Vente liée de Teams dans la suite « Office 365 » ? Microsoft risque une nouvelle amende européenne

Dans la torpeur de l’été, la Commission européenne a annoncé le 27 juillet avoir ouvert une enquête à l’encontre de Microsoft soupçonné de « vente liée ou groupée » avec son logiciel Teams. La firme de Redmond est coutumière du fait, malgré ses amendes « Mediaplayer » et « Internet Explorer ».

« Les outils de communication et de collaboration à distance comme Teams sont devenus indispensables pour de nombreuses entreprises en Europe. Nous devons donc veiller à ce qu’[elles] soient libres de choisir les produits qui répondent le mieux à leurs besoins. C’est la raison pour laquelle nous examinons si le fait que Microsoft lie ses suites de productivité [Office 365 et Microsoft 365, ndlr] à Teams est susceptible d’enfreindre les règles de concurrence de l’UE », a déclaré Margrethe Vestager (photo de gauche), vice-présidente exécutive de la Commission européenne, chargée de la concurrence. Et ce, avant de prendre congé (1) (*) (**).

21 milliards de dollars d’amende ?
En cas d’infraction aux règles antitrust, telle qu’un abus de position dominante, Microsoft risque de se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires total. Clos le 30 juin dernier, son précédent exercice annuel affiche un total de 211,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le risque de sanction pécuniaire dans cette affaire « Teams » est potentiellement de plus de… 21 milliards de dollars. « Microsoft inclut Teams dans ses suites de productivité cloud bien ancrées pour les clients professionnels Office 365 et Microsoft 365 », a constaté la Commission européenne auprès de laquelle la société américaine Slack Technologies – éditrice de la plateforme de messagerie instantanée du même nom et propriété depuis plus de deux ans du groupe Salesforce – avait porté plainte le 14 juillet 2020. L’exécutif européen craint que « Microsoft n’abuse de sa position et ne [la] défende […] sur le marché des logiciels de productivité en restreignant la concurrence […] en ce qui concerne les outils de communication et de collaboration », et que « Microsoft n’accorde à Teams un avantage en matière de distribution en ne donnant pas aux consommateurs le choix d’inclure ou non l’accès à ce produit lorsqu’ils s’abonnent à ses suites de productivité ». Il y a aussi la crainte que « Microsoft ne limite l’interopérabilité entre ses suites de productivité et les offres des concurrents ».
En résumer, la Commission européenne estime que « ces pratiques peuvent constituer des ventes liées ou groupées anticoncurrentielles et empêcher les fournisseurs d’autres outils de communication et de collaboration d’exercer une concurrence, au détriment des consommateurs » (2). L’affaire « AT.40721 » instruite par l’autorité antitrust européenne (3) a fait réagir Microsoft, qui a annoncé le 31 août dernier – par la voix de Nanna-Louise Linde (photo de droite), vice-présidente de Microsoft en Europe, en charge des affaires publiques – « des changements proactifs qui, nous l’espérons, commenceront à répondre à ces préoccupations de manière significative, alors même que l’enquête de la Commission européenne se poursuit et que nous coopérons avec elle ». Ainsi, la firme de Redmond espère échapper aux sanctions financières en faisant deux changements – à partir du 1er octobre 2023 – pour les clients professionnels de l’Espace économique européen (EEE), lequel comprend les Vingt-sept et trois autres Etats (Islande, Norvège et Liechtenstein), ainsi que de la Suisse. A savoir : « que les clients devraient pouvoir choisir une suite d’affaires sans Teams à un prix inférieur à ceux avec Teams inclus [2 euros de moins par mois ou 24 euros par an, ndlr] ; et que nous devrions faire plus pour faciliter l’interopérabilité entre les solutions de communication et de collaboration rivales [interopérabilité dès maintenant avec Zoom et Slack/ Salesforce, ndlr] et les suites Microsoft 365 et Office 365 ».
Microsoft reconnaît implicitement les reproches qui lui sont faits. Nanna-Louise Linde indique en outre que, « depuis plus d’une décennie », Microsoft a intégré plusieurs logiciels dans ses suites professionnelles, à commencer par Office Communicator en 2007, puis Lync en 2011, Skype Entreprise Online (aliasSkype for Business) en 2016, et Teams en juillet 2018. Microsoft va en outre créer de « nouveaux mécanismes pour permettre aux solutions tierces d’héberger des applications Web Office » (4). Cela évitera-t-il à Microsoft de se voir infliger une nouvelle fois une sanction pécuniaire pour « vente liée ou groupée », comme par le passé ?

Faudrait-il démanteler Microsoft ?
Entre 2004 et 2007, l’éditeur de Windows – toujours premier système d’exploitation pour PC – avait écopé de la part de la Commission européenne d’une amende, alourdie en appel en septembre 2007, de 1,6 milliard d’euros pour vente liée de Mediaplayer (5). Et il y a dix ans, en mars 2013, Microsoft a été sanctionné de 561 millions d’euros par la même Commission européenne pour vente liée de son navigateur Internet Explorer (6). Rappelons qu’en 2000, un juge américain avait prononcé la scission de Microsoft (7), déjà dans une affaire de vente liée de Windows et d’Internet Explorer. La décision judiciaire avait été cassée en appel… @

Charles de Laubier