La Chine est le premier pays à s’attaquer aux « deepfake », ces contenus hyper-truqués à l’IA

Depuis le 10 janvier 2023, en Chine, le règlement « Deep Synthesis Provisions » est entré en vigueur pour réguler voire interdire les « deepfake » créés à l’aide de l’intelligence artificielle en détournant textes, images audios et/ou vidéos. Ces créations hyperréalistes prennent de l’ampleur.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a expliqué l’an dernier dans une vidéo qu’il avait capitulé face aux russes et qu’il appelait les soldats de son pays à déposer les armes (1). L’acteur américain Morgan Freeman s’est exprimé en 2021 sur la chaîne YouTube néerlandaise Diep Nep pour dire : « Je ne suis pas Morgan Freeman. Ce que vous voyez n’est pas réel » (2). Car ces vidéos et de nombreuses autres postées sur les réseaux sociaux – lorsque ce ne sont pas des textes, des images ou des podcasts – sont des « deepfake », des contenus entièrement manipulés et détournés à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine (AM).

La Chine devance les USA et l’UE
Le résultat est vraisemblable et bluffant. L’année 2023 pourrait être celle de l’explosion de ces vidéos truquées hyperréalistes. Les Etats-Unis ont commencé à légiférer par endroits (Californie, New York, Virginie, Texas) contre les abus des deepfakes – nom composé de deep learning et de fake news. Le Parlement européen devrait bientôt examiner en séance publique la proposition de règlement « Artificial Intelligence Act » (3) mise sur les rails il y a vingt mois (4). Mais c’est la Chine qui vient de devancer l’Occident en faisant entrer en vigueur le 10 janvier 2023 un règlement applicable à l’ensemble de l’Empire du Milieu.
Le texte composé de 25 articles est surnommé le « Deep Synthesis Provisions » (5) et s’applique désormais à toute la filière des fournisseurs de « synthèse profonde » (deepfake). Son entrée en vigueur est l’aboutissement d’un processus qui avait commencé après un discours du président Xi Jinping (photo) devant le Politburo en octobre 2021 où il mettait en garde contre « les symptômes malsains et incontrôlés » de l’économie numérique. C’est le Cyberespace Administration of China (CAC), en cheville avec les ministères de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT) et de la Sécurité publique (MPS), qui a été à la manoeuvre. Le CAC a été chargé d’élaborer ce règlement « Deep Synthesis Provisions », dont la première version a été publiée il y a un an (fin janvier 2022) à l’occasion d’une consultation publique d’un mois. La version finale a été publiée fin novembre dernier. « Les services qui offrent un dialogue intelligent, des voix synthétisées, la génération de visages, des scénarios de simulation immersive, etc., pour générer ou modifier considérablement la fonction du contenu d’information, devraient être marqués de façon significative pour éviter la confusion ou l’identification erronée du public. », explique le CAC dans un communiqué du 11 décembre (6). La Chine définit la technologie de synthèse profonde comme celle qui utilise l’apprentissage profond (deep learning), la réalité virtuelle et d’autres algorithmes synthétiques pour produire du texte, des images, de l’audio, de la vidéo, des scènes virtuelles ou en 3D, et d’autres informations réseau. Les fournisseurs de services de synthèse approfondie sont tenus de désigner les entreprises qui offrent des services, logiciels et supports techniques. La responsabilité incombe aux prestataires de services de synthèse profonde en matière de sécurité des données et de protection des informations personnelles, de transparence (notamment en établissant des lignes directrices, des critères et des processus pour reconnaître les informations fausses ou préjudiciables), et de gestion de contenu et étiquetage (étiquettes ou logos).
Les dispositions du règlement « Deep Synthesis Provisions » s’appuient sur un règlement « Online Audio and Video Information Services » (7) de 2019 qui interdit sur Internet l’utilisation de photos, d’audios et de vidéos générés par ordinateur pour produire ou diffuser des fausses nouvelles. Mais comme dans le reste du monde, il sera difficile de faire la part des choses, entre fake news et parodie. La censure chinoise ajoute une corde à son arc.
Quoi qu’il en soit, Pékin prend très au sérieux la menace des deepfakes, y compris des algorithmes (8), à l’heure où la bataille commerciale exacerbée avec Washington fait rage sur fond de guerre en Ukraine déclenchée par sa voisine et amie la Russie.

La notion de « contenus illicites » du DSA
En attendant l’adoption du règlement « Artificial Intelligence Act », l’Europe s’est dotée du Digital Services Act (DSA) qui entre en vigueur en 2023. Il prévoit notamment que les plateformes numériques « lutte[nt] contre la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques, pour la société, de diffusion d’informations trompeuses » (considérant 9), la notion (vague ?) de « contenus illicites » étant mentionnée dans au moins huit articles du DSA (9) – mais sans qu’il y soit question explicitement de deepfake. Avec son « Deep Synthesis Provisions », la Chine a pris de l’avance et pourrait être suivie par d’autres pays autoritaires. @

Charles de Laubier

Des organisations et lobbies du numérique et des télécoms prennent position contre la guerre en Ukraine, d’autres non

De organisations professionnelles et lobbies du numérique, des réseaux et de la tech ont pris position contre la guerre en Ukraine. Leurs membres – que ce soit les GAFAM, les opérateurs télécoms ou les autres entreprises de services numériques – condamnent la Russie, soutiennent les Ukrainiens, voire prennent des sanctions.

« En cette période dramatique, Numeum tient à affirmer au nom de l’ensemble des entreprises qui le compose, sa pleine et entière solidarité avec le peuple ukrainien, ainsi que son total soutien aux pouvoirs publics français et européens qui gèrent cette crise difficile », a déclaré le 2 mars le syndicat professionnel de l’écosystème numérique en France, né en juin 2021 de la fusion de Syntec Numérique et de Tech in France. Numeum, qui compte 2.255 adhérents, le plus souvent des entreprises de services numérique (ESN), a en outre fait savoir qu’il avait saisi le gouvernement français d’« une demande officielle visant à faciliter l’octroi de permis temporaire de résidence et de travail à tout réfugié ukrainien opérant dans les technologies qui en fera la demande et avec l’accord des autorités ukrainiennes » (1).

Numeum, GSMA, Etno, DigitalEurope, CCIA…
En revanche, pas un mot sur la guerre en Ukraine dans d’autres organisations professionnelles du numérique en France telles que France Digitale ou l’Afnum, ni même la FFTélécoms, fédération française des télécoms. Mais cela n’empêche pas les quatre principaux opérateurs télécoms français de prendre depuis le 25 février des initiatives – tarifaires – en rapport avec l’Ukraine : Orange et SFR ont rendu les appels vers l’Ukraine gratuits ; Bouygues Telecom et Free ont baissé leurs tarifs en direction de ce pays en guerre contre l’invasion de la Russie. « Orange se mobilise pour permettre à ses clients grand public de rester en contact avec leurs proches en Ukraine », a indiqué sur son site web le premier opérateur télécoms français : gratuité durant deux semaines des appels internationaux, SMS et MMS émis depuis les mobiles Orange et Sosh en France Métropolitaine vers les numéros fixes et mobiles ukrainiens.
Lors de la grand-messe internationale de l’écosystème mobile, le Mobile World Congress (MWC), qui s’est tenue à Barcelone du 28 février au 3 mars derniers, la GSMA – qui l’organise – a « condamn[é] fermement l’invasion russe de l’Ukraine », tout en précisant qu’« il n’y [a] pas [eu] de pavillon russe » lors de cette édition 2022 (2). Représentant plus de 750 opérateurs mobiles dans le monde et 400 entreprises, la GSMA est basée à Londres et de son bras armé commercial à Atlanta aux Etats-Unis (3). En Europe, une autre association d’opérateurs télécoms – l’Etno dont sont membres les opérateurs de réseaux historiques tels que Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, ou encore Altice Portugal – a elle aussi pris position : « Alors que le peuple ukrainien endure ses plus dures épreuves, les entreprises européennes de télécommunications déploient des mesures pour faciliter les communications et soutenir les personnes en détresse », a déclaré le 28 février cette organisation basée à Bruxelles (4). L’Etno a ainsi listé une batterie de mesures – variant d’un opérateur à l’autre : des appels internationaux gratuits vers l’Ukraine aux connexions Wifi gratuites dans les camps de réfugiés, en passant par l’inclusion des chaînes de télévision ukrainiennes dans les forfaits IPTV sans frais supplémentaires (5). Toujours au niveau européen, le lobby DigitalEurope (ex- Eicta), qui est également installée à Bruxelles et qui représente les GAFAM (6) ainsi que Samsung, Huawei, Sony, Nvidia ou encore Dropbox, y est allé aussi de son statement : « Nous appuyons sans réserve les mesures prises par l’Union européenne (UE). Mais les sanctions ne sont pas suffisantes. L’Ukraine a besoin d’un soutien immédiat en matière de cybersécurité », a-t-il lancé le 24 février. Et de déclarer : « Nous, qui représentons 36.000 entreprises de la numérisation en Europe, exprimons notre pleine solidarité avec le peuple ukrainien face à l’agression russe actuelle. (…). Avec l’Otan [Organisation du traité de l’Atlantique Nord, à caractère politico-militaire, dont sont membres 30 pays (7), ndlr], les dirigeants de l’UE peuvent soutenir l’Ukraine en fournissant un soutien immédiat en matière de cybersécurité ». DigitalEurope appelle en outre les dirigeants – des pays de l’UE voire de l’Otan – à « accélérer le traitement de toutes les demandes de visa pour ceux qui fuient l’Ukraine – ils méritent tous notre soutien » (8). En revanche, un autre lobby des GAFAM (entre autres), appelé Dot Europe (ex-Edima) et agissant également à Bruxelles, ne dit mot. Aux Etats-Unis, cette fois, la Computer & Communications Industry Association (CCIA), dont sont membres les GAFA aux côtés de Twitter, Pinterest, Yahoo, Rakuten, eBay, Uber, Samsung, Intel et d’autres : «La CCIA condamne l’invasion, non provoquée, par le gouvernement russe de la nation souveraine de l’Ukraine, et se joint aux dirigeants du monde entier pour exiger que la Russie cesse immédiatement son agression ».

Des Big Tech suspendent des produits et services
En représailles, les entreprises membres de ce puissant lobby qu’est la CCIA, créée il y a un demi-siècle cette année (bien avant Internet) et basée à Washington, « ont suspendu de nombreux produits et services conformément aux sanctions financières de l’administration [Biden] visant à mettre fin à cette guerre insensée ». Et de fustiger l’attitude du Kremlin en visant sans le nommer Vladimir Poutine (photo) : « La CCIA condamne la censure continue des services de communications numériques par le gouvernement russe dans le but de dissimuler sa barbarie à son propre peuple […], marque d’un autoritarisme » (9). @

Charles de Laubier