arnaud Lagardère, Le Monde-L’Obs par Xavier Niel et Matthieu Pigasse, BFMTV-RMC par Patrick Drahi, etc. Suite à la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias en France (4), deux propositions de loi sur l’indépendance des médias sont sur les rails : celle de la députée Paula Forteza et celle à venir du sénateur David Assouline. @

Readium LCP : la solution de gestion de droits digitaux de l’EDRLab veut libérer le livre numérique

Le déverrouillage des ebooks est en marche, grâce au DRM (Digital Rights Management) conçu par l’EDRLab (European Digital Reading Lab). Cet outil appelé Readium LCP (Licensed Content Protection) se veut une alternative aux verrous propriétaires d’Amazon, d’Apple, d’Adobe ou de Kobo.

La plupart des maisons d’édition, des libraires, des bibliothèques et des plateformes de distribution de ebooks l’ont adoptée : la solution de gestion de droits numériques développée et promue par l’association européenne EDRLab, basée à Paris, est en train de se généraliser au monde du livre après un an de test. Baptisé Readium LCP, cet outil DRM se veut une alternative ouverte aux verrous propriétaires des Amazon, Apple, Adobe et autres Kobo (Rakuten). La France a été le premier pays à l’adopter, suivie de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et d’autres pays européens, voire partout dans le monde (1).

Copie privée, circulation et inclusion
Les acteurs français du prêt numérique en bibliothèque l’utilisent déjà tels que Numilog, Eden Livres, Immatériel, Vivlio, La Médi@thèque et BiblioAccess, ainsi que les plateformes de ventes de livres numériques comme ePagine. A l’instar du groupe Editis (Vivendi) ou d’Hachette Livre (Lagardère), des éditeurs y ont de plus en plus recours. Objectif : libérer le marché du livre numérique, en permettant enfin aux lecteurs de partager les fichiers de leurs ebooks dans le respect du droit d’auteur. Ainsi, les utilisateurs peuvent user de leur droit à la copie privée (exception au droit d’auteur) puisque le partage est limité à une trentaine de personnes ou de terminaux au sein de leur cercle familial voire amical. « Readium LCP est une solution de gestion des droits basée sur les mots de passe, avec laquelle les titulaires de droits peuvent protéger efficacement et à faible coût leur contenu ePub, PDF et livres audio contre le partage excessif. Il s’agit d’une solution simple mais fiable pour la distribution de contenu protégé, basée sur des algorithmes de cryptage solides et des techniques classiques de PKI [gestionnaire de clés publiques, ou Public Key Infrastructure, ndlr]. La solution est en même temps minimalement intrusive pour les utilisateurs finaux, qui n’ont pas besoin de créer un compte tiers et peuvent même partager leurs ebooks avec leur famille ou des amis proches », explique l’EDRLab cofondé durant l’été 2015 par Hachette Livre, Editis, Madrigall/ Gallimard-Flammarion et Media Participations, avec le Syndicat national de l’édition (SNE), le Cercle de la Librairie (CL) et le Centre national du livre (CNL), ainsi que le ministère de la Culture (2). L’EDRLab contribue en outre aux évolutions du format ePub 3 pour les ebooks, en attendant de l’IDPF (3) un éventuel ePub 4 multimédia (texte, audio, vidéo, …). En « libéralisant » le marché du livre numérique, les professionnels de la filière font d’une pierre deux coups : la norme internationale Readium LCP les met d’ores et déjà en conformité avec la directive européenne sur l’accessibilité de l’édition numérique, ou « Accessibility Act » (4), qui entrera en vigueur à partir du 28 juin 2025. Celle-ci inclut les personnes handicapées dans l’accès aux produits et services – dont les ebooks et les liseuses. Readium LCP est aussi conçu en mode privacy-by-design pour la protection de la vie privée et des données personnelles.
L’industrie du livre européenne fait ainsi le pari de la circulation facilitée des œuvres de l’écrit, comme l’a fait en son temps l’industrie de la musique. Fini les obstacles techniques au partage de ebooks. Fini l’impossibilité d’accéder à un fichier numérique de livre après la fermeture d’une librairie en ligne. Il s’agit de déverrouiller, enfin (5). « Avec Readium LCP, l’utilisateur peut constituer sans contraintes sa bibliothèque numérique. Car ce DRM dispense désormais le lecteur de la création d’un compte auprès d’un service tiers et de son identification préalable à la lecture de son livre numérique. Reposant sur un système de phrase secrète (pass-phrase), cette solution lui permet d’accéder facilement à ses livres numériques sur différents supports de lecture », explique la plateforme ePagine, librairie numérique lancée en 2008 par la société Tite-Live sous le nom d’Aligastore. Cette plateforme de marché de librairies opère aussi pour Place des Libraires, Bookeen, Gibert ou encore Gallimard.

ePagine et Numilog aux avant-postes
Cofondateur d’ePagine, François Boujard (photo de gauche) vient d’annoncer cet été que « la totalité du catalogue de l’édition française est désormais compatible avec Readium LCP, ePagine appliquant la protection d’EDRLab sur l’ensemble des fichiers hébergés ». Autre diffuseur numérique et libraire en ligne, Numilog a indiqué début juillet avoir adopté lui aussi le DRM sur ses plateformes Numilog.com et Girlybook.com – après l’avoir rendu disponible dès 2021 sur Biblioaccess.com (prêt numérique pour bibliothèques). « Cela pourrait avoir à terme un impact positif important sur le marché des livres numériques », espère Denis Zwirn (photo de droite), président fondateur de Numilog. @

Charles de Laubier

Jean-Noël Barrot, ministre tous azimuts du digital

En fait. Le 4 septembre, cela fait deux mois que Jean-Noël Barrot – fils de feu Jacques Barrot, ancien ministre et commissaire européen – est ministre délégué du gouvernement Borne, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. Son été fut studieux, entre sobriété et déploiement du numérique.

En clair. 4 juillet-4 septembre 2022 : les deux mois estivaux que vient de passer le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot (39 ans), reflète la multitude de ses attributions qu’un décret daté du 29 juillet dernier est venu préciser. Etant entendu qu’il n’aura pas à s’occuper ni à connaître des dossiers concernant le groupe Uber, comme l’avait spécifié un décret précédent daté du 21 juillet. Et ce, afin d’écarter tout conflits d’intérêt (1) puisque sa soeur cadette – Hélène Barrot – y travaille depuis près de dix ans, actuellement comme directrice de la communication pour l’Europe de l’Ouest et du Sud (2).
Selon le décret de ses attributions, « JNB » traite de « toutes les affaires en matière de numérique et de télécommunication ». Ainsi, par délégation du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il s’occupe du numérique tous azimuts : de la « souveraineté numérique » à la « transformation numérique des entreprises », en passant par les « communications électroniques », les « objectifs de transition écologique et de souveraineté technologique » ou encore au « cadre juridique relatif au numérique ». En outre, « il veille aux droits et libertés fondamentaux dans le monde numérique, à l’éthique des technologies, à l’inclusion, l’accessibilité et la médiation numériques ». Les « communs numériques » et la « gouvernance de l’Internet » entrent aussi dans ses nombreux champs de compétences, dont font partie aussi « l’éducation et la formation au numérique » ainsi que les « mutations numériques du travail », le « déploiement des infrastructures numérique » et l’« inclusion numérique » (3).
Bref, Jean-Noël Barrot est un véritable couteau suisse du digital pour le gouvernement Borne. Sur le terrain, il s’est rendu le 26 août au chevet de l’hôpital CHSF de Corbeil-Essonnes victime d’une cyberattaque. Trois jours plus tôt, il était dans le Cantal pour parler « ruralité et numérique » (4). Fin juillet, il participait au lancement du « groupe de travail “numérique et télécommunication” » dans le cadre du plan « sobriété énergétique ». Cela débouchera fin septembre sur un « plan d’actions de mesures simples et opérationnelles ». Economiste de formation, JNB n’avait pas d’expériences dans le numérique ; il devra savoir vite où donner de la tête. @