La réalité augmentée n’augmente pas la rentabilité de Snap malgré la hausse des « snapchatteurs »

Le réseau social Snapchat a beau voir le nombre de ses utilisateurs augmenter de 17 % en 2022, à 375 millions de « snapchatteurs », cela n’empêche pas la société Snap d’augmenter son déficit. Et lors de son « Investor Day » le 16 février, elle devra convaincre sur son avenir en réalité augmentée.

En publiant ses résultats 2022 le 31 janvier, la société californienne Snap a déçu, malgré la hausse de 17 % de ses utilisateurs, à 375 millions, et un objectif d’atteindre entre 382 et 384 millions de « snapchatteurs » d’ici la fin de ce premier trimestre 2023. Pour l’exercice de l’an dernier, le chiffre d’affaires est de 4,6 milliards de dollars, certes en hausse de 12 % sur un an, mais les pertes nettes – 1,4 milliard de dollars – se sont creusées de… 193 %. Son cours de Bourse a décroché à Wall Street et sa capitalisation n’est plus de que 19,3 milliards de dollars (au 09-02-23), bien loin du pic des 54 milliards de dollars d’octobre 2020.

R&D : 2,1 milliards de dollars en 2022
Bien qu’ayant terminé 2022 avec 3,9 milliards de dollars de cash, Snap est par ailleurs très endetté, à hauteur de 3,7 milliards avec une première échéance de remboursement en 2025. De tout cela, le PDG cofondateur de Snap, Evan Spiegel (photo), devra s’en expliquer devant les investisseurs lors de l’« Investor Day » qu’il organise le 16 février prochain dans ses locaux de Santa Monica (Californie). Dans la lettre aux actionnaires datée du 31 janvier (1), l’entreprise a d’ores et déjà prévenu que « le chiffre d’affaires du premier trimestre 2023 devrait être en baisse, entre – 10 % et – 2 % sur un an ».
Snap avait lancé au troisième trimestre 2022 un plan de restructuration qui prévoyait « une réduction d’environ 20 % de [son] effectif mondial » – dont 1.300 suppressions d’emploi en août dernier. Les productions « Snap Originals » et le drone Pixy ont été sacrifiés. Au 31 décembre 2022, ses effectifs étaient de 5.288 de salariés. « Nous sommes en voie de réaliser les 500 millions de dollars de réduction des coûts d’ici le premier trimestre de 2023 », assure le groupe au fantôme (2).
Parallèlement, Snap ne lésine pas sur les dépenses de recherche et développement (R&D) qui s’élèvent à 2,1 milliards de dollars rien qu’en 2022, en forte hausse de 34,7 % sur un an. « Nos efforts de R&D sont axés sur le développement de produits, la technologie publicitaire et l’infrastructure à grande échelle », précise l’entreprise dans son rapport annuel publié par la SEC, le gendarme boursier américain, le 1er février dernier (3). Pour se différencier des Facebook, Instagram et autres TikTok, Snap mise gros sur la réalité augmentée (RA) dont l’écosystème dépasse à ce jour plus de 300.000 créateurs et développeurs qui ont construit plus de 3 millions de « lentilles » de RA (« lens » en anglais) pour permettent la créativité et l’expression de soi. Snapchat s’ouvre directement sur l’appareil photo (« camera ») du smartphone ou de la tablette, voire la webcam de l’ordinateur sur le Web, ce qui facilite la création d’un « snap » et l’envoi de photos et de vidéos à des amis (via messagerie, « map » ou « stories »). Snap vend aussi depuis septembre 2016 – et malgré l’échec de la première version – des lunettes de RA, connectées en Bluetooth et appelées « Spectacles », utilisables sur son réseau social (4). Les lentilles se distinguent des « filtres » (« filter » en anglais) par le fait que les premières sont des animations virtuelles – autrement dit un filtre à réalité augmentée. C’est là que le réseau social au fantôme, très prisé de la génération Z, se distingue de ses concurrents. Y compris sur le marché publicitaire d’où Snap tire l’essentiel de ses revenus : ses offres « Snap Ads » et « AR Ads » proposent aux annonceurs et partenaires des filtres sponsorisés (« sponsored filters ») et des lentilles sponsorisées (« sponsored lenses »), pour peu que les marques se familiarisent avec ces technologies visuelles – surtout en RA. « Nous avons ajouté de nouvelles fonctionnalités et capacités à Lens Studio, notre logiciel de développement de réalité augmentée, qui permettent des expériences plus riches et plus immersives, et aident à approfondir l’engagement », assure Snap.
Mais le contexte macroéconomique (crise sanitaire, inflation, guerre en Ukraine, …) amène des entreprises à réduire leur budget publicitaire, notamment ceux orientés vers la RA souvent utilisée à titre expérimental. Sans parler du durcissement de la protection des données (fin des cookies tiers) qui limite le ciblage et l’efficacité publicitaire. Les autres acteurs du Net surveillent Snap comme un thermomètre pour prendre la température de la publicité en ligne (5).

Plus de 2 millions d’abonnés à Snapchat+
Lancé au début de l’été 2022 dans plusieurs pays, dont la France, le service par abonnement payant Snapchat+ – mais toujours avec publicités – a dépassé les 2 millions de souscripteurs (4,59 euros par mois, ou moins selon la durée de l’engagement), lesquels bénéficient d’exclusivités, d’expérimentations et d’avant-premières. L’avenir de Snapchat est entre les mains d’Evan Spiegel, qui détient 53,1 % des droits de vote de l’entreprise mais seulement 3 % du capital de Snap (6) aux côtés des 17,6 % du chinois Tencent. @

Charles de Laubier

Avec sa gamme Pixel de plus en plus étoffée, Google prend des airs de grand fabricant de smartphones

Près de six ans après avoir lancé ses premiers smartphones Pixel, Google va-t-il enfin s’imposer en 2022 comme un grand fabricant de ces téléphones intelligents ? La filiale d’Alphabet semble avancer à pas comptés, sans doute pour ne pas gêner ses clients « Android », Samsung et Xiaomi en tête.

« Pixel 6 est un énorme pas en avant pour la gamme Pixel, et il a été formidable de voir la réponse des utilisateurs. C’est le Pixel qui se vend le plus vite et nous sensibilisons les consommateurs à la marque. Nous faisons de bons progrès. Je suis emballé par les produits que nous avons à venir », s’était félicité Sundar Pichai, PDG d’Alphabet et de sa filiale Google. C’était le 26 avril dernier, lors de la présentation des résultats du premier trimestre 2022. Quinze jours après, lors de la conférence annuelle des développeurs Google I/O, il intervenait à nouveau pour vanter les atouts de la gamme Pixel qui s’étoffe.

Avec les prochains Pixel 7, le décollage ?
Plus de cinq ans et demi après avoir lancé ses premiers smartphones, en l’occurrence les modèles Pixel et Pixel X, Google est toujours loin d’apparaître dans le « Top 5 » des fabricants mondiaux de ces téléphones intelligents. La filiale d’Alphabet ne divulguant aucun chiffre de ventes de ces appareils, elle reste noyée dans la ligne « Autres », comme dans les classements des ventes de smartphones 2021 de Gartner (1) et de IDC (2). Mais avec les modèles Pixel 6 et Pixel 6 Pro lancés en octobre dernier, ses smartphones « les plus vendus à ce jour », Google semble vouloir accélérer sur ce marché hyperconcurrentiel, quitte à grignoter des parts de marché – si minimes soient-elles pour l’instant – à ses propres clients de son système d’exploitation pour mobile Android. A savoir : le sud-coréen Samsung, éternel numéro un mondial des smartphones (3), les chinois Xiaomi, Oppo et Vivo, et d’autres.
La conférence Google I/O des 11 et 12 mai derniers a été l’occasion de dévoiler le smartphone Pixel 6a qui sera lancé en pré-commande le 21 juillet prochain (le 28 juillet dans les rayons) à un tarif 30 % moins cher que son aîné, le Pixel 6, grâce à un compromis qualité-prix. Mais il est doté de la même puce maison – la Google Tensor dopée à l’intelligence artificielle – que l’on retrouve depuis l’an dernier sur les modèles haut de gamme Pixel 6 et Pixel 6 Pro. Jusqu’aux Pixel 5, la firme de Mountain View utilisait des puces de Qualcomm jugée moins performantes. Avec Tensor, les Pixel se font plus rapides et réactifs – notamment dans la reconnaissance vocale ou le traitement des images, photos et vidéos. Et ce, sans compromettre l’autonomie de la batterie. Autre point commun : le recours à une autre puce propre à Google, la puce de sécurité Titan M2, chargée de la gestion des tâches comme la protection par mot de passe, le cryptage et les transactions sécurisées dans les applications. « Et comme avec les autres appareils de la gamme, Pixel 6a sera parmi les premiers à recevoir la prochaine mise à jour Android 13 », a précisé le 11 mai Soniya Jobanputra (photo de gauche), directrice de la gestion de produit chez Google (4). De son côté, le même jour, le vice-président des appareils et services de Google, Rick Osterloh (photo de droite), a donné un avant-goût de ce que seront les Pixel 7 qu’il a annoncés pour « cet automne » : « Notre prochaine version de Google Tensor alimentera ces appareils destinés à ceux qui veulent la dernière technologie et les performances les plus rapides », a-t-il assuré.
Rick Osterloh inscrit les smartphones de Google dans l’écosystème Pixel qui, outre des écouteurs (Pixel Buds) et d’ordinateurs portables (Pixelbook, ex-Chromebook Pixel), va s’étoffer avec des montres intelligentes (Pixel Watch) à partir de l’automne prochain et des tablettes avec puce Tensor prévues en 2023 pour succéder aux tablettes Pixel Slate (anciennement Pixel C). « Nous construisons la gamme Pixel pour vous donner plus d’options selon les différents budgets et besoins. J’ai hâte que tout le monde voie par lui-même à quel point ces appareils et ces technologies peuvent être utiles, qu’il s’agisse des appareils portables, des téléphones et des tablettes, ou encore de la technologie audio et de la maison intelligente », a expliqué Rick Osterloh (5).

Google mise aussi sur la réparabilité
Google entend aussi jouer la carte de la réparabilité de ses smartphones, après s’être allié en avril dernier avec la société californienne iFixit. Des pièces de rechange d’origine Pixel commencent à être disponibles à l’achat sur Ifixit.com pour les modèles de Pixel 2 à Pixel 6 Pro (piles, écrans de rechange, caméras, kits de réparation avec tournevis et broches). Il en sera de même des futurs modèles Pixel 7. « Si vous ne voulez pas faire des réparations vous-même, nous travaillons déjà en partenariat avec des fournisseurs de réparation indépendants comme uBreakiFix », a signalé Ana Corrales, directrice du hardware grand public chez Google (6). La réparabilité sera étendue à d’autres appareils comme les Chromebook, sans parler du recyclage des matériaux composant tous les produits de Google, et des objectifs de neutralité carbone. @

Charles de Laubier

Huawei, de plus en plus ostracisé dans monde, a trouvé en France un certain asile économique

Au pays d’Ericsson, la justice a débouté le 22 juin dernier Huawei de son action contre son éviction du marché suédois de la 5G. C’est le premier pays de l’Union européenne à bannir le chinois, après les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Unis. En France, c’est du « Je t’aime, moi non plus ».

Le chinois Huawei, numéro un des équipements télécoms 5G et numéro trois mondial des fabricants de smartphones, va-t-il demander l’asile économique à la France pour continuer ses activités en Occident où il est de plus en plus banni ? La question peut prêter à sourire, mais elle n’est pas loin de refléter la réalité de ce qui arrive à la firme de Shenzhen que de nombreux pays dans le monde excluent sous des prétextes de « sécurité nationale » et d’accusations non prouvées de cybersurveillance (Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni, Suède, Inde, …) – mais pas totalement la France.

Débouté aux Etats-Unis et en Suède
« C’était vraiment bien de parler avec Maurice. Merci de m’avoir invité ! VivaTech est une plateforme incroyable pour l’innovation, et elle fait exactement ce dont le monde a besoin en ce moment : rassembler de grands esprits passionnés pour faire un changement », a twitté l’actuel président du groupe Huawei Technologies, Ken Hu (photo), après son échange le 18 juin avec Maurice Lévy, président du conseil de surveillance de Publicis et cofondateur du salon VivaTech. « L’innovation et l’inclusion technologique sont les principaux moteurs d’un monde meilleur après la pandémie », a-t-il aussi lancé (1).
Le même jour, aux Etats-Unis, Huawei Technologies perdait devant une cour d’appel contre une décision prise par la Federal Communications Commission (FCC) le 10 décembre 2020 considérant le fabricant chinois comme « une menace pour la sécurité nationale » (2) et après avoir interdit auparavant aux entreprises américaines d’utiliser les subventions publiques pour financer les achats de la technologie 5G de Huawei. La firme de Shenzhen avait dénoncé devant la justice américaine une décision prise « sans preuves substantielles » et « préjudiciable à l’industrie américaine » (3). De plus, l’entreprise chinoise n’avait pas eu le temps de se défendre et surtout considère comme « inconstitutionnelle » la décision prise fin 2020 sous l’ère Trump de la mettre sur liste noire au nom de la « sécurité nationale » (4). Quatre jours après avoir été débouté à la Nouvelle-Orléans, ce fut cette fois en Suède qu’un nouveau déboire judiciaire est intervenu : le 22 juin dernier, le tribunal administratif de Stockholm a débouté Huawei qui contestait une décision de l’autorité de régulation des télécoms suédoise (PTS), laquelle, en octobre 2020, excluait les chinois Huawei et ZTE des réseaux 5G en Suède au nom là aussi de la « sécurité nationale ». Le jugement suédois ordonne que les équipements télécoms des chinois déjà en place soient enlevés avant le 1er janvier 2025. Huawei devrait faire appel de ce jugement basé uniquement sur des suppositions. L’on comprend, dans ce contexte de bannissement et de revers judiciaires, que Ken Hu ait pu trouver un peu de réconfort en France où le «en même temps » d’Emmanuel Macron permet à Huawei – présent sur l’Hexagone depuis 18 ans (effectif d’un millier d’employés) – de ne pas être complètement ostracisé. Pendant que le Conseil constitutionnel validait début février la loi française « anti-Huawei » du 1er août 2019 au nom des « intérêts de la défense et de la sécurité nationale » (5), le géant chinois des télécoms confirmait son engagement exprimé l’an dernier d’investir 200 millions d’euros dans un nouvelle usine sur l’Hexagone. Il s’agit de sa première usine hors de Chine et celle-ci sera – avec l’aval du gouvernement français – implantée à Brumath, ville alsacienne de 10.000 habitants dans le Bas-Rhin (région Grand-Est), à proximité de Strasbourg – pour y fabriquer des produits sans fil (5G comprise).
Cette usine « Made in France » de Huawei sera opérationnelle dans le courant de l’année 2023 et prévoit de produire l’équivalent de 1 milliard d’euros par an d’équipements télécoms à destination des marchés européens, avec la création « à terme » de 500 emplois direct. Le chinois, qui participait physiquement au Mobile World Congress de Barcelone cette année, a déjà inauguré en octobre 2020 un centre de recherche à Paris « en mathématiques et calculs », avec une trentaine de scientifiques dirigés par le professeur Merouane Debbah, directeur de la R&D chez Huawei France. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, n’avait pas manqué de « féliciter » Huawei pour cette implantation (6).

Huawei investit aussi dans Qwant
La firme de Shenzhen renforce par ailleurs son partenariat avec le moteur de recherche français Qwant, lequel est préinstallé depuis plus d’un an sur les nouveaux smartphones du fabricant chinois – désormais dotés du système d’exploitation-maison, HarmonyOS. Cette fois, le 18 mai dernier, Qwant – que dirige Jean-Claude Ghinozzi depuis début 2020 sous la présidence de Jacques Biot (7) – a approuvé une « émission d’obligations convertibles », dont 8 millions d’euros ont été souscrits par Huawei. Cet investissement obligataire avait été révélé le 12 juin par Politico (8) puis confirmé par Qwant. @

Charles de Laubier

Systèmes d’exploitation des smartphones : le duopole d’Apple et de Google n’est pas tenable

Le duopole de fait constitué par les écosystèmes mobiles Android (Google Play) ou iOS (App Store) pose problèmes non seulement aux éditeurs et développeurs de contenus, mais aussi aux autorités antitrust. L’arrivée d’HarmonyOS de Huawei (avec son AppGallery) pourrait jouer les trouble-fête.

Le duopole Apple-Google en tant qu’écosystèmes mobiles dominants dans le monde, à savoir Android et iOS assortis de leur boutique d’applica-tion respective Google Play et App Store, est de plus en plus mal vécu par les développeurs et les éditeurs qui dénoncent des abus de position dominante et des pratiques monopolistiques. Les OS du petit robot vert et de la marque à la pomme s’arrogent, à eux deux, plus de 95 % de ce marché mondial sur smartphone.

Accusés d’abus de position dominante
Dans le monde, d’après StatCounter, Android domine à lui seul avec plus de 70 % de parts de marché sur smartphones et iOS suit de loin avec plus de 25 % de parts de marché (1). Lorsqu’il s’agit de tablettes, l’écart entre le système d’exploitation de Google et celui de Apple s’avère moins grand : plus de 56 % pour Android et plus de 43 % pour iOS (2). Que cela soit sur smartphone ou sur tablettes, le duopole de Google et d’Apple – dirigé respectivement par Sundar Pichai (photo de gauche) et Tim Cook (photo de droite) – est quasi sans partage. Lancés respectivement en juin 2007 et septembre 2008, iOS et Android ont rapidement évincé du marché des systèmes d’exploitation dits de première génération comme Symbian de Nokia, Blackberry de RIM, Bada de Samsung, Windows Mobile de Microsoft ou encore Palm OS de Palm Computing.
La bataille des OS s’est réduite à peau de chagrin au profit des deux géants américains, Google et Apple, qui font partie du cercle très fermé des GAFAM. Rappelons que Google avait racheté la start-up Android il y a plus de quinze ans pour seulement 50 millions de dollars, puis s’est mis à proposer gratuitement aux fabricants de smartphones dans le monde cet OS (sans frais de licence) à condition que ses propres applications – Gmail, YouTube, Chrome, Google Maps et Google Play Store, etc. – soient installées et mises en avant sur les terminaux mobiles. Depuis, les deux géants sont soupçonnés voire condamnés pour abus de position dominante et pour pratiques anticoncurrentielles (3). Aucun rival européen n’est présent sur ce marché mondial des écosystèmes mobiles, pourtant stratégique. La seule arme du Vieux Continent a été réglementaire, en sanctionnant financièrement Google en juillet 2018 pour abus de position dominante dans le mobile à hauteur de 4,34 milliards d’euros d’amende. Ce fut la plus grosse condamnation pécuniaire de la filiale du groupe Alphabet en Europe (4). En France, la Cnil a pointé – dans une décision datée de janvier 2019 mettant à l’amende Google (50 millions d’euros) – la position dominante du système d’exploitation Android sur le marché français, associée au modèle économique du moteur de recherche bâti sur la publicité personnalisée.
Plus récemment, en juin 2020, Margrethe Vestager, viceprésidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence, lançait deux enquêtes sur les pratiques douteuses de respectivement l’App Store et l’Apple Pay de la marque à la pomme. Et ce, à la suite de plaintes distinctes déposées par Spotify pour la musique en ligne et par Kobo du groupe Rakuten pour le livre numérique (5). Globalement, la marque à la pomme compte 1,5 milliard de terminaux sous iOS (smartphones) ou iPadOS (tablettes) dans le monde, tandis que 500 millions de personnes utilisent l’App Store régulièrement.
Concernant la boutique en ligne (App Store), l’enquête européenne porte sur « l’utilisation obligatoire du système d’achat intégré [in-app, ndlr] propriétaire d’Apple et sur les restrictions de la capacité des développeurs à informer les utilisateurs d’iPhone et d’iPad de possibilités d’achat moins coûteuses en dehors des applications ». Concernant cette fois le système de paiement électronique (Apple Pay), sont dans le collimateur européen « les modalités, conditions et autres mesures imposées par Apple pour l’intégration d’Apple Pay dans les applications commerciales et les sites web commerciaux sur les iPhone et les iPad, sur la limitation instaurée par Apple de l’accès à la fonctionnalité de communication en champ proche (NFC) dite tap-and-go sur les iPhone pour les paiements [sans contact, ndlr] en magasin, ainsi que sur des refus allégués d’accès à Apple Pay ».

Joe Biden, prêt à réguler Internet
Aux Etats-Unis, Google (Alphabet) répond depuis octobre 2020 devant la justice à propos de son moteur de recherche monopolistique. De son côté, le département de la justice américaine, le DoJ, s’apprête à demander aussi des comptes à Apple sur ses pratiques liées à son écosystème App Store. Le rapport du groupe spécial antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (6), avait appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Les auteurs parlementaires de ce pavé dans la marre des GAFA se sont penchés sur les deux écosystèmes dominants des smartphones, qui ont en commun d’être quelque peu verrouillés et anticoncurrentiels. Le nouveau président américain, Joe Biden, semble disposé à réguler Internet et le monde merveilleux des applications (7).

Spotify, Epic Games, Tinder, Deezer, Facebook…
A propos d’Android, l’enquête américaine a démontré que « Google a utilisé Android pour enraciner et étendre sa domination de multiples façons qui minent la concurrence : en utilisant des restrictions contractuelles et des dispositions d’exclusivité pour étendre le monopole de recherche de Google des ordinateurs de bureau aux téléphones mobiles, et en favorisant ses propres applications ; en concevant “Android Lockbox”, un processus secret pour suivre les données en temps réel sur l’utilisation et l’engagement de tiers-partie des applications, dont certains étaient des concurrents de Google ». En outre, la boutique d’application Play Store de Google fonctionne maintenant comme « un “gardien de l’accès” (gatekeeper) que la filiale d’Alphabet utilise de plus en plus pour augmenter les frais et favoriser ses propres applications ».
Globalement, dénonce le rapport, les pratiques commerciales d’Android révèlent comment Google a maintenu sa domination de recherche « en s’appuyant sur diverses restrictions contractuelles qui ont bloqué la concurrence et par l’exploitation des asymétries d’information, plutôt que par la concurrence sur les mérites ». Pour maintenir sa domination de son moteur de recherche, la filiale d’Alphabet a exigé que tout fabricant de smartphones, souhaitant une licence Android, préinstalle Google Search et Google Play Store, aux côtés de bien d’autres applications sélectionnées par le géant du Net. « Google a également offert aux fabricants d’appareils mobiles des accords de partage des revenus » (8).
A propos d’iOS, cette fois, l’enquête américaine a démontré que la puissance de marché d’Apple est pérenne en raison des coûts de commutation élevés, du verrouillage de l’écosystème et de la fidélité de la marque. Apple est le seul maître à bord de l’écosystème iOS en tant que gatekeeper sur la distribution de logiciels sur les terminaux iPhone et iPad. « Par conséquent, [la firme de Cupertino] occupe une position dominante sur le marché des boutiques d’applications mobiles et détient le monopole de la distribution d’applications logicielles sur les appareils iOS ». App Store est non seulement un passage obligé pour que les éditeurs et les développeurs puissent atteindre les utilisateurs de la pomme, mais aussi la boutique d’applications est la seule proposée sur les terminaux d’Apple qui ne permettent pas l’installation d’autres magasins d’applications que le sien, ni aux applications d’être mises en dehors de son écosystème (9). « Les développeurs ont expliqué qu’Apple sape activement les progrès du Web ouvert sur iOS pour pousser les développeurs à construire des applications natives sur iOS plutôt que d’utiliser les technologies web », rapportent les auteurs de l’enquête parlementaire. Côtés royalties, Apple empoche une commission de 30 % sur les applications mobiles vendues sur son App Store et sur les achats effectués dans l’appli sous iOS, ces frais étant appelés In-app Purchases (IAP), que cela soit pour des biens ou des services numériques. Quant aux abon-nements proposés par une application, ils sont facturés là aussi sous une forme de commission de 30 % pour la première année et de 15 % pour les années suivantes (10).
Ce sont ces émoluments élevés que contestent Spotify, le numéro un mondial des plateformes de streaming musical, et Epic Games (éditeur du jeu vidéo « Fortnite »). Le suédois et l’américain, rejoints par d’autres éditeurs numérique tels que le français Deezer et l’américain Match Group (éditeur du site de rencontres Tinder), fustigent cette « taxe Apple » qu’ils considèrent bien trop élevée et déloyale. Sous la pression, Apple a réduit de moitié depuis le 1er janvier 2021, soit à 15 %, la commission prélevée sur les ventes effectuées par les « petits développeurs » (dont les revenus sont inférieurs à 1 million de dollars dans l’année), lesquels constituent tout de même la majorité des éditeurs. Cela n’empêche : après les Etats-Unis et l’Australie, Epic Games a porté plainte contre Apple et Google au Royaume-Uni cette fois. Une première confrontation a eu lieu le 21 janvier devant le tribunal d’appel de la concurrence (11), d’après BBC News (12). Par ailleurs, en Californie, Facebook fustige – quitte à porter l’affaire devant la justice (13) – l’obligation de plus de transparence imposée par Apple sur la collecte des données et le ciblage publicitaire.

Ecosystème HarmonyOS-AppGallery en vue
« Il est peu probable qu’il y aura une entrée de marché réussie pour contester la domination d’iOS et Android », avait affirmé le rapport antitrust. Mais n’est-ce pas sans compter sur Huawei ? Le géant chinois déploie son propre système d’exploitation mobile – HarmonyOS – après avoir été interdit par l’administration Trump de travailler avec Google. La version bêta commence à être installée dans des smartphones Huawei. Après cet embargo américain l’empêchant d’utiliser Android et le Google Play, la firme de Shenzhen mise gros. Mais son écosystème HarmonyOS et sa boutique d’applications AppGallery pourraient, après la Chine, s’attaquer au duopole Google-Apple. @

Charles de Laubier

Orange et Deutsche Telekom: et encore une alliance

En fait. Le 15 juin, Orange et Deutsche Telekom ont renforcé leur stratégie d’« alliance », cette fois entre leur filiale respective Deutsche Telekom Global Carrier et Orange International Carriers. Depuis dix ans, les deux opérateurs télécoms historiques mettent de plus en plus en commun – en rêvant de fusion.

En clair. Six mois après qu’Orange ait apporté un démenti formel aux informations du quotidien allemand Handelsblatt selon lequel un rapprochement avec Deutsche Telekom était en discussion, et sur fond de lobbying des opérateurs télécoms historiques auprès de la Commission européenne pour l’inciter à favoriser des rapprochements entre eux (1), voici que le français et l’allemand resserre encore plus leurs liens. Les deux opérateurs télécoms nouent une nouvelle alliance : faire cause commune sur le marché des services dits IPX, via leur filiale respective de prestation de gros Deutsche Telekom Global Carrier et Orange International Carriers.
IPX désigne les services d’interconnexion du trafic Internet sécurisé, voix et data, au niveau mondial. Sans IPX, pas d’échange de trafic IP entre les clients des différents opérateurs mobile, fixe ou Internet. Autant dire que cette alliance annoncée le 15 juin entre Orange et Deutsche Telekom n’est pas anodine. « Les entreprises l’ont bien compris : (…) leur réussite dépend de leur capacité à allier leurs forces et à mettre en commun leur expertise », justifient le duo franco-allemand dans un communiqué commun émis depuis Bonn, où Deutsche Telekom a son siège social. Les enjeux sont considérables, avec – outre la 4G – la 5G, l’Internet des objets, les voitures autonomes, la télémédecine ou encore de l’industrie en temps réel. Les deux partenaires veulent notamment « améliorer les services IPX » grâce à la blockchain pour « établir et valider les indicateurs de performance de bout en bout » (2). Il s’agit également d’optimiser le partage des données, selon le principe déjà très pratiqué de peering, entre fournisseurs de points d’interconnexion IPX dans le monde.
Cela fait dix ans qu’Orange et Deutsche Telekom intensifient leurs relations, toujours sur fond de spéculation quant à leur fusion à terme. Dès 2010, les deux « telcos » avaient regroupé en 2010 leurs activités de téléphonie mobile au Royaume-Uni sous la marque EE puis avaient cédé cet opérateur commun à BT en 2016. En 2011, ils créent une joint venture baptisée BuyIn pour grouper leurs « achats stratégiques » en réseaux, terminaux ou encore matériel informatique. En Pologne, Orange et Deutsche Telekom ont mutualisé des infrastructures fibre optique. Et en novembre dernier, Orange a lancé son enceinte connectée à commande vocale Djingo développée avec Deutsche Telekom. @