Le géant français du logiciel Dassault Systèmes a manqué l’occasion de se mesurer aux Gafam

Alors qu’un changement de gouvernance approche pour sa maison mère Dassault, la filiale Dassault Systèmes – numéro un français du logiciel de conception 3D – reste méconnue. « 3DS » (son surnom) est un rare géant européen qui aurait pu rivaliser avec les Gafam en s’adressant aussi au grand public.

Au 23 février 2024, la capitalisation boursière de l’éditeur français de logiciels Dassault Systèmes dépasse à peine les 57,8 milliards d’euros. La pépite du CAC40 est très loin des 1.000 à 3.000 milliards de dollars de capitalisation boursière de chacun des Gafam (Alphabet/Google, Meta/Facebook, Amazon, Apple et Microsoft). Quant aux cours de son action à la Bourse de Paris, elle a chuté de plus de 13 % à la suite de l’annonce, le 1er février, de prévisions décevantes du chiffre d’affaires attendu pour cette année 2024 : entre 6,35 et 6,42 milliards d’euros, en hausse de 8 % à 10 % par rapport à l’an dernier. Les analystes financiers s’attendaient à mieux. Depuis cette déconvenue, le cours de Bourse de Dassault Système a repris un peu du poil de la bête, mais a rechuté à partir du 9 février [et encore plus à partir du 3 mars]. Le fleuron français du numérique semble avoir du mal à convaincre les investisseurs, alors qu’il s’agit pourtant d’une entreprise en forte croissance et très rentable : plus de 1,59 milliard d’euros de bénéfice net en 2023 (+ 6 %), pour un chiffre d’affaires de 5,95 milliards d’euros (+ 9 %).

Une Big Tech méconnue des Français
Dassault Systèmes est dirigé par Pascal Daloz depuis le 1er janvier, date à laquelle Bernard Charlès (photo) lui a confié la direction générale qu’il occupait depuis 2002 pour s’en tenir à la fonction de président du conseil d’administration après en avoir été PDG – DG de 1995 à 2023 et président du conseil d’administration depuis qu’il a remplacé en 2022 Charles Edelstenne (86 ans). Celui-ci est le fondateur de Dassault Systèmes en 1981, dont il est encore aujourd’hui le président d’honneur, tout en étant par ailleurs président de la holding de la famille Dassault GIMD (1) – sixième plus grande fortune de France, selon Challenges – et président d’honneur et administrateur de Dassault Aviation, dont il fut le PDG (2000- 2013). Le 9 janvier 2025, Charles Edelstenne passera les rênes de GIMD à Eric Trappier (l’actuel PDG de Dassault Aviation). En quatre décennies, Dassault Systèmes – surnommé « 3DS » – est devenu un géant du numérique en étant pionnier de la conception en trois dimensions (3D) avec son logiciel Catia conçu à la fin des années 1970 chez Dassault Aviation pour la conception assistée par ordinateur d’aéronefs. Depuis, Continuer la lecture

Les métavers et la propriété intellectuelle : quelle protection pour les titulaires de marques ?

Deux principes fondamentaux régissent, dans le monde réel, le droit des marques : la spécialité et la territorialité. Mais qu’en est-il dans les mondes virtuels à l’ère des métavers ? Entre vide juridique et absence de jurisprudence, les titulaires de ces marques doivent s’y aventurer prudemment.

Par Véronique Dahan (photo), avocate associée, Joffe & Associés.

Le métavers – ou metaverse en anglais – est l’une des tendances les plus en vogues depuis la fin de l’année 2021. Cet intérêt soudain pour les espaces virtuels s’est fortement développé suite à l’annonce, faite par Mark Zuckerberg en octobre 2021, du changement de la dénomination du réseau social le plus populaire du monde (2,8 milliards d’utilisateurs mensuels). Facebook est ainsi devenu Meta (1), et le géant américain a promis « de donner vie au métavers et d’aider les gens à se connecter, à trouver des communautés et à développer des entreprises » (2).

Principes de spécialité et de territorialité
Il est aujourd’hui possible de rattacher un métavers à une blockchain, une chaîne de blocs (voir encadré page suivante). Les métavers fonctionnant grâce elle permettent à leurs utilisateurs de devenir propriétaires de tous les biens virtuels qui y sont créés : parcelles de terrains, bâtiments, œuvres d’art, vêtements, etc. On peut citer comme exemple « The Sandbox Game » qui est un métavers décentralisé fonctionnant sur la blockchain Ethereum et qui offre aux utilisateurs la possibilité de créer, utiliser, acheter ou vendre toute sorte d’items numériques associés chacun à un jeton non-fongible dit NFT (Non-Fungible Token). Ces deux révolutions – métavers et blockchain – sont le signe d’une « hyperconvergence technologique » (3) propice au métavers. Internet bascule d’un web 2.0 purement collaboratif, où les utilisateurs peuvent créer et diffuser du contenu, à un web 3.0 (ou Web3) immersif et appropriable. Ce basculement permet d’affirmer que le métavers n’a jamais été aussi proche du monde réel.
C’est la raison pour laquelle divers secteurs économiques – luxe, sport, mode, musique, art, … – s’intéressent aux possibilités offertes par le métavers et construisent leurs projets en conséquence. Les marques investissent d’ores et déjà dans le métavers, à l’image de Nike qui a lancé sont propres métavers sur la plateforme Roblox : Nikeland (4). La plateforme Decentraland a, quant à elle, organisé fin mars 2022 la toute première « Metaverse Fashion Week » (5). L’événement comprenait des défilés, des expositions de pièces de luxe, des concerts, des discussions et toutes sortes d’expériences virtuelles. Les marques prenant part à cet événement dans le métavers ont donc eu l’occasion de présenter leurs produits numériques sous forme de NFT, que les utilisateurs pouvaient acquérir dans le but de vêtir leur avatar de parures uniques et exclusives. Parmi ces marques, les visiteurs ont retrouvé Philipp Plein, Forever 21, Karl Lagarfeld ou encore Vogue & Hype. Beaucoup d’entreprises s’interrogent sur la stratégie à adopter pour protéger leurs marques dans le métavers. Les problématiques juridiques rencontrées dans le monde physique tendent à se transposer au métavers, que ce soit en matière de données personnelles, de droit de la consommation et évidemment de droit de la propriété intellectuelle. A ce jour, il n’existe aucune réglementation propre au métavers. A ce titre, la question de la stratégie à adopter afin d’obtenir une protection optimale de ses marques dans le métavers est cruciale. Le droit des marques est un droit monopolistique, en ce sens que la protection découlant de la marque permet à son titulaire d’évincer tous ses concurrents de l’utilisation à des fins commerciales d’un signe distinctif identique ou similaire.
Le droit des marques est régi par deux principes fondamentaux, dont l’extension au monde virtuel peut sembler épineuse : le principe de spécialité, d’une part, et le principe de territorialité, d’autre part.
Est-ce nécessaire de protéger sa marque pour les produits et services liés spécifiquement au métavers ?
Le code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés » (6). En vertu du principe de spécialité, une marque n’est protégée que pour les produits et services visés lors du dépôt (sauf pour les marques de renommées qui bénéficient d’une protection juridique élargie au-delà des produits et services pour lesquels elles ont été enregistrées). Toute la question est donc de savoir si un bien ou un service du monde réel pourrait être considéré comme identique ou similaire à son équivalent virtuel et générer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Réel et virtuel : risque de confusion
De prime abord, nous pourrions penser qu’un bien ou un service réel et son équivalent virtuel sont différents dans la mesure où ils ne rempliraient pas la même fonction. Si nous prenons l’exemple d’un sac : un sac virtuel n’est autre que des données informatiques représentées sur un écran. Il ne remplit pas sa fonction première qui est d’y ranger ses affaires. Toutefois, cette fonction première n’est pas la seule et unique fonction d’un sac. Comme dans le monde réel, le sac acheté dans le métavers, pour des avatars par exemple, le sera pour des considérations esthétiques et pas seulement pratiques, ainsi que pour des considérations d’image. Est-ce qu’en achetant un bien virtuel de telle ou telle marque dans le métavers, le consommateur fera-t-il le lien avec la marque/l’entreprise du monde réel ? La détermination du risque de confusion est évidemment subjective et dépend de chaque cas d’espèce. L’analyse ne se fait pas uniquement au regard des produits et services.

Déposer une marque : penser au virtuel
L’examen des signes en cause et des produits/services ne se fait pas de façon hermétique : il existe une interdépendance entre ces deux éléments. Ainsi, la faible similitude entre les produits peut être compensée par la haute ressemblance entre les signes, et vice versa. De même, si le signe revêt un caractère distinctif fort ou une certaine notoriété, le risque de confusion est augmenté. Il semble donc qu’une marque pourrait a priori être suffisamment protégée contre des usages dans le métavers, et ce même si elle n’est enregistrée que pour désigner des produits et services « classiques ».
Pour éviter tout débat et dans la mesure où il n’y pas encore de jurisprudence en la matière, il est toutefois recommandé aux titulaires de marques de déposer leurs marques en visant également des produits et services liés au métavers : biens virtuels téléchargeables, services de divertissement, à savoir la fourniture de vêtements (…) virtuels en ligne et non téléchargeables, destinés à être utilisés dans des environnements virtuels.
Est-il possible d’assurer la protection territoriale de la marque, produits et services, à l’ère du métavers ?
La marque est un droit territorial en ce sens que le monopole que détient le titulaire sur sa marque ne peut être opposé aux tiers que sur le territoire duquel l’enregistrement a été obtenu. Il peut dès lors sembler délicat de concilier le principe de territorialité de la marque avec le métavers. Par définition, le métavers est détaché de tout territoire puisqu’il prend la forme d’un univers à part entière.
On peut également estimer que le métavers a un caractère mondial, accessible à des utilisateurs établis aux quatre coins du globe. Se pose alors la question de savoir si une marque enregistrée uniquement en France peut bénéficier d’une protection efficace contre des actes de contrefaçon commis dans le métavers. Le simple accès au métavers par des utilisateurs français permettrait-il de considérer qu’il y a contrefaçon ?
La solution qui pourrait être adoptée serait celle communément admise s’agissant des atteintes aux marques sur Internet (7). La jurisprudence a établi la théorie de la focalisation en matière de contrefaçon sur Internet, en vertu de laquelle l’acte de contrefaçon d’une marque française est constitué dès lors qu’un faisceau d’indices permet de démontrer que l’internaute français est la cible du site web étranger (accessibilité du site, utilisation de la langue française, livraison en France, etc.). Toutefois, contrairement aux sites Internet dont il est possible de démontrer qu’ils ont un public ciblé géographiquement, le métavers est quant à lui global, ne faisant pas a priori de différences en fonction de la géolocalisation des utilisateurs. @

FOCUS
C’est quoi exactement le métavers et pourquoi un tel engouement ?
Contraction des mots « meta » (« au-delà de » en grec ancien) et « univers » (« universum » en latin), le métavers peut se définir comme un monde virtuel dans lequel des individus peuvent se retrouver pour interagir avec d’autres. Il n’existe pas qu’un seul et unique métavers. Les métavers sont innombrables et peuvent prendre des formes diverses et variées en fonction de leur objet.
Tandis que certains métavers prennent la forme de jeux vidéo, d’autres apparaissent comme des réseaux sociaux immersifs, ou des environnements virtuels de travail (8). Les plus optimistes imaginent déjà une interopérabilité entre les métavers permettant d’aboutir à un univers virtuel unique.
Le début d’année 2022 est particulièrement marqué par l’enthousiasme de nombreux secteurs économiques pour le métavers. Pourtant, l’idée d’un monde parallèle et entièrement dématérialisé n’est pas nouvelle. Les prémices du métavers sont apparues en 1992, dans le roman « Snow Crash » écrit par Neal Stephenson, à une époque où Internet n’était encore qu’un sujet de niche. Visionnaire et précurseur, l’auteur décrit la vie de Hiro, un hacker vivant dans un conteneur qui, pour oublier son quotidien de misère, se plonge dans un univers virtuel haut de gamme : le metaverse. La première matérialisation du métavers surgit au début des années 2000 avec la création du jeu « Second Life » qui, comme son nom l’indique, propose à ses utilisateurs d’avoir une vie parallèle à celle du monde réel (9). Aujourd’hui, il y a aussi « Roblox », « Minecraft » (10) ou encore « GTA Online » que l’on qualifie communément de « sandbox » (bac-àsable), c’est-à-dire des jeux en monde ouvert au sein desquels les joueurs peuvent communiquer, créer et échanger tout type de biens virtuels.

L’effervescence actuelle autour du métavers semble être la conséquence de deux révolutions technologiques plus ou moins récentes : les casques de réalité virtuelle et la blockchain.
D’une part, casques de réalité virtuelle, dont la commercialisation auprès du grand public des premiers modèles à partir de 2016, a eu pour effet de changer notre rapport avec le numérique. Le virtuel ne se trouve plus derrière notre écran d’ordinateur ou de portable ; il se vit, se contemple et devient quasi palpable. Le métavers vécu au travers de cette nouvelle technologie prend alors tout son sens. Les casques de réalité virtuelle permettent une immersion pleine et entière dans des environnements textuels riches et en trois dimensions. Le passage du monde physique à un monde immatériel est alors rendu possible.

D’autre part, la technologie blockchain a occasionné le développement d’un phénomène nouveau : la propriété digitale. La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’information. Autrement dit, c’est un registre public et décentralisé permettant d’enregistrer, d’horodater, de conserver et de rendre accessible aux utilisateurs toute information qui y est inscrite (11). La blockchain apparaît donc comme une garantie de l’authenticité d’une information, d’un document ou d’une transaction. @

Metaverse : Facebook Horizon dans le sillage de Second Life, pionnier des univers virtuels

Plus de sept ans après avoir racheté le fabricant de casques de réalité virtuelle Oculus, Facebook a lancé le 19 août une version bêta gratuite de « Horizon Workrooms ». C’est la première pierre de son futur metaverse, un de ces univers virtuels dont Second Life fut le plus médiatique pionnier.

Profitant de l’explosion du télétravail et du distanciel en ces temps de crise sanitaire et de confinements, la firme de Mark Zuckerberg a lancé – via sa filiale Facebook Technologies (ex-Oculus VR) – la version bêta ouverte de « Horizon Workrooms », un univers collaboratif de travail disponible gratuitement pour les casques de réalité virtuelle Oculus Quest 2, lesquels sont disponibles depuis près d’un an. L’annonce a été faite le 19 août sous la marque Oculus (1), héritée de l’entreprise fondée en 2012 et rachetée par Facebook deux ans plus tard pour 2 milliards de dollars.

Seconde vie de Second Life
Workrooms, où les utilisateurs casqués peuvent se réunir dans une même salle de travail virtuelle, est une première étape de ce que pourrait être le metaverse promis par Facebook – comprenez un univers virtuel – et compatible avec le monde réel. Ce réseau social en réalité virtuel (Social VR World) existe en fait depuis un an maintenant, en version bêta là aussi. Il s’appelle « Facebook Horizon », présenté il y a deux ans (2), et n’est accessible depuis août 2020 que sur invitation (3). « Notre mission est de créer des liens significatifs entre les gens et de favoriser un fort sentiment de communauté pour tous ceux qui se joignent à Horizon », explique Facebook. Cet espace a des allures de metaverse, du nom du monde virtuel popularisé par Neal Stephenson (photo), auteur américain de science-fiction, dans son roman « Snow Crash » paru en 1992 et toujours disponible chez Penguin Random House (4).
Ce roman futuriste met en scène un hacker livreur de pizzas, qui a accès au « métavers » (métaverse en anglais, contraction de meta qui signifie « au-delà » et de universe pour univers) où foisonne tout un monde futuriste du savoir en lien ou pas avec la réalité. Metaverse est une anticipation de ce que sera le Web mais en version 3D et en VR (Virtual Reality), à l’instar de Second Life créé en 2003 par la société californienne Linden Lab, alias Linden Research. Gratuit, cet univers virtuel – où évoluent les avatars des utilisateurs disposant de leur propre monnaie virtuelle, le Linden dollar (L$) – a eu son heure de gloire durant ses cinq premières années jusqu’au lancement de nouveaux mondes parallèles concurrents potentiels créés à l’initiative de deux géants : Lively de Google (finalement fermé à la fin de ma première année en 2008) et Home de Sony (également abandonné mais sept ans après). A son apogée, « SL » a dépassé en octobre 2008 les 17 millions de « Resi’s », le petit nom de ses résidents. Son économie a généré jusqu’à 400 millions de dollars en une année. Passé le buzz médiatique du milieu des années 2000, Second Life a ensuite entamé une seconde vie plus discrète (5) et son patron cofondateur Philip Rosendale fut remplacé sur fond de crise interne. Malgré son déclin, Second Life survit encore aujourd’hui et s’est ouvert en 2014 à l’Oculus Rift (déjà aux mains de Facebook), mais sans succès. En juillet 2020, Linden Research et sa filiale de paiement Tilia ont annoncé leur acquisition (6) par un groupe d’investisseur dirigé par Randy Waterfield et Brad Oberwager. Depuis, ce dernier est devenu le président exécutif de Linden Lab. Le 19 août dernier, le jour même où Oculus annonçait la version bêta d’« Horizon Workrooms », Linden Research a annoncé un accord avec l’éditeur de bandes dessinées Zenescope Entertainment, en collaboration avec la principale agence de licences numériques, Epik. Objectif : donner vie à l’univers sombre et tordu de Grimm en tant que métavers Zenescope à l’intérieur de Second Life. « L’expérience virtuelle comprend Cendrillon (alias Cindy, dans “Cinderella: Serial Killer Princess”), principal personnage d’une mini-série de six épisodes. Le monde immersif est plein de jeux, de surprises cachées, d’objets de collection virtuels exclusifs et de marchandises trouvées uniquement dans Second Life », précise le créateur de SL (7).
En outre, la crise sanitaire a en outre profité au pionnier des mondes virtuels qui a vu son audience revigorée. L’amorce du metaverse de Facebook – via son entité FRL (Facebook Reality Labs) – devrait aussi réactiver l’attrait pour les mondes virtuels, à l’heure du très haut débit et de l’ultra-haute définition.

Repousser les limites du réel
Les conditions sont réunies pour un rebond des univers virtuels d’avatars, en conjonction avec la réalité – qu’elle soit augmentée, holographique ou encore téléportée. Les smartphones sont limités à l’Internet mobile. Les métavers, eux, repoussent les limites à l’aide de casques de VR ou de lunettes de AR (Augmented Reality). Mark Zuckerberg, qui parle de « Graal des interactions sociales », en a fait son nouveau cheval de bataille (8). Mais il n’est pas le seul : Second Life est à nouveau en embuscade, tandis que la plateforme de jeux vidéo Roblox et le célèbre jeu coopératif de tir et de survie « Fortnite » (édité par Epic Games) n’ont pas attendu pour lancer leur metaverse (9). @

Charles de Laubier

Les jeux en ligne deviennent le premier usage sur Internet et bousculent l’industrie du jeu vidéo

La 8e génération de consoles (PS4, Xbox One, Wii U, Steam, …), de plus en plus multimédias et au succès grandissant, est en train de faire basculer l’industrie culturelle des jeux vidéo vers le tout-online. Malgré ce changement de paradigme, le marché français devrait croître de 4 % cette année. Quid de la 9e génération ?

Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell), qui fête
ses 20 ans en 2015 et qui affirme représenter avec vingt-quatre membres 95 % du marché français, est en pleine euphorie : selon l’institut d’études GfK, le chiffre d’affaires des jeux vidéo en France (consoles, logiciels, accessoires, jeux en ligne, jeux sur mobiles) devrait progresser cette année de 4% à 2,8 milliards d’euros, après l’an dernier déjà florissant avec ses 3 % de hausse. Ce qui n’était pas arrivé depuis 2008.

La seule industrie culturelle en croissance
Les consoles de 8e génération lancées entre fin 2012 et fin 2013 – Wii U de Nintendo, PlayStation 4 (PS4) de Sony et Xbox One de Microsoft en tête – ont déclenché avec succès le début d’un nouveau cycle très prometteur pour cette industrie culturelle.
« Fort d’un dynamisme rythmé par les consoles, les logiciels mais aussi les accessoires, notre marché est la seule industrie culturelle à croître en 2014 », s’est félicité Jean- Claude Ghinozzi (photo), président du Sell depuis plus de trois mois. Directeur de division chez Microsoft France, il a en effet succédé à David Neichel, directeur général d’Activision France (1). Le marché du jeu vidéo fonctionne par cycles d’environ sept ans et chaque génération de consoles a permis jusqu’à maintenant de doubler le chiffre d’affaires de cette industrie (voir graphique ci-dessous). Cela voudrait dire qu’à l’issue de cette 8e génération, qui devrait prendre fin dans moins de cinq ans, la France du jeu vidéo aura franchi la barre des 5 milliards d’euros. Mais cette 8e génération de console pourrait être la dernière, tant les jeux en ligne et le Cloud Gaming auront tendance – prédisent certains – à les rendre progressivement obsolètes à partir de 2017. Au point que, face à cette dématérialisation galopante des jeux vidéo, certains fabricants de consoles et éditeurs de jeux vidéo (Electronic Arts, Activision Blizzard, Ubisoft Entertainment, …) se préparent à l’idée d’abandonner le support physique (DVD) lors du passage à la 9e génération. Car les ventes de jeux vidéo sont en train de basculer en ligne grâce aux performances des terminaux (ordinateurs, smartphones, téléviseurs connectés, etc.), aux accès (très) haut débit, au Cloud Gaming (2). Et cette dématérialisation se fera en haute définition, voire en ultra-HD
ou 4K (les nouvelles compressions d’images H.265, HEVC, VP9 aidant), et avec possibilité de casques de réalité virtuelle en 3D garantissant l’immersion vidéoludique tels que Morpheus de Sony, Gear VR de Samsung ou celui d’Oculus (société rachetée en mars 2014 par Facebook). En France, le basculement vers le tout-online est à l’oeuvre : si 55 % de la valeur du marché français a encore été générée par le jeu vidéo physique en 2014 (contre 64 % en 2013), il y a fort à parier que cette part physique deviendra pour la première fois minoritaire d’ici la fin de cette année 2015. Les jeux
en ligne explosent d’autant plus qu’ils représentent même le premier temps passé sur Internet depuis l’an dernier, selon Médiamétrie qui a comptabilisé plus de 8 heures
dans le mois (3) – contre seulement 3 heures 30 un an plus tôt. C’est bien plus que
les quelque 5 heures 30 passées sur les sites communautaires, les réseaux sociaux et les blogs, et même beaucoup plus que les 3 heures passées sur les e-mails. La moitié des 43,8 millions d’internautes en France jouent à des jeux gratuits sur ordinateur, smartphone ou tablette – et 39 % d’entre eux sur les réseaux sociaux. Et ils sont près de 18 millions de mobinautes à jouer en ligne. Comparé au nombre de consoles qui
se trouvent dans les foyers français – soit 5,9 millions à fin 2014 –, il n’y a pas photo.

Les trois sites web de jeux en ligne les plus consultés du moment sont : Jeuxvideo.com (plateforme française rachetée en juin 2014 par Webedia/Fimalac pour 90 millions d’euros), Twitch (plateforme américaine rachetée fin août 2014 par Amazon pour 970 millions de dollars), et League Legends (jeu vidéo en ligne développé par l’éditeur américain Riot Games). Aussi très prisé en France, Minecraft, jeu multijoueurs édité
par la société suédoise Mojang, a été racheté à prix d’or (2,5 milliards de dollars) par Microsoft en septembre dernier. C’est que le potentiel est considérable pour ces jeux multijoueurs, voire «massivement multijoueurs » ou MMOG (4), dont le modèle économique est souvent du free-to-play, ou free2play, sur le principe du « Jouez gratuitement, ne payez que les options ». @

Charles de Laubier

Le Q.I. de nos villes

Ce matin, tout en prenant mon petit-déjeuner, je révise mon agenda de la journée et valide les moyens de déplacement que mes applications m’ont automatiquement programmés. Un trajet multimodal, mixant tramway, vélo et bus, optimisé en fonction d’une météo dégagée et d’un pic de pollution rendant très onéreuse l’utilisation de ma voiture. Cette option est désormais possible par la disponibilité, en temps réel, de multiples données nécessaires et d’applications très simples d’utilisation : les vélos disponibles lors des connections sont déjà réservés, et mon budget et mes déplacements optimisés en fonction de mes rendez-vous et des conditions de circulation. Quelle est cette ville qui aurait sans doute stupéfiée un certain Jules Vernes qui écrivait, en 1863, l’un de ses tous premiers romans : « Paris au XXe siècle », publié en 1994 après avoir été retrouvé au fond d’un coffre ? Une formidable vision où Paris est désormais un port relié à la mer par un immense canal dont les rues, règne de la fée électricité, sont sillonnées par des métros aériens et des voitures silencieuses. Une ville bien réelle, comme elle l’est depuis toujours. Le père de l’anticipation ne pouvait imaginer l’émergence, au-delà de cette ville réelle, d’une ville virtuelle façonnée par les technologies de l’information. Cette combinaison a ainsi donné naissance à ce que Norbert Streitz a appelé la ville hybride, associant la réalité concrète aux données qu’elle génère en permanence.

« Ce concept de “Smart City”, au-delà de
l’argument de marketing territorial de ses débuts,
apparaît aujourd’hui comme réellement fédérateur. »

Depuis 2010, nous sommes ainsi entrés dans une longue phase d’expérimentation qui nous permet, chaque jour un peu plus, de mieux appréhender les promesses de la ville intelligente. Ce concept de « Smart City », au-delà de l’argument de marketing territorial qu’il a pu avoir à ses débuts, apparaît aujourd’hui comme réellement fédérateur pour les collectivités, les industriels et les citoyens. Il traduit une ambition partagée par les élus
et leurs administrés de concevoir l’avenir des citées répondant aux enjeux du développement durable, tout en exploitant le potentiel du numérique et en veillant à la cohésion territoriale et sociale.
L’élément déclencheur a été la disponibilité simultanée de données exploitables, dopées par la multiplication de capteurs en tout genre prenant en permanence le pouls de la ville, et d’interfaces de toutes sortes envahissant nos rues. A l’heure de l’« Open data » et des écrans dans la ville, ce sont les industriels qui ont rapidement pris la mesure de l’enjeu et du relais de croissance potentiel de ce nouvel eldorado : IBM, Cisco, General Electric, Panasonic, Schneider, Siemens, sans compter les SSII, les opérateurs télécoms et les fournisseurs de services d’eau ou d’énergie. Tous ont investi massivement dans la R&D, l’acquisition frénétique de sociétés spécialisées et l’évangélisation des villes (les premières servant de laboratoire à grande échelle). Même en période de ressources rares, l’avenir des villes passe par la maîtrise des différentes dimensions qui la composent. « Smart Gouvernance », « Smart Mobilités », « Smart Environnement », « Smart Economie » ou « Smart Qualité de vie » sont autant de domaines autour desquels les villes ont organisé leurs investissements : Amsterdam, pionnière des réseaux électriques intelligents ; Singapour, innovant dans des systèmes de péage urbain à tarification ajustée en temps réel ; Birmingham, New York ou encore bien d’autres agglomérations, mettant en places des plans numériques afin de concilier le développement des infrastructures fixes et mobiles, l’énergie et le développement durable, les services numériques innovants et l’inclusion sociale. Des utopies urbaines sont devenues bien réelles à travers la construction de la ville nouvelle, forcément intelligente, comme la « King Abdullah Economic City » qui accueille aujourd’hui sur les bords de la Mer Rouge plus de 2 millions de personnes sur une surface équivalente à trois fois la superficie de Manhattan ! Villes réelles, virtuelles, hybrides, intelligentes, … humaines. Les projets les plus complets intègrent la participation active des citoyens, moteur ultime de l’intelligence. Une manière de conjurer le sort entrevu par Jules Vernes qui terminait son roman de la ville du futur par la victoire funeste de la technologie sur la culture. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’e-pub
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier
son rapport « Smart Cities : Le numérique au coeur
de la ville intelligente », par Philippe Baudoin