YouTube et Netflix rattrapés par la directive « SMA »

En fait. Le 25 mai, la Commission européenne a présenté un projet de mise à jour de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010, afin que les Vingt-huit puissent mieux prendre en compte et de façon harmonisée les plateformes vidéo de type YouTube ou Netflix dans leur législation.

En clair. « De nos jours, les spectateurs regardent des contenus vidéo non seulement sur leurs chaînes de télévision, mais aussi, de plus en plus, en passant par des services de vidéo à la demande (comme Netflix et Mubi (1)) et des plateformes de partage de vidéos (telles que YouTube et Dailymotion) », a expliqué le 25 mai la Commission européenne pour justifier sa proposition de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Les ministres concernés des Etats membres puis le Parlement européen doivent encore approuver ou corriger ce projet législatif dans les prochains mois. Il s’agit de « parvenir à un meilleur équilibre des règles qui s’appliquent aujourd’hui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle,
aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos ».

Dans l’état actuel de la directive de 2010, seules la VOD et la télévision de rattrapage (replay) sont concernées par les différentes obligations audiovisuelles : protection de l’enfance contre la violence et la pornographie, non-incitation à la haine, promotion
de la diversité culturelle européenne, quotas, règles publicitaires, etc. Cette fois, la Commission européenne propose d’élargir certaines de ces obligations aux plateformes de partage vidéo. Les parties vidéo des sites de radio et de presse en ligne seront aussi concernées (2). Or, aujourd’hui, les chaînes de télévision traditionnelles en Europe investissent environ 20 % de leur chiffre d’affaires dans des contenus originaux, alors que les services à la demande y consacrent moins de 1% (selon une étude DG Connect/OEA).

« Les Etats membres pourront demander aux services à la demande disponibles sur leur territoire de contribuer financièrement à la production d’oeuvres européennes », précise la proposition de révision de la directive SMA (3), qui introduit le principe de
« pays de destination » – ce dont s’est réjouit le 26 mai le président du CSA, Olivier Schrameck, devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP). Les plateformes vidéo telles que Netflix ou iTunes d’Apple devront garantir une part d’au moins 20 % de contenus européens dans leurs catalogues, là où les chaînes de télévision continueront à consacrer au moins 50 % du temps de visionnage à ces oeuvres européennes. Quant aux « CSA » nationaux, réunis au sein de l’ERGA (4), ils verront leurs pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés. @

Pub en ligne : l’Autorité de la concurrence enquête

En fait. Le 23 mai, l’Autorité de la concurrence s’est auto-saisie « pour avis »
afin d’« analyser les conditions d’exploitation des données dans le secteur de la publicité en ligne » – avec Google et Facebook en ligne de mire. Y a-t-il position dominante et conflits d’intérêts. Réponses au 2e semestre 2017.

En clair. Le gendarme français de la concurrence se penche sur un marché s’envergure mondiale qu’est la publicité sur Internet et ses données associées. Il s’agit de « passer au crible un écosystème devenu très complexe » (voir schéma cicontre)
et « où tout le monde se tient » (et n’ose parler), pour employer les termes utilisés par Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, lors d’un point informel le
23 mai. En déclenchant une enquête sectorielle, qui pourrait déboucher au second semestre 2017 sur une enquête anti-trust – voire des « procédures contentieuses » –
si l’avis conclut dans ce sens, les sages de la rue de L’Echelle espèrent que « les langues vont se délier ».
Pour étayer son enquête, l’Autorité de la concurrence va lancer une consultation publique d’ici la fin de cette année – « voire début 2017 ». Car, à se stade, aucune plainte n’a été déposée à l’encontre de Google et de sa filiale DoubleClick pour pratiques anti-concurrentielles, ni contre aucun autre acteur de ce marché de la publicité sur Internet. Seuls des articles de presse font état : soit de « restrictions » décidées par Google, Yahoo, Microsoft, AOL ou encore Facebook pour garder la maîtrise de leurs données publicitaires, soit de « plaintes » de sociétés telles que TubeMogul, spécialisée dans la publicité vidéo, ou AppNexus, acteur mondial de la publicité programmatique, à l’encontre de Google accusé de conflits d’intérêt et de pratiques déloyales. L’Autorité de la concurrence pourrait aussi faire des propositions au gouvernement, afin de faire évoluer la loi « Sapin » de 1993 – imposant la transparence des transactions publicitaires – pour qu’elle s’applique mieux aux nouvelles pratiques de publicité en ligne. Ce qu’avait déjà commencé à faire la loi
« Macron » d’août 2015. @

Les « Cnil » européennes tirent exagérément sur le nouveau bouclier « Privacy Shield »

Le groupe « G29 » critique trop sévèrement le nouveau « bouclier vie privée » (Privacy Shield) entre l’Europe et les Etats-Unis. Il trouve ses mécanismes de
co-régulation insuffisants. Pourtant, l’idéal européen en matière de protection
de droits individuels n’existe pas non plus.

Par Julie Brill et Winston Maxwell, avocats associés, Hogan Lovells

Comme le tout nouveau règlement européen sur le traitement des données à caractère personnel et la libre circulation de ces données (1), la directive de 1995 sur la protection des données à caractère personne (2) interdit tout transfert de données vers un pays non-européen, sauf si le transfert tombe dans l’une des exceptions prévues par la directive. Depuis 2000, le système d’auto-certification dénommé « Safe Harbor » était considéré par la Commission européenne comme fournissant un niveau de protection adéquat, et a permis le transfert de données vers les entreprises américaines détenant ce label.

Le Privacy Shield ne convainc pas le G29
En novembre 2013, la Commission européenne a remis en cause le système Safe Harbor, et cette remise en cause a été confirmée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt « Schrems » (3). Depuis, le régime Safe Harbor
est en pratique mort et les entreprises utilisent d’autres outils juridiques, tels que les
« clauses contractuelles types », pour effectuer leurs transferts de données vers les Etats-Unis. Depuis la mort du Safe Harbor, la Commission européenne et le gouvernement américain travaillent sur un nouveau dispositif amélioré. Dévoilé le 29 février, le nouveau système, dénommé « Privacy Shield », tire les leçons des critiques de la Commission européenne et de la CJUE.
La Commission européenne a annoncé son intention de déclarer ce nouveau régime
« adéquat » au regard de la directive de 1995. Mais le 13 avril 2016, le groupe « article 29 » (G29), qui réunit les « Cnil » européennes, a émis un avis mitigé. Tout en félicitant la Commission européenne et les Etats-Unis du travail accompli, le G29 estime que le nouveau système lui semblait défectueux à plusieurs égards : premièrement, les principes de protection énoncés dans le Privacy Shield ne reflètent pas l’ensemble des principes de la directive de 1995 ; deuxièmement, le dispositif ne garantit pas suffisamment la mise en oeuvre effective de ces principes au sein des entreprises ; troisièmement, les pouvoirs des autorités de renseignements américains ne sont toujours pas assez encadrés. Avant d’examiner ces trois séries de critiques, revenons aux fondements : le Privacy Shield, comme le régime Safe Harbor, est un régime de
co-régulation. Les entreprises qui souhaitent participer à ce régime doivent souscrire à des engagements, et les mettre en oeuvre sous le contrôle de l’Etat (4). Ce régime est similaire aux « Binding Corporate Rules » (BCR) et au label gouvernance de la Cnil. Les entreprises souscrivent aux engagements et sont responsables pour leur mise
en oeuvre. Elles doivent être en mesure de rendre compte aux autorités des mesures prises. Il s’agit d’un exemple du principe d’« accountability » mis en avant par le nouveau règlement européen. Ainsi, le Privacy Shield est dans l’air du temps.

Malgré ses similitudes avec les BCR et autres mécanismes de co-régulation, le Privacy Shield ne convainc pas le G29. La première série de critiques concerne les principes de protection. Selon le G29, le Privacy Shield a omis le principe de limitation de durée de conservation des données. Le groupe pointe du doigt également l’encadrement insuffisant des transferts ultérieurs (« onward transfer »). La deuxième série de critiques concerne la mise en oeuvre effective des principes par les entreprises et par le gouvernement américain. La plupart des entreprises américaines ont pris au sérieux leurs engagements au titre du Safe Harbor, mettant en place un programme rigoureux de conformité. Mais ce n’était pas le cas de toutes les entreprises, et la Commission européenne a demandé une supervision accrue de la part des autorités américaines (5). Le nouveau régime Privacy Shield prévoit donc un rôle accru du Département du Commerce dans la surveillance des entreprises ayant opté pour le régime « privacy shield ».

Fais ce que je dis, pas ce que je fais…
En cas de manquement, la FTC sera en droit d’appliquer des sanctions lourdes. En plus, le nouveau régime prévoit la possibilité pour les citoyens européens d’effectuer des réclamations directement auprès de la société américaine concernée, mais également auprès de l’autorité de protection des données à caractère personnel de
leur propre pays, laquelle transmettra la plainte au Département du Commerce pour action. Enfin, les citoyens européens peuvent entamer une procédure d’arbitrage ou une procédure judiciaire à l’encontre de la société concernée. Le G29 trouve ces mécanismes insuffisants. Il regrette que le Département du Commerce ne donne pas de garantie sur le traitement des plaintes qu’elle recevra des citoyens européens. Cependant, la Cnil elle-même ne donne pas de garantie sur l’issue des plaintes qu’elle reçoit, donc cette critique nous semble exagérée. Le G29 critique ensuite le niveau faible de sanctions, mais là encore, cette critique ne semble pas justifiée compte tenu des pouvoirs de sanction de la FTC. Le G29 souligne la nécessité pour les entreprises américaines d’avoir des mécanismes internes en place pour détecter d’éventuels manquements.

Pouvoirs accrus des renseignements
Cette critique nous semble sévère, car la plupart des grandes entreprises américaines ont déjà des procédures de conformité qui permettent de détecter et sanctionner des manquements aux règles de l’entreprise. Dans la mesure où le Privacy Shield sera intégré dans ces programmes de conformité, les mécanismes internes de détection seront probablement très efficaces.
La partie la plus troublante de l’avis du G29 concerne la critique des pouvoirs des agences de renseignements aux Etats-Unis. Le pouvoir étendu des autorités de renseignement est un point sensible aux Etats-Unis comme en Europe. Les défenseurs de libertés individuelles critiquent les Etats-Unis mais également les gouvernements de pays européens pour avoir augmenté considérablement les pouvoirs d’agences de renseignement sans mesures de contrôle. Avec ses lois sur le renseignement et sur l’interception des communications internationales, la France suit cette tendance, ce qui est compréhensible compte tenu de l’augmentation du risque terroriste. Cependant, le G29 critique le système américain sans prendre en considération le fait que l’équilibre trouvé aux Etats-Unis entre les libertés des individus et les impératifs de lutte contre le terrorisme est similaire à l’équilibre trouvé en France en matière d’activités de renseignement. Comme la loi française, la loi américaine fait une distinction entre les enquêtes de police, et les activités de renseignement. Le traitement des données dans le cadre des enquêtes de police aux Etats-Unis (comme en France) est généralement respectueux des droits et libertés individuels. Les résidents européens sont dorénavant mieux protégés aux Etats-Unis en raison de l’adoption du « Judicial Redress Act » qui donne aux Européens certains droits de recours réservés auparavant aux résidents américains. En matière d’enquêtes de police, la situation est donc globalement satisfaisante. Le problème le plus délicat réside dans les activités de renseignement.
Le G29 dénonce l’imprécision de la loi américaine sur ce que peut constituer une menace pour la sécurité nationale. Mais cette définition n’est pas moins précise que celle contenue dans le code français de la sécurité intérieure. Le G29 reconnaît l’existence de mesures de contrôle interne efficaces au sein des autorités américaines de renseignement, mais regrette l’absence d’un organe de contrôle plus indépendant, de préférence judiciaire. Pourtant, là aussi, la situation des Etats-Unis n’est pas différente de celle de la France. Le G29 critique l’absence d’encadrement des mesures de surveillance conduites en dehors des Etats-Unis, mais oublie de mentionner que cette même critique pourrait s’appliquer à la France. En résumé, le système américain est critiqué parce qu’il ne correspond pas à un idéal européen en matière de protection de droits individuels dans le cadre d’activités de renseignement, alors que cet idéal n’existe pas sur le terrain dans de nombreux pays européens, dont la France. Cela revient à dire : « Fais ce que je dis, pas de que je fais ! ».
En matière d’activités de renseignement, le dispositif Privacy Shield inclut des avancés pour la protection des citoyens européens, et notamment un nouveau droit d’accès indirect, à l’instar de celui qui existe en France. Une personne qui se demande si elle est fichée par les services de renseignement américains peut effectuer une demande auprès de son autorité locale de protection des données à caractère personnel. Celle-ci transmettra la demande à un haut fonctionnaire du département d’Etat aux Etats-Unis (6). Celui-ci s’engage à vérifier la régularité de toute mesure de surveillance. C’est l’équivalent de ce qui existe en France pour les fichiers de renseignement (7). Ce nouveau dispositif n’est disponible qu’aux résidents européens; les américains n’y ont pas accès. Le gouvernement américain s’est également engagé à appliquer à l’égard des Européens la plupart des protections qui existent à l’égard d’américains.
Certaines des critiques du G29 seront probablement pris en compte par la Commission européenne et le gouvernement américain. On pense par exemple au principe de limitation de durée de conservation des données, qui sera peut-être mieux articulé dans un Privacy Shield amélioré.

Vers une contestation en justice ?
D’autres critiques, notamment celles visant les activités de renseignement aux Etats-Unis, ne pourront probablement pas être prises en compte. La Commission européenne émettra sa décision sur le caractère « adéquat » du dispositif au cours du mois de juin, et le Privacy Shield deviendra un outil juridiquement opposable pour le transfert de données aux Etats-Unis.
Cependant, certaines autorités de protection des données personnelles – notamment en Allemagne – ont d’ores et déjà signalé leur intention d’attaquer le Privacy Shield en justice. Les entreprises resteront par conséquent dans l’incertitude sur la robustesse du nouveau bouclier. @

Pourquoi l’opérateur télécoms SFR fait de la presse un produit d’appel comme la télé et la vidéo

Augmenter l’ARPU ! Tel est le leitmotiv d’Altice, la maison mère de SFR. Pour que ce revenu moyen par abonné soit plus élevé, l’opérateur télécoms remplit ses tuyaux de contenus. La presse devient un produit d’appel, comme la télé et la vidéo. Mais convergence rime-t-elle avec indépendance ?

« Informée de l’intégration du groupe Altice Media – auquel appartient Libération – dans le groupe SFR, la Société des journalistes et du personnel de Libération (SJPL) fait part de
sa vigilance quant aux conséquences de ce rapprochement »,
a prévenu le 26 avril dernier l’organisation de salariés du journal Libération, lequel avait été racheté par le milliardaire Patrick Drahi (photo de gauche) à l’été 2014.

La presse soluble dans la convergence
« Dans les prochains jours, la version numérique de Libération deviendra accessible aux abonnés SFR. Conscients de l’opportunité de diffusion que peut représenter une telle nouveauté, la SJPL tient néanmoins à rappeler l’impératif de totale d’indépendance de la rédaction inscrit dans le pacte signé en 2015 par les actionnaires et la direction
du journal. A l’intégration renforcée entre diffuseur et diffusé, doivent répondre des garanties d’indépendance très strictes », préviennent- elle, tout en craignant que ce nouvel écosystème qu’induit la convergence numérique soit un risque pour le quotidien – « celui de devenir dépendant d’un diffuseur numérique, d’autant plus qu’il s’agit de notre actionnaire majoritaire ».
Deux jours après les mises en garde de la SJPL, c’est au tour du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) de dénoncer cette fois les multiples conflits d’intérêts de la filialisation d’Altice Media Group (Libération, L’Express, L’Expansion, L’Etudiant, Stratégies, Point de vue, …), au sein de l’opérateur télécoms SFR. « Le projet de SFR soulève des questions déontologiques qui auront des répercussions sur l’ensemble du secteur. L’indépendance des éditeurs de presse à l’égard de tout intérêt extérieur aux médias est la clé du développement pérenne du secteur. (…) La convergence entre les “contenus” et les “contenants” – et la mise sous tutelle des premiers par les seconds – posent des questions sur le maintien d’une concurrence équitable au sein du secteur. (…) La liberté de distribution et l’égalité de traitement des différents titres, qui sont au fondement de la politique publique de régulation et d’appui à la diffusion de la presse écrite, sont menacées par un tel schéma », affirme Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil, syndicat créé en 2009 et réunissant aujourd’hui 150 éditeurs indépendants. Pour Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, rien de nouveau sous le soleil médiatique : « Altice Media Group, la société qui détient Libération, elle-même possédée par Patrick Drahi, va devenir la propriété de Numericable-SFR, société détenue par Patrick Drahi. Ce changement se résume ainsi pour Libération à un non-changement », a-t-il estimé dans un éditorial publié le 26 avril. Mais il a quand même tenu à préciser que « les statuts du journal,
et notamment la charte qui garantit son indépendance rédactionnelle, continuent de s’appliquer selon des modalités strictement identiques à ce qu’elles étaient depuis toujours, avec, en bout de chaîne, le même actionnaire de référence ». Et de justifier l’opération de fusion-absorption du contenu par le contenant en expliquant qu’« il s’agit en fait, non de modifier la gouvernance de Libération, mais de rapprocher, dans l’intérêt commun, un journal et un opérateur télécoms capable de lui offrir des possibilités nouvelles de diffusion ».
Même assurance du côté d’Alain Weill, PDG fondateur de NextRadioTV devenu le patron des médias et de la publicité du groupe multimédia SFR : « Tous les médias
du groupe resteront indépendants », y compris Libération qui devrait en outre avoir en 2017 sa propre chaîne « Libé Télé ». Le groupe NextRadioTV, qui comprend BFM TV, BFM Business RMC RMC Découverte (1), est détenu à hauteur de 49 % de son capital par SFR Médias depuis décembre 2015.

SFR veut « révolutionner » la presse
Ces interrogations légitimes, sur les risques que font peser la concentration et la convergence sur les médias en général et sur la presse en particulier, sont exprimées au moment où une proposition de loi vise à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (2) (*) (**) – dont l’adoption devrait intervenir d’ici l’été prochain (voir encadré page suivante).
Après s’être emparé de Libération en 2014, Patrick Drahi a ensuite racheté en février dernier L’Express et L’Expansion au groupe belge Roularta. Ainsi était né Altice Media Group, qui intégrait par ailleurs la chaîne d’information en continu israélienne i24 News.

Pour Michel Combes (photo de droite), le PDG de SFR, le deuxième opérateur télécoms français doit se diversifier dans les contenus et devenir un kiosque numérique à journaux ouvert à toute la presse. Pour ses 17 millions d’abonnés mobile, l’option est incluse dans le forfait. Pour les non-abonnés au kiosque de journaux en ligne, c’est 19,99 euros par mois. « Notre conviction est que les opérateurs mobile vont devenir
de nouveaux acteurs de la distribution de la presse, mais pour cela, il faut ouvrir les vannes », déclare-t-il dans Challenges daté du 28 avril, quitte à promettre que « SFR Presse va révolutionner l’accès et l’usage de la presse écrite ».

Les journaux payés à l’accès
Les journaux seront payés en fonction des consultations d’articles en ligne, que les cyberlecteurs pourront chercher par mots-clés. Cependant, rien n’empêche que le bouquet « presse » devienne un jour payant comme ce sera le cas à terme pour les bouquets « sport ». « Les médias permettent de rendre attractives les offres des opérateurs télécoms et les aider à fidéliser leurs clients », assure encore Michel Combes.
Mais le modèle de diffusion massive essentiellement financé par la publicité – évoqué dans les rédactions, dont celle de L’Express – peine à convaincre les journalistes qui émettent des doutes sur sa viabilité économique. « Drahi considère l’information comme un gadget, un cadeau Bonux pour les possesseurs de forfait mobile », regrette un journaliste de l’hebdomadaire fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, cité dans Marianne du 29 avril.
« SFR Presse » est le nom, qui pré-existait déjà jusqu’en septembre 2014, de ce nouveau kiosque numérique qui va proposer non seulement les dix-sept titres du groupe, mais aussi à terme d’autres journaux et magazines. Depuis près de deux ans, c’était la société LeKiosk qui assurait le service pour l’opérateur télécoms. Désormais, SFR Presse et LeKiosk vont cohabiter ; les cinq crédits par mois permettant d’accéder aux titres du second ne seront plus décomptés s’il s’agit de journaux ou magazines de l’ex-Altice Media Group. « En tant que client Extra SFR [l’option doit être activée, ndlr], vous avez accès en illimité en l’ensemble des titres de l’offre SFR Presse », précise LeKiosk.com. La presse devient un produit d’appel pour les télécoms, comme la vidéo
à la demande (VOD) et la télévision étendue au rattrapage (TVR), SFR ayant comme objectif de reconquérir des clients après en avoir perdu près de 1 million dans le mobile en 2015 et d’augmenter l’ARPU (3) stabilisé à seulement 21,8 euros par mois. Dans le fixe, la base d’abonnés est aussi en baisse à 6,3 millions pour un ARPU en recul à 33,9 euros par mois. Le paradoxe de cette convergence est que la presse en perte de vitesse devient un « cadeau Bonux » dans la grande « lessive » SFR, elle même en perte de vitesse depuis son rachat par Numericable en 2014 via la holding Altice de Patrick Drahi…
Il s’agit aussi de faire converger les données des activités télécoms, web médias et applications mobiles dans un Big Data, afin de mieux les monétiser par la publicité en ligne et ciblée. Cela relèvera de la responsabilité d’Alain Weill en concertation avec Michel Paulin, lequel dirige l’activité télécoms depuis le 9 mai dernier. Dans les contenus proposés par l’opérateur télécoms, SFR Presse côtoiera SFR News offrant les quatre chaînes existantes (BFM TV, BFM Business, i24news et RMC Découverte), auxquelles s’ajouteront les chaînes BFM Sport et BFM Paris (respectivement en juin et en octobre), ainsi que SFR Sport constitué de cinq chaînes consacrées aux sports, et SFR Play intégrant le service de SVOD Zive. Jean-Marie Messier en avait rêvé (4) ; Patrick Drahi veut le faire ! @

Charles de Laubier

ZOOM

Loi sur l’indépendance des médias : impasse sur la concentration
La proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (5), qui revient au Sénat les 25 et 26 mai, pourrait être adoptée d’ici l’été prochain. Initiée par les députés socialistes Bruno Le Roux et Patrick Bloche en février dernier, ce texte a déjà été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 8 mars.
A ceux qui lui reprochent de ne pas aller assez loi contre la concentration dans les médias en France, Patrick Bloche, rapporteur de cette proposition de loi, a déclaré le
14 avril dernier sur LePoint.fr : « Pour qu’il y ait pluralisme, il faut des investisseurs. Par exemple, Patrick Drahi, après son accord avec Alain Weill, possède un peu de tout : presse écrite (L’Express, Libération…), télévision (BFM TV, RMC Découverte), radio (RMC, BFM Business) et aussi télécoms avec SFR-Numericable. On ne va pas faire de comptes d’épiciers. On ne va pas lui dire “Vous ne pouvez pas posséder plus de tant de quotidiens ou chaînes de télévision” ». CQFD. @

Réponse graduée : l’Hadopi va franchir début juin la barre des 1.000 dossiers transmis à la justice

Selon EM@, c’est début juin que le nombre cumulé de 1.000 dossiers d’internautes transmis par l’Hadopi à la justice – car considérés comme pirates récidivistes sur Internet – sera atteint. La CPD, chargée de la réponse graduée,
a une nouvelle présidente : Dominique Guirimand.

C’est un cap symbolique que va franchir l’Hadopi, au moment où
son existence est plus que jamais contestée. Alors que des députés ont voté fin avril sa suppression pour… 2022, à l’occasion de la première lecture d’une proposition de loi sur le statut des autorités administratives indépendantes (1), la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet continue son travail pédagogique et juridictionnel de lutte contre le piratage en ligne.

Des députés parlent d’« échec »
D’après nos calculs, la réponse graduée mise en place le 1er septembre 2010 va atteindre début juin le nombre total de 1.000 dossiers cumulés transmis à la justice –
en l’occurrence au procureur de la République. Ce magistrat, rattaché à un tribunal de grande instance (TGI), peut décider de poursuivre l’internaute et transmettre alors son dossier au juge. Au 30 avril, dernier état en date publié par l’Hadopi (voir graphique ci-dessous), le cumul depuis le tout premier d’entre eux établi en mars 2012 était de 933 dossiers transmis au juge. Le mois de mars a d’ailleurs été le deuxième mois le plus actif en nombre de délibérations de transmission au procureur de la République : 85 dossiers, soit cinq de moins que les 90 dossiers transmis en octobre dernier – le plus haut niveau mensuel à ce jour. Cette recrudescence de dossiers « judiciaires » n’est pas le fait d’un quelconque excès de zèle de l’Hadopi, mais le résultat d’une décision prise dès 2014 de sélectionner les dossiers les plus graves (internautes recourant à plusieurs logiciels peer-to-peer, récidive aggravée malgré plusieurs premières et deuxièmes recommandations, etc).
La Commission de protection des droits (CPD), dont la nouvelle présidente est Dominique Guirimand (photo), se réunit chaque semaine le mercredi. Mais, selon nos informations, elle ne se réunit que trois fois durant ce mois de mai. Résultat : c’est en juin que la barre des 1.000 dossiers transmis à la justice sera allègrement franchie.
En revanche, il est un autre chiffre que l’on ne connaît pas précisément, c’est celui
des décisions de justice prononcées ensuite. « A ce jour, 74 décisions de justice – condamnations et mesures alternatives aux poursuites – ont été portées à la connaissance de la CPD par les juridictions », nous indique Pauline Blassel,
secrétaire générale de l’Hadopi. Plus de la moitié de ces jugements condamnent les internautes pirates à des amendes allant de 50 à 1.000 euros (2), la coupure d’Internet ayant été supprimée en juillet 2013. Sinon, ce sont des rappels à la loi, lorsque ce ne sont pas des classements sans suite de certains dossiers. Certains diront que – après cinq ans et demi de réponse graduée, plus de 6,5 millions de premiers e-mails d’avertissement, plus de 600.000 lettres recommandées et de plus 4.000 constats de négligences caractérisées – le résultat judiciaire est faible face au piratage sur Internet que les industries culturelles continuent de déplorer. Selon une nouvelle étude de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), publiée début mai (3) et réalisée à sa demande par Médiamétrie// NetRatings (4) en coopération avec le CNC (5) et TMG, près d’un tiers des internautes français – 30 %, soit plus de 14 millions – a consulté au moins une fois par mois (visiteurs uniques) un site en ligne de piratage de séries ou de films en 2015 (voir graphique p 10). Ce site peut être du streaming, du direct download (DDL) ou du peer-to-peer (P2P).
« Il est nécessaire de remettre en question l’Hadopi, comme le promettait le président de la République durant la campagne présidentielle. L’échec de l’Hadopi dans ses missions, comme le soulignait la commission d’enquête du Sénat, malgré son budget très supérieur à de nombreuses [autorités administratives indépendantes], doit interroger le législateur », ont justifié une quinzaine de députés dans leur amendement adopté le 29 avril contre l’avis du gouvernement – en attendant une deuxième lecture au Sénat… @

Charles de Laubier