Réforme de l’audiovisuel : plus de pouvoirs pour le CSAmais plus de fréquences pour l’Arcep

Le président de la République va continuer à nommer le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mais le projet de loi débattu cet été renforcera l’indépendance de l’audiovisuel public et le pouvoir de sanction du CSA. En attendant 2014 pour tenter de réguler Internet.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

« Moi, président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les présidents des chaînes publiques, je laisserai ça à des instances indépendantes », déclarait le 2 mai 2012 le candidat François Hollande dans sa désormais célèbre anaphore de l’entre-deux tours. Voilà qui sera bientôt chose faite. Les contours du premier texte de réforme de l’audiovisuel – sur les deux voire trois qui sont au total attendus – ont été confirmés en Conseil des ministres du 5 juin 2013 (1). Ce projet de loi sera soumis en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 juillet, soit avant la fin de la session parlementaire.

Comment le CSA, l’Arcep, la Cnil et le législateur mettent les médias sociaux sous surveillance

A peine ont-ils émergé dans le nouveau paysage médiatique que les médias
sociaux se retrouvent d’emblée l’objet de toutes les attentions des régulateurs et des parlementaires. La prochaine loi audiovisuelle pourrait constituer un premier pas vers la régulation d’Internet.

« Le régulateur ne doit ni stopper ni brider ces nouveaux médias, mais veiller à ce
qu’ils respectent la protection des données », a voulu temporiser Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil (1). « Il ne s’agit pas d’instaurer un carcan réglementaire mais plutôt un cadre s’appuyant sur la flexibilité du droit. Pas question non plus de contrôler les contenus », a tenu à rassurer Françoise Benhamou, membre du collège de l’Arcep.
« Je ne dis pas qu’il faille transposer stricto sensu dans le monde Internet la régulation des contenus audiovisuels », a tenté de rassurer à son tour Emmanuel Gabla, membre
du CSA.

L’UIT veut devenir le super-régulateur du Net

En fait. Le 9 novembre, s’est achevée la consultation publique de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) sur la révision du Règlement des télécommunications internationales (RTI) prévue par l’UIT lors
de la conférence mondiale de Dubaï du 3 au 14 décembre.

En clair. Opérateurs télécoms et Etats veulent dompter Internet, dont l’avenir est désormais entre les mains de l’Union internationale des télécommunications (UIT). Cet organe des Nations-Unies réunit des Etats du monde entier et des opérateurs télécoms pour régler le sort du « réseau des réseaux ». Comment ? En tentant de faire entrer Internet dans le Règlement des télécommunications internationales (RTI), lequel régit depuis 1990 les interconnexions des télécoms entre pays. L’UIT aurait alors un droit
de regard sur le cyberespace, en termes de rémunération des opérateurs de réseaux, d’instauration d’un peering payant international, de lutte contre la cybercriminalité, d’adressage et de routage IP, de collecte de données techniques, voire de blocage,
de filtrage ou de restriction d’accès.
L’UIT deviendrait ainsi le super-régulateur d’Internet, au risque de mettre à mal la neutralité du Net que bon nombre d’opérateurs télécoms veulent voir disparaître au profit de « services gérés ». C’est sur ce terrain-là qu’est attendu le gouvernement français, dont la position tarde à venir : en témoigne la question (1) sans réponse à
ce jour de la députée UMP Laure de La Raudière (2) au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. La France est- elle pour ou contre l’élargissement du RTI à l’Internet et à l’extension des compétences de l’UIT ? Jusqu’au bout, elle sera restée dans le non-dit, tandis que l’Association des services Internet communautaires (Asic) ou l’organisation citoyenne La Quadrature du Net (3) se sont déjà farouchement opposées à la mainmise de l’UIT sur le Net (lui préférant une ICANN à réformer).
Pendant ce temps, les opérateurs télécoms historiques européens font depuis plusieurs mois du lobbying auprès de l’UIT – via leur association ETNO – en vue d’inclure dans le traité le principe de « rémunération raisonnable » en leur faveur. Ainsi, la terminaison data ou le peering payant pourraient changer la face du Net et mettre un terme au peering gratuit. Ironie du sort : Dailymotion, qui est membre de l’Asic (au côté de Google, Yahoo, Facebook, Microsoft, …), est détenu à 49 % par France Télécom, lequel est membre de l’ETNO. Cette schizophrénie du couple Dailymotion-Orange
fera-t-elle long feu (lire p.3) ?
« Nous avons réussi à ne pas étouffer (…) Dailymotion », a assuré le 15 novembre Stéphane Richard, PDG de France Télécoms, au DigiWorld Summit… @

Emmanuel Gabla, CSA : « La régulation de l’Internet de demain doit s’effectuer progressivement »

Emmanuel Gabla, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et président du groupe de travail « Nouveaux services audiovisuels », explique
à Edition Multimédi@ les évolutions à attendre dans la régulation des contenus en ligne et « l’encadrement de la neutralité des réseaux ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La neutralité des réseaux repose
la question de la régulation du Net. Lors du colloque
de l’Arcep en avril, vous vous êtes dit favorable à une
« plateforme neutre » entre régulateurs. Le futur Conseil national du numérique (CNN) pourrait-il jouer ce rôle ? Emmanuel Gabla (photo) :
Les questions de régulation
du secteur des communications mettent en évidence la nécessité d’une très bonne coopération entre les deux régulateurs sectoriels, que sont le CSA et l’Arcep (1). Cette collaboration existe déjà. Sur les questions de neutralité
des réseaux, d’autres régulateurs comme l’Autorité de la concurrence, la Cnil (2) ou l’Hadopi (3), ont vocation à intervenir. Il est encore un peu tôt pour préciser les modalités de la coopération entre toutes ces instances, mais l’idée d’une « plateforme d’échanges » nous paraît intéressante et pourrait être creusée. La régulation du « Net de demain » doit s’effectuer progressivement. La loi du 5 mars 2009 a confié au CSA des pouvoirs de régulation des services de média audiovisuels à la demande (SMAd), que sont la télévision de rattrapage ou la vidéo à la demande. Cela constitue une première étape. Elle pourrait être complétée, à l’occasion de la transposition du Paquet télécom, par l’extension du pouvoir de règlement de différends du CSA à ces SMAd. Dans le cas où un opérateur de réseaux serait impliqué, l’avis de l’Arcep serait sollicité. Au-delà de la régulation des SMAd, Internet ne doit pas être un « espace de non droit » pour la diffusion de contenus audiovisuels. Le CSA est aussi compétent, depuis la loi du 9 juillet 2004, pour les services de télévision et de radio sur Internet : webTV et radio IP domiciliées en France. La question se pose pour les contenus vidéo qui ne sont pas de la radio, de la télévision ou des services audiovisuels à la demande.