Les offres payantes de l’audiovisuel public posent toujours questions au regard de la redevance

Alors que la nouvelle plateforme payante Madelen de l’Ina dépasse les 55.000 abonnés (dont 15.000 hérités de l’Ina Premium), se pose à nouveau la question de faire payer une offre lorsque celle-ci est censée être déjà financée par la redevance audiovisuelle.

Au regard de la redevance audiovisuelle que paient la quasi-totalité des 28 millions de foyers fiscaux en France (138 euros en 2020), n’est-il pas contradictoire que des entreprises de l’audiovisuel public fassent payer en plus les Français pour des services censés être déjà financés justement par cette contribution à l’audiovisuel public (CAP) ? C’est la question que Edition Multimédi@ a posée au président de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), Laurent Vallet (photo de gauche), lors du lancement de Madelen.

En Europe : les 5 ans du marché unique numérique

En fait. Le 6 mai, il y a 5 ans, le marché unique numérique – Digital Single Market (DSM) – était lancé par la Commission européenne, dont l’ancien président Jean-Claude Juncker avait fait l’une de ses priorités. Entre mai 2010 et mai 2020, des e-frontières sont tombées et des silos ont été cassés.

En clair. C’est Jean-Claude Juncker – alors au début de son mandat de président de la Commission européenne – qui avait fixé l’objectif ambitieux du marché unique numérique au sein des Vingt-huit (aujourd’hui Vingt-sept) : « Nous devons tirer un bien meilleur parti (…) des technologies numériques qui ne connaissent aucune frontière. Pour cela, nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécommunications, de droit d’auteur et de protection des données, ainsi qu’en matière de gestion des ondes radio et d’application du droit de la concurrence », avait-il prévenu dans sa communication du 6 mai 2010 sur « la stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (1).
Le Luxembourgeois l’avait aussi exprimé mot pour mot dans chacune des lettres de mission remises aux deux principaux commissaires européennes concernés de l’époque, Andrus Ansip et Günther Oettinger (2). Ce projet de Digital Single Market (DSM) avait été conçu un an auparavant – sous la présidence de José Manuel Barroso – par la commissaire européenne qui était chargée de la Société de l’information et des Médias, Viviane Reding, avec son homologue à la Concurrence, Neelie Kroes, devenue par la suite vice-présidente, en charge de la Société numérique. Le 19 mai 2010, l’exécutif européen publiait son plan d’action quinquennal (2010-2015) pour une « stratégie numérique », dont les deux premières mesures consistaient à créer un « marché unique numérique » et à réformer « le droit d’auteur et les droits voisins » (3). Ce programme s’inscrivait dans le cadre la stratégie « Europe 2020 » (4) lancée en mars 2010 en remplacement de celle de Lisbonne. Les mondes de la culture et de leurs ayants-droits – particulièrement en France – se sont arc-boutés sur leur « exception culturelle ».
Finalement, en 2020, nous y sommes : outre la fin des frais d’itinérance de roaming mobile en 2017, l’Europe s’est dotée : en 2019 d’une directive sur le droit d’auteur « dans le marché unique numérique » (5), en 2018 d’une directive sur les « services de médias audiovisuel » (SMAd), en 2018 aussi d’un règlement mettant fin au géo-blocage (hors audiovisuel), en 2017 d’un règlement sur « la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne » (audiovisuel compris), sans oublier le RGPD (6) applicable depuis deux ans maintenant. Prochaine étape sensible : le DSA, Digital Services Act (7). @

La bataille vidéo du court et du long s’intensifie

En fait. Le 22 avril, Netflix a annoncé deux fois plus de nouveaux abonnés que prévu au premier trimestre, grâce au confinement, pour en totaliser 182,9 millions dans le monde. De son côté, Quibi – plateforme de vidéos courtes lancée le 6 avril – a été téléchargée 1,7 million de fois lors de sa première semaine.

En clair. La bataille entre longs-métrages pour écran de télévision principalement et vidéos courtes plus adaptées aux smartphones est engagée. Concurrencé par Amazon Prime Video, Disney+, Apple TV+ et très progressivement par Peacock (NBCUniversal/Comcast), puis bientôt par HBO Max (WarnerMedia/AT&T) qui sera lancé le 27 mai prochain, Netflix doit aussi faire face à un nouveau challenger : Quibi. Cette nouvelle plateforme vidéo, créée en août 2018 par Jeffrey Katzenberg – ex-président de Walt Disney Studios (1984-1994) avant de cofonder DreamWorks Animation – a l’ambition d’être le « Netflix » du court-métrage vidéo de qualité hollywoodienne. Elle-même devenant rivale non seulement des plateformes vidéo pour smartphones telles que les françaises Brut et Loopsider (lancée respectivement en 2016 et en 2018) et chinoise TikTok, mais aussi des américaines YouTube (Google), Instagram (Facebook) ou encore Snapchat (Snap), Quibi entend se différencier avec des productions originales. Mais que l’on ne s’y méprenne pas : si chaque épisode que cette nouvelle plateforme OTT Video par abonnement (1) ne dépasse pas les 10 minutes, il n’en constitue pas moins mis, bout-à-bout, de vrais séries ou courts-métrages – lorsque ce ne sont pas in fine de longs-métrages. « Nous payons jusqu’à 100.000 dollars la minute pour nos longs-métrages », a confié Meg Whitman (2), la directrice générale de Quibi, dans un entretien à l’AFP, au siège social de l’entreprise à Los Angeles (propriété de la holding WCI One, domiciliée à Beverly Hills).
Séries, comédies, documentaires, sports, actualités, … Il y en a pour tous les goûts, surtout pour la « Génération smartphone ». Les 10 minutes maxi sont surnommées « Quick bites » – des « bouchées » (d’où le nom « Quibi ») – mais promettent de « Big stories », d’après le slogan de l’application mobile disponible seulement sur Google Play et App Store. « Environ 1,7 million de téléchargements ont été enregistrés sur la première semaine suivant son lancement aux Etats-Unis et au Canada le 6 avril dernier », s’est félicitée Meg Whitman le 13 avril sur la chaîne américaine CNBC (3). Les formats courts font des émules chez les créateurs et producteurs, comme l’a montré la 10e édition du Nikon Film Festival avec la remise de ses dix Prix (4) à des films courts de 2 minutes 20 chacun. @

Réforme de l’audiovisuel et enchères 5G : reports

En fait. Le 18 mars, le gouvernement a présenté en conseil des ministres un projet de loi instaurant un « état d’urgence sanitaire » face au Covid-19 et un projet de loi de finances rectificatif pour 2020. Le calendrier législatif est chamboulé. Les enchères 5G, elles, ne se tiendront pas le 21 avril, nous confirme l’Arcep.

En clair. Le Covid-19 est le chamboule-toute de 2020. Les deux projets de loi (état d’urgence sanitaire et loi de finances rectificatif) sont en train d’être adoptés en procédure accélérée au Parlement. Résultat, « toutes les réformes en cours se[ont] suspendues » – dixit le président de la République lors de son allocution télévisée du 16 mars devant 35,3 millions de télé-spectateurs, selon Médiamétrie. Les deux plus importants projets de loi de son quinquennat sont déprogrammés sine die.
La réforme très contestée des retraites, pour laquelle le gouvernement avait décidé de recourir à l’article 49-3 à l’Assemblée nationale pour le « projet de loi ordinaire » (sans débat avec les députés (1)), est suspendue (alors que le texte devait arriver au Sénat en avril et que le « projet de loi organique » ne pouvait pas être, lui, soumis au 49-3). La réforme de l’audiovisuel, qui était le grand chantier d’Emmanuel Macron annoncé dès sa campagne présidentielle de 2017, est reportée. Ce projet de loi sur « la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle à l’ère numérique » a été examiné début mars par la commission commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale (lire p. 6 et 7), et devait être débattu en séances publiques à partir du 31 mars jusqu’au 10 avril. Mais l’urgence législative dans la « guerre » (dixit sept fois Emmanuel Macron) contre le Covid-19 a contraint le gouvernement d’annuler le calendrier des débats sur ce texte qui était pourtant lui-même en procédure accélérée depuis décembre (2).
Concernant par ailleurs les enchères des fréquences pour la 5G, dont l’Etat espère les vendre pour un minimum de 2,17 milliards d’euros (mise à prix), l’Arcep confirme à Edition Multimédi@ qu’elles ne se tiendront pas le 21 avril, mais qu’aucune nouvelle date n’a été fixée lors de la réunion de son collège le 19 mars. Des médias (Reuters, AFP, Les Echos, …) avaient annoncé dès le 17 mars le report de ces enchères. Mais le président du régulateur des télécoms, Sébastien Soriano, a dû aussitôt temporiser dans un tweet posté dans la soirée : « Calendrier #5G : aucun report n’est acté pour le moment. (…) Si un nouveau calendrier devait être défini, cela sera indiqué en temps utile » (3). @

Les GAFAM sont cernés par le législateur français

En fait. Le 2 mars, a commencé la 1re lecture en commission à l’Assemblée nationale du projet de loi sur l’audiovisuelle « à l’ère numérique ». Le 19 février, le Sénat a adopté en 1re lecture une proposition de loi sur le libre choix du consommateur « dans le cyberespace ». La loi Avia contre la cyberhaine revient devant les députés le 1er avril.

En clair. Pas de répit législatif en France pour les GAFAM, ou les GAFAN, c’est selon. Les textes de loi les visant sont encore nombreux en ce début d’année, faisant la navette entre le palais Bourbon et le palais du Luxembourg. Après les lois « taxe GAFA » et le « droit voisin de la presse » promulguées en juillet 2019, lesquels avaient été précédées en décembre 2018 par la loi contre les « fake news », les projets de loi (du gouvernement) et les propositions de loi (des parlementaires) encadrant Internet continuent à se succéder. Ils ont en commun de vouloir accroître la pression réglementaire sur les géants du Net, plus que jamais encerclés par le législateur.
Le projet de loi « Communication audiovisuelle et souveraineté culturelle à l’ère numérique » (1), a commencé son marathon parlementaire en décembre à l’Assemblée nationale où il a été examiné en commission du 2 au 6 mars. Ce texte sur l’audiovisuel va être débattu en séance publique du 31 mars au 10 avril. Les GAFAM vont notamment devoir coopérer plus efficacement contre le piratage sur Internet. Et ce, par le déréférencement des liens et des sites web miroirs. La « liste noire » des contrefaisants y contribuera, que tiendra à jour l’Arcom (CSA-Hadopi) chargée aussi de la « réponse graduée ». Le ministre de la Culture, Franck Riester, écarte cependant la « sanction pénale » demandée le 28 février par 26 organisations d’ayants droits (2). En outre, les plateformes de type Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+ devront financer des films français (3). Concernant cette fois la « liberté de choix du consommateur dans le cyberespace » (4), la proposition de loi adoptée par le Sénat le 19 février vise à donner pourvoir à l’Arcep de veiller à l’interopérabilité entre les écosystèmes – Android de Google (Play Store) et iOS d’Apple (App Store) en tête – des « équipements terminaux » des utilisateurs (smartphones, tablettes, enceintes connectées, …). Mais le gouvernement estime à l’appui de son avis défavorable que ce sujet doit être réglé au niveau européen.
Quant à la proposition de loi Avia « contre les contenus haineux sur Internet » (5), qui revient devant les députés le 1er avril, elle veut obliger les plateformes du Net à retirer sous 24 heures les contenus illicites, sous peine de lourdes amendes. Mais le Sénat s’est encore opposé à cette mesure le 26 février. Le débat sur la responsabilisation des hébergeurs est loin d’être clos. @