Margrethe Vestager se hâte (trop) lentement dans l’enquête anti-trust contre Google

Cela fait un an que la Commission européenne a fait part de griefs à Google
pour pratiques anticoncurrentielles sur son moteur de recherche. Les premières plaintes datent d’il y a six ans. L’enquête sur Android dure, elle, depuis un an. Qu’attend la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager ?

« La Commission européenne n’a pas de délai légal pour mener ses enquêtes en matière d’ententes et d’abus de position dominante, dans la mesure où cela dépend de nombre de facteurs comme de la complexité de l’affaire, le degré de coopération de l’entreprise en cause et l’exercice des droits de
la défense », nous a répondu un porte-parole de la commissaire européenne en charge de la Concurrence, Margrethe Vestager (photo), concernant l’état d’avancement de la procédure anti-trust lancée contre Google. « Notre enquête se poursuit », a-t-il ajouté.

Hydre à deux têtes : Google et Android
Dans une de ses rares interventions dans les médias, Margrethe Vestager laisse entendre que cette enquête n’est pas prête d’être close car, de son propre aveu,
elle n’est pas pressée d’en finir ! « Vous ne pouvez pas substituer la justice avec la vitesse », a-t-elle assuré dans un entretien accordé au New York Times et publié le 6 mars dernier. « J’ai appris que faire de l’anti-trust de cette taille demande une patience d’acier. Vous devez penser que la vitesse est une qualité parce que nous avons de grandes entreprises dont les noms sont mentionnés à maintes reprises. Mais la vitesse n’est pas une qualité en soi (…) La vitesse est une question secondaire », a-t-elle ajouté. Le quotidien américain, lui, table encore sur de « prochains mois » avant que
le verdict ne tombe… Margrethe Vestager n’entend donc pas se faire dicter son calendrier dans cette affaire où elle donne plutôt l’impression de combattre une hydre
à deux têtes : Google et Android… « Nous avons des questions de différentes natures. L’une d’entre elles est le scraping (dont est accusé Google pour copier le contenu d’autres sites web) ; une autre porte sur la publicité (plaintes contre Google pour abus de position dominante dans ses contrats publicitaires) ; et puis il y a Android qui est presque une autre planète. Nous deviendrons plus sages à force d’aller en profondeur dans ces domaines », a-t-elle confié au New York Times.
Et cela fait maintenant six ans que cela dure, depuis les toutes premières plaintes déposées par trois sociétés – Foundem, Ejustice et Ciao alors propriété de Microsoft
– à l’encontre de Google qui avait lui-même annoncé cette affaire en février 2010. Depuis, les organisations Icomp et FairSearch, ainsi que Expedia, Farelogix, Kayak, Sabre, Oracle ou encore Nokia, auxquels est venu se joindre l’Open Internet Project (OIP), avaient à leur tour déposé plainte contre le moteur de recherche. Google est accusé de privilégier ses propres services en ligne au détriment de ceux de ses concurrents et de favoriser ses annonceurs au travers de sa politique publicitaire Adwords. Par exemple, Google Shopping (ex-Google Product Search et ex-Froogle) serait avantagé depuis 2008, ce qui reviendrait à « détourner artificiellement » le trafic des concurrents tels que LeGuide.com (Lagardère), lequel a racheté en 2012 à Microsoft son concurrent Ciao, Kelkoo (Jamplant), Twenga et bien d’autres. Et cela fait un an que la Commission européenne a adressé à Google – le 15 avril 2015 précisément (1) – des griefs à son encontre pour pratiques anticoncurrentielles sur son moteur de recherche, lequel pèse 90 % des requêtes en Europe. La firme de Mountain View y a répondu le 27 août dernier, par la voix de son vice-président et juriste en chef Kent Walker. « Nous pensons que les allégations sont incorrectes », avait-il écrit sur le blog officiel de Google dédié aux affaires publiques européennes (2). La Commission européenne avait profité de ses griefs sur le moteur de recherche pour indiquer à Google qu’elle poursuivait parallèlement son enquête dans trois autres directions :
la copie de contenus web concurrents (web scraping ou « moissonnage »), l’imposition de clauses d’exclusivité à des partenaires publicitaires, et la restriction de la portabilité des campagnes de publicité en ligne vers des plateformes numériques de publicité concurrentes.
A ces quatre problèmes est venu s’ajouter celui du système d’exploitation Android de Google, sur lequel la Commission européenne a ouvert il y a un an une procédure formelle d’examen – « distincte et séparée » – pour savoir s’il y a des accords anticoncurrentiels ou un abus de position dominante dans les applications mobile et
les services aux smartphones et tablettes.

Verbaliser Google 7,5 milliards de dollars ?
Google est accusé : d’avoir forcé les fabricants de mobiles de pré-installer exclusivement ses propres applications et services ; d’avoir empêché les fabricants
de commercialiser des versions modifiées d’Android (appelées aussi forks) ; d’avoir lié ou groupé certains de ses propres services et « applis » sur Android. Les plaignants accusent Google de « prédation tarifaire » (3). La firme de Mountain View risque une sanction financière pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires global, soit quelque 7,5 milliards de dollars ! @

Charles de Laubier