Influenceurs : pris entre le marteau et l’enclume

En fait. Le 1er juin, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi « Anti-arnaques et anti-dérives des influenceurs », comme l’avait fait la veille l’Assemblée nationale dans la foulée d’un accord en commission mixte paritaire. Avant même sa promulgation, la DGCCRF épingle les mauvais joueurs.

En clair. La promulgation de la loi « visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » n’est que pure formalité. La proposition de loi transpartisane a été adoptée les 31 mai et le 1er juin derniers par respectivement l’Assemblée nationale et le Sénat. Et ce, après un accord trouvé le 25 mai en commission mixte paritaire (CMP) entre sénateurs et députés. Portée par les députés Arthur Delaporte (Nupes) et Stéphane Vojetta (Renaissance), la loi « Influenceurs » a l’encre à peine sèche que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), basée à Bercy (Bruno Le Maire), a dégainé le 2 juin des sanctions « name and shame » (nommer et blâmer) à l’encontre de six influenceurs (1). Trois sont épinglés pour « pratiques commerciales trompeuses » et trois autres pour non-divulgation de « partenariat commercial rémunéré » (pub clandestine).
Ils sont tenus de publier sur leur profil en ligne, et durant 30 jours, leur condamnation. Le 3 mai, la DGCCRF avait indiqué avoir « contrôlé » 50 influenceurs au cours du premier trimestre. Des injonctions et des procès-verbaux pénaux pleuvent. « Bruno Le Maire et la DGCCRF rendront publiques les mesures prises à l’encontre de certains influenceurs dans une optique de sensibilisation aux enjeux de loyauté, et dans le respect des procédures du code de la consommation », avait prévenu Bercy (2). La loi « Influenceurs », elle, renforce les pouvoirs de la DGCCRF avec la création d’« une brigade d’influence commerciale constituée dans un premier temps de 15 agents » (temps plein), opérationnelle en septembre prochain. Ils « surveilleront » les réseaux sociaux, et répondront aux « signalements » de SignalConso (3).
La brigade sanctionnera les influenceurs coupables, fermera leurs comptes, voire les déférera devant un juge. La loi officialise aussi un « guide de bonne conduite » pour les influenceurs, déjà disponible avec un édito de Bruno Le Maire (4), et crée des « Assises de l’influence responsable » qui auront lieu tous les ans à Bercy. Les photos et vidéos retouchées ou produite par de l’IA seront à indiquer. La promotion d’actes de santé, de chirurgie esthétique ou d’animaux sauvages est interdite. Tandis que les influenceurs installés à l’étranger (Dubaï. Bahamas, Ile Maurice, …) doivent « nommer un représentant légal en France ». @

Squeezie, devenu numéro un des influenceurs sur les réseaux sociaux, a atteint la consécration en 2022

C’est la tête de gondole des influenceurs sur Internet en France. Selon nos calculs, il a même dépassé en 2022 les 51 millions d’abonnés, tous réseaux sociaux confondus (YouTube, Instagram, TikTok, Twitch, …) : Squeezie, alias Lucas Hauchard, vient en plus d’avoir les honneurs du Musée Grévin, avec son chien !

Il va avoir seulement 27 ans le 27 janvier 2023 et pourtant Lucas Hauchard est déjà un vieux de la vieille des influenceurs sur les réseaux sociaux où il est devenu célèbre sous le pseudonyme Squeezie (photo). Au point d’être devenu le numéro français des youtubeurs et même de tous les influenceurs (1). Son audience dépasse celles des télévisions nationales et il est le mieux payé dans ce nouveau métier. Squeezie est un « homme-orchestre » millionnaire entré dans l’histoire. Le Musée Grévin lui a même présenté le 1er décembre dernier son double de cire avec son chien Natsu immortalisé à ses côtés – une première pour ce musée (2).
« C’est une belle consécration et très flatteur pour moi mais aussi pour Internet de manière générale. Le Grévin est rempli de personnalités qui ont marqué la culture française. Et aujourd’hui, on peut dire que nous – les gars d’Internet, les filles d’Internet – on a marqué la culture française », a lancé Lucas Hauchard le jour de l’inauguration de sa statue. Que de vidéos diffusées sur YouTube depuis ses début en mai 2008 sous son premier pseudo, Kakashlu, et surtout depuis janvier 2011 lorsqu’il se renomme Squeezie et lance sa chaîne éponyme, en référence à la chanson « Squeeze It » des DJ Tiësto et Frank qu’il écoutait il y a plus de dix ans.

Premier youtubeur en 2022 (audience et contenu)
Sa chaîne « Squeezie » dépasse aujourd’hui les 17,7 millions d’abonnés. Avec ses deux autres chaînes YouTube – Squeezie Gaming (4,5 millions d’abonnés) et Squeezie Rediffusions (349.000 abonnés) – qu’il a créées respectivement en septembre 2018 et en mars 2022, le premier influenceur de France totalise sur YouTube plus de 22,5 millions d’abonnés (avant déduplication, un internaute pouvant être abonné à plusieurs de ses chaînes). Depuis leur lancement, ses trois chaînes ont généré avec leurs multiples vidéos jusqu’à maintenant un total astronomique de plus de 11,2 milliards de vues. Et selon le classement que YouTube a révélé en fin d’année dernière, Squeezie a pris en 2022 la tête des vidéos les plus populaires vues sur la plateforme de Google, avec « Qui est l’imposteur ? ». Depuis sa mise en ligne en juin dernier, elle totalise plus de 16,3 millions de vues, ce qui la place devant celles des youtubeurs Inoxtag, Mcfly & Carlito, et MichouOff pour ne citer que les trois suivants du classement (3). Il n’était que sur la troisième marche du podium en 2021, toujours selon YouTube (4), avec la vidéo « Une seconde avant la catastrophe », derrière Mcfly & Carlito et Cyprien. Dans ce format de jeu « Qui est l’imposteur ? » qu’il a conçu, Squeezie et ses deux invités doivent débusquer un imposteur parmi trois personnes exerçant toutes un même métier ou une discipline identique. La série a aussitôt trouvé son public, dont l’audience n’a rien à envier à celles des chaînes de télévision.

Le n°1 des youtubeurs gagnerait 50.000 euros/mois
Au total, le numéro un français des youtubeurs empocherait en moyenne 50.000 euros par mois si l’on en croit les sites Youtubers.me (5) et Socialblade.com (6). Car ses plusieurs dizaines de vidéos postées par an, précédées d’annonces commerciales, génèrent des recettes publicitaires élevées. Ce qui lui rapporterait, rien que sur la plateforme vidéo de Google, un revenu annuel supérieur à 600.000 euros. Le placement de produits et l’affichage de marques sont aussi pratiqués par Squeezie, comme avec Gucci, Dior ou encore Vivo. Mais Squeezie n’est pas seulement sur YouTube. Il a aussi de très nombreux fans sur les autres réseaux sociaux : 9,1 millions d’abonnés sur Twitter, 8,1 millions de followers sur Instagram, 4,7 millions d’abonnés sur TikTok, 4 millions de followers sur Twitch, 2,3 millions d’amis sur Facebook, et 0,3 million sur Snapchat. Selon les calculs de Edition Multimédi@, la galaxie Squeezie totalise plus de 51 millions d’abonnés (toujours avant déduplication des multi-suiveurs qu’il est impossible de dénombrer). Il devance ainsi ses confrères d’influence, Cyprien et Norman, ainsi que l’influenceuse Léa Elui.
Lucas Hauchard a su se diversifier, tant sur les réseaux sociaux que dans les contenus créatifs proposés, après avoir commencé avec des tests de jeux vidéo et des histoires effrayantes (threads horreur). Il multiplie les collaborations avec d’autres influenceurs (Cyprien, Mcfly & Carlito, Mister V, Jonathan Cohen, …), ce qui lui permet de démultiplier son audience et ses revenus. Aux quelque 600.000 euros qu’il a empochés en 2022 grâce à YouTube, Squeezie engrange aussi de l’argent ailleurs, comme sur Twitch. Sur cette plateforme de live gaming et de live streaming d’Amazon, il performe financièrement : outre l’inévitable publicité en ligne, sur ses 4 millions de followers, 5.174 d’entre eux sont abonnés payants – d’après le décompte de TwitchTracker (7) – soit via Prime d’Amazon sans surcoût, soit moyennant 3,99 euros par mois (rang 1), 7,99 euros (rang 2) ou 19,99 (rang 3). Amazon prélevant au passage jusqu’à 50 %, rien que les abonnements payants sur Twitch rapporteraient à Squeezie au moins 10.000 euros par mois. Mieux, Lucas Hauchard a réussi à organiser le Grand Prix de Formule 4 le 8 octobre dernier au Mans. Avec sur la ligne de départ vingt-deux vidéastes et streamers, ce « Grand Prix GP Explorer » a enregistré une audience live record sur Twitch : 1 million d’internautes en direct, auxquels sont venus s’ajouter des millions de replay.
Véritable « homme-média », Squeezie est aussi devenu, malgré lui, un homme d’affaires grâce à ses investissements avisés. En 2015, il a créé deux sociétés : Squeezie et Balai Steak, dont la seconde subsiste aujourd’hui pour l’édition de ses chaînes et dont il est président. Parallèlement, Lucas Hauchard a créé en avril 2020 l’agence d’influence et régie publicitaire Bump, dont il détient encore, selon L’Informé (8), 20 % du capital. Et ce, après avoir quitté la régie Talent Web, laquelle avait été revendue en 2016 avec sa maison mère Mixicom (réseau multichaîne) au groupe Webedia du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière pour 25 millions d’euros (sur 75 millions au total pour Mixicom). A l’époque, d’après le site web de BFMTV (9), cette cession d’il y a plus de cinq ans avait rapporté au moins 4 millions d’euros à Squeezie qui était coactionnaire de Talent Web à hauteur de 15,9 % aux côtés de Cyprien et Norman. En plus de cette sacrée plus-value (par rapport aux 3.000 euros initiaux investis par Squeezie), d’autres millions ont été reversés les années suivantes, notamment à Squeezie, en fonction des performances publicitaires de cette régie. Sa fortune de millionnaire vient d’abord de cette lucrative opération financière. « Cette revente, c’est ma retraite », avait-il confié sur Canal+. Aujourd’hui, son agence d’influence Bump assure non seulement la publicité de ses propres chaînes sur les réseaux sociaux mais aussi celles d’autres influenceurs tels que McFly & Carlito, Gotaga ou encore Locklear. En 2021, cette régie a réalisé 14 millions d’euros de chiffre d’affaires pour un bénéfice net de plus de 0,8 million d’euros. Squeezie est en outre coactionnaire à 25 % de la société Cotalent créée en mars 2018 avec Cyprien (46,4 % du capital) et Norman, encore eux, pour proposer à d’autres créateurs de contenus un studio de production audiovisuelle dans Paris baptisé Taiko (« tambou » en japonais).

Albums : Oxyz (musique hip-hop) et Bleak (BD)
Et lorsque l’« homme-média » se mue en « homme-orchestre », il diversifie ses instruments d’influence. Squeezie a ainsi créé en février 2019 sa propre marque de vêtements de style streetwear inspiré de la culture japonaise – Yoko, commercialisée par la société Yoko Gang, propriété de sa société Balai Steak. Puis en septembre 2020 est sorti son premier album musical intitulé Oxyz (14 titres de hip-hop, entièrement produits au Japon avec le producteur Kezah). Dans la foulée, il a créé sa propre maison de production, Unfold. Le décidément touche-à-tout s’est aussi essayé à la bande dessinée sur le thème de l’horreur qu’il affectionne depuis ses débuts : coécrit, et édité par Link Digital Spirit, le premier album « Bleak » est sorti début 2022 et le second est prévu le 4 mai prochain. Influenceur rime décidément avec prolifique. @

Charles de Laubier

Influenceurs, influenceuses : rançon de la gloire

En fait. Le 27 septembre, le Conseil d’Etat a publié son étude annuelle 2022 : elle porte sur les réseaux sociaux et recommande notamment d’« armer la puissance publique dans son rôle de régulateur ». La haute juridiction administrative s’intéresse aussi aux influenceurs, un « métier » sous surveillance.

En clair. Le rapport intitulé « Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique » que le Conseil d’Etat a publié le 27 septembre, soit deux mois et demi après l’avoir approuvé (1), vient alimenter les interrogations sur les réseaux sociaux en général et les influenceurs en particulier. Depuis la diffusion le 11 septembre sur France 2 de « Complément d’enquête » consacré au business des influenceurs, ce « nouveau métier » – aux airs de téléréalité sur Internet – est sous le feu des critiques. Les adolescents et jeunes adultes constituent la majeure partie de l’audience de ces « leaders d’opinion ».
D’où le crédit que leur accordent de plus en plus de marques en quête de nouveaux « espaces » de publicité, de sponsoring et de placement de produit sur les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat, YouTube, TikTok, …). Selon l’agence Kolsquare, les influenceurs dépassant les 3 millions d’abonnés peuvent gagner jusqu’à « plusieurs centaines de milliers d’euros » pour un post, une vidéo ou encore un live. D’après l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qui a publié le 29 septembre son observatoire (2), l’« influence responsable » gagne du terrain. Le Conseil d’Etat, lui, relève que la régulation (Arcom, DGCCRF/Autorité de la concurrence) et la règlementation (loi de 2020 sur l’exploitation commerciale de l’image des moins de 16 ans, directive SMAd) se mettent en place (3). Mais la question du statut juridique des influenceurs se pose encore : « La relation contractuelle (…) prend souvent la forme d’un contrat d’artiste ou de mannequinat », constate le conseiller du gouvernement.
Si le métier d’influenceur peut susciter autant de mépris que d’admiration (4), c’est que le marché mondial du « marketing d’influence » prend de l’ampleur : 16,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année, selon les prévisions de Statista. Le titre racoleur de France 2 (France Télévisions) – « Arnaques, fric et politique : le vrai business des influenceurs » – a quelque peu jeté l’opprobre sur cette activité médiatique en pleine expansion. Le reportage à charge fut produit dans le sillage d’« une violente guerre médiatique oppos[ant] Booba, le rappeur millionnaire, à l’influente agent Magali Berdah [patronne de Shauna Events, ndlr] et ses influenceuses », le premier accusant même d’« escroquerie » et d’« #influvoleurs » (5) plusieurs vedettes de ces réseaux sociaux. @