La concentration des médias s’est accélérée en 2015 ; l’année 2016 garantira-t-elle leur indépendance ?

Le numérique accélère la concentration des médias en France entre les mains
– ce qui est unique au monde – d’industriels et de milliardaires. Cela n’émeut pas vraiment le gouvernement, pourtant garant de l’indépendance et du pluralisme des médias. La question de légiférer ou de réglementer se pose.

Vincent Bolloré, Patrick Drahi, Bernard Arnault, Serge Dassault, Pierre Berger, Xavier Niel, Matthieu Pigasse, Arnaud Lagardère, François-Henri Pinault, Bernard Tapie, … Le point commun entre tous ces milliardaires et industriels français réside dans leur mainmise sur la majeure partie des grands médias français.

 

Situation unique au monde
L’emprise des industriels « papivores » sur les médias français s’est accentuée en 2015 sous l’effet de mouvements de concentration où l’on a vu Vincent Bolloré s’emparer de Canal+ via Vivendi, Patrick Drahi de Libération, de L’Express et de NextRadioTV (BFM TV, RMC, …) pour les regrouper au sein du groupe Altice Media, Bernard Arnault du quotidien Le Parisien (alors qu’il est déjà propriétaire des Echos), Serge Dassault de l’éditeur de médias en ligne CCM-Benchmark pour l’intégrer à son groupe Le Figaro, … Et cette valse de fusions et acquisitions dans les médias français devrait se poursuivre en 2016.
Ce contrôle capitalistique sur la presse, la télévision, la radio et leurs déclinaisons numériques est unique au monde. Ce problème, qui ne date pas d’hier, met en doute l’indépendance éditoriale des médias et devient sensible à un peu plus d’un an de la campagne présidentielle très médiatique de 2017. Il y a trois mois, la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin (photo) a laissé entendre, à l’issue d’un conseil des ministres, qu’elle menait une « réflexion sur des mesures réglementaires
ou législatives » pour garantir l’indépendance et le pluralisme de la presse (écrite et audiovisuelle), notamment sur un éventuel élargissement des compétences du CSA (1). « C’est un sujet très important, on doit assurer cette garantie de liberté. [Fleur Pellerin] ouvre ce débat, je ne sais pas quelles en seront les conclusions », avait déclaré Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, lors du compte rendu du conseil
des ministres du 14 octobre dernier (2), abondant dans le sens de Fleur Pellerin.
Cette dernière ne semble toutefois pas disposée à limiter l’emprise capitalistique des industriels dans les médias français. « Sur le plan économique, la France a besoin
de groupes multimédias solides et dynamiques, des fleurons capables d’affronter la compétition internationale », avait d’ailleurs dit la ministre le 3 octobre dans Le Figaro. Cette déclaration ressemble à un blanc-seing donné aux puissants propriétaires de médias français, dans le sens où il ne remet nullement en question le mouvement de concentration en cours. Toutes mesures anti-concentration qui seraient « anti-Bolloré » (dixit Patrick Bloche (3)), « anti- Drahi » ou encore « anti-Arnault » sont d’office écartées par le gouvernement de Manuel Valls. La marge de manoeuvre est donc étroite pour une réflexion en France sur l’indépendance des rédactions et le pluralisme des médias. L’une des nouvelles mesures qui serait étudiées consisterait à introduire dans les conventions signées entre le CSA et les médias des engagements d’indépendance des rédactions : indépendance des journalistes par rapport aux intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs, chartes déontologiques, comités d’éthique (comme le fait Canal+ (4)), protection des journalistes dénonçant les manquements, etc. Si la démarche pourra apparaître comme complémentaire aux obligations existantes de l’audiovisuel hertzien, il en ira plus difficilement pour la
presse écrite où l’autorégulation domine tant bien que mal.
Dans l’audiovisuel, il existe déjà des gardes fou fixés par la loi « Liberté de communication » du 30 septembre 1986 (5) : la part qu’une même personne peut détenir dans le capital d’un service national de télévision, dont l’audience moyenne annuelle dépasse 8 % de l’audience totale des services de télévision, est limitée à 49 % (contre 25 % avant 1994). Cette limitation est même de 20 % pour les participations
« extracommunautaires » (6). Le CSA est chargé de veiller au respect de ce dispositif anti-concentration, tout en veillant lors de l’attribution des fréquences terrestres au respect du pluralisme.

L’année 2016 sera-t-elle décisive ?
Liés aux fréquences hertziennes, ces plafonds n’existent pas dans la presse écrite. Néanmoins, la loi « Liberté de communication » prévoit des restrictions dans les opérations de concentration dans le secteur de la presse : seuil maximal de 30 % de
la diffusion totale en France des quotidiens d’information politique et générale (IPG), différents plafonds de diffusion non cumulatifs (7), plafond capitalistique des 20%
pour les extracommunautaires. Quelles que les soient les mesures réglementaires
ou législatives qui pourraient être présentées au cours de cette nouvelle année 2016
– par amendements dans le projet de loi « Création » ? –, elles ne verraient le jour qu’après arbitrage du président de la République François Hollande et de son Premier ministre. Si cela arrive un jour… @

Charles de Laubier