Dans l’attente de la notification du rachat de Lagardère par Vivendi, la Commission européenne enquête

Avant même d’avoir reçu de Vivendi la notification de son projet de rachat du groupe Lagardère, laquelle devrait être lui être remise en septembre, la Commission européenne questionne depuis le début de l’année des acteurs et des organisations professionnelles pour mesurer l’impact « Vivendi-Lagardère ».

« Sous réserve de l’autorisation de la Commission européenne », précisaient dans les mêmes termes les communiqués de Vivendi annonçant respectivement le 25 mai le succès de la première période de son OPA amicale sur les actions du groupe Lagardère (1) et le 14 juin la détention de 57,35 % du capital et 47,33 % des droits de vote du même groupe Lagardère (2). Le sort du projet de « rapprochement » de Vivendi et de Lagardère – déjà engagé par endroits et sans attendre l’aval des autorités antitrust – est en fait depuis des mois entre les mains de la Commission européenne. Bruxelles n’a en effet pas attendu que l’opération de contrôle lui soit notifiée – ce qui devrait être fait en septembre – pour questionner les acteurs des marchés potentiellement impactés par cette mégaopération de concentration dans l’édition et les médias. Depuis fin 2021, une « case team » est en place pour, sans tarder, « recueillir des informations auprès des parties notifiantes [en l’occurrence Vivendi , mais aussi Lagardère, ndlr] et des tiers, tels que leurs clients, leurs concurrents et leurs fournisseurs ». Durant cette phase de pré-notification, où les envois de questionnaires aux intéressés se multiplient pour procéder à des « tests de marché », les informations peuvent prendre la forme de griefs formulés par des concurrents présents sur ces marchés..

La DG Competition et Margrethe Vestager scrutent
Et les reproches sont nombreux, notamment dans le secteur de l’édition, où le numéro un français Hachette (Lagardère) est appelé à fusionner avec le numéro deux Editis (Vivendi). Avec leurs multiples maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, … côté Hachette Livre ; La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … côté Editis), la prise de contrôle du groupe d’Arnaud Lagardère (photo) – lequel conserve 11,06 % du capital – par celui de Vincent Bolloré provoque une levée de boucliers. Car ces deux géants français du livre – édition et distribution – seront en position dominante voire en quasisituation de monopole en France si un feu vert était donné en l’état par les autorités antitrust. « Les lois (européennes) sont bien faites. Il y a des lois qui empêchent cette concentration (dans l’édition notamment) et elles seront respectées. Si l’on doit revendre des maisons d’édition, on le fera », a tenté de rassurer Arnaud Lagardère dans l’émission « Complément d’enquête » diffusée le 2 juin dernier sur France 2.

Vincent Bolloré contrôle et va notifier d’ici septembre
Et « comme c’est Vivendi qui prend le contrôle de Lagardère, c’est Vivendi qui présente son projet à la Commission européenne », a encore souligné Arnaud Lagardère, désormais PDG pour six ans de « son » groupe, contrôlé depuis fin mai par Vincent Bolloré (photo ci-contre). Une fois qu’en septembre Vivendi aura notifié – sans doute par voie électronique – son opération de rapprochement entre les deux groupes, la direction générale de la concurrence (DG Competition) disposera alors de vingt-cinq jours pour donner un avis sur cette transaction, délai pouvant être porté à trente-cinq jours si nécessaire. Etant donné les enjeux d’une telle opération de concentration et les inquiétudes qu’elle suscite, la Commission européenne – dont la commissaire à la concurrence est depuis 2014 la redoutée Margrethe Vestager (3) – devrait alors lancer enquête approfondie sur au moins quatre-vingt-dix jours, délai qui peut être porté à cent cinq jours si besoin était. Dans le cas présent, la décision ne serait pas attendue avant la fin de l’année mais plutôt début 2023. Dans sa notification à la Commission européenne, Vivendi proposera sans doute de vendre certains actifs dans l’édition. Encore faut-il que les « remèdes » à cette concentration suffisent. Rappelons qu’en janvier 2004, dans le sens inverse, la Commission européenne avait forcé le groupe Lagardère (Hachette Livre) à se délester de plus de la moitié des actifs de Vivendi Universal Publishing (ex- Havas (4)) qu’il comptait racheter depuis fin 2002 (5). Des filiales non cédées sont à l’époque venues constituer le nouveau groupe Editis, lequel fut racheté en 2018 par Vivendi.
Vingt ans plus tard, où cette fois Vivendi s’empare des actifs de Lagardère, la DG Competition ne manquera pas à nouveau de porter son analyse sur les « effets horizontaux, congloméraux et verticaux de cette opération ». Antoine Gallimard, PDG de Madrigall (groupe lui-même issu du rapprochement de Gallimard, Flammarion et Casterman) a, lui, débuté ses échanges en visioconférence dès fin décembre 2021 avec la case team de la DG Competition (6). Il est vent debout contre cette fusion Editis-Hachette et serait intéressé par l’édition scolaire où la domination du nouvel ensemble atteindrait son paroxysme.
Quelle que soit la décision à venir de la Commission européenne et de sa vice-présidente Margrethe Vestager sur ce dossier sensible, Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère savourent le succès de l’OPA amicale. « Je suis très heureux de ce qui se passe », a indiqué ce dernier dans « Complément d’enquête ». Pour le premier, c’est un revirement de situation puisqu’en son groupe avait déclaré en avril 2020 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « Vivendi n’a pas l’intention d’acquérir le contrôle de Lagardère ». En fait, c’est Arnaud Lagardère qui a fait changer d’avis le milliardaire breton : « J’ai pris la liberté d’appeler Vincent Bolloré mi-mars 2020, au tout début du confinement, a raconté le fils unique de Jean-Luc Lagardère, pour effectivement m’aider (en entrant au capital de Lagardère), ce qu’il a accepté. Je ne l’aurais pas appelé, il ne serait jamais entré et Vivendi ne serait jamais actionnaire du groupe (Lagardère) aujourd’hui. (…) A l’époque, mon ennemi – contrairement à ce que pensent beaucoup de gens qui se trompent – ce n’était pas Vincent Bolloré ni Bernard Arnault, mais Amber Capital ». Ce fonds d’investissement activiste britannique, qui fut un temps début 2020 le premier actionnaire du groupe Lagardère et très critique envers la gestion d’Arnaud Lagardère qu’il tenta de chasser de son statut de gérant de la société en commandite par actions Lagardère SCA. Cette structure juridique atypique permettait à Arnaud Lagardère de contrôler son groupe en n’en détenant alors que 7,3 % du capital. « C’est cet activiste-là que j’espérais d’abord pouvoir contrer », a-t-il rappelé. En revanche, le patron du groupe Lagardère n’est pas allé chercher Bernard Arnault. « C’est lui qui a appelé, d’abord notre banque d’affaires, pour dire qu’il était prêt à m’aider dans ma structure personnelle et non pas en-dessous. Donc, il n’y avait aucune déclaration de guerre, entre guillemets, d’un Bernard Arnault qui viendrait à l’assaut d’un Vincent Bolloré, lequel est mon ami et vient pour m’aider ». Le PDG de LVMH était d’ailleurs le meilleur ami de son père Jean-Luc Lagardère, ancien PDG de Matra, d’Hachette et d’Europe 1.
Fin mai, Vivendi a accordé à Arnaud Lagardère un mandat de PDG de six ans en promettant de « conserver l’intégrité » de son groupe devenu la société anonyme Lagardère SA – fini la SCA qui aura vécu près de 30 ans – et « de lui donner les moyens de se développer ». Arnaud est-il inquiet de ce que pourrait faire Vincent Bolloré de l’empire médiatique de Lagardère (Europe 1, le JDD, Paris-Match, CNews, Virgin Radio bientôt rebaptisée Europe 2, …) ? « Non, cela ne m’inquiète absolument pas. D’abord, parce que je suis là », a-t-il assuré. A 61 ans, le fils unique et l’héritier de l’empire Lagardère (317e plus grande fortune française, selon Challenges), va entamer une nouvelle vie professionnelle aux côtés des Bolloré. « Ma relation avec Vincent Bolloré et avec ses enfants, Cyrille et Yannick, est telle que nous allons poursuivre cette route assez longtemps », a-t-il dit, confiant en l’avenir.

Vincent Bolloré est censeur jusqu’au 14 avril 2023
Depuis avril 2018, Yannick Bolloré a remplacé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi le patriarche Vincent Bolloré (70 ans), lequel y est devenu en avril 2019 « censeur » dont le mandat court jusqu’au 14 avril 2023… non renouvelable. Et si le nom Lagardère devait disparaître comme entité économique ? « Bien sûr que je le regretterais, bien sûr, a-t-il confié dans “Complément d’enquête”. Mais s’il doit disparaître au profit d’un nom comme celui de Vincent Bolloré, j’en serais plutôt heureux. Ça ne me dérangerait pas. Et ça ne dérangerait pas mon père non plus ». Il y a près de dix ans, en mars 2013, Arnaud Lagardère assurait qu’il ne cèderait son groupe « à quelque prix que ce soit ». @

Charles de Laubier

Le rachat d’Activision par Microsoft aboutira-t-il en 2023, soit dix ans après avoir été cédé par Vivendi ?

Pendant que des actionnaires ont porté plainte en justice contre Activision Blizzard et son conseil d’administration pour « conflits d’intérêts », une enquête pour délit d’initié a par ailleurs été ouverte par le gendarme boursier américain. Quant à la FTC (antitrust), elle pourrait encore bloquer l’opération à tout moment.

Ce n’est pas gagné. La méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée le 18 janvier dernier par Microsoft pour 68,7 milliards de dollars pourrait ne pas aboutir en 2023. Car les obstacles s’accumulent, tant devant la justice que devant les autorités boursière et antitrust. Issu il y a quinze ans de la fusion entre Activision et Vivendi Games, l’éditeur de « Call of Duty » espère que la fusion devrait aboutir « au cours de l’exercice financier de Microsoft se terminant le 30 juin 2023 ».

Conflits d’intérêts et risques antitrust
Depuis la précédente cession d’Activision en 2013 par Vivendi et son introduction en Bourse, il y aura dix ans l’an prochain si la vente à Microsoft arrive à son terme, Robert Kotick alias Bobby (photo de gauche) et Brian Kelly (photo de droite) ont conservé ensemble une participation de près de 25 % du groupe. Le premier est encore directeur général d’Activision Blizzard, tandis que le second en est encore le président du conseil d’administration. C’est justement au sujet des administrateurs que des actionnaires – une demi-douzaine, selon le site Polygon.com (1) – ont porté plainte devant des tribunaux californien, newyorkais et pennsylvanien contre Activision Blizzard pour notamment « conflits d’intérêts potentiels » en interne. Les six recours judiciaires ont été déposés entre fin février et début mars pour dénoncer le côté « injuste » de cette méga-fusion au détriment des actionnaires du public.
Dans la plainte datée du 24 février dernier et enregistrée par un tribunal californien, un actionnaire – Kyle Watson, défendu par le cabinet d’avocats Brodsky & Smith – affirme que « la répartition des avantages de la transaction indique que les initiés d’Activision sont les principaux bénéficiaires de cette transaction proposée, et non pas les actionnaires publics de la société tels que le plaignant ». Et d’ajouter : « Le conseil d’administration et les dirigeants de la société sont en conflit parce qu’ils auront obtenu des avantages uniques pour eux-mêmes de la proposition de transaction, non disponible pour le plaignant en tant qu’actionnaire public d’Activision ». Sont ainsi visés des membres du conseil d’administration d’Activision qui possèdent actuellement d’importantes parts d’actions de l’entreprise, lesquelles seront toutes échangées en contrepartie de la fusion une fois réalisée. Ainsi, entre autres, Robert Kotick détenant déjà 4,4 millions d’actions en possèdera 6,5 millions après l’opération ; Brian Kelly passera de 1,1 million d’actions à 1,2 million. De plus, certains contrats de travail avec des cadres d’Activision donnent droit à une indemnité de départ. « Ces “parachute d’or” sont significatifs, et donneront droit à chaque directeur ou dirigeant à des millions de dollars, non partagés avec le plaignant », pointe-ton dans la plainte. Pour ne citer qu’eux : Robert Kotick – qui pourrait quitter l’entreprise à la suite des affaires d’harcèlements sexuels qu’il est soupçonné en novembre 2021 d’avoir étouffées – touchera 14,3 millions de dollars en cash, Armin Zerza 4,1 millions de dollars en cash et 21,1 millions en actions, Daniel Alegre 5,5 millions de dollars en cash et 23,4 millions en actions. De leurs côté, Barry Diller, David Geffen et Alexander von Furstenberg font l’objet d’une enquête du gendarme de la Bourse américain (SEC) soupçonnés de délit d’initié. Selon le Wall Street Journal du 8 mars, ils auraient acquis des actions Activision quelques jour avant l’annonce du rachat par Microsoft (2). Sur un autre front judiciaire, celui des concentrations cette fois, le méga-deal entre Microsoft et Activision sera passé au crible par la redoutée FTC, la Federal Trade Commission, qui a demandé le 3 mars « des données supplémentaires » de la part des deux entreprises. L’agence de presse Bloomberg avait révélé le 1er février que cette autorité américaine du commerce est chargée de mener l’enquête antitrust, puis d’autoriser ou pas cette fusion au regard du droit de la concurrence (3). De quoi inquiéter Microsoft sur l’issue de son offre sur Activision Blizzard, puisque la présidente de la FTC – Lina Khan, en fonction depuis septembre 2021 – est réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (4).
L’intégration verticale « Microsoft-Activision » (MA), combinaison entre l’écosystème des consoles Xbox et le catalogue de jeux vidéo comme le blockbuster « Call of Duty » (CoD), fait craindre des abus de position dominante (5). Sony pourrait être la première victime collatérale de cette fusion, alors que le japonais génère de gros revenus avec la série CoD d’Activision Blizzard sur sa propre console PlayStation.

Avenir de « Call of Duty » sur Sony PS
Pour couper court à ces soupçons d’éviction de la concurrence, Microsoft avait assuré fin janvier qu’il respectera les accords en cours entre Activision et Sony sans préciser leur échéance – trois jeux de CoD à venir d’ici fin 2023 seraient sécurisés (6), mais après ? Microsoft cherche en tout cas à renforcer son emprise sur l’industrie du jeu vidéo, en étant à la fois fabricant de consoles et éditeurs de titres. Il y a un an, la firme de Redmond a finalisé le rachat pour 7,5 milliards de dollars de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks et d’autres studios de jeux vidéo (7). Si cette fusion «MA » devait être résiliée par l’une ou l’autre partie, plus de 2 milliards de dollars seront dus soit à Microsoft ou inversement à Activision Blizzard. @

Charles de Laubier

Etats-Unis : la FTC divisée sur le cas Amazon-MGM

En fait. Le 17 mars, Amazon a annoncé avoir finalisé l’acquisition des studios de cinéma hollywoodiens MGM (Metro Goldwyn Mayer) pour 8,5 milliards de dollars. Si la Commission européenne a donné sont feu vert le 15 mars, la FTC américaine n’a toujours rien dit d’officiel mais sa présidente a l’œil.

En clair. Le géant Amazon fait comme s’il avait obtenu aux Etats-Unis le feu vert formel de la Federal Trade Commission (FTC) pour son acquisition des studios de cinéma MGM presque centenaires. Deux jours après avoir obtenu la bénédiction de la Commission européenne, qui, le 15 mars, n’a rien trouvé à redire (1) sur cette opération de concentration à 8,5 milliards de dollars (autorisée sans condition), la firme de Jeff Bezos a annoncé la finalisation de l’opération. « MGM a rejoint Prime Video et Amazon Studios. Ce studio historique, vieux de près de 100 ans, qui compte plus de 4.000 films, 17.000 épisodes télévisés, 180 Oscars et 100 Emmy Awards, complétera le travail de Prime Video et d’Amazon Studios en offrant une offre diversifiée de choix de divertissement aux clients », s’est-t-elle félicitée, dans un communiqué daté du 17 mars dernier (2).
La FTC n’ayant pas intenté d’action – dans le délai imparti (dont l’échéance était fixée à mi-mars) – à l’encontre de cette méga-acquisition, Amazon a estimé de fait avoir les coudées franches. Or, contrairement aux apparences, le PDG Andy Jassy – successeur de Jeff Bezos à ce poste depuis juillet 2021 – n’a pas obtenu l’aval de la présidente de la FTC, Lina Khan, et encore moins de blanc-seing de sa part. Cette dernière l’a fait savoir, via une porte-parole, dans une déclaration faite au magazine américain Variety le 17 mars : « La FTC n’approuve pas les transactions et peut contester une opération à tout moment si elle détermine que celle-ci contrevient à la loi » (3). Mais pourquoi Lina Khan, pourtant réputée « anti- GAFAM » et auteure en 2017 du « Paradoxe anti-monopole d’Amazon », ne s’est toujours pas prononcée publiquement sur ce dossier ? Pas parce qu’Amazon avait demandé le 30 juin 2021 que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire en raison de ses prises de position passées (4).
La réponse se trouve au sein de la FTC : selon Politico (5), ses quatre commissaires actuels sont divisés sur le dossier Amazon-MGM – les Républicains Noah Phillips et Christine Wilson étant contre toute plainte. La présidente aurait donc évité d’organiser un vote officiel mais, a indiqué la porte-parole, elle peut envoyer des « lettres d’avertissement » à Amazon, à défaut de finaliser une enquête antitrust dans les délais prévus par le HSR Act. Le blocage de la transaction reste une épée de Damoclès. @

Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps.

Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite.
Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir.

WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming
« Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off.

SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix
Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ».
• WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+.
• Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus.

Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis
Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

France et USA : lettres contre Netflix et Amazon

En fait. Du 10 au 12 décembre, le « Prime Video Club » d’Amazon ouvre à Paris un « vidéo club éphémère Prime Video » pour y projeter des films et des séries. Et ce, en réponse à Netflix qui en projettera lui aussi, à Paris et à Lyon, du 7 au 14 décembre. Amazon prépare son entrée dans le cinéma avec le rachat de MGM.

En clair. Les deux géants de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), que sont Netflix et Amazon, viennent en France faire un pied-de-nez à la chronologie des médias (laquelle régit la sortie des nouveaux films, d’abord dans les salles de cinéma) et à l’exception culturelle à la française. La firme au logo « N » rouge organise du 7 au 14 décembre son festival « Netflix Film Club » dans deux lieux de cinéma différents : à la Cinémathèque française à Paris (1) et à l’Institut Lumière à Lyon (2). L’Association française des cinémas art et essai (AFCAE) n’a pas manqué de s’insurger – dans une lettre ouverte datée du 4 novembre adressée aussi à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot et au président du CNC Dominique Boutonnat – contre ce tapis rouge déroulé sous les pieds du numéro un mondial de la SVOD : « Une programmation promotionnelle indécente [à] décliner », fustige l’AFCAE (3).
De son côté, Amazon ouvre un « vidéo club éphémère Prime Video » sans précédent, en plein coeur de Paris, au 30 place de la Madeleine (dans le très chic VIIe arrondissement), du 10 au 12 décembre. Le numéro un mondial du e-commerce y projettera des films et séries dans le cadre de son Prime Video Club (4). « Réservez un salon privé et invitez jusqu’à 5 amis pour venir découvrir ou re-découvrir vos films et séries préférés. (…) Réservez une ou deux places pour assister à une projection en avant-première de la sélection Prime Video Club », propose Amazon. Si, contrairement à Netflix, la firme de Jeff Bezos n’a pas reçu les foudres des gardiens de la chronologie des médias et de l’exception culturelle, elle a en revanche été la cible, mais aux Etats-Unis, de quatre syndicats représentant plus de 4 millions d’employés : SEIU (Service Employees International Union), IBT (International Brotherhood of Teamsters), CWA (Communications Workers of America) et UFW (United Farmworkers of America). Ensemble, réunis au sein de la coalition SOC (Strategic Organizing Center), ils ont adressé le 22 novembre une seconde lettre ouverte à Holly Vedova, devenue en septembre directrice du bureau de la concurrence à la Federal Trade Commission (FTC) pour qu’elle s’oppose au rachat des studios hollywoodiens Metro-Goldwyn-Mayer (MGN) par Amazon (5). Une première lettre ouverte de 12 pages (6) lui avait déjà été envoyée le 11 août alors qu’Holly Vedova – plus de 31 ans à la FTC – n’était pas encore officialisée à son poste. @