Readly, ePresse, Cafeyn et l’OPA du groupe Bonnier

En fait. Le 26 avril se tient une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société suédoise Readly, cotée au Nasdaq de la Bourse de Stockholm et détenue à 75,4 % – via sa filiale Tidnings AB Marieberg – par le premier groupe de médias scandinaves Bonnier News. L’avenir des e-kiosques en Europe se joue là.

En clair. Selon les informations de Edition Multimédi@, la prise de contrôle du suédois Readly International – « Spotify » de la presse numérique (1) et propriétaire d’ePresse et de Toutabo en France – par son compatriote le groupe de médias Bonnier News, va se jouer les 26 avril et 13 juin prochains. Ces dates correspondent pour les actionnaires de Readly à, respectivement, l’assemblée générale extraordinaire et l’assemblée générale ordinaire.
Si aucun actionnaire ne s’oppose à la prise de contrôle de Readly par Bonnier News, alors ce dernier pourra mener à bien son projet, à savoir : garder les activités scandinaves de Readly et céder à la société française Cafeyn (ex-LeKiosque.fr/ LeKiosk), rival d’ePresse en France (2), les activités non nordiques de Readly. En revanche, si un actionnaire s’oppose à ce qu’il pourrait considérer comme un « démantèlement » de Readly, cela pourrait compromettre et l’OPA de Bonnier sur Readly et l’accord de vente à Cafeyn. D’autant que la société Readly, cotée au Nasdaq de la Bourse de Stockholm et détenue depuis le 27 mars dernier à 75,4 % par Bonnier, verrait près de 80 % du chiffre d’affaires de Readly (52,2 millions d’euros en 2020) cédés à Cafeyn, à savoir les pays en dehors de la région scandinave – Allemagne en tête, suivie du Royaume-Uni et de la France. En lançant début décembre 2022 son OPA sur Readly, le premier groupe de médias dans les pays nordiques, Bonnier News (3), toujours contrôlé par la famille suédoise Bonnier, espérait obtenir 90 % du capital de Readly nécessaires pour radier cette entreprise du Nasdaq suédois.
L’accord avec Cafeyn – « sous réserve de l’achèvement de l’offre [l’OPA] » – tient toujours à ce jour et permettrait à ce dernier non seulement d’absorber son rival français ePresse mais surtout de « créer un champion européen » du kiosque numérique avec « une audience internationale plus large » susceptible de séduire les éditeurs voire de retenir les plus hésitants. Reste à savoir si les quatre marques Cafeyn, Readly, ePresse et Toutabo continueraient à coexister à l’avenir ou si l’une d’entre elles prendrait le dessus. « Lorsque nous avons acquis en 2019 le néerlandais Blendle, le choix a été de conserver la marque existante dans un souci de cohérence et de clarté pour les utilisateurs néerlandais », indique à Edition Multimédi@ Julia Aymé, directrice des affaires publiques de Cafeyn. @

Presse : Cafeyn étudie l’option d’un tarif premium

En fait. Le 25 janvier, lors d’une keynote digitale, le fondateur et directeur général du kiosque numérique Cafeyn (ex-LeKiosk.fr), a dévoilé des innovations (narration audio et fil d’actualité) avant de répondre à des questions sur la stratégie de l’entreprise créée il y a 15 ans. Notamment les tarifs et l’absence de titres.

En clair. Créée il y a 15 ans (1), l’entreprise LeKiosque.fr édite depuis 2010 LeKiosk devenu il y a plus de deux ans Cafeyn. Cette plateforme de streaming d’information (2) compte aujourd’hui plus de 2,5 millions d’utilisateurs inscrits (3) – y compris ceux en essai gratuit le premier mois, avant de payer 9,99 euros par mois au-delà s’ils le désirent. A ce prix-là, ils ont accès à près de 3.000 journaux et magazines français et étrangers (4), au format PDF pour la publication, ou à l’article en ligne et éditorialisé (curation des contenus, narration audio, fil d’actualité, etc.). De quoi séduire de nombreux lecteurs multi-titres, alors que des éditeurs ont encore augmenté leurs tarifs au numéro depuis le 1er janvier – comme Le Figaro passé à 3,20 euros l’exemplaire. A côté, les 9,99 euros mensuels pour accéder à des milliers de journaux paraissent incroyables. « Nous avons aujourd’hui une réflexion sur l’évolution de nos tarifs. Pour l’instant, nous préférons conserver une simplicité d’accès à nos offres pour avoir le bassin d’utilisateurs le plus large possible. Ensuite, une segmentation sera à l’étude en fonction de la consommation et du catalogue disponible dans nos offres », a répondu Ari Assuied (photo), cofondateur et DG de Cafeyn, à une question posée par Edition Multimédi@ lors d’une keynote digitale le 25 janvier. Et y aura-t-il des tarifs premium pour des contenus/services à valeur ajoutée ? « C’est une option que l’on étudie ».
Si la plupart des éditeurs répondent présents sur Cafeyn, certains ont récemment retiré leurs titres, L’Equipe, Le Point et Ouest-France, craignant la cannibalisation de leur propre offre numérique ou la destruction de valeur. « Cela ne traduit pas une tendance de fond car notre catalogue s’est plutôt enrichi, a rassuré Ari Assuied. Notre fonction d’agrégateur est complémentaire de la stratégie d’auto-distribution, laquelle est privilégiée par certains éditeurs, isolés, qui s’inspirent du modèle unique du New York Times». Le Monde, lui, reste le grand absent des kiosques numériques, que cela soit sur Cafeyn ou ePresse alias Readly (5). « Nous respectons la décision du groupe Le Monde mais nous la regrettons, dit-il. Notre conviction est qu’il n’y a pas de raison que les tendances que l’on a connues sur les marchés du divertissement, comme la musique et la SVOD, ne puissent pas apparaître pour l’information. Le développement des usages va s’accélérer ». @

Readly, le « Spotify » des kiosques numériques, aidé par… son compatriote Spotify justement

En annonçant le rachat du français Toutabo, éditeur du kiosque numérique ePresse, le suédois Readly – compatriote de Spotify dont il s’inspire – consolide un peu plus le marché de la distribution digitale de la presse en Europe. Le français Cafeyn a racheté l’an dernier le néerlandais Blendle.

La société suédoise Readly, créée il y a près de dix ans (au printemps 2012) par Joel Wikell, qui détient encore 10,4 % du capital, s’est inspirée du modèle de son compatriote Spotify dans la musique en ligne pour devenir le « Spotify » de la presse numérique. Selon nos constatations, celle qui était jusqu’en octobre et durant plus de quatre ans directrice des opérations stratégiques de la plateforme de streaming musical, Malin Stråhle (photo), est justement depuis l’an dernier l’un des six membres du conseil d’administration de Readly présidé par Patrick Svensk.

Malin Stråhle au board de Readly
Avant d’être chez Spotify (octobre 2017-octobre 2021), cette Suédoise a été notamment directrice technique du groupe de presse suédois Schibsted Publishing et auparavant directrice du développement de Bonnier Digital, filiale du groupe multimédia suédois Bonnier (livre, presse et audiovisuel). Si Malin Stråhle (50 ans) vient de quitter Spotify pour un autre groupe compatriote (le constructeur automobile Volvo dont elle devient vice-présidente en charge du numérique), elle demeure l’un des cinq « Director of the Board » de Readly. Son savoir-faire dans la presse et dans la musique est un atout pour le « Spotify » des kiosques numériques en Europe et aux ambitions internationales.
La société Readly International AB (sa dénomination sociale) a d’ailleurs fait son entrée il y a un an (le 17 septembre 2020) au Nasdaq de la Bourse de Stockholm, où elle est pour l’instant valorisée plus de 100 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires 2020 de 34,5 millions d’euros et une perte nette de 19,4 millions d’euros. En faisant l’acquisition de la société française Toutabo, présidée par Jean-Frédéric Lambert et éditrice du kiosque numérique ePresse racheté fin 2015, Readly conforte sa position de « Spotify » de la presse en Europe. Toutabo, avec son catalogue de plus de 1.000 magazines et de 300 journaux d’actualité (provenant de 280 éditeurs), apporte à la société suédoise un chiffre d’affaires qui a cru de 33,7 % en 2020 à 6,6 millions d’euros (pour une perte nette supérieure à 0,6 million d’euros). La France est donc le quatrième pays européen, après la Suède, le Royaume-Unis et l’Allemagne, où Readly est physiquement présent avec un catalogue de titres locaux. Dans cinq autres pays européens où il ne dispose pas de bureaux (Autriche, Irlande, Italie, Pays-Bas et Suisse), le « Spotify » de la presse est aussi accessible avec des titres issus de ces pays. Readly vise en outre le reste du monde, en étant aussi utilisé en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et d’autres pays. Avec Toutabo, Readly s’implante en France, mais aussi s’ouvre au marché francophone – couvert partiellement par Youboox et YouScribe –, ce qui représente 500 millions de lecteurs potentiels à travers le monde. Avec cette acquisition de 97,3 % du capital de Toutabo pour un montant total de 8,2 millions d’euros (1), le « Spotify » du all-you-can-read compte attirer plus de lecteurs avec un catalogue porté à 6.000 titres provenant de plus de 1.000 éditeurs.
Si le marché des kiosques numériques se consolide, le français Cafeyn (ex-LeKiosk) ayant de son côté racheté en juillet 2020 la plateforme d’actualité néerlandaise Blendle (2), les opportunités d’acquisition ne sont pas nombreuses, comme l’explique Jean-Frédéric Lambert à Edition Multimédi@ : « La consolidation du marché est compliquée à envisager car il y a peu de cibles. Les acteurs en Italie ou en Espagne n’ont pas encore développé de position significative. En revanche, on peut imager que les acteurs significatifs d’Amérique du Nord – Zinio, PressReader et Magzter – essaient de faire évoluer leur position ». Le digital kiosk newyorkais Zinio, filiale de Naviga, opère depuis 2015 l’e-kiosque Relay.com du groupe Lagardère. PressReader (ex-PressDisplay) est un kiosque numérique international édité par la société canadienne NewspaperDirect. Quant à l’autre e-kiosque newyorkais, Magzter (3), il compte actuellement 75 millions de lecteurs dans le monde.

Risque de cannibalisation ?
Cette acquisition intervient au moment où certains éditeurs en France – Amaury pour L’Equipe et Artemis pour Le Point – ont fait savoir fin septembre qu’ils allaient retirer leur titre des kiosques numériques d’ici la fin de cette année. Raison invoquée : le risque de cannibalisation de leur propre offre numérique par ces intermédiaires. Et LVMH s’interroge pour Le Parisien et Les Echos qu’il possède. « Tant que nous les rassurons [les éditeurs de presse] en leur démontrant que nous leur apportons des lecteurs auxquels ils n’ont pas accès, et que ce sont des lecteurs multititres (comme pour un kiosque physique), notre cohabitation est considérée comme vertueuse », assure Jean-Frédéric Lambert. Le Monde, lui, continue de bouder les kiosques numériques qu’il considère comme « destructeurs de valeur ». @

Charles de Laubier

Déjà copropriétaire du Monde et de L’Obs, Xavier Niel s’empare de Nice-Matin, tout en se renforçant dans Iliad

Le milliardaire Xavier Niel (21e fortune française) devient patron de presse régionale, nouveau propriétaire exclusif du groupe Nice-Matin. La Provence sera-t-elle la prochaine à passer sous son contrôle ? Par ailleurs, fin janvier, le fondateur de Free est monté de 52 % à environ 70 % dans le capital d’Iliad.

Le patron de Free, Xavier Niel (photo), devient plus que jamais papivore : il est déjà copropriétaire à la fois du journal Le Monde depuis novembre 2010 et de L’Obs depuis janvier 2014. Et voilà qu’il va posséder la totalité du capital du groupe Nice- Matin (GNM), lequel comprend les titres de presse quotidienne régionale Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin, assortis de leurs différents sites web – Nicematin.com, Varmatin.com et Monacomatin.mc – ainsi que de leurs applications mobiles. Sa holding personnelle NJJ va en prendre le contrôle. Et ce, grâce à un pacte d’actionnaires scellé en mai 2016 entre la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), actuellement détentrice de 66 % du capital du groupe Nice-Matin pour le compte de salariés actionnaires, et le groupe belge Nethys qui possède encore les 34 % restants via sa filiale L’Avenir Développement. En effet, ce pacte d’actionnaires prévoit qu’à partir du 1er février 2020 L’Avenir Développement doit acquérir les 66 % de la SCIC pour près de 1 million d’euros (1). Or Xavier Niel possède déjà 51 % du capital de la société L’Avenir Développement que lui avait cédés l’été dernier Nethys, aussi d’accord pour lui vendre ses 49 % restants. Contacté par Edition Multimédi@ sur le calendrier de l’opération, Xavier Niel nous a renvoyé vers le groupe belge. « Ces parts seront cédées à NJJ dans les prochains mois », nous a répondu Renaud Witmeur, directeur général par intérim de Nethys.

Le groupe belge Nethys cède à NJJ toutes ses parts
Le fondateur de Free, qui sera alors à titre individuel l’unique propriétaire de GNM, devient ainsi patron de presse régionale, dans les Alpes-Maritimes et le Var, en Provence-Alpes-Côte d’Azur (région PACA). L’Autorité de la concurrence, elle, a donné son feu vert à cette prise de contrôle exclusif de NJJ sur GNM – sans conditions ni engagements – par une décision datée du 17 janvier. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014), et un redressement judiciaire en mai 2014 suivi d’une reprise par les salariés via la SCIC (avec l’aide à l’époque d’un crowdfunding sur Ulule et du soutien de Bernard Tapie), le groupe Nice-Matin change de main. C’est la plus grosse coopérative de presse en France qui va disparaître, au profit d’une société anonyme. Xavier Niel avait prévenu l’été dernier qu’il comptait bien siéger personnellement au conseil d’administration du groupe de presse niçois, aux côtés de nouveaux administrateurs nommés par lui pour remplacer ceux désignés par le belge Nethys.

Après Nice-Matin : La Provence ?
Dans un courrier du 17 juillet 2019 adressé aux représentants du Syndicat national des journalistes (SNJ), au sein du groupe Nice-Matin, le milliardaire (2) des télécoms et des médias avait en outre indiqué qu’il avait « pour seuls objectifs de contribuer à son redressement tout en préservant l’indépendance éditoriale des rédactions ». Si les journalistes lui ont réservé un accueil favorable, il n’en va pas de même pour Jean-Marc Pastorino, le PDG du groupe depuis septembre 2015, président du directoire de GNM, après avoir été directeur général de Nice-Matin. Cet ancien délégué syndical CGT, entré en 1978 à Nice- Matin à l’imprimerie (3), va devoir céder sa place. Il était hostile à l’offre de Xavier Niel, lui préférant – avec une majorité de salariés du groupe – celle du milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, lequel est propriétaire depuis 2015 du groupe Valmonde – éditeur de Valeurs Actuelles – qu’il détient via sa holding Privinvest Médias (4). Mais rejeté par les rédactions du groupe Nice- Matin et mis en échec par Xavier Niel, Iskandar Safa a déclaré forfait fin juillet – alors qu’il prévoyait de nommer à la présidence du conseil de surveillance de GNM l’ex- PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, Francis Morel. L’assemblée générale du 20 décembre a encore montré la divergence entre les rédactions et les autres salariés du groupe Nice-Matin : les journalistes ont voté à 94 % pour le plan de rachat des 66 % de la SCIC par Xavier Niel (par sa holding personnes NJJ via L’Avenir Développement) pour 5 millions d’euros, soit cinq fois plus que la somme prévue par le pacte d’actionnaires ; les administratifs bien plus nombreux ont, eux, voté contre l’offre de Xavier Niel qui a donc alors été rejetée.
Le coactionnaire du Monde et de L’Obs devrait donc s’en tenir aux conditions initiales (5) prévues par le pacte d’actionnaires de 2016. « Le verdict offre à NJJ une économie de 4 millions » s’est désolé le SNJ, tout en rappelant que le groupe Nice-Matin accuse un passif de 35 millions d’euros. Xavier Niel, qui vient par ailleurs de monter à environ 70 % dans le capital d’Iliad (qu’il contrôlait déjà à 52 % jusqu’alors) à l’issue d’un rachat d’actions suivi d’une augmentation de capital, avait promis de renflouer les journaux du groupe de la Côte d’Azur à hauteur de près de 30 millions d’euros. Et après ? En plus de ses titres nationaux (Le Monde, L’Obs, Télérama, …), le trublion des télécoms et désormais magnat de la presse serait-il épris d’autres titres de presse régionale, surtout à l’approche des élections municipales de mars 2020 ? Le prochain quotidien de la PQR (6) susceptible de tomber dans l’escarcelle de l’homme d’affaires pourrait être La Provence qu’il détient déjà à hauteur de 11 %, depuis le groupe Nethys, encore lui, lui a vendu au printemps 2019 sa participation. L’actionnaire majoritaire depuis près de sept ans de ce quotidien marseillais n’est autre que Bernard Tapie, qui détient aussi Corse-Matin depuis que ce quotidien insulaire lui a été cédé en 2014 par… le groupe Nice-Matin. GBT (Groupe Bernard Tapie), qui risque la liquidation (audience le 4 mars), cèdera-til La Provence à Xavier Niel ? L’avenir nous le dira. Tandis qu’à l’autre bout de l’Hexagone, il y a Paris- Normandie : rien à voir a priori avec le patron d’Iliad, si ce n’est que le producteur audiovisuel Pierre-Antoine Capton (PAC) va devenir l’actionnaire majoritaire de ce quotidien normand. Les deux hommes sont amis et cofondateurs avec Matthieu Pigasse du groupe audiovisuel Mediawan, créé en avril 2016. Depuis cette année-là, ils sont aussi tous les trois parmi les coactionnaires du site web d’information Les Jours (Xavier Niel détenant 4,86 %). PAC est-il le « Troisième OEil » (7) de Niel dans Paris-Normandie ? L’avenir nous le dira aussi. Quant au groupe de presse régionale Ebra, filiale du Crédit Mutuel qui possède Les Dernières nouvelles d’Alsace (DNA), Le Progrès, L’Est républicain ou encore Le Dauphiné libéré, il intéresserait Bernard Arnault (8), le père de Delphine qui vit avec Xavier Niel. Le PDG du groupe LVMH (propriétaire des Echos et du Parisien) partageait d’ailleurs sa passion de la musique classique avec Michel Lucas, l’ancien président du Crédit Mutuel. Ce dernier était le cofondateur d’Ebra et en avait cédé la présidence en septembre 2017 à Philippe Carli (ancien dirigeant du groupe Amaury). Xavier Niel et son beau-père feront-ils un jour cause commune dans la presse régionale ? L’intéressé n’en dit mot.

Pas de risque de « vente liée »
Si l’Autorité de la concurrence a estimé le 17 janvier que « l’opération ne donne lieu à aucun chevauchement d’activité dans le secteur de la presse écrite » entre GNM (presse quotidienne régionale) et NJJ (presse quotidienne nationale et magazines), elle trouve qu’« en revanche, l’opération donne lieu à des chevauchements d’activités très limités sur les marchés de l’exploitation de sites éditoriaux en ligne et de la vente d’espaces publicitaires en ligne ». Mais, après analyse, les sages de la rue de L’Echelle ont finalement écarté tout « risque de “vente liée” » et de « couplage » entre les titres régionaux et nationaux. @

Charles de Laubier

Jean-Frédéric Lambert (ePresse) : « La pluralité de la presse numérique n’est pas protégée »

La loi « Bichet » de 1947 est morte, vive la loi de 2019 sur la modernisation de la distribution de la presse. Elle a été publiée au Journal Officiel le 19 octobre. Mais selon Jean-Frédéric Lambert, président de Toutabo et d’ePresse, le pluralisme de la presse sur le numérique n’est pas garantie.

1947-2019 : la loi « Bichet » est morte, vive la loi « Garcia-Laugier » ! Soixante-douze ans après la loi instaurant le « statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques », voici venue la loi de «modernisation de la distribution de la presse » (1). C’est qu’entre ces deux lois, le tsunami du numérique a chamboulé toute la presse française – comme celle du monde entier – à partir du milieu des années 1990 (2) avec comme conséquences la disparition de titres et la chute de nombre de kiosques physiques.

Pas d’obligation d’aller sur les « e-Kiosques »
Mais sur le volet numérique de la loi, le pluralisme de la presse est loin d’être garantie. C’est du moins l’avis de Jean-Frédéric Lambert (photo), président du conseil d’administration de Toutabo, qui a racheté fin 2015 le kiosque numérique ePresse (dont il est aussi président). Contacté par Edition Multimédi@, il estime que la nouvelle loi ne va pas assez loin, même si elle entérine bien l’existence des kiosques numériques comme moyen de distribution de la presse : « En fait, nous estimons que la pluralité de la presse d’actualité en format numérique n’est pas protégée dans le cadre de cette loi, car nous ne pouvons pas obliger les différents journaux et magazines à être présent sur nos kiosques numériques », regrette-t-il. Par exemple : ni Le Monde, ni Le Canard Enchaîné, ni les titres du groupe Centre France (La Montagne, …) ne veulent être présents sur un kiosque numérique comme ePresse. Le président du directoire du groupe Le Monde, Louis Dreyfus, s’est toujours refusé à franchir le pas, estimant que « c’est un risque trop important » car il y a, selon lui, trop de destruction de valeur (3). Les kiosques numériques s’inscrivent en faux, regrettant qu’il y ait un amalgame de fait – comme dans le rapport Schwartz-Terraillot pour moderniser la distribution de la presse remis en juin 2018 au gouvernement (4) – entre les kiosques numériques et les agrégateurs d’information. La nouvelle loi est censée garantir la pluralité de la distribution de la presse d’information et réguler les kiosques et les agrégateurs numériques, en soumettant les premiers à des obligations de diffusion et les seconds à des obligations de transparence. Objectif : garantir le libre choix des lecteurs de journaux sur l’ensemble du territoire. Les kiosques numériques – dont le chiffre d’affaires dépasse un seuil déterminé par décret – ne pourront s’opposer à la diffusion d’un service de presse en ligne d’information politique et générale (IPG) ou de la version numérisée d’un titre d’IPG (5), dès lors qu’elle serait réalisée dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires (6). « La seule obligation qui nous est faite, explique Jean-Frédéric Lambert, est d’accepter de distribuer tous les titres d’IPG, ce que nous faisons déjà. En effet, les deux paragraphes consacrés à la presse numérique [lire encadré page suivante, ndlr] ont pour objectif de s’assurer que la pluralité de la distribution de la presse d’information soit respectée ». Mais rien n’oblige donc ces mêmes éditeurs de journaux d’aller sur ePresse, LeKiosk ou encore SFR Presse/Milibris. « Pour être efficace, estime-t-il, la loi devrait prévoir une obligation de diffusion équitable de toutes les titres d’IPG ».
L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (« Arcepdp ») – prenant la place du Conseil supérieur des messageries de la presse (CSMP) et l’Autorité de régulation de distribution de la presse (ARDP) – disposera d’un pouvoir de sanction à l’encontre des acteurs qui ne respecteraient pas les règles. « Pour l’instant, le régulateur ne pourra que relever les compteurs. Son objectif à terme devrait être double : s’assurer de la présence de tous les titre d’IPG et s’assurer que les algorithmes de mise en avant assure une visibilité équilibrée pour tous les titres. On en est encore très loin et la loi ne lui donne pas encore d’instrument d’intervention », déplore le patron de Toutabo et d’ePresse.

Agrégateurs : pas d’obligation de référencer
Toujours concernant le souci de la loi de garantir la pluralité de la distribution de la presse, les agrégateurs que sont les moteurs de recherche donnant accès à l’actualité se voient obligés de « fourni[r] à l’utilisateur (…) une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre du classement ou du référencement de ces contenus » et d’« établi[r] chaque année des éléments statistiques, qu’ils rendent publics, relatifs aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultations de ces contenus ». Là aussi, selon Jean-Frédéric Lambert, la diffusion en direct des différents journaux et magazines n’est pas garantie par les agrégateurs : « Même si les agrégateurs jouent le jeu de la transparence sur leurs algorithmes, tel que cela est prévu dans la loi, rien ne les empêchera de ne pas référencer des titres. Si demain les agrégateurs décident que le contenu de tel journal ne génère pas assez d’audience, ils pourront faire disparaître tout son contenu de leur page. Le journal en question, même s’il a une forte image de marque comme Le Monde, n’a aucun moyen d’assurer sa diffusion si les agrégateurs ne le diffusent plus. On peut d’ores et déjà constater que le journal L’Humanité a souffert de ce manque d’exposition ».

Les spectres de Google et d’Amazon sur la loi
Quant à la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, elle pourrait pousser les GAFA à déréférencer certains titres de presse si le coût de diffusion de ces derniers était trop élevé. « Ils préfèrerons les déréférencer, craint Jean-Frédéric Lambert. Nous allons ainsi nous retrouver dans une situation de bras de fer similaire à celui que l’on rencontre dans la grande distribution entre les distributeurs et les producteurs ». Le 24 octobre, la presse française – via l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et d’autres syndicats d’éditeurs (SEPM, FNPS, …) – a annoncé avoir déposé plainte auprès de l’Autorité de la concurrence contre Google qu’elle accuse de « bafouer la loi » sur le droit voisin (lire EM@219, p. 5).
Outre les démêlés de la presse française avec le moteur de recherche dominant et son Google News, le spectre d’Amazon plane aussi sur cette loi. En juillet dernier, un amendement avait tenté de barrer la route au géant américain du e-commerce en voulant interdire que les société de distribution de la presse soient détenues « par des entreprises ou leur filiales dont l’activité principale n’est pas la distribution de la presse », au motif, selon des parlementaires à l’origine de cet amendement finalement rejeté, « que rien n’empêche que de grands groupes, aux pratiques contestables et contestées, comme Amazon, créent des filiales de distribution de la presse. Ce secteur mérite pourtant des égards, d’une part pour assurer que les salarié·e·s seront correctement traité·e·s, ainsi que pour assurer l’absence de conflits d’intérêts dans la distribution de la presse ». A défaut d’empêcher complètement un GAFA comme Amazon ou une entreprise non-européenne, un autre amendement (n°15) a, lui, été adopté cet été également. Il prévoir « une limitation à 20 % de la part d’actionnariat extra-communautaire directe ou indirecte dans une société de distribution de presse ». Pour les parlementaires qui ont obtenu gain de cause, « il s’agit de garantir la libre circulation des idées et l’expression de la pluralité des opinions à travers la distribution de notre presse nationale, contre toute velléité d’influence étrangère trop importante » (7). Un autre amendement (n°36), adopté lui aussi, est allé dans le même sens (8). Ce plafond capitalistique de 20 % n’est pas une première en France puisque, par ailleurs, il est déjà utilisé dans la loi de du 1er août 1986 sur la réforme du régime juridique de la presse vis-à-vis des entreprises éditant une publication de langue française (9).
Cette nouvelle loi entérine définitivement la fin du quasimonopole de l’ère des NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne), dont le nom a été changé il y a dix ans maintenant pour celui de Presstalis. Avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP), nées deux ans avant les NMPP créées avec la loi Bichet, la France s’est contentée d’un duopole de la distribution des journaux en quasi-faillite. Avec la nouvelle loi de 2019, le marché de la distribution de la presse va pouvoir s’ouvrir. Mais il faudra encore attendre… le second semestre 2023 avant de voir apparaître des nouveaux entrants distributeurs agréés par l’Arcep-dp. Cette dernière devra publier avant le 1er janvier 2023 le cahier des charges qui sera fixé par décret après consultation des professionnels de la presse (10). Y seront consignées les obligations des distributeurs de journaux « dans le respect des principes d’indépendance et de pluralisme de la presse, de transparence, d’efficacité, de non-discrimination et de continuité territoriale de la distribution ainsi que de protection de l’environnement [et] en tenant compte de la diversité des titres de presse ». En outre, les sociétés candidates à la distribution de la presse en France devront garantir le droit des éditeurs à la portabilité des données les concernant. @

Charles de Laubier

ZOOM

Les kiosques relèvent de l’Arcep-dp, les agrégateurs de la DGCCRF
Le titre II de la loi est intitulé « La diffusion numérique de la presse » et comporte deux paragraphes.
• Le premier concerne les kiosques numériques (« personnes qui proposent, à titre professionnel, un service de communication au public en ligne assurant la diffusion numérique groupée de services de presse en ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications périodiques »). La loi précise que la régulation de ces kiosques numérique (LeKiosk, ePresse, SFR Presse/Milibris, …) est assurée par l’Arcep-dp.
• Le second paragraphe concerne cette fois les agrégateurs d’informations (« opérateurs de plateformes en ligne proposant le classement ou le référencement de contenus extraits de publications de presse ou de services de presse en ligne d’information politique et générale et qui dépassent un seuil de connexions sur le territoire français fixé par décret »). Ces agrégateurs d’actualité (Google News, Yahoo News, Microsoft MSN, …) relèvent, eux, de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). @