L’Europe continue de soutenir le Day-and-Date

En fait. Le 14 septembre, la Commission européenne a répondu à Edition Multimédi@ qu’elle continue à soutenir « les expérimentations de sorties simultanées de films en salles et en VOD » mais qu’elle rencontre « des difficultés juridiques et des résistances ». Malgré cela, le programme Media soutient le D&D.

En clair. Selon nos informations auprès de la nouvelle commissaire européenne à l’Economie et à la Société numériques, Mariya Gabriel Mariya (photo) (1), le programme Media de Creative Europe soutient toujours les initiatives de sorties simultanées de films dans les
salles de cinéma (D&D (2)) et en vidéo à la demande (VOD). « Nous soutenons continuellement depuis 2012 des expériences de sorties simultanées sallesVOD, notamment les projets Tide (3) et d’autres expériences menées par des distributeurs tels que Curzon Artificial Eye (4) », nous a répondu Eric Peters, expert  au sein du cabinet de Mariya Gabriel. Malgré un premier bilan décevant des expérimentations
« D&D », établi dès 2014 par le chercheur Thomas Paris et finalisé en 2015 dans un rapport européen (5), la Commission européenne persévère « en dépit, nous dit Eric Peters, des difficultés juridiques et des résistances ». Les appels à propositions se poursuivent dans le cadre de son action « Promotion des œuvres européennes en
ligne » avec le soutien de Creative Europe/Media. Cette année, ce sont près de 10 millions d’euros qui ont été attribués à pas moins de 37 projets innovants pour la promotion, la distribution et la visibilité de films européens – notamment sur les plateformes VOD, parmi lesquelles Filmo TV de la société franco-allemande Wild Bunch, le britannique Curzon Home Cinema, le français Under The Milky Way (de Jérôme Chung), et même Canal+ avec le projet « Making Europe’s greatest Films available online » de sa filiale StudioCanal, et bien d’autres encore comme l’initiative
« European Cinema & VOD Initiative » de l’allemand Rushlake Media (voir https://lc.cx/pbAb).
Parmi tous ces financements, force est constater que la simultanéité salles-VOD reste encore délicate. « De telles sorties peuvent être réalisées dans la mesure où cela est compatible avec les règles en vigueur ou les pratiques commerciales établies. Dans des pays tels que la France ou l’Allemagne, ces expériences doivent s’adapter à la chronologie des médias ou aux conditions du financement public. Dans les pays où il n’y a pas de telles règles, on expérimente des sorties simultanées plutôt pour des films d’auteurs à faible potentiel d’audience », indique le cabinet de Mariya Gabriel. En France, la réglementation datant de 2009 (lire EM@84, p. 5) interdit le D&D. A quand des expérimentations ? @

Comment Netflix a volé la vedette au 70e Festival de Cannes et s’est offert une pub mondiale gratuite

Pour ses vingt ans, Netflix s’est offert une tribune internationale à l’occasion
du Festival de Cannes en bousculant le monde du 7e Art et sa chronologie des médias. Le numéro un mondial de la SVOD, fort de plus de 100 millions d’abonnés, investit plus que jamais – y compris en Europe.

Le numéro un mondial de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) a réussi son coup : faire parler de
lui partout dans le monde – avant et pendant le 70e Festival de Cannes,
et sans financer une quelconque campagne de publicité. Netflix a simplement poussé jusque dans ses retranchements le monde du cinéma, notamment français, arc-bouté sur sa sacro-sainte chronologie des médias, laquelle régit la sortie des nouveaux films à partir de la salle obscure toujours prioritaire.

Simultanéité salles-VOD
Le groupe américain dirigé par son cofondateur Reed Hastings (photo de gauche) a déclenché une vaste polémique en indiquant qu’il entendait diffuser ses deux films candidats en lice pour la Palme d’or – « Okja » du Sud-Coréen Bong Joon-Ho, et
« The Meyerovitz Stories » de l’Américain Noah Baumbach – à la fois sur sa plateforme numérique et dans des salles de cinéma. Alors que Netflix fête cette année ses vingt ans (Reed Hastings ayant lancé Netflix avec Marc Randolph en 1997 pour proposer des films à la location en ligne puis ouvrir ensuite le site web Netflix.com), la plateforme américaine s’est retrouvée au centre d’une polémique où elle est accusée de ne pas vouloir respecter la chronologie des médias.
En France, où s’est tenu durant douze jours à Cannes le Festival international du film, les réactions ont été les plus épidermiques dans la mesure où Netflix a prévenu qu’il
ne diffuserait pas en salles ses deux films sélectionnés pour la Palme d’or si la réglementation française persistait à lui interdire la simultanéité salles- SVOD (1). Comme la chronologie des médias n’a pas évolué en France depuis 2009, et que son évolution n’est pas pour demain après le récent échec des négociations (2), la salle
de cinéma garde son monopole de sortie de films et les plateformes de SVOD comme Netflix reste à… trente-six mois après. Face à la polémique, les organisateurs du Festival de Cannes – présidé par Pierre Lescure, pourtant partisan depuis longtemps d’une évolution de la chronologie des médias – ont modifié le règlement de la grand-messe du 7e Art pour imposer à partir de 2018 une sortie dans les salles françaises pour tout film concourant en compétition. Le patron de Netflix a aussitôt commenté cette décision sur son compte Facebook : « L’ordre établi serre les rangs contre nous. Les exploitants (de salles de cinéma) veulent nous empêcher d’être en compétition à Cannes ». Le 15 mai, à l’avant-veille du coup d’envoi du 70e Festival de Cannes, le directeur des contenus de Netflix, Theodore Sarandos (photo), avait – de Séoul où il présentait le film sud-coréen « Okja » – appelé le cinéma à s’adapter aux nouveaux usages : « Historiquement, de nombreux films arrivent au festival de Cannes sans aucune distribution. (…) Les spectateurs changent. Du coup, la distribution change. Du coup, les festivals (…) vont vraisemblablement changer. De nombreux films pourraient demain y arriver de manière différente ». Et le Content Chief Officer (CCO) d’assurer :
« Nous ne sommes pas opposés à la distribution en salle. Nous souhaitons que tous les films soient projetés en salle et sur la plateforme Netflix en streaming ».
A ses côtés, le réalisateur sud-coréen, a abondé dans son sens : « J’ai récemment vu un film français datant des années 1960 dans lequel un personnage se plaignait du fait que le cinéma était condamné à cause de la télévision. Mais regardez ce qu’il se passe maintenant : aujourd’hui, les gens regardent les films en salle, ou via Blu-ray, via des téléchargements légaux ou Netflix. Cela fait partie d’un combat pour trouver les meilleures manières de cohabiter. (…) Le streaming et la salle coexisteront
finalement ». Son film « Okja », entièrement financé par Netflix avec un budget de
50 millions de dollars et produit par Plan B Entertainment (maison de production fondée par la star américaine Brad Pitt), sortira en Corée du Sud le 29 juin prochain dans des salles de cinéma, puis aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ainsi que sur la plateforme SVOD dans les autres pays.

Abonnés hors-USA plus nombreux
Selon nos estimations, Netflix compte désormais aujourd’hui – en mai 2017 – plus d’abonnés en dehors des Etats-Unis qu’il n’en a sur son marché domestique : selon nos calculs, en fonction de la croissance des trimestres précédents, ils sont plus de 53.000 à l’international (hors pays d’origine donc) à avoir souscrit à la plateforme de SVOD, contre près de 52.000 aux Etats-Unis. C’est la première fois que non seulement les courbes se croisent (3) mais en plus que le total des abonnés de Netflix franchit la barre des 100.000 abonnés au total dans le monde – à 105.000 au mois de mai, toujours selon nos estimations, comparés aux 98.748 abonnés au 31 mars 2017.

Europe, Moyen-Orient et Afrique : renforts
Pour faire face à sa croissance internationale, le groupe de Los Gatos (Californie) a annoncé le 11 mai dernier l’agrandissement de son quartier général basé à Amsterdam (Pays-Bas) pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (EMEA), avec 400 créations d’emplois à la clé d’ici à fin 2018. Cet effectif sera affecté à une nouvelle plateforme multilingue de support à la clientèle – notamment pour ceux situés dans les onze pays européens où Netflix est présent. « L’Europe est un centre créatif pour des histoires géniales qui résonnent à travers le monde et nous continuons d’investir dans du contenu européen », a déclaré Reed Hastings à cette occasion. Netflix affirme avoir investi 1,75 milliard de dollars dans des productions européennes depuis son entrée sur le Vieux Continent en 2012, soit « plus de 90 productions originales à différents stades de développement ».
Après avoir lancé sa première série espagnole « La chicas del cable » (Les filles du câble), le champion mondial de la SVOD a prévu d’annoncer au moins six nouveaux projets originaux européens d’ici la fin de l’année. Netflix en a profité pour présenter deux nouvelles séries originales européennes : la production de la série française
« Osmosis » devrait commencer en France en 2018, tandis que la série « Dogs of Berlin » devrait être réalisée en Allemagne pour être disponible en 2018 également. Netflix n’en est pas à son premier coup d’essai en France. La seconde saison de
« Marseille » est en train d’être tournée. D’autres projets de séries françaises sont attendus.
Malgré l’engagement de la plateforme-productrice pour financer des œuvres françaises, les organisateurs du Festival de Cannes lui mettent une barrière en travers de sa route : la chronologie des médias français qui rend obligatoire la salle de cinéma pour la sortie d’un film. Pourtant, Thierry Frémaux, délégué général de l’Association française du Festival international du film (qui regroupe le Festival de Cannes, le Marché du Film et la Cinéfondation), admet que le cinéma doit changer : « Le cinéma lui-même se voit modifié. L’industrie du cinéma voit venir à elle de nouveaux entrants. Cela peut être des pays comme la Chine, ou de nouveaux producteurs et supports de diffusion, Netflix, Amazon, qui décident d’aider à la création de films. L’an dernier, c’est Amazon qui est venu à Cannes, avec quatre ou cinq films en compétition. (…) Et cette année, coïncidence, Netflix, l’autre grande plateforme, est venue nous proposer des films »,
a-t-il expliqué le 10 mai dernier, en pleine polémique sur Netflix (4). Le même jour, la présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Frédérique Bredin, taclait Netflix : « Je déplore profondément l’intransigeance de Netflix, qui a refusé toute sortie de ces films en salle. Cette décision empêche les spectateurs français de voir librement ces œuvres dans les cinémas, comme c’est la tradition. Il est donc indispensable, comme l’annonce le Festival de Cannes, de modifier le règlement de sa sélection. Dès 2018, tout film en compétition devra obligatoirement sortir dans les salles françaises ». Lors de sa première projection à Cannes, le film
« Okja » a été la cible de sifflets… mais aussi d’applaudissements. « Ce serait un énorme paradoxe que la Palme d’or ou un autre prix décerné à un film ne puisse pas être vu en salles », a estimé le réalisateur espagnol Pedro Almodovar. Rival de Netflix, Amazon était également présent à Cannes avec le film « Wonderstruck », en lice pour la Palme d’or, mais le groupe de Jeff Bezos n’a pas fait de vague sur la Croisette car le géant du e-commerce privilégie, lui, une sortie en salles suivie d’une mise en ligne. De son côté, la société civile des Auteurs-Réalisateurs- Producteurs (ARP) – présidée par Claude Lelouch – s’en est prise à la chronologie des médias : « Plus que jamais, notre régulation apparaît dépassée ». L’ARP avait d’ailleurs bénéficié du soutien financier de Creative Europe (programme MEDIA de la Commission européenne) pour expérimenter la simultanéité salles- VOD au travers des projets Tide en 2012 et Spide en 2014 (5). « Après plusieurs années de concertation sans résultats, nous demanderons au prochain gouvernement de s’emparer rapidement de ce dossier politique », a-t-elle lancé.

La directive SMA appelée à la rescousse
Le 22 mai, des cinéastes européens – dont Costa-Gavras en France et Wim Wenders en Allemagne – ont lancé de Cannes un appel pour « le maintien de la territorialité des droits (d’auteur) » et pour « l’intégration des géants de l’Internet dans l’économie de la création européenne (déterminante pour l’avenir du cinéma) ». Le 23 mai, le Conseil des ministres de la Culture de l’Union européenne a voté – dans le projet de directive SMA (6) – l’évolution de 20 % à 30 % du quota minimum de films européens imposé aux services de VOD/SVOD et le pays de destination pour obliger les « Netflix » à financer des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. Les négociations « SMA » avec le Parlement européen vont pouvoir commencer. @

Charles de Laubier

Orange Studio critique la chronologie des médias

En fait. Le 14 novembre, David Kessler, DG d’Orange Studio et ancien conseiller
« culture et média » de François Hollande à l’Elysée, a critiqué « le facteur bloquant » qu’est la chronologie des médias au détriment de la VOD et de la SVOD. A Edition Multimédi@, il indique son intérêt pour le e-cinéma.

En clair. C’est en marge d’un dîner du Club audiovisuel de Paris (CAVP), dont il était l’invité d’honneur le 14 novembre, que le directeur général d’Orange Studio a indiqué à EM@ son intérêt pour le e-cinéma – qui consiste à diffuser un film directement en VOD sans passer par la salle de cinéma. « Après un premier film diffusé en e-cinéma [“Equals”, financé par Orange Studio et proposé en octobre directement sur toutes les plateformes de VOD, ndlr], nous allons le refaire. Car nous sommes condamnés à le faire pour des films dont nous savons qu’ils ne trouveront pas leur public en salle de cinéma », nous a expliqué David Kessler. « Equals », film de science-fiction, est en
effet proposé depuis le 20 octobre sur la VOD d’Orange, CanalPlay, SFR Vidéo, UniversCiné, MyTF1 VOD, ainsi que sur Google Play et iTunes d’Apple.
Orange n’est pas le premier à pratiquer en France le e-cinéma : le distributeur-producteur Wild Bunch – qui, selon nos informations, est à vendre – en a donné l’impulsion avec le film «Welcome to New York » en mai 2014 et « 99 Homes » en mars 2016 (1). En revanche, pas question de faire de la simultanéité salles-VOD sur le modèle du Day and Date (D&D) américain.

C’est interdit en France. Lors de son intervention devant le CAVP, David Kessler s’est en outre fait très critique sur la réglementation du cinéma. « Il y a un facteur bloquant en France, c’est la chronologie des médias. Aujourd’hui, nous avons une SVOD à 36 mois. Dans le contexte international, c’est un handicap majeur. Là, on a un vrai problème. Canal+ n’est pas le seul acteur à compliquer les choses et à être réticent.
Il y a toujours un acteur qui s’oppose majoritairement à la réduction : les exploitants
(de salles de cinéma) ne veulent surtout pas entend parler de réduction du délai de 4 mois pour la VOD », a-t-il déploré. Et le patron d’Orange Studio, qui est aussi conseiller de la direction générale de l’opérateur télécoms historique sur la stratégie médias et contenus, d’insister : « Tant que l’on aura la SVOD à 36 mois, ce sera compliqué d’avoir un service de SVOD dans notre pays. Et, en tant que vendeur de droits internationaux, je vois qu’une des difficultés pour les films français d’être vendus à Netflix réside dans la chronologie des médias. Netflix s’intéresse aux films frais ». Dans ces conditions, difficile de voir émerger en France un concurrent de Netflix. A moins que Vincent Bolloré (Vivendi) ne relance un jour son projet de « Netflix européen ». @

Opérateurs télécoms et plateformes vidéo fustigent les taxes pour financer l’audiovisuel et le cinéma

Opérateurs télécoms et acteurs du Net sont vent debout contre les politiques qui tentent de les faire payer plus pour financer respectivement l’audiovisuel public (hausse de taux) et le cinéma (nouvelle taxe). Les deux mesures ont été rejetées lors des débats en cours sur le projet de loi de Finances 2017.

Les opérateurs télécoms et les plateformes vidéo ne seraient-ils pas devenus les vaches à lait des industries audiovisuelles et cinématographiques ? C’est à se le demander au vu des taxes qui ont été proposées dans le cadre du projet de loi de Finances 2017, lequel est débattu à l’Assemblée national jusqu’au 4 novembre.

Taxe « YouTube » et taxe « Copé »
Pour les plateformes vidéo, « qu’elles soient établies en France ou hors de France », la commission des Finances de l’Assemblée nationale avait adopté le 12 octobre dernier une « taxe YouTube » de 2 % sur les revenus publicitaires et de vidéo la demande (VOD) de ces acteurs du Net. La taxe était même portée à 10 % pour les œuvres pornographique ou incitant à la violence. Le CNC (1), dont la présidente Frédérique Bredin milite depuis longtemps pour cette taxe (2), devait recevoir 70 millions d’euros de cette taxe, le restant allant au budget de l’Etat. Pour les opérateurs télécoms, la même commission des finances avait décidé d’augmenter la taxe « Copé » prélevée sur leur chiffre d’affaires pour financer l’audiovisuel public, passant ainsi de 1,3 % à
1,4 % pour rapporter l’an prochain environ 355 millions d’euros (contre 320 millions en 2016). Cette taxe, surnommée aussi TOCE (3), a été instaurée en mars 2009, d’abord de 0,9 %, puis de 1,2 % en 2015 et 1,3 % en 2016, afin de financer France Télévisions après la suppression de la publicité en soirée. Accroître ce taux évitait d’augmenter la redevance audiovisuelle de 2 euros de la redevance audiovisuel en limitant cette hausse à 1 euro.
Mais le 21 octobre, la création de la « taxe YouTube » et la hausse de la « taxe Copé » ont été respectivement rejetée et refusée par les députés lors des débats. Seul l’adoption d’un amendement du gouvernement prévoit d’augmenter de 25,5 millions d’euros le plafond de la TOCE – donc inchangée au niveau de l’assiette – affectée à France Télévisions.
Avant d’en arriver là, les réactions des intéressés ne s’étaient pas faites attendre, via leur organisation professionnelle respective. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms), qui regroupe Orange, SFR, Bouygues Telecom et dix autres, auxquels s’était associé ponctuellement Free (Iliad n’étant toujours pas adhérent…), avait fait
part dès le 14 octobre de leur « grand inquiétude » à propos de la « nouvelle hausse
de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (…) pour financer France Télévisions au détriment des priorités fixées par le gouvernement en matière d’aménagement numérique des territoires ». Pour les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), il fallait choisir entre les taxer pour financer l’audiovisuel public et les inciter à déployer le très haut débit en France. « Cet effort supplémentaire de plusieurs dizaines de millions d’euros se rajoute aux 1,8 milliard d’euros qui auront été acquittés par les opérateurs depuis la création de cette taxe [TOCE] en 2009 jusqu’à cette année, montant cumulé qui représente l’équivalent de 3,8 millions de prises en fibre optique
ou d’environ 18.000 installations d’antennes 4G », a calculé la FFTélécom, présidée
par Régis Turrini, directeur des affaires réglementaires du groupe Altice et secrétaire général de SFR (4).
L’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), s’était pour sa part dite « inquiète du retour, chaque année depuis neuf ans à la même époque, au moment de l’examen du projet de loi de Finances, de propositions tendant à mettre en oeuvre une taxation spécifique pour Internet ».

Financer des films pour la salle ou le Net ?
L’Asic, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion, s’était en outre interrogée le 12 octobre sur la cohérence de cette volonté politique de mettre en oeuvre une nouvelle taxation des plateformes d’hébergement de vidéos au regard de la chronologie des médias : « Taxer les revenus des créateurs sur les plateformes de partage de vidéos au profit de l’industrie cinématographique soulève de nombreuses interrogations. D’une part, elle va vraisemblablement consister à demander à la jeune création, aux auteurs naissants d’abonder le CNC et ainsi financer les prochains films français qui sortiront, d’abord et en exclusivité au cinéma ». Les acteurs du Net préféraient que soient plutôt mis en place des mécanismes incitant l’industrie du 7e Art à exploiter ses films – et à « ne pas les laisser dormir sur des étagères » – en profitant de la puissance des différentes plateformes vidéo pour toucher un nouveau public. Face aux opérateurs télécoms et aux acteurs Internet,
les industries culturelles et leurs ayants droits s’étaient frottées les mains, tout en applaudissant ces deux taxes… avant de déchanter.

Les industries culturelles ont exulté
Avant que la « taxe YouTube » ne soit finalement rejetée, l’Union des producteurs
de cinéma (UPC), qui revendique être « le premier syndicat de producteurs cinématographiques en Europe » avec près de 200 producteurs de films membres, avait « remercié » le 14 octobre les députés d’avoir instauré la taxe de 2 % sur les plateformes vidéo pour, selon eux, « réparer une inéquité de régulation aboutissant à ce que ces opérateurs ne contribuent pas au financement des œuvres qu’ils mettent ainsi à disposition, contrairement aux autres diffuseurs de telles œuvres [tels que France Télévision ou Canal+, ndlr] ». La Société des réalisateurs de films (SRF) s’était elle aussi « réjoui[e] de l’adoption en commission des finances d’un amendement visant à créer une taxe sur les revenus notamment publicitaires ou de parrainage des plateformes vidéo sur Internet, de YouTube à Netflix », tout en se félicitant alors de
« ce premier pas fondamental pour enrayer la spirale de l’évasion fiscale des géants du Web ». Quant à l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) et au Syndicat des producteurs de films d’animation (SPFA), ils avaient ensemble fait part le même jour de « leur profonde satisfaction » concernant la « taxe YouTube » qui « renforce
le cercle vertueux par lequel tout opérateur qui tire profit de la mise à disposition des œuvres audiovisuelles et cinématographiques doit contribuer au financement de la création à venir ». Les deux organisations s’étaient félicitées que cette taxe de 2 % soit étendue à l’ensemble des modes de consommation en ligne des films et des séries, après la taxe sur les services de VOD payante à l’acte et de SVOD établis en France
et celle – en cours de validation par la Commission européenne – visant les services équivalents installées hors de France (voir encadré ci-dessous). La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), forte de plus de 58.500 auteurs associés, s’était également « réjoui[e] » de l’adoption de cette taxe de 2 % qui, à ses yeux, faisait coup double. « Ce dispositif est un instrument utile et adéquat pour lutter contre l’optimisation fiscale des géants de l’Internet et pour moderniser le financement de la création audiovisuelle et cinématographique ». C’est en outre, pour la société de gestion collective des droits, une mesure qui permettait d’étendre aux plateformes vidéo en ligne la taxe de 2 % qui existait déjà depuis 1992 sur les ventes physiques de vidéo
(K7 vidéo, puis DVD/Blu-ray) et depuis 2013 sur la VOD. De son côté, la Société civile des auteurs multimédias (Scam) – qui gère les droits de plus de 38.100 ayants droits associés – avait aussi salué cette « taxe YouTube » comme « une décision positive »
et « une question d’équité ». Et d’ajouter alors : « Les revenus des plateformes gratuites proviennent de la publicité dont le montant est valorisé pour une large part par les œuvres audiovisuelles. A l’instar des chaînes de télévision et des opérateurs ADSL, il est logique qu’elles soient soumises au même régime fiscal et contribuent au financement de la création via le CNC ».

25,5 M€ en plus pour France Télévisions
Dans un second communiqué, la Scam avait tenu à faire part de sa « stupéfaction » quant à la limitation de la hausse de la redevance audiovisuelle à 1 euro (au lieu de
2 euros initialement prévus) contre une augmentation de la « taxe Copé » à 1,4 % :
« L’augmentation de 0,1 % de la taxe sur les opérateurs télécoms votée dans la foulée pour tâcher de préserver l’équilibre financier du COM [Contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, ndlr] ne saurait pour autant assurer sa stabilité dans la durée. Les recettes de cette taxe ne sont pas affectées intégralement au financement de l’audiovisuel public ». La société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs (ARP) s’est félicitée le 22 octobre des 25,5 millions d’euros supplémentaires accordés à France Télévisions. @

Charles de Laubier

ZOOM

Les taxes « vidéo » de la France sous l’œil de Bruxelles
La « taxe YouTube » actuellement débattue au Parlement français devra, pour être adoptée définitivement, être notifiée à la Commission européenne. Cette dernière avait déjà été saisie d’une précédente taxe : celle concernant les services de VOD et SVOD installés en dehors de l’Hexagone. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), Anna Herold, en charge du droit d’auteur et des plateformes auprès du commissaire européen « Economie numérique » Günther Oettinger, a indiqué que ce décret « anti-contournement » (5) serait finalement validé. Il aura fallu attendre deux ans, depuis que la loi de Finances rectificatif pour 2013 a en effet prévu l’extension de la « taxe vidéo » de 2% aux opérateurs de (S)VOD tels Netflix, iTunes ou bientôt Amazon Prime Video qui opèrent d’un autre pays européen. Si le premier décret dit
« SMAd » de novembre 2010 avait été validé (6), il n’en a pas été de même pour ce seconde décret « SMAd » de décembre 2010. Bruxelles avait envoyé à la France un courrier daté du 28 janvier 2013 pour lui signifier qu’elle ne cautionnait pas ce second décret qui n’a jamais été appliqué à ce jour ! @

Chronologie des médias : énième reprise des négos

En fait. Le 23 août, Netflix a confirmé au magazine américain Variety et à L’Express qu’il fermait son bureau parisien. Mais son service de SVOD, lancé
en France il y a deux ans, reste ouvert. La chronologie des médias, elle, est entrée dans un nouveau round de négociations depuis le 22 juin dernier.

En clair. Pas facile de développer un service de vidéo à la demande en France, qu’il soit à l’acte ou par abonnement. La chronologie des médias, dont les règles strictes actuelles sont en vigueur depuis 2009 (une éternité à l’heure d’Internet), est l’un des principaux obstacles – si ce n’est le premier – au décollage de ce marché en mal de croissance. Cette fermeture de Netflix France, dont les activités et les quelque 500.000 abonnés vont relever désormais du quartier général européen de l’américain aux Pays-Bas, est révélatrice d’un malaise.
Cette décision n’est sans doute pas étrangère aux difficultés rencontrées pour faire bouger les lignes en France. La VOD par abonnement (SVOD) ne peut y proposer de nouveaux films que 36 mois après leur sortie dans les salles de cinéma, lesquelles bénéficient en outre d’un monopole de quatre mois avant la VOD à l’acte et la sortie des films en DVD.
C’est dans ce contexte que le CNC a relancé le 22 juin dernier les énièmes négociations pour tenter de faire évoluer la chronologie des médias empêtrée dans statu quo que beaucoup dénoncent. « [Il faut] faire disparaître toute chronologie entre les médias. Aujourd’hui, les films de super-héros sur Canal+ ne font pas d’audience, car les gamins les ont déjà piratés. La loi est anachronique », a lancé fin juin Vincent Maraval, directeur fondateur de Wild Bunch, distributeur et producteur de films ainsi qu’éditeur du service de VOD Filmo TV (1).
La chaîne payante du groupe Vivendi a de son côté tenu à rassurer les professionnels du cinéma français en les réunissant le 4 juillet dernier après des mois d’inquiétude (2) : Canal+ restera leur premier pourvoyeur de fonds du cinéma. En contrepartie, la chaîne cryptée fait pression sur la filière française du Septième Art pour que la chronologie des médias évolue en sa faveur : en réduisant à 8 mois le délai de sa fenêtre de diffusion, actuellement de 10 mois après la sortie des films en salles. Se pose aussi la question du dégel des droits durant les fenêtres des chaînes de télévision, lesquelles détiennent une exclusivité (la VOD devant alors suspendre la commercialisation des films concernés…). Quant aux salles de cinéma, réunies au sein de la FNCF ou de Cinéo (3), elles ne veulent toujours pas entendre parler de réduction de la fenêtre des quatre mois pour la VOD à l’acte. Le CNC réussira-t-il à leur imposer des dérogations à trois mois ? @