Avec sa gamme Pixel de plus en plus étoffée, Google prend des airs de grand fabricant de smartphones

Près de six ans après avoir lancé ses premiers smartphones Pixel, Google va-t-il enfin s’imposer en 2022 comme un grand fabricant de ces téléphones intelligents ? La filiale d’Alphabet semble avancer à pas comptés, sans doute pour ne pas gêner ses clients « Android », Samsung et Xiaomi en tête.

« Pixel 6 est un énorme pas en avant pour la gamme Pixel, et il a été formidable de voir la réponse des utilisateurs. C’est le Pixel qui se vend le plus vite et nous sensibilisons les consommateurs à la marque. Nous faisons de bons progrès. Je suis emballé par les produits que nous avons à venir », s’était félicité Sundar Pichai, PDG d’Alphabet et de sa filiale Google. C’était le 26 avril dernier, lors de la présentation des résultats du premier trimestre 2022. Quinze jours après, lors de la conférence annuelle des développeurs Google I/O, il intervenait à nouveau pour vanter les atouts de la gamme Pixel qui s’étoffe.

Avec les prochains Pixel 7, le décollage ?
Plus de cinq ans et demi après avoir lancé ses premiers smartphones, en l’occurrence les modèles Pixel et Pixel X, Google est toujours loin d’apparaître dans le « Top 5 » des fabricants mondiaux de ces téléphones intelligents. La filiale d’Alphabet ne divulguant aucun chiffre de ventes de ces appareils, elle reste noyée dans la ligne « Autres », comme dans les classements des ventes de smartphones 2021 de Gartner (1) et de IDC (2). Mais avec les modèles Pixel 6 et Pixel 6 Pro lancés en octobre dernier, ses smartphones « les plus vendus à ce jour », Google semble vouloir accélérer sur ce marché hyperconcurrentiel, quitte à grignoter des parts de marché – si minimes soient-elles pour l’instant – à ses propres clients de son système d’exploitation pour mobile Android. A savoir : le sud-coréen Samsung, éternel numéro un mondial des smartphones (3), les chinois Xiaomi, Oppo et Vivo, et d’autres.
La conférence Google I/O des 11 et 12 mai derniers a été l’occasion de dévoiler le smartphone Pixel 6a qui sera lancé en pré-commande le 21 juillet prochain (le 28 juillet dans les rayons) à un tarif 30 % moins cher que son aîné, le Pixel 6, grâce à un compromis qualité-prix. Mais il est doté de la même puce maison – la Google Tensor dopée à l’intelligence artificielle – que l’on retrouve depuis l’an dernier sur les modèles haut de gamme Pixel 6 et Pixel 6 Pro. Jusqu’aux Pixel 5, la firme de Mountain View utilisait des puces de Qualcomm jugée moins performantes. Avec Tensor, les Pixel se font plus rapides et réactifs – notamment dans la reconnaissance vocale ou le traitement des images, photos et vidéos. Et ce, sans compromettre l’autonomie de la batterie. Autre point commun : le recours à une autre puce propre à Google, la puce de sécurité Titan M2, chargée de la gestion des tâches comme la protection par mot de passe, le cryptage et les transactions sécurisées dans les applications. « Et comme avec les autres appareils de la gamme, Pixel 6a sera parmi les premiers à recevoir la prochaine mise à jour Android 13 », a précisé le 11 mai Soniya Jobanputra (photo de gauche), directrice de la gestion de produit chez Google (4). De son côté, le même jour, le vice-président des appareils et services de Google, Rick Osterloh (photo de droite), a donné un avant-goût de ce que seront les Pixel 7 qu’il a annoncés pour « cet automne » : « Notre prochaine version de Google Tensor alimentera ces appareils destinés à ceux qui veulent la dernière technologie et les performances les plus rapides », a-t-il assuré.
Rick Osterloh inscrit les smartphones de Google dans l’écosystème Pixel qui, outre des écouteurs (Pixel Buds) et d’ordinateurs portables (Pixelbook, ex-Chromebook Pixel), va s’étoffer avec des montres intelligentes (Pixel Watch) à partir de l’automne prochain et des tablettes avec puce Tensor prévues en 2023 pour succéder aux tablettes Pixel Slate (anciennement Pixel C). « Nous construisons la gamme Pixel pour vous donner plus d’options selon les différents budgets et besoins. J’ai hâte que tout le monde voie par lui-même à quel point ces appareils et ces technologies peuvent être utiles, qu’il s’agisse des appareils portables, des téléphones et des tablettes, ou encore de la technologie audio et de la maison intelligente », a expliqué Rick Osterloh (5).

Google mise aussi sur la réparabilité
Google entend aussi jouer la carte de la réparabilité de ses smartphones, après s’être allié en avril dernier avec la société californienne iFixit. Des pièces de rechange d’origine Pixel commencent à être disponibles à l’achat sur Ifixit.com pour les modèles de Pixel 2 à Pixel 6 Pro (piles, écrans de rechange, caméras, kits de réparation avec tournevis et broches). Il en sera de même des futurs modèles Pixel 7. « Si vous ne voulez pas faire des réparations vous-même, nous travaillons déjà en partenariat avec des fournisseurs de réparation indépendants comme uBreakiFix », a signalé Ana Corrales, directrice du hardware grand public chez Google (6). La réparabilité sera étendue à d’autres appareils comme les Chromebook, sans parler du recyclage des matériaux composant tous les produits de Google, et des objectifs de neutralité carbone. @

Charles de Laubier

Ce que les GAFAM pensent de l’« accord politique provisoire » européen sur le Digital Services Act

Les grandes plateformes « systémiques » concernées par la future régulation du Digital Services Act (DSA) font bonne figure face à l’arsenal législatif qui entrera en vigueur d’ici fin 2023. Google, Amazon, Facebook, Apple ou encore Microsoft devront être plus précautionneux en Europe. Qu’en disent-ils ?

« Nous apprécions les efforts déployés pour créer un marché unique numérique européen plus efficace, clarifier les responsabilités de chacun et protéger les droits en ligne », a déclaré Victoria de Posson (photo de gauche), directrice des affaires publiques de la CCIA Europe, la représentation à Bruxelles de l’association américaine du même sigle, dont sont notamment membres les géants du Net, mais pas Microsoft (1). Elle « reconnaît le travail acharné des décideurs pour parvenir à cet accord historique », tout en mettant un bémol : « Cependant, un certain nombre de détails importants restent à éclaircir » (2). C’est le cas des obligations de retrait de contenus notifiés comme illicites.

« Accord politique provisoire » : et après ?
Car ce qui a été signé le 23 avril vers 2 heures du matin (3), après de longues négociations entamées la veille, n’est encore qu’un « accord politique provisoire » obtenu à l’arrachée entre les négociateurs de la commission « marché intérieur et protection des consommateurs » (Imco), tête de file dans le processus législatif de ce projet de règlement européen sur les services numériques, et le Conseil de l’Union européenne – dont Cédric O représentait la France qui préside l’Union européenne jusqu’au 30 juin prochain. Le DSA en cours de finalisation prévoit de réguler les grandes plateformes numériques dites « systémiques » pour : les obliger à lutter contre le piratage et les contenus illicites, les contraindre à donner accès à leurs algorithmes, les amener à renforcement de la protection des mineurs notamment vis-à-vis des contenus pornographiques ou vis-à-vis de la publicité ciblée fondée sur des données sensibles (orientation sexuelle, religion, origine ethnique, etc.), les forcer à mieux informer les utilisateurs sur la manière dont les contenus leur sont recommandés.
Mais le diable étant dans « les détails importants », la CCIA Europe attend beaucoup de la dernière ligne droite de ce texte unique au monde. Selon les informations de Edition Multimédi@, ce futur règlement DSA devra être approuvé par le Coreper, à savoir le comité des représentants permanents au Conseil de l’UE, et par l’Imco. « Nous espérons que le vote final en plénière aura lieu en juillet, mais cela doit encore être confirmé. Le vote en plénière sera suivi d’un accord formel au Conseil de l’UE », indique une porte-parole du Parlement européen. Pour l’heure, le texte passe par les fourches caudines des juristes-linguistes pour être finalisé techniquement et vérifié jusqu’à la virgule près. Une fois la procédure terminée, probablement l’été prochain, il entrera en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l’UE – sous la présidence cette fois de la République tchèque – et les règles commenceront à s’appliquer quinze mois après, c’est-à-dire au second semestre 2023. Car un règlement européen s’applique dans sa totalité et directement, contrairement à une directive européenne qui donne des objectifs à atteindre par les Etats membres, en leur accordant un délai de plusieurs mois pour les transposer dans la législation nationale.
Les GAFAM auront le temps (quinze mois) de se préparer pour ne pas tomber sous le coup de cette nouvelle loi européenne. Par ailleurs, il ne faudra pas s’attendre à ce que le voyage prévu du 23 au 27 mai prochain dans la Silicon Valley par une délégation de la commission Imco – pour notamment visiter plusieurs sièges sociaux de Big Tech telles que Meta (ex-Facebook), Google ou Apple – change les données du problème. Cette délégation d’eurodéputés y rencontrera également d’autres entreprises du numérique, des start-up, des universitaires américains ainsi que des représentants du gouvernement. « La mission aux Etats-Unis n’affectera pas l’accord politique déjà conclu avec les autres institutions. Elle sera une occasion d’explorer plus en profondeur les questions actuelles liées aux dossiers en cours sur le marché unique numérique au sein de la commission du marché intérieur (Imco) », nous précise la porte-parole du Parlement européen.

Attention aux libertés fondamentales
Cette escapade au pays des GAFAM sera notamment une opportunité pour les députés d’examiner la législation américaine sur le commerce électronique et les plateformes, en faisant le point sur les négociations récemment conclues en rapport avec les dossiers DSA et DMA (Digital Markets Act, pendant concurrentiel du DSA), ainsi que sur d’autres dossiers en cours comme celui sur l’intelligence artificielle. Également contactée, Victoria de Posson n’attend « pas d’impact sur le DSA » de ce voyage. Reste que le DSA, lui, ne sera pas facile à mettre en oeuvre par les GAFAM tant il touche à la liberté des internautes européens. C’est en tout cas ce que pointe DigitalEurope (ex-Eicta), organisation professionnelle des GAFAM entre autres Big Tech (4), et également installée à Bruxelles : « Le cadre du DSA crée un ensemble d’obligations à plusieurs niveaux pour différents types et tailles de services Internet, dont certains seront très complexes à mettre en oeuvre parce qu’ils touchent aux droits fondamentaux comme la liberté d’expression. Nous exhortons tous les intervenants à collaborer de façon pragmatique pour obtenir les meilleurs résultats », prévient sa directrice générale, Cecilia Bonefeld-Dahl (photo de droite).

Retrait de contenus : risque de censure
Bien que le futur règlement sur les services numériques aidera, d’après DigitalEurope, à rendre l’Internet plus sûr et plus transparent, tout en réduisant la propagation de contenus illégaux et de produits dangereux en ligne, « la modération du contenu sera toujours difficile, compte tenu des intérêts concurrents en cause » (5). D’autant que la réglementation d’Internet est un équilibre entre la protection des droits fondamentaux comme la liberté d’expression, d’une part, et la prévention des activités illégales et nuisibles en ligne, d’autre part.
Il y a un an, dans un « position paper » sur le DSA, DigitalEurope se félicitait déjà que « la proposition préserve les principes fondamentaux de la directive sur le commerce électronique, qui ont permis à l’Europe de se développer et de bénéficier d’une économie Internet dynamique ». Et de se dire satisfaite : « Le maintien de principes tels que la responsabilité limitée, l’absence de surveillance générale et le pays d’origine est essentiel à la poursuite de l’innovation et de la croissance de ces services numériques en Europe et sera crucial pour une reprise économique rapide ». Par exemple, le lobby des GAFAM a souligné que le DSA reconnaît que le contenu préjudiciable (mais légal) exige un ensemble de dispositions différent du contenu illégal. Le contenu nuisible et contextuel, difficile à définir, peut être subjectif sur le plan culturel et est souvent juridiquement ambigu. Est apprécié également le fait que le texte impose aux plateformes numériques des « exigences de diligence raisonnable » (signaleurs fiables, traçabilité des négociants et mécanismes de transparence), « de façon proportionnelle et pratique ». De plus, DigitalEurope est favorable pour fournir aux intervenants une transparence significative au sujet des pratiques de modération du contenu et d’application de la loi. « Toutefois, ajoute DigitalEurope, il sera important que les mesures de transparence du DSA garantissent que la vie privée des utilisateurs est protégée, que les mauvais acteurs ne peuvent pas manipuler le système et que les renseignements commerciaux sensibles ne sont pas divulgués » (6).
Les intermédiaires de l’écosystème numérique, à savoir les plateformes en ligne que sont les réseaux sociaux et les places de marché, devront prendre des mesures pour protéger leurs utilisateurs contre les contenus, les biens et les services illicites. Une procédure de notification et d’action plus claire permettra aux utilisateurs de signaler du contenu illicite en ligne et obligera les plateformes en ligne à réagir rapidement (les contenus cyberviolents comme le « revenge porn » seront retirés immédiatement). Et ces notifications devront être traitées de manière non-arbitraire et non-discriminatoire, tout en respectant les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et la protection des données. Quant aux places de marché en ligne, elles seront plus responsables : les consommateurs pourront acheter des produits et services en ligne sûrs et non-illicites, « en renforçant les contrôles permettant de prouver que les informations fournies par les vendeurs sont fiables (principe de “connaissance du client”, (…) notamment via des contrôles aléatoires ».
En cas d’infraction à toutes ces obligations et bien d’autres, des pénalités pécuniaires sont prévues à l’encontre des plateformes en ligne et des moteurs de recherche qui pourront se voir infliger des amendes allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial. Concernant les très grandes plateformes (disposant de plus de 45 millions d’utilisateurs), la Commission européenne aura le pouvoir exclusif d’exiger le respect des règles. Algorithmes de recommandation, publicité en ligne, protection des mineurs, choix et désabonnement facilités, compensation des utilisateurs en cas d’infraction, … Une multitude de mesures en faveur du consommateur seront mises en place pour un Internet plus sûr.

Bruxelles dompte la Silicon Valley
Par exemple, les plateformes numériques qui utilisent des « systèmes de recommandation » – basés sur des algorithmes qui déterminent ce que les internautes voient à l’écran – devront fournir au moins une option qui ne soit pas fondée sur le profilage des utilisateurs. « Les très grandes plateformes devront évaluer et atténuer les risques systémiques et se soumettre à des audits indépendants chaque année », est-il en outre prévu (7). Malgré la distance de 8.894 km qui les séparent, Bruxelles et la Silicon Valley n’ont jamais été aussi proches. @

Charles de Laubier

Le système d’exploitation Linux fête ses 30 ans : un « cancer » qui fait désormais du bien à Microsoft

« Linux est un cancer qui s’attache, en termes de propriété intellectuelle, à tout ce qu’il touche. C’est ainsi que fonctionne la licence », fustigeait il y a 20 ans Microsoft par la voix de son PDG d’alors, Steve Ballmer. Son successeur, Satya Nadella, a adopté cet OS open source créé il y a 30 ans.

C’est à un journaliste du Chicago Sun-Times, lors d’un déjeuner de presse le 31 mai 2001, que Steve Ballmer avait tiré à boulets rouges sur le système d’exploitation libre de droit lancé dans sa première version le 17 septembre 1991 par son créateur le Finlandais Linus Torvalds (photo). « Linux est un cancer », avait osé affirmer le PDG de Microsoft à l’époque – et successeur du fondateur Bill Gates – dans sa réponse à la question « Considérez-vous Linux et le mouvement opensource comme une menace pour Microsoft ? » (1).

Du « cancer » à la greffe ouverte
L’ancien patron de l’éditeur de Windows avait aussi assuré que Linux n’était pas une menace pour son système d’exploitation pour PC : « Oui. C’est une bonne concurrence. Cela nous forcera à innover. Cela nous forcera à justifier les prix et la valeur que nous offrons. Et ce n’est que sain ». Ce qu’il considérait comme une tumeur maligne a finalement été adopté par son successeur et actuel PDG depuis février 2014, Satya Nadella. Microsoft adhère en novembre 2016 à la fondation Linux (2) qui standardise les développements open source autour du noyau (kernel) de Linus Torvalds. La firme de Redmond en est même devenue membre platinum aux côtés de Facebook, Huawei, IBM/Red Hat, Oracle, Samsung, Tencent, AT&T, Nec, Ericsson ou encore Intel. Les dénigrements envers Linux de la part de Microsoft, alors soupçonné d’abus de position dominante avec Windows (3), ont laissé place à une lune de miel qui perdure : depuis 2015, Linux fonctionne sur Azure, le cloud devenu core business de Microsoft ; depuis 2017, le célèbre logiciel libre peut faire tourner une base de données SQL Server de Microsoft. Satya Nadella entend ainsi rendre le groupe moins dépendant de l’OS (4) historique Windows, lequel est de plus en plus concurrencé par Android de Google et dans une moindre mesure par l’iOS d’Apple.
Le patron indo-américain a ainsi élargi le champs d’action de Microsoft, en adoptant un écosystème (Linux) bien plus vaste que le sien et en augmentant sa communauté de développeurs informatiques (logiciels, applis mobiles, sites web, objets connectés, …). En 2018, Microsoft a en outre racheté la plateforme de développement de logiciels libres GitHub pour 7,5milliards de dollars. Comptant à ce jour plus de 65 millions de développeurs et 3 millions d’organisations, la désormais filiale de Microsoft est considérée comme le plus grand hébergeur au monde de « code source », avec plus de 200 millions de dépôts de projets logiciel. Puis c’est en 2019 que la firme de Redmond met un noyau de Linux dans Windows 10, en lieu et place d’un simple émulateur, afin de satisfaire un peu plus les Linuxiens. La même année, cette « politique d’ouverture » pousse Microsoft à rendre disponible 20.000 lignes de code pour permettre à Linux d’être utilisé sous Windows Server. En 30 ans d’existence, Linux a ainsi su s’imposer partout et souvent à l’insu des utilisateurs eux-mêmes. Conçu à l’origine pour les ordinateurs personnels basés sur le micro-processeur Intel x86, Linux est devenu de fait le système d’exploitation le plus répandu au monde. Basé sur Linux, Android de Google pour smartphones – 72,2 % des OS mobiles dans le monde, selon StatCounter (5) à juillet 2021 – lui assure en effet une emprise indirecte sans précédent et à faire pâlir l’éditeur de Windows qui a subi un cuisant échec avec son Windows Phone (0,02% de parts de marché mobile…).
Pour autant, directement sur les ordinateurs de bureau cette fois, Linux n’est présent que sur près de 2,4 % du parc mondial – là où Windows s’arroge encore 73 % de parts de marché, et loin devant les 15,4 % de l’OS X d’Apple (6). Mais là aussi, Google s’appuie sur Linux pour son Chrome OS qui occupe 1,2 % du parc des ordinateurs de bureau via les Chromebook. C’est sur les serveurs web que Linux est plébiscité par 40 % d’entre eux dans le monde, d’après W3Techs : à fin août, Linux est en effet utilisé par 51.9 % des serveurs web utilisant une catégorie d’Unix, lequel fait fonctionner 77,3 % des serveurs web – contre 22,9 % pour Windows (7). Enfin, sur dans la catégorie des superordinateurs, Top500.org a indiqué en juin dernier que Linux fait tourner pas moins de 52,8 % d’entre eux (8).

Gaming, Smart TV et objets connectés
« J’utilise Linux pour le contrôle intégral de la station de travail sur laquelle j’opère, justifie Sornin, un des nombreux aficionados de l’OS de Linus Torvalds. Le côté open source est très bénéfique en termes de sécurité et de perfectionnement du système d’exploitation. En revanche, le gaming sur Linux est un peu moyen ». Les jeux sur mobile, eux, performent sur Android alias Linux. Avec par ailleurs l’explosion des appareils intelligents – Smart TV par exemple – et objets connectés (IoT), le meilleur rival et partenaire de Microsoft est encore voué à un bel avenir. Linus Torvalds, lui, a lancé le 29 août (9) un appel à tester la version 5.14 du kernel. @

Charles de Laubier

Systèmes d’exploitation des smartphones : le duopole d’Apple et de Google n’est pas tenable

Le duopole de fait constitué par les écosystèmes mobiles Android (Google Play) ou iOS (App Store) pose problèmes non seulement aux éditeurs et développeurs de contenus, mais aussi aux autorités antitrust. L’arrivée d’HarmonyOS de Huawei (avec son AppGallery) pourrait jouer les trouble-fête.

Le duopole Apple-Google en tant qu’écosystèmes mobiles dominants dans le monde, à savoir Android et iOS assortis de leur boutique d’applica-tion respective Google Play et App Store, est de plus en plus mal vécu par les développeurs et les éditeurs qui dénoncent des abus de position dominante et des pratiques monopolistiques. Les OS du petit robot vert et de la marque à la pomme s’arrogent, à eux deux, plus de 95 % de ce marché mondial sur smartphone.

Accusés d’abus de position dominante
Dans le monde, d’après StatCounter, Android domine à lui seul avec plus de 70 % de parts de marché sur smartphones et iOS suit de loin avec plus de 25 % de parts de marché (1). Lorsqu’il s’agit de tablettes, l’écart entre le système d’exploitation de Google et celui de Apple s’avère moins grand : plus de 56 % pour Android et plus de 43 % pour iOS (2). Que cela soit sur smartphone ou sur tablettes, le duopole de Google et d’Apple – dirigé respectivement par Sundar Pichai (photo de gauche) et Tim Cook (photo de droite) – est quasi sans partage. Lancés respectivement en juin 2007 et septembre 2008, iOS et Android ont rapidement évincé du marché des systèmes d’exploitation dits de première génération comme Symbian de Nokia, Blackberry de RIM, Bada de Samsung, Windows Mobile de Microsoft ou encore Palm OS de Palm Computing.
La bataille des OS s’est réduite à peau de chagrin au profit des deux géants américains, Google et Apple, qui font partie du cercle très fermé des GAFAM. Rappelons que Google avait racheté la start-up Android il y a plus de quinze ans pour seulement 50 millions de dollars, puis s’est mis à proposer gratuitement aux fabricants de smartphones dans le monde cet OS (sans frais de licence) à condition que ses propres applications – Gmail, YouTube, Chrome, Google Maps et Google Play Store, etc. – soient installées et mises en avant sur les terminaux mobiles. Depuis, les deux géants sont soupçonnés voire condamnés pour abus de position dominante et pour pratiques anticoncurrentielles (3). Aucun rival européen n’est présent sur ce marché mondial des écosystèmes mobiles, pourtant stratégique. La seule arme du Vieux Continent a été réglementaire, en sanctionnant financièrement Google en juillet 2018 pour abus de position dominante dans le mobile à hauteur de 4,34 milliards d’euros d’amende. Ce fut la plus grosse condamnation pécuniaire de la filiale du groupe Alphabet en Europe (4). En France, la Cnil a pointé – dans une décision datée de janvier 2019 mettant à l’amende Google (50 millions d’euros) – la position dominante du système d’exploitation Android sur le marché français, associée au modèle économique du moteur de recherche bâti sur la publicité personnalisée.
Plus récemment, en juin 2020, Margrethe Vestager, viceprésidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence, lançait deux enquêtes sur les pratiques douteuses de respectivement l’App Store et l’Apple Pay de la marque à la pomme. Et ce, à la suite de plaintes distinctes déposées par Spotify pour la musique en ligne et par Kobo du groupe Rakuten pour le livre numérique (5). Globalement, la marque à la pomme compte 1,5 milliard de terminaux sous iOS (smartphones) ou iPadOS (tablettes) dans le monde, tandis que 500 millions de personnes utilisent l’App Store régulièrement.
Concernant la boutique en ligne (App Store), l’enquête européenne porte sur « l’utilisation obligatoire du système d’achat intégré [in-app, ndlr] propriétaire d’Apple et sur les restrictions de la capacité des développeurs à informer les utilisateurs d’iPhone et d’iPad de possibilités d’achat moins coûteuses en dehors des applications ». Concernant cette fois le système de paiement électronique (Apple Pay), sont dans le collimateur européen « les modalités, conditions et autres mesures imposées par Apple pour l’intégration d’Apple Pay dans les applications commerciales et les sites web commerciaux sur les iPhone et les iPad, sur la limitation instaurée par Apple de l’accès à la fonctionnalité de communication en champ proche (NFC) dite tap-and-go sur les iPhone pour les paiements [sans contact, ndlr] en magasin, ainsi que sur des refus allégués d’accès à Apple Pay ».

Joe Biden, prêt à réguler Internet
Aux Etats-Unis, Google (Alphabet) répond depuis octobre 2020 devant la justice à propos de son moteur de recherche monopolistique. De son côté, le département de la justice américaine, le DoJ, s’apprête à demander aussi des comptes à Apple sur ses pratiques liées à son écosystème App Store. Le rapport du groupe spécial antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (6), avait appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Les auteurs parlementaires de ce pavé dans la marre des GAFA se sont penchés sur les deux écosystèmes dominants des smartphones, qui ont en commun d’être quelque peu verrouillés et anticoncurrentiels. Le nouveau président américain, Joe Biden, semble disposé à réguler Internet et le monde merveilleux des applications (7).

Spotify, Epic Games, Tinder, Deezer, Facebook…
A propos d’Android, l’enquête américaine a démontré que « Google a utilisé Android pour enraciner et étendre sa domination de multiples façons qui minent la concurrence : en utilisant des restrictions contractuelles et des dispositions d’exclusivité pour étendre le monopole de recherche de Google des ordinateurs de bureau aux téléphones mobiles, et en favorisant ses propres applications ; en concevant “Android Lockbox”, un processus secret pour suivre les données en temps réel sur l’utilisation et l’engagement de tiers-partie des applications, dont certains étaient des concurrents de Google ». En outre, la boutique d’application Play Store de Google fonctionne maintenant comme « un “gardien de l’accès” (gatekeeper) que la filiale d’Alphabet utilise de plus en plus pour augmenter les frais et favoriser ses propres applications ».
Globalement, dénonce le rapport, les pratiques commerciales d’Android révèlent comment Google a maintenu sa domination de recherche « en s’appuyant sur diverses restrictions contractuelles qui ont bloqué la concurrence et par l’exploitation des asymétries d’information, plutôt que par la concurrence sur les mérites ». Pour maintenir sa domination de son moteur de recherche, la filiale d’Alphabet a exigé que tout fabricant de smartphones, souhaitant une licence Android, préinstalle Google Search et Google Play Store, aux côtés de bien d’autres applications sélectionnées par le géant du Net. « Google a également offert aux fabricants d’appareils mobiles des accords de partage des revenus » (8).
A propos d’iOS, cette fois, l’enquête américaine a démontré que la puissance de marché d’Apple est pérenne en raison des coûts de commutation élevés, du verrouillage de l’écosystème et de la fidélité de la marque. Apple est le seul maître à bord de l’écosystème iOS en tant que gatekeeper sur la distribution de logiciels sur les terminaux iPhone et iPad. « Par conséquent, [la firme de Cupertino] occupe une position dominante sur le marché des boutiques d’applications mobiles et détient le monopole de la distribution d’applications logicielles sur les appareils iOS ». App Store est non seulement un passage obligé pour que les éditeurs et les développeurs puissent atteindre les utilisateurs de la pomme, mais aussi la boutique d’applications est la seule proposée sur les terminaux d’Apple qui ne permettent pas l’installation d’autres magasins d’applications que le sien, ni aux applications d’être mises en dehors de son écosystème (9). « Les développeurs ont expliqué qu’Apple sape activement les progrès du Web ouvert sur iOS pour pousser les développeurs à construire des applications natives sur iOS plutôt que d’utiliser les technologies web », rapportent les auteurs de l’enquête parlementaire. Côtés royalties, Apple empoche une commission de 30 % sur les applications mobiles vendues sur son App Store et sur les achats effectués dans l’appli sous iOS, ces frais étant appelés In-app Purchases (IAP), que cela soit pour des biens ou des services numériques. Quant aux abon-nements proposés par une application, ils sont facturés là aussi sous une forme de commission de 30 % pour la première année et de 15 % pour les années suivantes (10).
Ce sont ces émoluments élevés que contestent Spotify, le numéro un mondial des plateformes de streaming musical, et Epic Games (éditeur du jeu vidéo « Fortnite »). Le suédois et l’américain, rejoints par d’autres éditeurs numérique tels que le français Deezer et l’américain Match Group (éditeur du site de rencontres Tinder), fustigent cette « taxe Apple » qu’ils considèrent bien trop élevée et déloyale. Sous la pression, Apple a réduit de moitié depuis le 1er janvier 2021, soit à 15 %, la commission prélevée sur les ventes effectuées par les « petits développeurs » (dont les revenus sont inférieurs à 1 million de dollars dans l’année), lesquels constituent tout de même la majorité des éditeurs. Cela n’empêche : après les Etats-Unis et l’Australie, Epic Games a porté plainte contre Apple et Google au Royaume-Uni cette fois. Une première confrontation a eu lieu le 21 janvier devant le tribunal d’appel de la concurrence (11), d’après BBC News (12). Par ailleurs, en Californie, Facebook fustige – quitte à porter l’affaire devant la justice (13) – l’obligation de plus de transparence imposée par Apple sur la collecte des données et le ciblage publicitaire.

Ecosystème HarmonyOS-AppGallery en vue
« Il est peu probable qu’il y aura une entrée de marché réussie pour contester la domination d’iOS et Android », avait affirmé le rapport antitrust. Mais n’est-ce pas sans compter sur Huawei ? Le géant chinois déploie son propre système d’exploitation mobile – HarmonyOS – après avoir été interdit par l’administration Trump de travailler avec Google. La version bêta commence à être installée dans des smartphones Huawei. Après cet embargo américain l’empêchant d’utiliser Android et le Google Play, la firme de Shenzhen mise gros. Mais son écosystème HarmonyOS et sa boutique d’applications AppGallery pourraient, après la Chine, s’attaquer au duopole Google-Apple. @

Charles de Laubier

Indissociable du Web depuis près de 25 ans, Flash – logiciel d’animation vectorielle – tire sa révérence

Le 31 décembre 2020, comme annoncé dès 2017 par la société Adobe qui en fut l’héritière en rachetant Macromedia il y a tout juste quinze ans, le logiciel de lecture d’animations vectorielles Flash Player disparaîtra. Animations, jeux vidéo, publicités ou encore arts graphiques en ont profité.

« Comme les standards ouverts tels que HTML5, WebGL et WebAssembly ont mûri au cours des dernières années, la plupart maintenant fournissent de nombreuses capacités et fonctionnalités que les pionniers des plugins offraient et sont devenus une alternative viable pour le contenu sur le Web » (1), avait expliqué en juillet 2017 la société américaine Adobe Systems, dirigée depuis le début de cette année-là par Shantanu Narayen (photo), pour justifier l’abandon de Flash.

Les industries culturelles « flashées »
Sur le Web, et ses contenus plus ou moins culturels tels que les jeux vidéo, les animations, les vidéos, la publicité ou encore les arts graphiques, le lecteur multimédia Flash a connu son heure de gloire jusqu’au milieu des années 2000. Ce standard d’animation vectorielle est utilisé par YouTube dès sa création en 2005. Disney fait même partie des nombreuses entreprises qui étaient devenues des adeptes du « f ». Son extension « Stage3D » en 2011 a donné une troisième dimension aux images, jusque sur Android (Google) and iOS (Apple). Les navigateurs web – Internet Explorer de Microsoft, Firefox de Mozilla, Chrome de Google ou encore Safari d’Apple – ont tous adopté Flash Player pour permettre à des milliards d’internautes de lire des quantités de contenus multimédias. C’est l’entreprise Macromedia qui fut à l’origine du succès planétaire de Flash. Après avoir racheté en novembre 1996 à la start-up FutureWave le logiciel « FutureSplash Animator » de dessins vectoriels et d’animations frame-by-frame, ce dernier fut rebaptisé « Macromedia Flash 1.0 » avec, d’un côté, un éditeur de graphiques et d’animations (Macromedia Flash) et, de l’autre, un lecteur multimédia (Macromedia Flash Player). En le proposant gratuitement en téléchargement et comme plugin pour les navigateurs web, le Flash Player s’est propagé dans le cyberespace pour devenir un lecteur quasi-universel. En 2005, année du rachat de l’entreprise par Adobe, il était installé sur environ 3 milliards de terminaux – soit sur bien plus de « machines » que ne l’était tout autre format média (2).
Mais face à la montée en puissance créative du HTML historique, notamment avec l’avènement des « feuilles de style en cascade » (3), les sites web construits entièrement sur Flash sont rapidement tombés en disgrâce, reléguant ce format de design au rang de simple plugin vidéo ou interactif. Avec le lancement de l’iPhone en 2007 et l’apparition du développement web Dynamic HTML (adopté par Netscape) et la norme HTML5 (du W3C), plus adaptés à l’interactivité et à la vidéo, le support Flash commence à ne plus être assuré. Steve Jobs a sonné la fin de la récrée dans une « lettre ouverte » publiée le 15 avril 2010 et intitulée « Thoughts on Flash », où le cofondateur christique et gourou de la marque à la pomme détaille sur plus de trois pages (4) les six raisons justifiant son rejet de Flash : ses principaux griefs sont que la plateforme Flash d’Adobe est « propriétaire », comprenez non-ouverte, et qu’elle soulève des problèmes de sécurité. Un extrait de cette open letter résume à elle seule les enjeux réels du bras de fer entre les deux entreprises américaines : « Adobe a déclaré à plusieurs reprises que les appareils mobiles d’Apple ne peuvent pas accéder au “Web complet” parce que 75 % des vidéos sur le Web sont en Flash. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que presque toute ces vidéos sont également disponibles dans un format plus moderne, H.264, et visible sur les iPhone, iPod et iPad. YouTube, avec [il y a dix ans, ndlr] environ 40 % de la vidéo du Web, brille dans une application groupée sur tous [nos terminaux] ».
Shantanu Narayen, PDG d’Adobe (5), lui oppose AIR – anciennement Apollo (6) – qui permet aux développeurs de créer sans problèmes des applications et des jeux multiplateformes pour iOS, Android, Windows et Mac OS. Adobe aura même gain de cause en justice pour forcer l’écosystème fermé (lui-aussi) d’Apple d’accepter d’autres environnements de développement que le sien (7). Adobe fait de « Adobe Animate » son nouvel environnement de création Flash, mais en l’ouvrant sur HTML5… ouvrant la boîte de Pandore. Finalement, le 25 juillet 2017, Adobe annonçait le « End-Of- Life » (8) de Flash et de son Flash Player. Des développeurs ont bien résisté, en vain, avec notamment une pétition en faveur d’un Flash ouvert (9).

Navigateurs web et Adobe désactivent
Mais les navigateurs web, à commencer par Chrome de Google et Firefox de Mozilla, vont alors désactiver par défaut Flash dans leurs mises à jour (10). Edge de Microsoft a suivi. En janvier 2021, tous le bloqueront. Et Abobe prendra part à cette mise à mort en désactivant, à partir de l’an prochain, les installations existantes. Les nostalgiques de Flash, eux, n’ont plus qu’à se rendre par exemple sur Internet Archive (11) qui, depuis près d’un quart de siècle, sauvegarde le Web. Un émulateur et une librairie Flash (12) ont été mis en place. @

Charles de Laubier