A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Pour la TVA, Altice s’est débarrassé de SFR Presse

En fait. Le 4 avril, Capital a révélé que SFR a été l’an dernier notifié par Bercy d’un nouveau redressement fiscal de 420 millions d’euros, portant le total à 830 millions d’euros dus par Altice. En cause : les bénéfices, dont ceux réalisés de 2016 à 2018 en appliquant 2,10 % de TVA « presse » à ses offres triple play.

En clair. Si SFR est à nouveau redressé fiscalement pour notamment avoir indûment appliqué sur ses abonnements triple play – et durant près de deux ans (juin 2016 à février 2018) – le taux de TVA super réduit (2,10 %) pourtant réservé à la presse (et donc applicable en principe à son seul kiosque SFR Presse), il n’est pas le seul opérateur télécoms en France à avoir pratiqué ce « hold-up fiscal » (1). Bouygues Telecom lui avait emboîté le pas, en s’appuyant sur la plateforme LeKiosk (également partenaire de Canal+). De son côté, Orange avait intégré depuis l’automne 2017 le kiosque ePresse qui avait été reprise par le groupe Toutabo.
Potentiellement, selon une analyse à l’époque de la banque d’investissement JP Morgan, le total de cet astuce fiscal pratiqué par les quatre opérateurs télécom, Free compris, aurait représenté pour l’Etat une perte fiscale de 1 milliard d’euros sur une année ! Bercy avait alors tapé du poing sur la table et avait mis un terme à cet abus en l’interdisant par la loi de Finances 2018 (article 8) avec un retour obligatoire au taux normal (20 %) à partir du 1er mars de cette année-là (2). C’est tout récemment que l’on a su pourquoi Altice, la maison-mère de SFR, avait cédé son kiosque numérique SFR Presse – créé en avril 2016 et racheté en mai 2020 par Cafeyn, ex-LeKiosk (3), lequel a également repris la plateforme de numérisation de contenus miLibris qu’Altice avait acquis en 2017. En effet, lors de son audition le 2 février dernier devant la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France (lire aussi en Une), Patrick Drahi, fondateur et propriétaire d’Altice, a révélé que l’abandon de SFR Presse avait été décidé pour des raisons uniquement fiscales : « Il existait deux régimes de TVA différents en France, celui des télécoms [20 %] et celui des médias [2,10 %]. La télévision à péage était soumise à un taux de TVA de 5,5 %. Nous avons effectivement profité du régime en place. Du coup, après on me dit, on change la loi, cela passe à 20 %. Il n’y avait plus d’intérêt à le diffuser [parlant de SFR Presse, ndlr]. Cela s’est écroulé. Je suis un mécène pour quelques jours mais pas pour le restant de ma vie. Donc nous nous sommes débarrassés de cela ». Selon Capital, qui a révélé le nouveau redressement fiscal du groupe Altice (4), celui-ci saisira sûrement la justice contre ces redressements, comme Patrick Drahi l’avait fait avec Numericable. @

Fibre-gate : l’Arcep pressée de mettre en demeure

En fait. Le 4 avril, 28 collectivités locales – parmi les membres de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) – ont cosigné un avertissement aux opérateurs télécoms et à leurs sous-traitants accusés de « mauvaises pratiques pour raccorder à la fibre optique les Français ». L’Arcep va-t-elle les mettre en demeure ?

En clair. La pression augmente sur l’Arcep, appelée par des collectivités locales et agglomérations à mettre en demeure les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants pour non-respect de leurs obligations dans le déploiement de la fibre et le raccordement des abonnés. « Malfaçons », « dégradations », « négligence », « déconnexions », « mises en danger », « imprévoyances », … lorsque les branchements anarchiques des fibres optiques dans les armoires de mutualisation du réseau ne se transforment pas en « plats de nouilles » : les territoires sont plus que jamais excédés par le manque de contrôle des opérateurs télécoms – Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free et Altitude en tête – sur les raccordements finaux des abonnés à la fibre. « Les opérations techniques sont intégralement sous-traitées sans contrôle, mal rémunérées et, pour certaines, réalisées en dépit des règles de l’art et de la sécurité des personnes », ont dénoncé le 4 avril une trentaine de collectivités locales – membres de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), en lançant un avertissement aux opérateurs télécoms et à leurs sous-traitants (1). En cause : le non-respect des contrats dits « Stoc » (sous-traitance opérateur commercial), auxquels s’étaient pourtant engagés il y a plus d’un an les différents intervenants du Plan France Très haut débit. Cela fait près de deux ans maintenant, notamment depuis le scandale des « plates de nouilles » (sac de nœuds dans le raccordement des fibres dans les locaux techniques), qu’il y a manquements flagrants.
Or le gendarme des télécoms a le pouvoir de « sanctionner les manquements » des intervenants sur le réseau. L’Arcep peut même, après mise en demeure, décider « la suspension totale ou partielle, pour un mois au plus, du droit d’établir un réseau de communications électroniques ou de fournir un service de communications électroniques, ou le retrait de ce droit, dans la limite de trois ans » (2). C’est ce à quoi a fait référence Grégoire de Lasteyrie, président de l‘agglomération de Paris-Saclay et maire de Palaiseau, dans sa saisine de l’Arcep remise le 30 mars (3) à la présidente de cette dernière, Laure de La Raudière. Elle-même a « de plus en plus de mal à dire que ce formidable projet de déploiement de la fibre, pour tous et partout, est une réussite, tant il y a des problèmes de qualité sur certains territoires » (4). @

Retour sur la bataille « Molotov versus TF1-M6 » : la gratuité des chaînes de la TNT a des limites

Ouverte au grand public en 2016, la plateforme française Molotov – qui a été rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV – « révolutionne l’accès à la télévision ». Mais la justice française a tranché : la gratuité des chaînes de la TNT n’est pas extensible au streaming sur Internet.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Depuis le différend de 2014 entre Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, et France Télévisions – affaire qui s’est soldée par le rejet du « must carry » (1)–, la question de la distribution des chaînes de télévision par des distributeurs Internet semble avoir trouvé définitivement sa réponse judiciaire avec la plateforme numérique de télévision Molotov. Cette dernière, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, vient de perdre successivement deux nouveaux procès contre les éditeurs de chaînes TF1 et M6.

Molotov confronté dès 2017 à TF1 et M6
Rappelons que la révolution numérique a fait évoluer les besoins du consommateur, notamment dans sa manière de regarder un programme audiovisuel. De simple spectateur dépendant du moment de diffusion à la télévision, le consommateur veut dorénavant pouvoir regarder son programme quand il le souhaite, comme il le souhaite et sur le support qu’il souhaite. En conséquence, aux côtés de l’offre des réseaux classiques (TNT, satellite, câble et ADSL/VDSL2), des applications OTT (Over-the-Top), telles que celle du français Molotov proposent d’accéder – par le biais d’un portail unique – à des contenus issus de différentes chaînes de télévision linéaire, d’une part, avec des services associés parfois payants (recherche, rattrapage, reprise de programmes depuis le début) et, d’autre part, sur tous les écrans et appareils connectés.
Si les chaînes de télévision ont des accords de distribution rémunérateurs avec les fournisseurs d’accès à Internet, tels qu’Orange, SFR, Bouygues Telecom ou Free, elles demeurent concurrentes des purs distributeurs de services OTT sur Internet. Ce qui différencie principalement les applications des éditeurs de chaînes (comme TF1 ou M6) des simples distributeurs OTT (comme Molotov ou Watch It), c’est que les éditeurs ne proposent que leurs propres chaînes, ce qui limite forcément l’attractivité de leurs services. A l’inverse Molotov propose aujourd’hui sur sa plateforme les programmes linéaires et non linéaires de plus de 200 éditeurs et chaînes, soit la quasi-totalité du paysage audiovisuel français. Pour se différencier, les éditeurs de chaînes doivent donc proposer des fonctionnalités spécifiques comme des avant-premières, des programmes exclusifs et des prolongements de leurs émissions-phare et le start-over qu’elles n’autorisent pas toujours chez leurs concurrents OTT. En 2015, Molotov avait conclu des contrats de distribution expérimentaux avec M6 (2) et avec TF1 (3). A partir de 2017, TF1 puis M6 ont informé Molotov qu’ils allaient restructurer les conditions de distribution de leurs services, en exigeant une rémunération pour le droit de distribuer leurs chaînes de la TNT en clair avec des services associés. Des négociations distinctes se sont engagées entre les chaînes et Molotov. Faute d’accord, M6 et TF1 ont mis fin à la reprise de leurs chaînes à compter respectivement du 31 mars 2018 et du 1er juillet 2019. Molotov est passé outre et a poursuivi la reprise des chaînes des groupes TF1 et M6 sans autorisation. La question était donc de savoir si Molotov devait, ou pas, obtenir l’accord de M6 et de TF1 pour continuer diffuser leurs chaînes en streaming gratuitement sur Molotov.tv.
Le distributeur avait saisi l’Autorité de la concurrence (ADLC) le 12 juillet 2019 en prétendant que l’échec des négociations était lié au lancement concomitant de Salto, une plateforme concurrente créée par M6, TF1 et France Télévisions. Par une décision en date du 30 avril 2020, l’ADLC avait débouté intégralement la société Molotov de ses demandes dès lors qu’elle n’apportait pas d’éléments suffisamment probants à l’appui de ses allégations à savoir • d’abus de position dominante collective des groupes FTV, M6 et TF1 • d’abus de dépendance économique pour chacune de ces relations (d’abord Molotov/TF1 puis Molotov/ M6) et non collectivement (Molotov/M6/TF1) • d’allégation d’entente horizontale concernant la création de Salto • de restriction verticale alléguée du fait d’une clause dite de « Paywall » (4) contenue dans les conditions générales de distribution du groupe M6.

Pas de must carry sur Internet
De leurs côtés, et du fait de la poursuite de la diffusion de leurs chaînes sans autorisation par Molotov, TF1 et M6 avaient – chacune de leurs côtés – saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Dans les deux affaires, la société Molotov prétendait notamment qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite «must carry » (5), conçue pour les modes de diffusion historiques (hertzien, câble, satellite). Molotov soutenait que, de par la loi et ses engagements vis-à-vis du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, aujourd’hui l’Arcom), elle avait l’obligation de fournir à ses abonnés un accès linéaire gratuit aux chaînes en clair, quel que soit le mode de diffusion. Ce qui impliquerait corrélativement que TF1 et M6 étaient obligées de lui proposer une offre tenant compte de cette contrainte économique. Le tribunal a rejeté l’argument en rappelant que, hors voie hertzienne (via la TNT depuis 2011), il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou, comme en l’espèce, par Internet.

Condamnation pour contrefaçon
Le tribunal a considéré que la loi n’impose pas que les éditeurs privés de services audiovisuels gratuits soient tenus de mettre à la disposition des distributeurs leurs services, mais seulement d’assurer gratuitement leur diffusion auprès de la population. Le tribunal rappelle que ce point été déjà été jugé notamment par la cour d’appel de Paris en 2020 dans la procédure opposant l’opérateur télécoms Free aux sociétés BFM, RMC et Diversité France en jugeant « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne s’oppose à ce qu’un éditeur autorisé à exploiter un service par voie hertzienne terrestre et ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers, subordonne la fourniture de ce service à une rémunération de la part d’un distributeur de services qui met à disposition du public, par un réseau n’utilisant pas des fréquences assignées par le [CSA] une offre de service de communication audiovisuelle comportant des services de télévision ou de médias audiovisuel à la demande » (6).
Le tribunal a aussi rejeté les demandes Molotov portant sur la violation, par les chaînes TF1 et M6, des règles édictées par l’ADLC, sur la volonté des chaînes de soumettre Molotov à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et sur l’existence d’une stratégie d’éviction mise en œuvre par les chaînes.
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (7) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (8), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 depuis le 31 mars 2018 et du groupe TF1 depuis le 1er juillet 2021. De plus, la société Molotov a été condamnée à payer à 7 millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1. Enfin, la plateforme doit également cesser de diffuser les chaînes en cause – sous astreinte journalière de 100.000 euros pour M6 et de 75.000 euros pour TF1. Pour autant, le 17 décembre 2021 pour M6 et le 7 février 2021 pour TF1, Molotov a annoncé avoir signé un accord de distribution permettant la diffusion desdites chaînes sur sa plateforme de streaming, ainsi que de leurs replay et bonus. Dans les deux cas, les chaînes en clair des deux groupes télévisuels ne seront plus accessibles gratuitement en dehors des offres payantes de la plateforme. La société Molotov a indiqué regretter cette situation et a réaffirmé « son attachement à la gratuité pour tous des chaînes en clair de la TNT ». Y a eu réellement des regrets à avoir ? Ne devrions nous pas, au contraire, être pleins d’espérance du fait de la confirmation judicaire (que nous espérons définitive) du périmètre réel de ladite gratuité ? Le mythe de la gratuité est tenace sur Internet. Si son principe n’a jamais été contesté, c’est son périmètre qui est discutable, et notamment le caractère excessif que certains ont voulu lui conférer pour justifier, moralement, l’accaparement du bien ou du travail d’autrui. Rappelons que la gratuité a permis, sur Internet, le partage des connaissances notamment par le biais du RFC (Request For Comments) pour permettre l’élaboration du réseau. De plus, les fondateurs ont conçu Internet comme un espace public accessible et défini comme un bien commun. Cependant, la gratuité de cet espace n’est pas un modèle automatiquement transposable dans le domaine marchand. D’autant que la question de la gratuité n’est pas la même selon qu’on l’envisage sous l’angle du consommateur final ou sous l’angle du professionnel intermédiaire.
Pour le consommateur final, la gratuité du service obtenu est un leurre comme le rappelle l’adage « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit », mais c’est l’affaire dudit consommateur. En cas d’intermédiation d’un second professionnel dans la relation entre un premier professionnel et un consommateur, la gratuité destinée au consommateur final ne justifie pas que ledit intermédiaire (comme les OTT) puisse utiliser le service gratuitement pour vendre ses propres services. Dans le cas des OTT, voilà donc rappelé une nouvelle fois que la gratuité qui s’impose, de par la loi, aux éditeurs de chaines en clair de la TNT, ne concerne que la relation entre l’éditeur de la chaîne et le public. Cette gratuité ne peut donc être revendiquée par d’autres « intermédiaires repreneurs » pour une diffusion sur Internet sans autorisation. Espérons que cette saga sonnera définitivement le glas de l’interprétation extensive du concept de gratuité.

Les effets pervers de la gratuité
Gardons aussi à l’esprit les effets pervers de la gratuité. Cette dernière n’est qu’apparente sur Internet et elle est permise notamment par le financement publicitaire. Cependant les budgets publicitaires n’étant pas extensibles, ceux-ci se sont déplacés des médias historiques (presse, radio) vers les supports numériques marchands. Ce qui a contribué, à due concurrence, à une baisse importante des ressources desdits médias, avec les conséquences auxquelles nous sommes confrontées sur la qualité de l’information. Si la gratuité est un concept très attractif, il reste cependant une loi d’airain selon laquelle ce que l’on ne paye pas aujourd’hui sera payé très cher demain. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Le rachat d’Activision par Microsoft aboutira-t-il en 2023, soit dix ans après avoir été cédé par Vivendi ?

Pendant que des actionnaires ont porté plainte en justice contre Activision Blizzard et son conseil d’administration pour « conflits d’intérêts », une enquête pour délit d’initié a par ailleurs été ouverte par le gendarme boursier américain. Quant à la FTC (antitrust), elle pourrait encore bloquer l’opération à tout moment.

Ce n’est pas gagné. La méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée le 18 janvier dernier par Microsoft pour 68,7 milliards de dollars pourrait ne pas aboutir en 2023. Car les obstacles s’accumulent, tant devant la justice que devant les autorités boursière et antitrust. Issu il y a quinze ans de la fusion entre Activision et Vivendi Games, l’éditeur de « Call of Duty » espère que la fusion devrait aboutir « au cours de l’exercice financier de Microsoft se terminant le 30 juin 2023 ».

Conflits d’intérêts et risques antitrust
Depuis la précédente cession d’Activision en 2013 par Vivendi et son introduction en Bourse, il y aura dix ans l’an prochain si la vente à Microsoft arrive à son terme, Robert Kotick alias Bobby (photo de gauche) et Brian Kelly (photo de droite) ont conservé ensemble une participation de près de 25 % du groupe. Le premier est encore directeur général d’Activision Blizzard, tandis que le second en est encore le président du conseil d’administration. C’est justement au sujet des administrateurs que des actionnaires – une demi-douzaine, selon le site Polygon.com (1) – ont porté plainte devant des tribunaux californien, newyorkais et pennsylvanien contre Activision Blizzard pour notamment « conflits d’intérêts potentiels » en interne. Les six recours judiciaires ont été déposés entre fin février et début mars pour dénoncer le côté « injuste » de cette méga-fusion au détriment des actionnaires du public.
Dans la plainte datée du 24 février dernier et enregistrée par un tribunal californien, un actionnaire – Kyle Watson, défendu par le cabinet d’avocats Brodsky & Smith – affirme que « la répartition des avantages de la transaction indique que les initiés d’Activision sont les principaux bénéficiaires de cette transaction proposée, et non pas les actionnaires publics de la société tels que le plaignant ». Et d’ajouter : « Le conseil d’administration et les dirigeants de la société sont en conflit parce qu’ils auront obtenu des avantages uniques pour eux-mêmes de la proposition de transaction, non disponible pour le plaignant en tant qu’actionnaire public d’Activision ». Sont ainsi visés des membres du conseil d’administration d’Activision qui possèdent actuellement d’importantes parts d’actions de l’entreprise, lesquelles seront toutes échangées en contrepartie de la fusion une fois réalisée. Ainsi, entre autres, Robert Kotick détenant déjà 4,4 millions d’actions en possèdera 6,5 millions après l’opération ; Brian Kelly passera de 1,1 million d’actions à 1,2 million. De plus, certains contrats de travail avec des cadres d’Activision donnent droit à une indemnité de départ. « Ces “parachute d’or” sont significatifs, et donneront droit à chaque directeur ou dirigeant à des millions de dollars, non partagés avec le plaignant », pointe-ton dans la plainte. Pour ne citer qu’eux : Robert Kotick – qui pourrait quitter l’entreprise à la suite des affaires d’harcèlements sexuels qu’il est soupçonné en novembre 2021 d’avoir étouffées – touchera 14,3 millions de dollars en cash, Armin Zerza 4,1 millions de dollars en cash et 21,1 millions en actions, Daniel Alegre 5,5 millions de dollars en cash et 23,4 millions en actions. De leurs côté, Barry Diller, David Geffen et Alexander von Furstenberg font l’objet d’une enquête du gendarme de la Bourse américain (SEC) soupçonnés de délit d’initié. Selon le Wall Street Journal du 8 mars, ils auraient acquis des actions Activision quelques jour avant l’annonce du rachat par Microsoft (2). Sur un autre front judiciaire, celui des concentrations cette fois, le méga-deal entre Microsoft et Activision sera passé au crible par la redoutée FTC, la Federal Trade Commission, qui a demandé le 3 mars « des données supplémentaires » de la part des deux entreprises. L’agence de presse Bloomberg avait révélé le 1er février que cette autorité américaine du commerce est chargée de mener l’enquête antitrust, puis d’autoriser ou pas cette fusion au regard du droit de la concurrence (3). De quoi inquiéter Microsoft sur l’issue de son offre sur Activision Blizzard, puisque la présidente de la FTC – Lina Khan, en fonction depuis septembre 2021 – est réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (4).
L’intégration verticale « Microsoft-Activision » (MA), combinaison entre l’écosystème des consoles Xbox et le catalogue de jeux vidéo comme le blockbuster « Call of Duty » (CoD), fait craindre des abus de position dominante (5). Sony pourrait être la première victime collatérale de cette fusion, alors que le japonais génère de gros revenus avec la série CoD d’Activision Blizzard sur sa propre console PlayStation.

Avenir de « Call of Duty » sur Sony PS
Pour couper court à ces soupçons d’éviction de la concurrence, Microsoft avait assuré fin janvier qu’il respectera les accords en cours entre Activision et Sony sans préciser leur échéance – trois jeux de CoD à venir d’ici fin 2023 seraient sécurisés (6), mais après ? Microsoft cherche en tout cas à renforcer son emprise sur l’industrie du jeu vidéo, en étant à la fois fabricant de consoles et éditeurs de titres. Il y a un an, la firme de Redmond a finalisé le rachat pour 7,5 milliards de dollars de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks et d’autres studios de jeux vidéo (7). Si cette fusion «MA » devait être résiliée par l’une ou l’autre partie, plus de 2 milliards de dollars seront dus soit à Microsoft ou inversement à Activision Blizzard. @

Charles de Laubier

Comment Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago vont « NFTéiser » la musique

Alors qu’en France le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) – réunissant les majors de la musique (Universal Music, Sony Music, Warner Music) et des indépendants – fait état d’un marché porté par le streaming musical, des acteurs spécialistes du NFT pourraient le bousculer.

C’est une première depuis vingt ans en France : le marché de la musique enregistrée affiche une croissance à deux chiffres – 14,3 % – pour atteindre les 861 millions d’euros (1) de chiffre d’affaires en 2021. Si l’on s’en tient aux ventes proprement dites (729,2 millions d’euros), le streaming tire le marché en y contribuant à hauteur de 67,5 % (492 millions d’euros). Et pour la première fois, la barre des 10 millions d’abonnements payants a été atteinte l’an dernier (soit 14,2 millions avec les comptes « famille ») sur un total de 22 millions de streamers audio.

Market centric, user centric et… tokens
Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a présenté le 15 mars les résultats du marché de la musique enregistrée. Reste à savoir si les artistes écoutés en streaming – auteurs, compositeurs, interprètes – sont correctement rémunérés par les plateformes de streaming (Spotify, Amazon Music, Deezer, Apple Music, …). D’autant que la question de l’évolution du calcul de leur rémunération n’est toujours pas tranchée : faut-il passer de l’actuel market centric où les royalties sont calculées au prorata des écoutes totales de la plateforme, au user centric où le calcul de la rémunération est en fonction des écoutes individuelles des abonnés. Il faudra attendre encore juillet prochain (2) pour avoir un début de réponse dans un rapport commun du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et du Centre national de la musique (CNM). Le manque de transparence de la part des plateformes de streaming alimente le doute sur la rémunération des artistes. Les sociétés de gestion collective des droits d’auteurs aimeraient comprendre les rouages et le fonctionnement de ces « boîtes noires » (3) dopées aux algorithmes de recommandation des œuvres musicales (4). La Sacem, la SDRM, l’Adami ou encore la Spedidam, par exemple, pourraient ainsi accéder aux données traitées par les Spotify, Deezer et autres Apple Music. L’objectif est que le CNM mandate un « prestataire technique » chargé de fournir des bases de données anonymisées pour faire l’objet de « traitements statistiques approfondis ».
A défaut d’y voir clair dans ce dédale algorithmique et musical, les « NFT » – ces jetons non fongibles sur Internet, c’est-à-dire irremplaçables et uniques (5) – pourraient être le nouvel eldorado des musiciens tentés de reprendre le pouvoir sur leurs œuvres et d’instaurer un lien direct avec leurs fans. Ces Non- Fungible Tokens s’inscrivent dans la révolution Web3 et des organisations à gouvernance décentralisée (DAO). Des start-up comme Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago (voir encadré cicontre) y travaillent pour amener les artistes – ayant signé ou pas avec une maison de disque ou un label – à s’approprier ces tokens certifiés par la blockchain (chaîne de blocs faisant office de registre numérique infalsifiable). Les NFT annoncent l’avènement d’une désintermédiation de l’écosystème du streaming musical dominé par une poignée de plateformes numériques globales placées sous la coupe des majors de la musique enregistrée. @

Charles de Laubier

ZOOM

Candidats à la « NFTéisation » de l’industrie musicale
• Audius,
start-up basée à San Francisco, a levé 5,5 millions de dollars en août 2018, avec l’ambition de connecter les fans directement avec leurs artistes préférés, lesquels peuvent bénéficier d’une rémunération plus équitable, quitte à « désintermédier ». Pour ses NFT, elle s’appuie sur la blockchain Solana.
• Bolero Music est une start-up française créée en février 2021 dans le but de rapprocher fans et artistes en proposant des « social tokens » en guise de cartes de membres auprès d’un artiste, et des NFT à collectionner (morceaux exclusifs, clips vidéo, couvertures, part de propriété de master, …), le tout certifié sur la blockchain Polygon.
• Limewire, qui avait été lancé aux Etats-Unis en août 2000 comme réseau peer-to-peer avant d’être condamné pour piratage au bout de dix ans, va renaître de ses cendres, en mai 2022, en embrassant cette fois la cause des NFT en étant une nouvelle place de marché de musique (aussi d’art) s’appuyant sur la blockchain Algorand.
• Pianity est une start-up française fondée en mai 2021 pour lancer, deux mois après, une plateforme de musique NFT où les musiciens et leur communauté se réunissent pour créer, partager, échanger et collectionner des morceaux en édition limitée. Début mars, la société a annoncé avoir levé 6,5 millions de dollars.
• Tamago est la plateforme de « streaming NFT » lancée en février 2022 par le compositeur électro-pop canadien Clarian, qui est considéré comme le premier musicien à avoir vendu, l’an dernier, un album en NFT –Whale Shark — sur la plateforme Opensea, en se passant des maisons de disque. Tamago est certifiée par la blockchain Near. @